Yamato nadeshiko, un idéal féminin qui a fait son temps ?
En occident, on a tous plus ou moins la même image d’idéale de beauté de la femme japonaise… Au Japon, la femme traditionnelle parfaite est appelée Yamato nadeshiko, une vision idéalisée qui repose sur une conception confucianiste de la femme et qui ne correspond plus vraiment à la réalité actuelle. Mais ce modèle a-t-il vraiment existé un jour ? Il a en tout cas marqué les esprits et il définit, de diverses manières, la place de la femme dans le pays du Soleil Levant. On analyse son influence dans l’archipel, avant de voir où se situent les femmes modernes par rapport à ce principe ancestral.
Yamato Nadeshiko, l’œillet superbe synonyme de perfection
Yamato Nadeshiko (大和撫子) désigne la femme japonaise traditionnelle, celle qui possède toutes les vertus de la femme idéale. Pour mériter ce titre, une femme devra être : délicate et gracieuse, humble, douce et suffisamment forte pour élever ses enfants. Elle devra toutefois prendre garde à ne pas faire passer ses opinions ou ses désirs avant ceux de son mari, de son père, de son patron ou de son pays. Une définition suffisante pour agacer, à minima, n’importe quelle femme moderne et indépendante, qui aura bien du mal à se retrouver dans ce portait.
Décomposons et expliquons les éléments de l’expression. En premier, on retrouve le mot Yamato (大和) qui correspond à un Japon ancien. Nadeshiko (撫子) désigne l’œillet superbe, une plante vivace qui porte le nom scientifique de Dianthus superbus. Il faut savoir que les Japonais aiment beaucoup associé les sentiments et les fleurs. Il existe un véritable langage floral au sein duquel chaque fleur est associée à une émotion. La fleur de cerisier représente la beauté éphémère. La fleur de lotus symbolise la pureté et la réincarnation. Et ces œillets, offerts lors de la fête des mères au Japon, représentent l’amour maternel et la femme pure. Contrairement à la Bijin, qui est avant tout une femme qui est belle physiquement, celle qui correspond à l’idée du Yamato nadeshiko est donc une femme traditionnelle aussi pure que la fleur qui lui est associée.
Cette vision de la femme idéale provient du confucianisme, qui a influencé le culte shintō, et de la place accordée à la femme dans cette doctrine. Son rôle est de donner naissance à un enfant (de préférence un garçon), de l’élever et d’obéir aux hommes. Une forme de soumission que les dirigeants de la fin de l’ère Meiji officialiseront avec le concept de « bonne épouse, sage mère » (良妻賢母 ryōsaikenbo), puis au cours de la Seconde Guerre mondiale dans une optique nationaliste où faire des enfants était un devoir patriotique qu’une femme vertueuse devait remplir. En occident, l’expression « bonne à marier » est assez proche de cette vision mais la différence est que lorsque les femmes ont commencé à obtenir des droits sociaux similaires à ceux des hommes, rendant cette conception désuète, le Japon découvrait à peine le féminisme. Si aujourd’hui, le combat pour une certaine égalité est un peu plus vivace – comme en témoigne notamment le mouvement Kutoo -, il semble que l’idéal prôné par le Yamato nadeshiko n’ait pas disparu des mentalités.
Les femmes du début du siècle (arrière-grand-mères ou grand-mères des femmes actuelles) faisaient en sorte de correspondre à cette idéologie, par choix ou par contrainte. Aujourd’hui, il est évident qu’une partie des filles modernes tentent de s’en éloigner. Cependant, comment gommer une image de pureté et de soumission qui caractérise, pour de nombreux hommes, la femme du Japon ?
Une métaphore florale datée, qui fausse l’image de la femme japonaise
Dans le monde, les femmes asiatiques fascinent les hommes et elles sont source de nombreux fantasmes, pour des raisons parfois dérangeantes. Elles sont souvent vues comme dociles et soumises sexuellement, et ces caractéristiques ne sont qu’un triste héritage de la période coloniale. Bien évidemment, les principales concernées ne se reconnaissent que rarement dans cette image. Un roman, Madame Chrysanthème de Pierre Loti (1888, Calmann-Lévy) dans lequel l’auteur narre son mariage avec une jeune femme de 18 ans à son arrivée à Nagasaki en 1885, a contribué à créer un imaginaire sur la femme japonaise qui semblait incarner la perfection féminine de l’époque, en accord avec les principes du Yamato Nadeshiko. Cette description est l’une des raisons qui poussaient les soldats étrangers à rechercher en priorité des Japonaises dans les maisons closes durant leurs missions en Asie.
