Elles nous racontent leur Japon #11 – Valérie Douniaux
Valérie est autrice, éditrice et bien plus encore. C’est une spécialiste de l’art japonais moderne et contemporain, passionnée de recherche, de thé, de littérature…. et de points-virgules !
Nous échangeons autour d’un thé, sur la terrasse de son bureau parisien. Entourées de livres sur le Japon et d’œuvres de l’artiste Takesada Matsutani pour qui elle travaille. Elle me parle de son parcours et de ses expériences, d’esthétique japonaise, de ses projets.
Un entretien à la saveur douce et ronde du hôjicha que nous buvons, baignées par les rayons d’un soleil printanier.
Sophie Lavaur : Bonjour Valérie, qu’aurais-tu envie de nous dire sur toi ?
Valérie Douniaux : Je suis historienne de l’art, spécialisée dans l’art japonais. J’ai fait beaucoup de choses différentes, guide, enseignante, curatrice, etc. Je suis également autrice.
L’édition est venue par hasard. Je voulais faire un livre de mes photos et je savais que trouver un éditeur serait compliqué. Le graphiste avec qui je travaillais sur mes expos m’a proposé de le faire ensemble, cela a donné Iro, couleurs du Japon. Le livre a plutôt bien marché, il m’a beaucoup portée, c’était juste après 2011.
À peu près au même moment, j’ai participé à un projet de Sophie Cavaliero sur la photo japonaise. Nous avons continué sur notre lancée avec un projet de collection de livres de photographie petit format, iKi Editions est né en 2013 de tous ces projets.
Je travaille aussi pour l’artiste Takesada Matsutani. Je l’ai connu quand je faisais ma thèse sur les artistes japonais vivant en France. Nous sommes restés en contact, et il m’a proposé de l’aider, d’abord ponctuellement et maintenant à temps plein. Je suis son archiviste, je m’occupe de son catalogue raisonné et je l’aide par ailleurs sur l’organisation de ses expositions, etc.
Pourquoi le Japon ?
Je n’ai pas suivi l’arrivée des anime à la télévision car j’allais au conservatoire. Mais au lycée, j’ai découvert la musique japonaise (Ryûchi Sakamoto…), le cinéma japonais… J’ai commencé à lire Mishima, et petit à petit cette culture japonaise m’a intéressée.
A Lille où je vivais, il y avait eu un festival dédié au Japon, en Belgique également, bref plein de choses qui ont nourri ma passion pour ce pays.
Après le bac, je voulais faire une école de cinéma, j’étais trop jeune, alors j’ai fait histoire de l’art en attendant, et j’ai continué sur cette voie. Quand il a fallu me spécialiser, j’ai choisi l’art japonais. Le Japon n’était pas encore à la mode, c’était surprenant comme choix pour les enseignants mais mon directeur de recherches a approuvé. Après il y a eu mes voyages au Japon, le premier en 1999, qui n’ont fait que renforcer ma passion pour ce pays.
J’ai soutenu ma thèse en 2001. Cela a été un travail difficile car je venais du monde de l’histoire de l’art, je n’avais pas fait d’études de japonais même si j’avais un peu appris la langue.
Au final, j’ai surtout appris à parler japonais sur le tas, au Japon. Au début, j’y allais chaque été, et après de plus en plus, surtout quand j’ai commencé à guider.
Je ne pensais pas faire ce métier, c’est une agence de voyages suisse qui me l’a proposé. J’ai surtout accompagné de petits groupes, de l’individuel, dans des voyages sur-mesure.
J’ai visité un grand nombre de fois certains endroits, à chaque fois avec un œil différent, selon les intérêts des clients, la botanique, l’architecture…
Combien de livres sur le Japon as-tu écrit ?
Comme éditrice, plus d’une trentaine, mais comme autrice, environ une dizaine.
En plus des livres, j’ai écrit beaucoup d’articles, et j’ai co-dirigé le catalogue d’exposition de Takesada Matsutani pour le Centre Pompidou.
Mon premier écrit publié a été pour le recueil 100 regards inédits sur le Japon de l’association Jipango, et les éditions Felix Torres m’ont permis de publier mon premier livre Le guide des thés du Japon.
À l’origine, je ne buvais pas de thé, je m’y suis mise au fil des voyages au Japon. J’ai beaucoup appris sur le sujet en collaborant avec une maison de thé lilloise, Unami, où j’organisais des expositions. J’avais des amies japonaises qui travaillaient dans le thé, ou venaient de familles de maîtres de thé, les chemins menaient toujours au thé, voilà comment je suis devenue » accro « .
Un jour, une journaliste est venue à la maison de thé avec un éditeur, il cherchait quelqu’un pour écrire un livre sur le thé japonais, je me suis proposée, il m’a fait confiance. Et voilà.
Quel est le livre qui t’est le plus cher ?
C’est difficile comme question ! J’ai une affection particulière pour mon petit recueil de photos, Respirations. Ce sont des photos auxquelles je tenais, un entre-deux entre couleur et monochrome, des moments suspendus. Les gens qui aiment le livre ont des réactions touchantes, quand ils l’aiment, ils l’aiment vraiment.
En fait, l’arrivée de chaque nouveau livre est un vrai bonheur.
