Interview de Sylvain Jolivalt pour Le Grand Livre des Oni
A Journal du Japon, nous aimons vous parler des yôkai et vous présenter des projets en lien avec le Japon. Lancée fin avril, la campagne de financement participatif a attiré notre attention. Pour la sortie du Grand Livre des Oni, nous avons interviewé son auteur, Sylvain Jolivalt qui avait d’ailleurs écrit un premier livre Esprits et créatures fabuleuses du Japon : rencontres à l’heure du Boeuf, pour en savoir plus sur ce second ouvrage dédié cette fois-ci aux oni.
Des comics (Wolverine) à l’apprentissage du japonais
Journal du Japon : Bonjour Sylvain et merci pour le temps que vous nous accordez. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Sylvain Jolivalt : Je m’appelle Sylvain Jolivalt, Strasbourgeois depuis ma naissance il y a déjà 51 ans. Je suis un grand passionné de mythologie, de fantastique et de science-fiction via les films, la bande-dessinée et les jeux de rôle (sur table ou en grandeur nature… mais pas en jeux vidéo ! ;-)) . J’ai étudié le japonais à l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg, puis à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales).
D’où vous vient votre passion pour le Japon ?
Ma passion pour le Japon ne m’est pas venue par le cinéma, ni les anime et encore moins les mangas, mais, étonnamment, par les comics ! En effet, grand lecteur de Strange et consorts depuis l’âge de 7 ans, je découvrais à mes bientôt 14 ans que mon super-héros favori (Serval/Wolverine, pour ne pas le citer) savait parler couramment le japonais, avait vécu au Japon, et avait maille à partir avec des ninjas (Merci à Frank Miller et Chris Claremont ! ;-)). Il n’en avait pas fallu plus pour que je me fasse offrir la méthode Assimil pour apprendre le japonais, et me plonger dans tout ce que je pouvais trouver sur les samouraïs et surtout les ninjas. Je découvrais peu de temps après les bandes dessinées Kogaratsu, les aventures d’un rônin par Bosse et Michetz. Et depuis on m’arrête plus !
Une fascination pour les esprits et créatures du Japon
Avant Le Grand Livre des Oni, vous avez écrit un premier ouvrage en 2007, Esprits et créatures fabuleuses du Japon : rencontres à l’heure du Bœuf. D’où vous vient cette passion pour les yôkai ?
En tant que joueur débutant de Donjons et Dragons, j’ai eu entre les mains le supplément Oriental Adventures peu après sa parution en 1985, qui ne me laissa pas indifférent. Dans ce livre, il y avait un petit bestiaire monstrueux asiatique qui m’offrit un succinct aperçu du monde des yôkai ! Cela changeait des traditionnelles créatures de la mythologie grecque, ou des légendes occidentales que tout le monde connaissait. Depuis lors j’attendais LE livre qui ne serait consacré qu’à eux, mais qui jamais n’arriva ! Par la suite paraissaient bien des livres sur les dragons, les elfes, les fées, mais toujours rien sur les yôkai. Ni même en anglais, malgré mes quelques visites dans des librairies anglaises et américaines, à l’époque.
En 1993, je travaillais comme assistant et interprète auprès d’un professeur de géographie japonais venu étudier l’hydrographie alsacienne. C’est lui qui m’offrit mes tous premiers « dictionnaires de yôkai » (en japonais, évidemment) par Mizuki Shigeru. Puis lors de voyages au Japon, j’accumulais des livres sur le sujet pour épancher ma soif concernant ces créatures que je découvrais très ancrées dans l’histoire et la géographie du Japon. En effet, souvent les yôkai sont parfaitement bien situés dans l’espace : on sait encore aujourd’hui où ils se trouvent ou où ils sont enterrées, où se trouve l’arme qui a servi à les occire, etc. Ces informations étaient si bien documentées dans la littérature japonaise, que cela m’avait donné envie de les partager, en écrivant le livre que j’attendais depuis longtemps. D’où mon premier livre paru en 2007.
Plus de dix ans après votre premier livre, vous revenez avec d’autres histoires sur ces esprits du folklore japonais. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire à nouveau sur le sujet ? Qu’est-ce qui différencie les deux livres ?
En écrivant ce premier livre, je m’étais exclusivement basé sur les nombreux livres contemporains que j’avais trouvés au Japon, et donc, je n’avais pas du tout eu recours à internet. Depuis lors, je me suis mis à la page, et j’ai découvert qu’une multitude de livres anciens, voire très anciens, étaient consultables en ligne, notamment par la Bibliothèque nationale de la Diète. Dès lors, j’avais un accès direct et illimité à ces ouvrages précieux dont je n’avais, jusqu’alors, pu que rapporter ce qu’il était écrit à leur sujet. Là encore, cette manne d’informations fantastiques, dans tous les sens du terme, m’a donné envie de les partager avec les passionnés qui n’avaient pas eu l’occasion d’apprendre le japonais.
Le premier livre était sur les yôkai en général, mais je trouvais tant de chose à écrire que, pour le deuxième, je préférais me limiter à une seule sorte d’entre eux : et ce fut les oni ! Dans ce nouveau livre, on retrouvera ceux dont j’avais déjà parlé dans le premier, mais avec beaucoup plus de précisions. Et en plus, tout ceux dont j’ai découvert l’existence entre temps, et, il y en a beaucoup !
