Voyage sur la route du Kisokaidō, de Hiroshige à Kuniyoshi

Si nous connaissons tous la célèbre route du Tokaidō, reliant Tokyo à Kyoto, nous ne connaissons pas forcément sa consœur, la Nakasendō. De sa deuxième appellation, la route du Kisokaidō se différencie du Tokaidō en passant par les terres, ce qui lui vaut son nom de « route de la montagne du centre ». Ces deux chemins font partie du Gikaidō, les Cinq Routes d’Edo, qui prenaient chacune départ dans l’actuelle Tokyo pour rejoindre Kyoto, Nikko (préfecture de Togichi), Mutsu (préfecture de Fukushima) ou Kai (préfecture de Yamanashi). Leur point de départ : le pont de Nihonbashi, sur lequel se rassemblaient marchands, samouraïs, artisans et pèlerins pour un long voyage jalonné de plusieurs stations.

Voyage sur la route du Kisokaidō au musée Cernuschi

C’est un parcours bien moins populaire que celui du Tokaidō que nous présente ici le musée Cernuschi avec son exposition « Voyage sur la route duKisokaidō – De Hiroshige à Kuniyoshi ». Contrairement au Tokaidō qui relie Tokyo et Kyoto en longeant la côte, traversant ainsi les villes de Hakone, Shizuoka, Hamamatsu et Nagoya, pour ne citer qu’elles, le Kisokaidō, lui, emprunte les routes escarpées des terres intérieures du Honshu. Réputée pour être plus difficile et plus longue, elle est d’office moins fréquentée que celle du Tokaidō. Pour autant, les courageux ne manquent pas : 18 à 20 jours de marches sont nécessaires pour réaliser l’ensemble du parcours et ainsi traverser les préfectures de Saitama, Gunma, Nagano, Gifu et Shiga.

Initialement débutée en octobre 2020, l’exposition a malheureusement dû brutalement fermer ses portes pour les rouvrir que le 19 mai dernier. Dans ces circonstances exceptionnelles, une prolongation a lieu : c’est donc jusqu’au 8 août que le musée Cernuschi vous accueille pour découvrir les différents visages de la Nakasendō.

L’exposition s’ouvre sur une petite pièce sombre dans laquelle est diffusée une vidéo présentant 9 des principales stations du Kisokaidō avec l’estampe d’Hiroshige correspondante à la dite-station, une photo d’époque puis une photo récente prise entre 2014 et 2020. Cette présentation est particulièrement intéressante : entre la représentation artistique, la réalité d’autrefois et celle d’aujourd’hui, les différents visages que prennent ces stations offrent un large panorama des possibilités. C’est ensuite dans deux petites pièces et une immense que sont présentées les estampes de Utagawa Hiroshige et Utagawa Kuniyoshi, accompagnées d’objets d’époques utilisés pendant ce long périple. Sur un fond bleu obscure, le voyage commence…

De Hiroshige à Kuniyoshi

L’exposition présente pas moins de 150 estampes des célèbres Utagawa Hiroshige et Utagawa Kuniyoshi. Ces deux séries complètes sur le thème du Kisokaidō offrent un regard tout à fait distinct sur cette ancienne route commerçante et témoignent des différentes représentations artistiques possibles d’un même sujet.

La première, Soixante-neuf Relais de la route du Kisokaidō, a d’abord été initié par Keisai Eisen avant d’être achevée par Hiroshige. « Considérée comme l’une des plus belles au monde pour la qualité du tirage et la fraîcheur des couleurs » (cf. Cernuschi), ce sont ici des  scènes de vie et des paysages arpentés qui sont représentés. Les différentes stations du Kisokaidō prennent vie dans de somptueux décors que les couleurs rendent si caractéristiques. D’un point de vue très personnel, ce sont principalement les paysages enneigés d’Utagawa Hiroshige qui marquent, tout comme lors de l’exposition Fuji, pays de neige. Ici, nous pouvons citer l’estampe du relais 29, Wada,  et celle du relais 47, Oi, comme particulièrement poétiques. Néanmoins, ne citer que quelques estampes parmi toute cette série est un exercice bien fastidieux : elles ont toutes un petit quelque chose qui fait que même la moins attrayante reste admirable !

Chacun y trouve son compte et peut se projeter dans l’univers qui lui fait le plus échos. L’ensemble, quant à lui, rend compte de l’incroyable voyage serpenté et escarpé que ces Japonais d’autrefois empruntaient. On sent un certain grand sentiment de solitude dans les estampes qui mettent en scène des voyageurs en plein effort, entre deux stations, puis de chaleureux sentiments d’apaisement et de réconfort lorsque ceux-ci atteignent la prochaine station. Au delà d’être visuellement belle, la série Soixante-neuf Relais de la route du Kisokaidō est un véritable voyage intérieur que nous font vivre les artistes.

La seconde série, réalisée par Utagawa Kuniyoshi, est une collection présentée pour la première fois au public. Avec un angle de vue particulièrement original, l’artiste présente ici la route du Kisokaidō dans une ambiance à l’extrême opposée de la série d’Eisen et Hiroshige. Ici, ce ne sont pas des paysages et des voyageurs qui sont dévoilés, mais une représentation bien personnelle des stations du Kisokaidō. En réalité, il y a même très peu de rapport direct avec ces dites-stations. Kuniyoshi aborde le sujet au travers de l’humour, avec notamment des jeux de mots (difficiles à cerner pour ceux qui ne parlent pas le japonais), en s’inspirant, entre autres, du folklore japonais, du kabuki ou encore de la littérature japonaise. Les estampes réalisées offrent un résultat détonnant et très coloré. On s’intéresse ici aux expressions du visage et aux situations dépeintes où se mêlent personnages historiques, yôkai et contes populaires. Cette série, tout aussi riche que la précédente, est une mise en scène des stations du Kisokaidō. On observe dans le coin supérieur gauche de chaque estampe un encadré dans lequel figure la station correspondante. Encore une fois, et cela de manière générale dans l’art, les préférences personnelles orientent le regard. Ici, c’est tout particulièrement l’estampe du relais 40, Suhara : Narihira et Dame Nijō, qui est apprécié pour l’histoire qu’elle partage, et celle du relais 49, Hosokute : Le Seigneur Horikoshi, pour son côté lugubre.

La route du Kisokaidō ne profite pas de la même réputation que celle du Tokaidō mais n’en reste pas moins l’une des Cinqs Routes d’Edo qui ont modulé le transport de marchandises et les déplacements des Japonais pendant cette ère de paix. L’exposition « Voyage sur la route du Kisokaidō – De Hiroshige à Kuniyoshi » est une véritable merveille que nous vous recommandons vivement de découvrir, tant pour les somptueux paysages de la série Soixante-neuf Relais de la route du Kisokaidō qui rendent compte de l’incroyable voyage qu’elle représentait, que pour les originales représentations de Kuniyoshi, si différentes de ce que l’on a l’habitude de voir. 

Compte tenu de la situation sanitaire, la réservation est obligatoire pour l’exposition « Voyage sur la route du Kisokaidō – De Hiroshige à Kuniyoshi » au musée Cernuschi. Prix : 9 euros (tarif plein) et 7 euros pour le tarif réduit. Toutes les informations par ici.

Pour ceux qui n’ont pas la possibilité de se déplacer à Paris, vous pouvez vous procurer le livre de l’exposition pour ne rien rater.

Rokusan

Roxane, passionnée depuis l'enfance par le Japon, j'aime voyager sur l'archipel et en apprendre toujours plus sur sa culture. Je tiens le blog rokusan.fr dédié aux voyages au Japon.

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