Au Japon, la représentation de ce type de femme idéale dans des domaines divers contribue à faire perdurer le mythe et on retrouve notamment cette image via l’érotisation de la Geisha dans les arts, où elle est encore vue à tort comme une prostituée de luxe. Dans certains Hentai et Manga et dans tout un pan du porno japonais mettant en avant des pratiques BDSM, cette image est fréquemment reprise, ce qui a certainement un rôle important dans la démocratisation de ce fantasme. Elle ne correspond pas à la réalité, mais a pourtant été largement répandue par les élites japonaises à deux reprises dans l’histoire récente.
D’abord, à la suite du boom économique qu’a connu le Japon entre 1960 et 1980. Les intellectuels, soutenus par les médias, vont commencer à produire des écrits et des discours ayant pour thème la Japonité. Leur but est de redéfinir l’identité japonaise et de lui rendre sa grandeur, perdue avec la capitulation de 1945 qui a mis fin à la Seconde Guerre mondiale et qui a démarré une période d’occupation américaine. Pour ce faire, quoi de plus logique que de définir la parfaite femme japonaise comme un modèle d’obéissance et de qualités qui ferait honneur à sa patrie ? Cela fera partie intégrante d’une forme de littérature nationaliste appelée Nihonjiron, qui atteindra son apogée à la fin des années 80. Après le déclin de ce courant littéraire, le Japon s’inspire de l’Occident et on voit apparaître les prémices d’un féminisme qui reste encore assez discret de nos jours, bien que des voix (comme celle de Mieko KAWAKAMI) pourraient annoncer des changements prochains.
Ensuite, le pays semble revenir à ses valeurs de jadis et lance, en 2010, une immense campagne de promotion baptisée Cool Japan. Son objectif ? Diffuser la culture japonaise à travers le monde via ses principaux pôles d’attractivités : mangas, jeux vidéo, anime, mode, gastronomie, technologie ou encore culture traditionnelle. Au sein de cette dernière catégorie, on retrouve le Yamato nadeshiko et l’idée de cette femme japonaise idéale. La stratégie fonctionne plutôt bien et elle est toujours appliquée aujourd’hui, et l’afflux de visiteurs au Japon est en grande partie dû à cette publicité à grande échelle du Japon. Pourtant, les critiques fusent, et les reproches concernent notamment cette forme d’exploitation d’un passé rêvé qui fausse la perception que les étrangers ont du Japon, ainsi que la promotion d’une image peu fidèle du pays (kawaii et colorée) qui met de côté les soucis de la société… En somme, ce Yamato nadeshiko est utilisé pour séduire le monde, et ce ne serait pas un souci si cela n’impactait pas la vie des Japonaises !
Condamnées à être parfaites ?
On sait que le Japon n’est pas un bon élève en matière d’égalité des sexes : il se classe 121e place sur 153 pays en 2020. Le sexisme omniprésent auquel sont confrontées les Japonaises provient, sans doute, de cette image largement fantasmée qu’on a attribué aux femmes. Ceux qui cherchent une épouse qui possède les qualités requises pour être une Yamato nadeshiko, ou qui ne donnent de l’estime à une femme que si elle est en accord avec ces valeurs, ne peuvent qu’être déçus, voire frustrés… Cela peut se traduire par des comportements inappropriés en société ou au travail, sous de nombreuses formes de harcèlement comme le Matahara qui stigmatise les futures mamans en leur reprochant notamment leur volonté de continuer à travailler alors « qu’elles feraient mieux de s’occuper de leur grossesse » comme le veut le système traditionnel. Ce gouffre entre le désiré et le réel pourrait expliquer la solitude choisie par certains Japonais, qui ne trouvent plus leur place dans ce système qui hésite entre des valeurs du passé et une modernité exacerbée.
