We Are Little Zombies de Makoto NAGAHISA : Born to be zombies !!!
Dès sa sortie des fourneaux de la Nikkatsu, We Are Little Zombies était d’ores-et-déjà destiné à devenir la nouvelle coqueluche des amateurs de cinéma japonais. Ce premier long métrage signé par Makoto NAGAHISA s’est notamment offert des passages remarqués dans de grands festivals mondiaux de cinéma tels que le Tokyo International Film Festival, le Festival International du film de Berlin ou encore le Sundance Film Festival. Initialement prévu pour une sortie dans les salles obscures à la fin d’année 2020 et constamment reporté en raison des mesures sanitaires liées au COVID-19, le film distribué par Eurozoom est finalement disponible en ligne sur OCS depuis le 23 juin.
Leurs parents sont morts. Ils devraient être tristes, pourtant ils ne pleurent pas. À la place, Hikari, Ikuko, Ishi et Takemura montent un groupe de rock explosif ! Ces quatre adolescents que le chagrin n’accable pas vont trouver ensemble une nouvelle voie : celle de la musique.
Lâché dans le grand bain
Né en 1984 à Tokyo, Makoto NAGAHISA fait ses débuts dans le clip vidéo, notamment pour des artistes notoires de la scène underground japonaise, tels que Clitoric Ris, NATURE DANGER GANG ou encore CHAI. Tirant expérience de son travail dans une agence de publicité, le jeune réalisateur témoigne rapidement d’une esthétique atypique et d’un plaisir certain à exploiter l’ensemble des possibilités que lui offre les divers outils numériques.
En 2016, il signe And So We Put Goldfish In The Pool, un premier court-métrage suivant les aventures de quatre lycéennes libérant des poissons rouges dans la piscine de leur école. Le film, très positivement accueilli par la critique et le public, fait de Makoto NAGAHISA le premier japonais à remporter le Grand Prix du Jury dans la section court-métrage du Sundance Film Festival.
Dès ce premier essai, on décèle les éléments qui caractérisent le cinéma de Makoto NAGAHISA. Divisé en plusieurs chapitres, chaque segment fait preuve d’un dynamisme certain, apportant ainsi au film un rythme soutenu qui témoigne de l’application que le réalisateur accorde au montage. Graphiquement, il n’hésite par ailleurs pas à expérimenter avec les différentes technologies auquel il a accès, à l’image d’un « travelling » composé à partir de captures d’écran réalisées sur Google Maps ou encore d’une scène où la caméra tourbillonne dans le ciel après avoir simplement lancé en l’air un iPhone filmant avec la fonction « slo-mo ». Ce goût pour les angles incongrus à l’aide de petites caméras telles que des Go-Pro, des caméras de surveillance ou encore des smartphones a notamment contribué à faire de And So We Put Goldfish In The Pool un digne héritier du Love & Pop de Hideaki ANNO.
« Si je pouvais trouver une plus petite caméra, j’aimerais pouvoir en utiliser une. Par exemple, celles qu’ils utilisent dans votre estomac. »
Makoto NAGAHISA lors d’une interview accordée à Filmed In Ether
Cette affiliation se caractérise aussi par les thématiques abordées dans le court-métrage. Au travers de ces quatre héroïnes, on découvre notamment une jeunesse entretenant un rapport certain avec le vide où une certaine absence de rêves, d’espoirs et d’objectifs est décelable. Dès lors, il est aisé d’affirmer que Makoto NAGAHISA dresse un portrait pour le moins fidèle de la génération des millennials et de la Génération Z où l’absence de perspectives sur le long-terme entraîne une certaine forme de passivité dans la vie des jeunes filles. Néanmoins, il contrebalance cela lorsque les jeunes filles font preuve d’une expressivité et d’une intensité notable dans ce qui engendre un plaisir immédiat.
Enfin, le réalisateur accorde dans son court-métrage une place importante au travail du son, à l’image par exemple d’une scène où la jeune Akane discute avec son père alors que les bruits de couverts et de déglutitions sont exagérément mis en avant. Outre la reprise du morceau 17-sai de Chisato MORITAKA par NATURE DANGER GANG, le court-métrage fait preuve d’une certaine musicalité de par son montage sonore. Et c’est notamment grâce cela que And So We Put Goldfish In The Pool s’avère être le terreau duquel sortira We Are Little Zombies, le premier long-métrage de Makoto NAGAHISA.
