AKARI, les chemins de la lumière : célébrons les 70 ans des lampes iconiques d’Isamu NOGUCHI
Une exposition parisienne réunit, jusqu’au 23 juillet, 70 modèles historiques de lampes AKARI, créées par l’artiste nippo-américain Isamu NOGUCHI (1904-1988). Journal du Japon vous propose de (re)découvrir l’œuvre de ce sculpteur, créateur et designer de génie ! Les lampes exposées ne sont jamais aussi belles qu’à la tombée du jour ou dans le noir… Leur douce lumière, uniformément répartie et diffusée grâce au papier washi, révèle alors toute leur dimension et leur chaude présence. Mues par un balancement délicat dû au vent ou à l’air propulsé par un petit ventilateur, elles s’animent d’une vie bien à elles ! L’exposition à la Wa Design Gallery, créée par Christophe Magnan et Philippe Brieallard, célèbre ainsi 70 ans de création de ces sculptures lumineuses. Les deux collectionneurs travaillent depuis plusieurs années pour répertorier et cataloguer les nombreux modèles imaginés par Isamu Noguchi.
Formé au côté de Brancusi en 1927, à l’âge de 22 ans, et influencé par le mouvement japonais Mingei de redécouverte des arts populaires, Noguchi est un immense artiste qui a créé sur tous supports des œuvres de toute sorte. Par exemple, on lui doit le fabuleux jardin contemplatif de l’Unesco à Paris. Mais ce sont sans nulle doute ses lampes de papier AKARI qui ont contribué le plus à sa renommée internationale. Penchons-nous sur l’histoire passionnante de leur création !
Un voyage initiatique au Japon
Invité au Japon à la sortie de la Seconde Guerre mondiale en 1950, Isamu Noguchi, déjà reconnu comme étant un grand artiste de renommée internationale, participe à la conception de deux ponts dans le projet de reconstruction de la ville d’Hiroshima : le Pont de la Paix, conçu pour évoquer un lever de soleil (le futur), et, le Pont Occidental de la Paix, figurant un coucher de soleil (le passé). Lors du même voyage, il visite la ville de Gifu et assiste à une nuit de pêche au cormoran lors d’un festival le long de la rivière Nagara. Cette technique de pêche ancestrale, l’ukai dont Gifu est le berceau, utilise des oiseaux dressés et attachés par une corde au bateau de leur maître. Ce bateau illuminé à l’aide de lanternes en papier et de braseros attire les truites ayu, dont la consommation est fortement appréciée pendant la période estivale.
Ces lanternes à la bougie généralement portées à la main, appelées chôchin, sont fabriquées à la main à Gifu depuis toujours, avec un papier de haute qualité produit à partir d’écorce de mûrier : le papier washi japonais. Mais l’industrie des lanternes de Gifu a beaucoup souffert lors de la guerre et souffre alors d’une concurrence à bas prix venue de l’étranger. Le maire de Gifu demande donc à Noguchi d’aider à revitaliser cette industrie. L’artiste crée ainsi sur place deux premières lanternes et décide de remplacer la bougie traditionnelle par une ampoule à incandescence. Premier geste de modernisation de ces lanternes traditionnelles !
Toute une vie de création
Suite à son voyage, à partir de 1951, Isamu Noguchi commence à créer ses lampes comme de véritables sculptures lumineuses… pour ne jamais s’arrêter ! Pour distinguer ses créations des multiples imitations possibles, il imagine de les marquer par deux formes stylisées de couleur rouge : un beau soleil rond et un petit croissant de lune.
Akari, en japonais, s’écrit soit « 灯り» (lampe, bougie), soit « 明 » (lumière, clarté). Et c’est ce dernier kanji, idéogramme japonais, que l’artiste a choisi. Un kanji lui-même composé par celui du soleil « 日 » et celui de la lune « 月 » ! « Le Soleil a rendez-vous avec la Lune », comme dit le poète, et de leurs amours naît la lumière. Mais pour moderniser sa création, il signe en lettres romaines et capitales : AKARI avec le sigle iconique rouge. A partir des années 80, face aux multiples contrefaçons, il ajoutera également son nom dans la signature pour affirmer une fois de plus sa singularité et souligner la démarche profondément artistique de son travail !