Quelle est la genèse de ton dernier livre,
Mon livre sur le thé (Le guide des thés du Japon paru 2011) a eu du succès. J’ai appris beaucoup sur le thé depuis ce premier manuscrit ; j’ai eu accès à énormément de livres anciens, grâce aux bibliothèques du monde qui numérisent massivement et mettent en ligne des ouvrages incroyables. En faisant les recherches, j’ai trouvé de nouveaux textes, que j’ai eu envie de partager dans un nouveau livre. Ils n’ont pas toujours été simples à trouver, pour le plus grand bonheur de mon âme de chercheuse. Parfois, je ne savais plus m’arrêter.
J’avais cette idée d’associer les mots à des dessins et d’éviter une construction en chapitres, pour donner de la fluidité à l’ouvrage. J’avais fait cela pour Japon Kaléidoscope, ça fonctionnait bien.
Quel est ton plus beau souvenir d’autrice ?
La sortie de mon premier livre, le découvrir « en chair et en os », c’était touchant. Cela l’est à chaque fois, un mélange de stress et de sentiment d’accomplissement.
Tous les autres souvenirs sont liés aux contacts avec le public. Entendre les réactions, découvrir que des gens ont été touchés, cela fait toujours plaisir. J’affectionne les salons, j’y ai fait de belles rencontres avec des éditeurs et les autres auteurs.
Un secret d’autrice à partager ?
On m’a posé la question récemment, du coup j’y ai réfléchi. J’ai une écriture intuitive, j’attends le moment où la première phrase émerge. Cela peut être en marchant, dans le train, ou le matin au réveil,
J’écris d’un jet et après je reprends, avec les miracles du copier-coller. Je me demande comment faisaient Proust ou Balzac. J’aime la musique des mots, je vois l’écriture comme un flux, comme des respirations.
J’ai une passion maladive pour la ponctuation. Pour moi, la ponctuation c’est la respiration. J’adore ça, je suis vraiment désespérée de voir que les gens n’utilisent plus le point-virgule (rires).
Ton livre ou auteur préféré sur le Japon ?
Je ne vais pas être originale, c’est L’éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki. Quand on s’intéresse à l’esthétique japonaise, ce livre est incontournable.
J’adore Natsume Sôseki, je ne l’ai lu qu’en français. J’aime ces auteurs à la jonction de la littérature classique et de la modernité. Sôseki a été le premier à utiliser un langage moderne. Et il a un humour incroyable, à la fois poétique et drôle.
Je suis moins intéressée par la littérature japonaise contemporaine, mais récemment j’ai beaucoup apprécié les Mémoires d’un chat de Hiro Arikawa.
Il y a aussi les fameuses Notes de chevet de Sei Shônagon. J’avais d’ailleurs appelé une de mes expositions photo « Le printemps c’est l’aurore », j’aime beaucoup ce texte.
Je m’intéresse à tous les concepts d’esthétique japonaise, iki, shibui entre autres.
Iki est une notion typique de l’époque Edo. C’est l’élégance naturelle, le fait d’être à la fois séduisant et élégant, d’avoir du chien. Des kimonos luxueux à l’intérieur mais sobres à l’extérieur, ça c’est iki. La structure de l’iki de Shûzô Kuki est un livre très connu sur ce sujet.
J’ai d’ailleurs choisi iKi comme nom pour ma maison d’édition, le mot est facile à retenir et il est graphiquement intéressant.
La notion de shibui me passionne aussi. Elle est proche du wabi sabi. Au départ, c’est le goût d’un kaki pas mûr, une beauté âpre et naturelle. Quand un Japonais dit que vous avez des goût shibui, c’est très flatteur, cela veut dire que vous comprenez l’âme de l’esthétique japonaise. L’épitome du shibui est le pavillon d’argent à Kyôto, une construction très belle, construite avec des matériaux tout simples. Ryôko Sekiguchi a publié un joli texte sur le sujet L’astringent.
Les prochains projets ?
J’écris actuellement un autre livre sur le thé à travers les beaux textes littéraires et historiques. J’ai découvert de si jolis textes pendant mes dernières recherches, que j’ai eu envie de ça.
Comme beaucoup d’amateurs de thé, j’aime le thé et les livres, et vice versa, cela va de pair. J’aime la littérature anglo-saxonne, je lis beaucoup en anglais, il y a des passages sur le thé qui sont magnifiques.
J’ai de nombreux projets en tant qu’éditrice, des livres de photographies, de dessin. Je travaille avec des collaborateurs, artistes et auteurs dans une communauté d’esprits construite au fil des années. Avec Sophie Cavaliero, nous avons créé l’association Chibi, qui a pour vocation la promotion et diffusion de la culture française en Asie et des cultures asiatiques en Europe.
Le fait de ne pas avoir de distributeur permet de vrais contacts avec le public, c’est un plaisir immense. J’ai participé plusieurs fois au salon L’autre livre à Paris, le salon des éditeurs indépendants. Il y a un monde fou et l’ambiance est vraiment sympa.
J’ai envie de te laisser le mot de la fin…
Mon plaisir, c’est non seulement l’écriture mais aussi de faire découvrir la culture japonaise et les choses qui m’intéressent. Le livre, c’est le partage.
Merci Valérie pour ton accueil, rendez-vous pris pour ton prochain livre.
Découvrez les livres de Valérie Douniaux sur le site d’iKi Editions, notamment le dernier sorti, Sur les chemins du thé japonais paru en novembre 2020 chez le même éditeur.