Nous sommes de petits zombies…
Un an plus tard, alors que le succès de And So We Put Goldfish In The Pool commence à retomber, Makoto NAGAHISA signe son premier long-métrage We Are Little Zombies. Produit par la Nikkatsu, le film se place comme l’héritier logique du précédent court-métrage du réalisateur avec ses airs de seishun eiga (trad. litt. cinéma de jeunesse) pour le moins atypique. Puisque l’on ne change pas une équipe qui gagne, Makoto NAGAHISA fait appel à la même équipe technique, à l’instar par exemple de son directeur de la photographie Hiraoki TAKEDA. Le casting, quand à lui, affiche une balance originale où les artistes underground – et amis du réalisateur – côtoient certains noms célèbres du cinéma indépendant japonais. D’un côté on retrouve à nouveau Sugimu de CLITORIC-RIS, les membres de NATURE DANGER GANG, Aidon-Wanadai de Fat or Die, ainsi que CHAI ou encore les idoles de Oyasumi Hologram. De l’autre côté, l’affiche se pare des noms de Masatoshi NAGASE (Mystery Train), Rinko KIKUCHI (La Ballade de l’impossible), Jun MURAKAMI (Still The Water), Kiyohiko SHIBUKAWA (Lowlife Love), Sosuke IKEMATSU (Miyamoto) ou encore – dans le rôle principal – Keita NINOMIYA qui avait été découvert dans Tel Père, Tel Fils de Hirokazu KORE-EDA. On peut aussi noter la présence de Yuki KUDO (The Crazy Family) dans le rôle de Rie Takami, renvoyant ainsi directement à son rôle homonyme en 1985 dans Typhoon Club.
À l’instar de cet hommage au maître Shinji SOMAI, Makoto NAGAHISA installe de nombreuses références dans son long-métrage. Si certaines de ces évocations sont assez frontales comme pour Le Château de Franz KAFKA, d’autres sont plus subtiles à l’instar de la reprise en français de Kaette Kita Yopparai des Folk Crusaders qui renvoie à Le Retour des trois saoulards de Nagisa OSHIMA. Le réalisateur inclut aussi de nombreuses références à son propre court-métrage avec notamment la présence récurrentes de poissons rouges ou encore la jeune Akane et sa famille de And So We Put Goldfish In The Pool qui apparaissent sarcastiquement dans une émission de télévision affirmant présenter une famille parfaite.
Tout comme son petit frère cinématographique, We Are Little Zombies est un film très fortement axé autour de sa dimension sonore et du soin qui lui est apportée. On peut notamment relever que la bande originale est composée de plus de 90 chansons pour deux heures de film et qu’une année aura été nécessaire pour la produire. Composée majoritairement par le groupe d’experimental bit pop de Brooklyn Love Spread – le film sortira après la mort soudaine du chanteur Ryota –, la musique du film évoque avec nostalgie les premières Gameboy, Playstation et autres sonorités rétros. Outre le single Zombies But Alive ayant lui aussi servi de promotion, le morceau éponyme We Are Little Zombies est la première performance musicale du long-métrage et s’avère sans conteste en être la scène la plus mémorable et centrale. Filmée en une seule prise à l’Iphone, elle constitue « la pierre angulaire du film » comme l’affirme le réalisateur.
L’esthétique et le tempo arborés par We Are Little Zombies vient aussi rappeler le précédent court-métrage de Makoto NAGAHISA. Si le travail de Yoshikazu YAMAGATA sur les costumes et la scénographie du collectif magma apporte une plus-value graphique certaine au film, c’est – là encore – par son montage et son rythme que le réalisateur démontre un savoir-faire certain. Au travers d’une narration régulièrement brisée par des voix hors champ pour se déplacer dans le récit, We Are Little Zombies dévoile une métaphore pop du coming of age sous la forme d’un conte où quatre enfants qui peinent à pleurer la mort de leur parents et cherchent – inconsciemment – à renouer avec leurs émotions.
… mais nous sommes vivants.
Comme tout bon seishun eiga qui se respecte, We Are Little Zombies traite bel et bien de cette étape délicate de l’enfance qu’est le début de l’adolescence. Dans l’incapacité de faire le deuil de leurs parents, Hikari, Ikuko, Ishi et Takemura trompent leur détresse émotionnelle et leur solitude par une passivité des plus totales. Dès le début du film, ils sont d’ores-et-déjà devenus ces zombies, êtres dénués de sentiments et de vie qui se contentent d’errer ici et là. En décidant de monter un groupe de rock ensemble, les quatre enfants entreprennent inconsciemment un long voyage vers la compréhension de leur propres sentiments.
