Kojoe, le plus américain des rappeurs Japonais
Dans la catégorie Jrap, nous demandons le plus anglophone des rappeurs japonais : Kojoe. Il sort son 5e mini-album Halftime composé de neuf morceaux. À cette occasion, Journal du Japon revoit la carrière de cette pointure du rap tokyoïte, qui s’est fait connaître dans un premier temps aux États-Unis, avant de revenir au Japon pour développer un style à la fois unique mais très américain. Élevé à la black music de la East Coast, il est le seul Japonais à s’être fait un nom aux USA et à signer avec l’un des plus grands labels indépendants new-yorkais, Rawkus Records.
À la conquête de l’Amérique
Kojoe est un artiste au parcours quelque peu atypique au Japon. De son vrai nom Koichiro Sakata, Kojoe est né à Niigata. Il quitte le Japon à l’âge de 17 ans pour rejoindre son frère aîné à New York. Si sa carrière était toute tracée dans le ski pour laquelle il prévoyait de s’entraîner dans le Vermont et devenir professionnel, son destin en a décidé autrement. Dès son arrivée dans le Queens, il est entraîné dans les clubs où il découvre avec excitation la black music et en particulier le rap. Il tombe immédiatement amoureux de ce style musical et commence à faire des allers-retours entre le Japon et les États-Unis. A son retour au Japon, il se rend vite compte que la scène hip hop locale est également très développée. C’est ainsi qu’il décide de lâcher sa carrière naissante dans le ski pour se consacrer entièrement à la musique.
Ses premières influences sont naturellement nées de la scène rap new-yorkaise et spécifiquement du Queensbridge où il est tombé amoureux de pointures telles que Mobb Deep et Nas qu’il cite et à qui il rend hommage sur certains de ses morceaux. Kojoe est un hybride du hip hop. Il devient bilingue anglais et réussit le tour de force en 2007 de se faire signer sur le label de hip hop indépendant américain Rawkus Records sur lequel on retrouve des pointures de la scène de la Côte Est telles Mos Def, Talib Kweli, Common, Pharoah Monch ou encore Marco Polo. Il confiera à The Japan Times : « Je souhaite que mes auditeurs japonais s’intéressent à l’anglais et réalisent que l’anglais est primordial pour survivre dans ce monde de globalisation. J’aimerais qu’un jour l’accent japonais sonne cool en anglais à l’image du jamaïcain-anglais. Ça prendra du temps mais je souhaite que les Japonais soient fiers d’eux-mêmes et je veux être l’étincelle par laquelle ce déclic a été possible ».
L’influence du label se ressent fortement sur les productions et les beats de l’artiste qui mêle soul à Lo-Fi, avec des accents de reggae par-ci par-là. Il participe à la compilation Rawkus So Mixtape Vol 1. Sa carrière américaine est alors lancée. Son flow est purement East Coast. Il se dévouera à la scène new-yorkaise corps et âme tout au long de sa carrière, et ce jusqu’à aujourd’hui. Même après son retour au Japon, il continuera de représenter son label et de s’efforcer de créer un pont entre le Japon et les États-Unis.
Parmi ses glorieuses collaborations il posera à deux reprises avec l’artiste Raekwon (membre du Wutang Clan) sur les morceaux Samurydas en featuring avec Kurupt et Samurai Yaro avec Tao en 2011.
Malgré ses succès américains, Kojoe rentre vivre au Japon en 2009 et établit son propre style en tant que rappeur bilingue qui mélange japonais et anglais dans chacun de ses morceaux. Il se renouvèle constamment tout en conservant un style 90’s. Artiste extrêmement prolifique, c’est en 2014 qu’il s’impose parmi les têtes d’affiche du rap tokyoïte lorsqu’il collabore avec le producteur Olive Oil sur plusieurs mixtapes comme The Remix Tape, Dusty Husky, HH ou encore Blacknote. Les morceaux 51st State ou Chillaxation l’ont hissé au rang de référence.
Il a ouvert la voie à des artistes américano-japonais tels que Miyachi (également new-yorkais d’origine), et participe activement dans chacun de ses albums à la promotion des nouvelles recrues locales avec lesquelles il collabore. On pense notamment à Daichi Yamamoto, Awich, Akane, Koh ou encore Issugi pour n’en citer que quelques-uns.