On peut également adresser quelques reproches aux médias, qui au même titre que les promoteurs de cette image de la femme idéale, continuent à représenter l’épouse parfaite à la fois comme une mère aimante et impliquée dans l’éducation de son enfant, et comme une jeune femme pure, belle et intelligente qui semble ne pas vieillir et conserver sa fraîcheur printanière. Il ne faut toutefois pas oublier qu’une majorité des jeunes femmes ne rejettent absolument pas l’idée d’être une femme au foyer et une mère, laissant leur mari subvenir aux besoins de la famille. D’ailleurs, loin d’être un second rôle, la femme au foyer japonaise a plusieurs casques, celles de trésorière, maman, épouse et gestionnaire du couple. Cependant, le contexte économique actuel, où un seul salaire est rarement suffisant pour vivre, rend difficile la réalisation de cette volonté et il semble donc compliqué pour une jeune femme de remplir ce cahier des charges qui ferait d’elle ce modèle féminin quasi-utopique recherché par une partie de la population masculine. Certaines le réfuteront totalement, quand d’autres feindront, en public, d’être en accord avec ces principes en usant de leur Tatemae.
Fort heureusement, tous les hommes ne sont pas en quête de cette « perle rare ». De plus, l’émergence d’une nouvelle génération de femmes qui tentent de se faire entendre pourrait sonner le glas de cette représentation qu’on pourrait qualifier d’archaïque. Allons-nous assister à la naissance d’une nouvelle forme de Yamato nadeshiko, ou plutôt à la disparition pure et simple de cette vision fantasmée ?
Le Yamato nadeshiko, une fleur fanée
Si on demande aux femmes japonaises ce qu’elles pensent du concept de Yamato nadeshiko, beaucoup vous diront qu’il est dépassé et que les hommes qui cherchent encore cet idéal sont, au mieux, des conservateurs qui ne réalisent pas que le monde a évolué et qui font preuve d’une méconnaissance profonde du véritable caractère nippon. Cette femme pure, dévouée à son mari, soumise à son père et docile face aux demandes de ses supérieurs, n’a plus de raison d’exister dans la société actuelle et ce n’est que la nostalgie d’une époque et d’un type de femmes du passé – largement fantasmé – qui peut encore animer ceux qui la recherchent.
Il serait également erroné de réduire la femme japonaise dans l’histoire à cette Yamato nadeshiko ou du moins à la facette effacée et docile qu’on lui accole, ne serait-ce qu’en regardant l’importance des femmes dans l’ensemble de l’économie japonaise au fil des siècles. En plus d’avoir la charge de la maison, elles travaillaient dans les champs, s’occupaient des plantations de thé, éduquaient les enfants et effectuaient bien d’autres tâches, pour ce qui a longtemps constitué une sorte de système étrange qui mélange égalités (dans l’importance qu’elles ont dans la vie quotidienne) et inégalités (car elles restent inférieures aux hommes, encore aujourd’hui, dans la structure même de la société).
Mais le rêve masculin qu’est le Yamato nadeshiko et qui a été porté en symbole durant les périodes où le Japon cherchait à se réaffirmer comme nation puissante, sert désormais à diffuser l’image d’un Japon idéal, avec une représentation qui séduit, par sa douceur et sa pureté. Pourtant, les filles des jeunes générations tendent de plus en plus à s’occidentaliser dans leur style – vestimentaire ou comportemental – et donc à s’éloigner toujours plus de ce schéma « archaïque ». Elles travaillent, s’expriment, luttent, protestent, vivent et s’émancipent, peut-être pour se démarquer de cette image qu’on leur a imposé et qui continue à définir leur rôle dans cette société.
Le concept de femme parfaite est déjà en soi utopique, et réduire les Japonaises à cette image de docilité et de soumission, de pureté ou de jeunesse éternelle, ne peut que provoquer un écart entre la perception de cette femme, notamment à l’étranger, et la réalité. On comprend donc que le Yamato nadeshiko est un modèle de vertus, fantasmé, qui sert désormais à promouvoir une image du Japon également idéalisée.
Sources :
- Femmes asiatiques, femmes fantasmes, un film de Sophie Bredier (2007)
- Enigmatique Japon : une enquête étonnée et savante de Alan Macfarlane (Éditions Autrement – 2009)
- https://www.statista.com/topics/4846/women-in-japan/
- Flagging the national identity, reinforcing Japaneseness de Y.Y Mandujano-Salazar (2014)
- Gender Stereotyping for the Re-naturalization of Discourses on Male and FemaleTraditional Ideals in Japanese Media:The Case of Samurai Blue and Nadeshiko Japan de Y.Y Mandujano-Salazar (2015)