Comprendre le Japon avec les éditions Picquier
Les éditions Picquier publient régulièrement de très bons livres de littérature japonaise, mais également des essais pour mieux appréhender la culture japonaise. C’est le cas des ouvrages que nous vous présentons aujourd’hui, qui permettent de sortir du classique « entre tradition et modernité » et de découvrir toutes les facettes de ce pays fascinant.
100% Japon de Jean-Marie Bouissou : découvrir et comprendre en 546 images
Ce grand spécialiste du Japon, qui arpente les rues de ce pays depuis les années 1970, livre ici un ouvrage original : de nombreuses photos (sorties pour l’essentiel de son smartphone et proposées en noir et blanc), et des textes instructifs mais souvent drôles, pour découvrir le Japon des Japonais, leur quotidien, le bon et le moins bon d’un pays souvent fantasmé. Le lecteur n’y trouvera pas les belles photos vues et revues des lieux touristiques, mais des zooms sur les petits riens du quotidien : du linge pendu aux fenêtres, du franponais sur les devantures des boutiques, des entassements de plantes devant les maisons ou des voitures garées au millimètre dans un espace minuscule, des bébés promenés dans de grands chariots à roulettes par les nounous ou des gens qui nettoient leur quartier…
Un fourmillement qui peut donner le vertige, mais qui est très bien organisé en grands chapitres qui permettent de comprendre la société japonaise contemporaine…
Cela commence avec l’Histoire et la relation complexe des Japonais avec leur passé. Puis viennent les icônes (le mont Fuji et le shinkansen entre autres). Un gros chapitre est ensuite consacré aux principes d’esthétique japonaise (avec ses racines dans le bouddhisme et le shintoïsme, les arts mettant en avant l’imperfection, la passion pour la réduction dans les haïkus, les jardins ou les netsuke). Une partie importante est consacrée aux valeurs sociales (propreté, soucis du détail, respect de l’espace privé, travail, vie en société).
Les pages décrypter permettent entre autres d’expliquer la langue japonaise et elles sont passionnantes, illustrées de photos expliquées, kanji par kanji, kana par kana, pour comprendre comment tout se combine. Le lecteur y découvre même des informations sur les plaques d’immatriculation. Les mordus d’architecture apprécieront particulièrement les pages consacrées à La ville Rubik’s cube avec ses photos impressionnantes où bâtiments de toutes tailles et de tous âges se mêlent dans un puzzle fascinant. Et logiquement, le lecteur apprendra ensuite comment s’y déplacer : métro, vélo, taxi … tout pour savoir comment ça marche et comment bien se comporter !
Les amoureux du pays seront sensibles à la partie justement intitulée s’y trouver bien : toutes ces choses qui font qu’on se sent bien au Japon, de la qualité des services (avec des médailles d’or pour les toilettes, d’argent pour les konbini et de bronze pour les livraisons), à l’art de bien manger (pour cher ou pas cher) et boire (un acte social), en passant par les ryôkan et les onsen … et pourquoi pas les love hotels ! Il est également question de sécurité, avec des postes de police et des policiers bien loin de ceux que nous connaissons en France, mais aussi des yakuza (là encore loin des clichés, avec des explications sur leur place dans la société).
Mais le livre n’est pas qu’une successions d’éloges, et l’esprit critique de ce spécialiste du Japon est bien présent, en particulier dans la partie Ne les jugez pas ! Il y aborde la sexualité au Japon, la place des religions, la politique, les marginaux. Et puis il y a les choses inclassables qui font l’objet d’un chapitre spécifique : les animaux domestiques, les fils électriques qui courent partout dans le ciel entre les immeubles, les vitres immaculées ou le désordre organisé. Le livre élargit ensuite le regard sur l’évolution actuelle de la société japonaise, et offre même quelques pages sur le Japon au temps du coronavirus.