Si l’on compte dans sa discographie une multitude de mixtapes, les albums solo sont au nombre de trois : Here (2017), 2nd Childhood (2018), Rawnin (2019). Kojoe a la particularité de proposer également des mini-albums d’une dizaine de morceaux. C’est le cas du dernier intitulé Halftime sorti le 19 mai 2021, court mais efficace. Décryptage…
À la recherche permanente de fusions
L’album s’ouvre sur l’intro Batman, qui vous met tout de suite dans l’ambiance. Il lance des rimes bilingues mi-japonaises mi-anglaises sur fond de scratch de Illnandes. Il exprime d’entrée de jeu sa fierté d’être japonais et qu’il n’oublie jamais d’où il vient. L’album se poursuit sur fond de reggae où il décrit de sa voix rauque et enfumée les soirées dans les sound systems japonais, un « murder she writes » festif entonné sur Aiyaiyaiyai en featuring avec MFS, rappeuse d’Osaka très en vogue dans la Trap actuellement, et à suivre de près !
L’album Halftime comporte neuf morceaux qui concentrent les multiples facettes de Kojoe. Il reste fidèle à la vague Old School 90’s à la fois si en vogue actuellement mais désormais si classique. Il n’a rien pris des nouvelles vagues Trap, Trash qui envahissent le rap japonais, mais délivre un rap efficace, mûr qui nous emmène dans ses influences à chaque morceau. Tantôt reggae, tantôt soul, il se nourrit de fusions culturelles recherchant toujours l’harmonie des contraires. Son style abstrait mêle rimes et idées sans suivre une ligne directrice et téléporte l’auditeur d’extraits de films de Kung Fu à des soirées bollywoodiennes sur House Of $icksteen en featuring avec Jass, Kidpenseur et Yamane. Il fait un clin d’œil au producteur du morceau Chin The Asia en lâchant un « Chin The Asia Kung Fu on ur glass nuts ».
Il prône le purisme dans le rap et clash les faux rappeurs, tout en s’entourant des nouvelles recrues de la scène japonaise, et des producteurs en vogue sur la scène locale actuelle tels que Money Jah, Budamunk ou encore Chin The Asia. Le morceau Love est produit par Kojoe lui-même et est chanté entièrement en anglais. Il n’est pas rare que l’artiste incorpore des morceaux complètement anglophones dans ses albums. Malgré le titre, il prévient qu’il n’a plus rien à prouver et qu’il n’a pas le temps pour les compromis. Il recherche la sincérité et ne veut pas s’entourer de traîtres. Il compare l’amour aux collaborations artistiques, dans la tradition très américaine des « beef » (commencer une guerre verbale musicale avec un rival). Il clame qu’il continue d’avancer en restant égal à lui-même.
Malgré le fait que Kojoe vit depuis 2010 à Takasaki, dans la préfecture de Gunma au nord de Tokyo, son rap reste totalement empli de vibes Golden Age américaines. On ressent la forte influence de producteurs et rappeurs comme Pete Rock, Madlib et J-Dilla, notamment avec les morceaux This is it et Window qui nous renvoient aux origines et à Detroit. On recherche les samples à chaque morceau et une impression de déjà-entendu nous envahit.
Ses ardeurs se calment sur Sometimes. Il nous emmène dans une balade Neo Soul paisible en featuring avec Koh (à ne pas confondre avec le rappeur tokyoïte Kohh). L’album se conclut avec Heaven, tout aussi doux et posé, accompagné du rappeur Issugi. Il est à noter que Kojoe au-delà de ses talents de rappeur pose souvent de sa voix soul sur les morceaux en collaborations avec ses paires (se référer par exemple à la vidéo avec Daichi Yamamoto Cross Color dans cet article).
Un album à écouter sans modération ! Kojoe mêle le classique en donnant une voix aux nouvelles recrues de la scène japonaise, s’entourant des producteurs et rappeurs de talents de demain. Son souhait de créer des ponts entre les États-Unis et le Japon est réussi.
Nous vous invitons à suivre également les créations des artistes en featuring tels que MFS, Koh ou encore Issugi, qui se sont déjà fait un nom localement. N’hésitez pas à aller voir également notre article précédent dans la catégorie Jrap présentant Osaka et ses talents à travers le rappeur Jaggla.