Root Film : on va pas en faire un cinéma
Les amateurs les plus attentifs de visual novel le savent déjà : Root Film, deuxième épisode de la série des Root est déjà disponible depuis mars dernier sur PC, Switch et PS4. Entre jeu d’enquête, mystère, cinéma et tourisme que vaut réellement Root Film ? Voici la critique d’un jeu en demi-teinte sorti au meilleur moment.
Un polar sur ma console ?
Mystère dans l’objectif
Rintaro Yagumo, allias Max Yagumo, est un jeune réalisateur de film à la tête d’un studio indépendant : Studio Yagumo. Après avoir remporté le prix de la « Asian Film Convention » avec un court-métrage d’horreur, il est repéré par une chaîne de télévision locale cherchant à produire une série d’enquête se déroulant dans le département de Shimane. Mais ce projet cache de lourds secrets, et Max se retrouvera témoin d’une série de meurtre au quatre coin du département qu’il devra résoudre accompagné de son assistante monteuse Aine Magari, de Amakata Hitoha, jeune pousse d’actrice, et de Kanade Yoichi, cadreur très très discret. Au milieu de tout cela, Max est contacté par un mystérieux voyant, lui annonçant l’arrivée certaine d’un terrible danger. Parallèlement, Riho, également jeune actrice, participe elle aussi au projet de série d’enquête du département de Shimane et se retrouvera elle, avec sa manager Shoko Manabe à ses côtés, aussi au centre de plusieurs affaires sordides. Quels sont les secrets derrière ce projet de série ? Qui est ce mystérieux voyant ? Quel est le lien entre Max et Riho ? Root Film répondra à toutes ces interrogations insoutenables au fil de son intrigue.
Comme sur papier
Root Film fait parti du genre du visual novel. Il présente au joueur, ou plutôt lecteur dans ce cas, une suite de dialogue ou de passages narratifs sous fond de musique, illustrée par les sprites des personnages ainsi que par les décors, et ponctuée par de jolies illustrations pleine page/écran. Si vous cherchez un jeu d’action mettant vos réflexes à rudes épreuves, fuyez tant que vous le pouvez. Root Film ne proposera rien de tout ça, le gameplay se résumant majoritairement à appuyer sur une touche pour faire avancer le dialogue, avec tout de même quelques variations. Le joueur a, en effet, la possibilité de choisir dans quel lieu il veut se rendre (parmi ceux disponibles sur la carte) et de la personne à laquelle s’adresser pour enclencher un dialogue. Un choix bien illusoire vu que se rendre 5 fois dans un même lieu ou parler à un même personne ne fera en rien avancer l’intrigue et répétera en boucle le même dialogue, mais un choix qui a tout de même le bénéfice de varier l’activité du joueur qui ne se contente plus d’appuyer vaguement sur un bouton pendant des heures.
Enquête et résolution
De plus, les différents meurtres auxquels seront confrontés les personnages principaux laissent place à des phases d’enquêtes. Le joueur peut alors sélectionner des éléments du décor qu’il souhaite regarder, ou sélectionner l’ordre des suspects à interroger. L’avancement des enquête est marqué par la découverte de mots clefs lors de l’Intuition Mode, capacité « spéciale » de Max et Riho leur permettant de se souvenir de conversation. Les enquêtes se terminent toutes par un affrontement en tête à tête avec Max (ou Riho) contre un des suspects : le Max Mode. Il s’agit alors pour le joueur de trouver une réponse parmi les mots clefs découverts avec l’Intuition Mode à une question qui sera soulevée durant la joute verbale. Rien de bien innovant et de palpitant quand se trouve en face des jeux du même style comme Ace Attorney ou Danganronpa qui ont réussi à donner à ce phases de gameplay un rythme et une tension insoutenable, l’un par la difficulté de ses raisonnements, l’autre par la variété de ses modes de « débats ». Dans Root Film, le joueur n’a jamais réellement l’impression d’être mis en difficulté. Il suffit de faire un tour des dialogues disponibles pour résoudre l’enquête, et il faut le vouloir (succès Playstation à la clef) pour échouer lors d’un Max Mode tant les réponses aux questions sont simples et que le choix parmi ces dernières est limité (trois à quatre options de réponse par question).