Isamu Noguchi va dessiner plus de 270 variations : petites lampes à poser sur une table ou un meuble ; abat-jour ; lampadaires ; suspensions ; appliques ; colonnes lumineuses, de multiples formes et tailles, en papier uni ou imprimé… Il se rend compte que ses lampes blanches (recouvertes du seul papier washi de teinte légèrement ivoire), très appréciées en Occident, sont en revanche boudées au Japon. Le blanc y est en effet la couleur du deuil et les lampes blanches rappellent trop les lanternes qu’on utilise par exemple lors de la fête des morts d’Obon. Il va donc décider d’ajouter des couleurs, des calligraphies ou des motifs.
Petit à petit, il va aussi s’affranchir de plus en plus des règles de base de la lanterne traditionnelle japonaise qui, en général, est cerclée par deux morceaux de bois et il va créer des formes de plus en plus sculpturales. Par exemple, le modèle BB3/L1 avec ses quatre « tentacules » de papier peut faire penser à une méduse. Quant à la lampe 24N peut, elle, avec ses formes rondes et généreuses, faire penser à un gâteau traditionnel à base de pâte de riz mochi. Comme Monet qui a peint ses Nymphéas pendant les 31 dernières années de sa vie, Noguchi va créer lui-aussi entre 1951 et 1988 sans arrêt de nouveaux modèles. AKARI crée un pont entre le Japon et les États-Unis et traduit le tiraillement de l’artiste entre les deux cultures. Né à Los Angeles, d’un père japonais et d’une mère américaine, il aura toute sa vie une relation compliquée avec son père souvent absent. AKARI est comme le symbole éclatant et toujours renouvelé de la quête de ses origines japonaises !
C’est fait comment une vraie lampe AKARI ?
Au Japon, l’artiste et l’artisan sont désignés par le même mot ; et pour Noguchi créer une sculpture en marbre, en métal, en verre… ou une lampe en papier, c’est bien la même démarche. On a déjà mentionné le papier japonais, washi, issu de la pâte de l’arbre mino (le mûrier). L’ossature ou les nervures sont en bambou, les pieds sont en bambou ou en métal, le métal peut aussi être utilisé pour créer les petites poignées de certains modèles.
Des modèles de lampes sont apparus et ont disparu ; d’autres ont été réservés à certains territoires… Mais tous les modèles étaient et sont toujours produits à la main par la manufacture Ozeki de Gifu. Ikea et Habitat, entre autres grosses machines, ont largement copié la création de Noguchi mais en se limitant à la boule classique et avec des procédés beaucoup plus industriels. La fabrication des originaux est exclusive par Ozeki donc, et la distribution est exclusive aussi. En France, le premier distributeur a été le galeriste Steph Simon (1902-1982), à partir de 1963 ; puis la galerie Sentou, plus récemment. Vitra, entreprise familiale suisse, distribue dans d’autres pays européens.
Pour conclure, lisons le créateur qui parle de ses lampes lors de son exposition à la Biennale de Venise de 1986 :
« On m’a fait remarquer très tôt que tout ce dont un jeune couple avait besoin pour commencer une vie à deux : c’était d’un « futon » et d’une lampe AKARIau-dessus – un coussin et une lumière. C’est-à-dire pas n’importe quelle lumière, mais la lumière AKARI qui est différente parce qu’elle a une forme, un sens de l’être qui fait plus qu’éclairer une pièce. Elle s’éclaire elle-même, c’est-à-dire que le papier dont est fait l’AKARI devient lumineux en raison de la lumière à l’intérieur, sur sa surface, aussi éloignée que soit la lumière de l’ampoule, tout devient une surface lumineuse.
Pour en savoir plus :
L’exposition AKARI, les chemins de la lumière, jusqu’au 23 juillet à l’Espace 13 Sévigné, Paris.
À savoir que chaque pièce exposée est à vendre : https://www.gallery-wa.com/
C’est une exposition très belle grâce aux ingénieux regroupements de styles et de formes des 70 lampes présentées. Les boîtes en carton originales sont également visibles sur un mur, ainsi qu’une lampe ARAKI non restaurée dont on peut observer de près la structure. On y découvre aussi quelques meubles de design historique japonais.
Le fabricant exclusif japonais Ozeki : http://www.ozeki-lantern.com/fr/akari/