Un second ouvrage dédié aux Oni
Grâce à la page de financement participatif, concernant le livre, on sait qu’il fera au moins 250 pages en couleur et en format A4. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Au moment où je vous écris, l’écriture du livre est terminée, et il compte 234 pages en police 12, sans l’index, et surtout sans les illustrations que je suis en train d’achever aussi. Comme le précédent, il s’agit d’un bestiaire. Il y a principalement des présentations de créatures, mais tout de même quelques histoires classiques pour situer le contexte. Il y a une partie sur les kami impétueux. Une autre sur les démons, geôliers infernaux, et déités courroucées du bouddhisme. Mais aussi sur les oni principaux de la littérature et du théâtre. Ainsi qu’une partie sur les dieux visiteurs (来訪神 raihô-shin) à l’aspect inquiétant. Et tant qu’à parler de geôliers infernaux, j’ai joint une présentation des huit grands enfers bouddhiques et leurs annexes si précisément décrits dans certains textes sacrés. J’évoque aussi, les divers moyens à mettre en œuvre, ou les divinités à invoquer, pour repousser les mauvais esprits, dont ceux des épidémies ! 😉
Pour écrire les histoires et les illustrer, quelles sources avez-vous utilisé pour comme vous dites nous “faire découvrir et détester [les oni], ces êtres pour le moins terrifiants” ?
Comme dit plus haut, je me suis basé sur de nombreux textes et dictionnaires anciens. Des livres illustrés de la période d’Edo ou de l’ère Meiji m’ont bien inspiré tant pour les textes que pour les dessins, ainsi que certaines estampes. Pour certaines illustrations, je me suis conformé aux descriptions, très imagées, données dans les textes.
Comment avez-vous procédé pour sélectionner les oni ?
Pour la sélection, disons familièrement que j’ai ratissé large. J’ai voulu montrer que les oni dans la culture japonaise ne se limitent pas aux ogres cornus et musculeux armés d’une massue de fer, même si c’est la première image qui vienne à l’esprit des Japonais en évoquant ce mot. En effet, oni désigne aussi des divinités qui s’opposent aux kami du ciel, ou des personnages, même très beaux, doués de pouvoirs surnaturels. Certains sont poètes ou musiciens, et beaucoup d’entre eux, de par leur aspect terrifiant, aident à ne pas s’égarer du droit chemin, ou à repousser les voleurs.
De multiples sources pour illustrer les yôkai, patrimoine culturel japonais
Quand on parle de yôkai, on pense aux estampes de l’époque Edo mais aussi plus récemment aux dessins de Shigeru Mizuki. Vous en êtes-vous inspiré ?
Oui, en effet. Et même certaines peintures médiévales. D’ailleurs, durant mes recherches, je découvrais aussi beaucoup d’œuvres anciennes dont Mizuki Shigeru lui-même s’était inspiré pour ses illustrations.
Vos voyages au Japon ont-ils nourri votre imagination ?
Oui, beaucoup. Mais j’avoue avoir plus visité des libraires et des bibliothèques des grandes villes, et des lieux relativement touristiques, que des villages perdus pour y recueillir des témoignages oraux. Quoique les discussions avec les Japonais au sujet des yôkai en général sont souvent très intéressantes.
En France, dernièrement, les beaux livres sur les contes japonais fleurissent. Citons Les Contes Japonais aux éditions Le Héron d’Argent et Esprits & Créatures du Japon de Benjamin Lacombe. Connaissez-vous leur travail ? A quoi attribuez-vous ce regain de popularité pour les contes et créatures du Japon ?
En fait, dans beaucoup de mangas, animés et films japonais, des yôkai traditionnels apparaissent. Pour les Japonais, ils sont facilement reconnaissables, mais pour nous autres Occidentaux, c’est moins commode. C’est ce qui motive l’écriture de ces livres. Je pense que ces beaux livres sont un pont entre l’édition traditionnelle et les mangas. C’est le moyen de montrer que de nombreux éléments de la Culture Pop sont enracinés dans la culture littéraire ou artistique.
(Ça me fait penser à moi, tout jeune, qui m’étais passionné pour la mythologie, parce que c’était un moyen de lire des histoires de personnages doués de pouvoirs surnaturels tout en passant pour un élève sérieux ! ;-)). J’avoue n’avoir jeté qu’un petit coup d’œil à ces deux livres que vous citez, par manque de temps, et par crainte d’involontairement les copier. Mais à présent, je vais pouvoir les lire plus sérieusement.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Les oni sont nos amis, il faut les aimer aussi ! Et maintenant que je sais exactement où me renseigner, je vais bientôt pouvoir me consacrer à mon prochain livre, sur les ryû, rois-dragons, et autres serpents géants du Japon.
Journal du Japon tient à remercier sincèrement Sylvain Jolivalt pour son temps et ses réponses ainsi que Fabrice Dunis des éditions Le Camphrier qui a permis l’interview. Pour vous procurer le Grand Livre des Oni, vous avez jusqu’au 11 juin avant minuit pour participer à la campagne de financement participatif. Les livraisons des contributions sont prévues pour avant les fêtes de fin d’année alors n’hésitez pas à précommander pour le mettre sous le sapin 😉
Fascinant! Merci beaucoup pour cet interview. Ma fille adore les mangas japonais (surtout NARUTO)et me parle regulierement de « creatures » magiques dont je ne connais rien. Ce livre va nous pemettre de mieux saisir la raison de la presence de toutes ces creatures dans les mangas.
Bonjour et merci de nous lire. Pour des parents, en effet, il n’est pas toujours très simple de suivre niveau connaissances les références étrangères dans les dessins animés de ses enfants. Les yôkai sont dépaysants. Un livre qui devrait satisfaire parents et enfants !