Du tourisme à la maison
Une série dédiée
Mais ce qui différencie Root Film des autres visual novel, c’est l’emphase toute particulière qu’il met sur le lieu de son intrigue : le département de Shimane. Située dans le Chûgoku, au sud-ouest de l’île principale du Japon, Honsû, et bordant la mer du Japon, le département de Shimane est très éloigné de l’image du Japon urbain. Cette emphase est en effet la marque de la série naissante à laquelle il appartient : les « Root ». Le premier épisode, Root Letter se déroulait lui aussi dans le département, et concentrait également son intrigue sur un mystère à résoudre concernant, comme son titre l’indique, des mystérieuses lettres. Ne vous inquiétez-pas, Root Letter et Root Film n’ont pas de continuité scénaristique, le néophyte peut tout à fait jouer à Root Film sans souci et ne loupera que de rares caméos fan service des personnages de Root Letter.
Le département de Shimane
Mais revenons à notre département de Shimane. Peut-être avez-vous déjà vu des images de la plage d’Isano no hama, près de la ville d’Izumo, avec son sanctuaire perché sur un récif au milieu du sable. Mais si ce département ne vous évoque rien, ne vous inquiétez-pas ! Root Film se chargera de faire le guide touristique à la place de Google. Le repérage de lieu pour le tournage du film de Max, et les enquêtes qui en suivront, sont en effet une excuse toute trouvée pour faire visiter le département de Shimane et ses villes au joueur. Vous visiterez ainsi la ville Matsue, préfecture du département connue pour son château, le village de Mihonoseki et son sanctuaire et irez même sur l’île de Nishinoshima ! Vous aurez aussi peut-être la chance de tomber sur la mascotte de Shimane, le petit chat au chapeau toit de maison : Shimanekko. La réalité des lieux est servie par le photoréalisme de décor, pour une immersion complète. Root Letter avait eu le droit, lors d’une de ses rééditions, à un traitement entièrement photographique aussi pour les décors que pour les personnages. Peut-être verrons nous la même chose pour Root Film dans le futur, un bonus de la sorte ne participerait que plus à son aspect guide touristique.
Un jeu en demi-étalonnage
Peu mais joli
Un très bon point du jeu est son character design et son style graphique. Tarô Minaboshi, déjà à l’œuvre sur Root Letter, s’est trouvé un style beaucoup plus reconnaissable et marquant que par ses productions passées. Le trait appuyé et gras, notamment au niveau de la démarcation des ombres, ajoute un côté dessin crayonné tout à fait sympathique qui donne un charme particulier aux sprites ainsi qu’aux quelques illustrations pleine page/écran. Root Film se permet même le luxe de changer les vêtements de ses personnages à un moment de l’intrigue ! Chose tout de même rare dans les visual novel. Cependant, le jeu pêche sur ses sprites par un aspect beaucoup plus important : le cruel manque d’expression faciale. Hors illustrations pleine page/écran ponctuelles, les personnages ne vous livreront qu’une seule émotion : un petit sourire. De quoi mettre un peu mal à l’aise lors des passages de meurtre, où les personnages, bien que visiblement affectés dans les dialogues, garderont la même expression faciale que la veille.
une intrigue qui fait de son mieux
Du côté de son intrigue, Root Film fait au mieux mais sans pour autant faire le meilleur. Les résolutions des meurtres se révèlent souvent assez simples et le caractère répétitif de l’histoire (aller dans une ville pour du repérage, assister à un meurtre, résoudre l’affaire) n’aide pas. On peut tout de même relever un twist malin concernant la temporalité du jeu mais qui ne sauve pas le reste et la révélation finale téléphonée. Root Film reste sympathique malgré ses défauts, l’intrigue tient debout grâce à une bonne alchimie entre ses personnages et à son concept de jeu/guide touristique qui, en période de confinement, gagne un intérêt certain pour ceux en manque de voyage.
Root Film n’est certes pas à la hauteur de sa publicité le vendant comme une des expériences les plus « sophistiquée », « interactive », « sombre », « originale » et autres adjectifs dithyrambiques mais reste un jeu modeste mais appréciable que nous pouvons recommander aux amateurs de visual novel ou de jeu d’enquête en recherche d’une ambiance campagne japonaise malheureusement inaccessible en ces temps troublés. Il faut cependant être prêt à jouer au jeu totalement en anglais, aucune traduction française n’est à ce jour prévue. À se procurer au choix sur Switch ou PS4 si le cœur vous en dit.