Un essai riche mais accessible au plus grand nombre grâce aux centaines de photos judicieusement choisies qui illustrent le propos, ou que le propos illustre … Un équilibre qui permet une découverte en profondeur d’un pays aux mille facettes.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Fenêtres sur le Japon d’Eric Faye : comprendre le Japon par sa littérature et son cinéma
Entre Eric Faye et le Japon, c’est une belle histoire qui a commencé avec Nagasaki, grand prix du roman de l’Académie Française, puis suivront Malgré Fukushima, Journal japonais et Eclipses japonaises. La culture et la société japonaises le passionnent. Et c’est tout naturellement dans la littérature et le cinéma japonais qu’il cherche à mieux comprendre ce pays. Il propose au lecteur de partager ses lectures et ses films, dans une succession de « micro-essais » permettant de découvrir une œuvre mais également ce qu’elle dit du Japon, à différentes époques. C’est instructif et passionnant, et cela donnera sûrement envie au lecteur d’ajouter des livres à sa pile à lire, et des films à sa liste de films à voir absolument !
Le livre commence avec Kamo no Chômei et ses Notes de ma cabane de moine, un livre fondamental pour comprendre la culture de la catastrophe et de la résilience. Le monde est souffrance mais également impermanence, le bouddhisme est la voie pour cet homme qui s’est ensuite isolé des bruits du monde. Puis la lecture se fait naturellement, avec fluidité grâce au fil conducteur créé par Eric Faye.
Il est question de catastrophe et de littérature (voir de cinéma) du désastre avec La submersion du Japon.
La guerre est ensuite logiquement mise en lumière avec plusieurs œuvres, de La Tombe des lucioles aux Notes d’Hiroshima, en passant par Les feux ou Rhapsodie en août. Tous les angles sont abordés : les bombes atomiques et les conséquences sur la population, y compris sur le long terme, la guerre dans les Philippines ou en Birmanie, les enfants orphelins qui meurent de faim, les actes horribles commis par les soldats japonais aussi bien à Okinawa qu’en Mandchourie (expériences bactériologiques et vivisections sur des prisonniers) ou à Kyushu (crimes de guerre sur des aviateurs américains). Chaque fois, le contexte historique est expliqué et le bruit autour du film ou du livre est détaillé (succès, censure ou propagande etc.). La responsabilité de chacun en temps de guerre (du soldat au médecin en passant par l’artiste) est mise en avant dans différentes créations.
Vient ensuite la littérature et le cinéma d’après-guerre : écrire ou filmer le Japon dévasté, la misère qui engendre d’autres fléaux comme la prostitution (avec les films de Mizoguchi et Ozu entre autres, avec d’ailleurs de très belles pages sur le cinéma d’Ozu et le ma, cet intervalle qui réunit plus qu’il ne sépare les choses).
La place des femmes dans la société, à cette époque en particulier, est un autre sujet fondamental, traité aussi bien au cinéma (Fin d’automne d’Ozu) qu’en littérature (avec Quatre soeurs de TANIZAKI).
Elle est aussi évoquée à d’autres périodes, de Chiyo UNO dans Ohan à Ryû MURAKAMI en passant par SÔSEKI. Soumises, maltraitées, mais aussi révoltées, indépendantes. Les œuvres sur le sujet sont nombreuses et passionnantes !
Tous les dysfonctionnements de la société japonaise sont évoqués sous le prisme de la littérature ou du cinéma : relation entre le Japon et le reste du monde, un Japon fermé pendant plus de deux siècles, où il est difficile de revenir lorsqu’on a vécu à l’étranger, comme dans Rêve de Russie d’INOUE par exemple, difficile de former un couple mixte, un pays qui souffre de maux profonds comme la discrimination envers les Coréens.
C’est également en interne à la population japonaise que cela dysfonctionne, avec la discrimination envers les Burakumin auxquels Tôson SHIMAZAKI consacre le premier roman naturaliste japonais, La Transgression ou envers les Aïnous, population d’Hokkaido privés de droits et « assimilés » à marche forcée, avec une classe paysanne exploitée sur cette même île, tout comme les ouvriers de la pêche dans le grand roman Le bateau-usine de Takiji Kobayashi.
Et comment l’individu peut-il évoluer dans cette société japonaise oppressante ? La révolte, le surnaturel ? L’occasion pour l’auteur d’évoquer littérature et cinéma fantastique, puis d’aborder les romans et films policiers.