Makoto NAGAHISA explique que ses parents étaient souvent absents en raison de leur travail et qu’il se retrouvait ainsi souvent à jouer tout seul. Le réalisateur était alors persuadé que sa famille ne lui manquerait pas si elle venait à disparaître un jour. En considérant le fait que les bébés pleurent pour appeler à l’aide, les quatre enfants de We Are Little Zombies se persuadent alors que leur absence de larmes est simplement due à une indifférence face à leur perte. Pourtant, Hikari et ses amis vont découvrir progressivement – et non sans difficulté – qu’ils ont en eux une empathie inassumée où leur solitude et tristesse ne se dévoile qu’occasionnellement à demi-mot. À l’image de la scène où Ikuko répète incessamment « Maintenant ! », les quatre héros entretiennent encore des rapports affectifs à leur environnement très bruts qui, au-delà de leur passivité, relève d’une intensité émotionnelle spontanée.
Parodiant avec un sarcasme parfois assez froid le monde de la télévision et de l’entertainment, Makoto NAGAHISA traite le parcours émotif de ces enfants au travers notamment d’un fort sentiment d’absence de maîtrise de leur propre vie. À l’image d’un concert qu’ils tiennent à la télévision où les managers décident projeter des vidéos de leur enfance respective sans se soucier de la violence émotionnelle que cela peut occasionner, c’est dans un monde où les adultes définissent les règles que les quatre enfants doivent évoluer. Ce sont ces mêmes adultes qui n’hésitent pas à les utiliser pour arriver à leurs propres fins, obligeant ainsi Hikari, Ikuko, Ishi et Takemura à jouer des rôles qu’ils ne souhaitent pourtant pas tenir.
En divisant son long-métrage en plusieurs chapitres, Makoto NAGAHISA illustre la vie comme un jeu vidéo où les quatre enfants n’ont d’autres choix que de se contenter de survivre à chaque niveau. À l’inverse, les adultes sont perçus comme des individus ne jouant pas selon les règles à l’instar du suicide des parents Ishi occasionnant un simple et froid « tous les parents sont des tricheurs ». Faisant un parallèle avec Le Château de Franz KAFKA, Hikari et ses amis continuent d’avancer et de jouer sans savoir contre qui ils se battent et où est-ce qu’ils se rendent. L’objectif final de ce jeu leur est finalement inconnu. Outre la musique et les nombreux plans en 2D aux allures de jeux retros, cette métaphore apparaît de nombreuses fois à l’écran. Propriétaire d’un poisson betta splendens – connu sous le nom « combattant » car il ne peut pas vivre avec d’autres poissons sans se battre jusqu’à la mort -, Hikari est solitaire jusqu’à rencontrer Ikuko, Ishi et Takemura. Lorsqu’ils décident de passer du temps ensemble, on peut voir à l’écran que Hikari ne joue plus en mode single player. De même, au pic de leur gloire avec leur groupe de musique, ils découvrent un glowstick dans des toilettes leur évoquant un point de sauvegarde dans un jeu vidéo.
Avec de nombreux passages en festivals acclamés par la critique et le public pour And So We Put Goldfish In The Pool et We Are Little Zombies, Makoto NAGAHISA s’est imposé comme un des cinéastes japonais les plus atypiques en seulement deux films. Non content de s’être imposé comme l’un des nouveaux visages du cinéma de l’archipel, il est aussi devenu un dénicheur de talents en offrant le rôle de Ikuko à l’actrice Sena NAKAJIMA. N’ayant à l’époque comme seule expérience sa présence en 2018 dans le second épisode de The Bastard And The Beautiful World de Sion SONO, la jeune fille s’est fait particulièrement remarquer en 2021 en apparaissant dans une pub pour la marque Pocari Sweat ayant fait le buzz sur Internet.
De plus, bien qu’il soit entré dans la cour des grands avec la Nikkatsu et les nombreux acteurs célèbres dans son casting, il est tout de même appréciable de remarquer que le réalisateur n’a pas renié ses origines venant de la scène musicale indépendante de l’archipel. Après la sortie de We Are Little Zombies, Makoto NAGAHISA s’est encore distingué en 2020 avec The Rite of Love and Death (but we are still alive), une adaptation théâtrale filmée de Patriotisme de Yukio MISHIMA. Adaptée à l’ère du coronavirus, la pièce suit un jeune couple se remémorant sa rencontre au Shinjuku Loft de Tokyo – une des salles underground les plus réputés de la capitale – lors d’un concert de Nature Danger Gang et de Have A Nice Day!. En 2021, le réalisateur a travaillé comme scénariste de FM999: 999 Women’s Songs, une série de 10 épisodes diffusés sur WOWOW où le rôle principal est tenu par Hina YUKAWA, la jeune Akane de And So We Put Goldfish In The Pool.