Résumer ce livre, vous l’aurez compris, est quasiment impossible. Mais nous vous invitons à vous y plonger, pour ouvrir toutes les fenêtres et découvrir l’évolution du Japon et surtout de la société japonaise au fil des époques. C’est passionnant et stimulant. Mais faites de la place dans vos bibliothèques car il est certain que de nombreuses œuvres susciteront votre intérêt !
Le livre sortira en librairie début mars. Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Pour aller plus loin, Ma et Aida : des notions fondamentales pour comprendre la culture japonaise
Ce recueil de textes écrits par des experts aussi bien japonais qu’occidentaux vient de sortir en format poche. Il permet de comprendre la notion de Ma et Aida si importante dans la culture japonaise.
La définition de ces notions est donnée dans l’avant-propos :
« Dans la tradition culturelle du Japon, tant dans le domaine des lettres, en poésie dans les waka et les haïkus, ou encore dans la musique, la danse ou le théâtre, mais aussi dans les arts martiaux comme le kyûdô, la voie de l’arc, ou la cérémonie du thé, chadô, l’accent a toujours été mis sur l’importance du concept de ma ou maai. On peut y voir l’une des grandes caractéristiques de la culture japonaise.
Ma se définit comme un intervalle. Autrement dit l’espace ou la distance qui sépare les choses ou les événements. Mot, dont la signification s’inscrit aussi bien dans le temps que dans l’espace. Un temps, un espace envoûtant s’ouvrant entre une chose et une autre. Cet espace, ce temps donnent de la saveur aux mots, à la musique, aux actions et aux attitudes.
Ma est à la fois ce qui sépare une chose de l’autre et ce qui les réunit. En cela réside le sens particulier de ma, qui assume en même temps ces deux rôles. Ce lieu (cet instant) où deux choses, tout en se séparant, se mêlent, autrement dit cette ligne de séparation entre les choses, est nommé awai. L’une des caractéristiques de la culture japonaise réside aussi en ce qu’elle a toujours prêté attention à la beauté que recèle awai.
Si l’on pousse plus avant les aspects de cet intervalle ma, il devient aida, l’entre. Mais là encore aida n’exprime pas une simple distance, un écart. Ici aussi, il entretient le contact entre ce qui est séparé. Aida est alors ce point de contact, le lieu, qui crée le lien. Quand par l’entremise de ce point de contact, ce qui est séparé, se trouve noué dans une relation, aida devient aidagara, la relation entre les personnes, le corps social.
Aida, cette fracture qui tout en même temps relie, a toujours traversé les réflexions de la philosophie japonaise : la continuité discontinue (hirenzoku no renzoku) chez Nishida Kitarô, ou encore dans l’éthique du corps social (aidagara no rinri) de Watsuji Tetsurô. Du point de vue de la psychiatrie, aida, l’entre, a aussi été abordé comme pathologie de l’entre (aida no byôri), qui sépare le moi de l’autre avec Kimura Bin.
Nous aimerions à la lumière d’une telle question, renouveler notre réflexion sur le sens ou les caractéristiques de la pensée et de la culture japonaises. Et, par là même, y découvrir la possibilité de nouveaux développements de cette culture. »
Les différents essais proposés au lecteur permettent d’étudier ces notions sous différents angles : le cinéma avec Ozu, la littérature japonaise classique, la poésie, et plus largement la langue, la linguistique. Ces notions sont également centrales dans l’art de la gravure. Mais aussi dans les arts scéniques que sont le Nô, le Rakugô et le Kabuki. Et même dans la traditionnelle cérémonie du thé.
Une lecture parfois ardue, mais passionnante, qui invite à la réflexion sur l’espace, le temps, le mouvement, la respiration … pour mieux comprendre notre rapport aux autres et au monde. Un complément idéal aux fenêtres d’Eric Faye (qui fait d’ailleurs à plusieurs reprises référence à cet ouvrage).
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Ces lectures vous permettront d’approfondir votre connaissance du Japon et de sa culture grâce aux regards de passionnés et de grand connaisseurs de ce pays.