Manga Taishô 14e édition : des nouveautés à fort potentiel !
Après Astra Lost in Space en 2019, et le formidable Blue Period en 2020, le Manga Taishō revient pour une 14e édition pour découvrir une nouvelle d’excellents mangas, souvent méconnus et inédits en France. La liste des nominés a été dévoilée début janvier à l’issue de la première phase de sélection. Le titre lauréat et le classement final ont été annoncés lors de la cérémonie du prix, qui cette année s’est tenue sans public à Tokyo, le 16 mars dernier.
Que les curieux et curieuses se rassurent, cette sélection 2021 ne manque pas de nouveautés : le jury semble avoir été sensible à l’écriture des personnages comme vous le verrez dans le classement. Par le Premier Prix a été discerné à un manga qui traite avec justesse, à travers les yeux d’un personnage presque immortel, de problématiques humaines comme la mort et le deuil… Mais avant de vous livrer le nom du manga récompensé, Journal du Japon vous propose une petite présentation des nominés avec les commentaires des jurés japonais, classé du 10e vers le premier !
Préambule : qu’est-ce que le Manga Taishō ?
Depuis sa création en 2008, l’événement a toujours permis à son comité organisateur de poursuivre un objectif double. Sa devise est de recommander les mangas que le jury a trouvé les plus intéressants possibles. En premier lieu, le but est de mettre en lumière des œuvres « récentes » au-delà de toute considération financière. Pour être nominé, un manga doit seulement avoir été publié au cours de l’année précédente et ne pas excéder les huit volumes. Si sa réalisation répond à ces deux conditions, tout(e) mangaka, simple rookie ou artiste expérimenté(e), peut dès lors défendre ses chances. À ce titre, une nomination peut parfois leur offrir une visibilité providentielle. En effet, les libraires accordent beaucoup d’importance aux différents classements et prix manga décernés au cours de l’année et n’hésitent pas à les mettre en avant dans leurs rayons.
Les éditeurs français aussi ne s’y trompent pas et gardent toujours un œil attentif, même si les titres des Manga Taisho ne sont presque jamais des best-sellers chez nous, plutôt de bons middle-sellers. La lauréate 2018, la mangaka Paru ITAGAKI avec Beastars a, par exemple, reçu de nombreuses autres distinctions, dont le prestigieux prix culturel Tezuka et celui du manga Kōdansha, lui offrant ainsi une reconnaissance mondiale méritée. À noter que la série, toujours en cours, est arrivée en France aux éditions Ki-oon depuis. Astra Lost In Space a lui trouvé son chemin jusqu’aux éditions nobi nobi mais constitue un cas un peu à part de candidat tout public, là où les autres titres trouvent plutôt, en France, leur public chez les adultes et les connaisseurs de manga ou amateurs de BD : Vertical (2008), Chihayafuru (2009), Thermae Romae (2010), March Comes in Like a lion (2011), Silver Spoon (2012), Kamakura Diary (2013), Bride Stories (2014), Golden Kamui (2016)… Que du bon, donc, et les nominés non primés sont aussi de jolies pépites, comme vous allez le lire cette année encore.
Enfin le prix a également pour vocation de proposer de nouvelles pistes aux lectrices et lecteurs curieux de nouvelles histoires à découvrir. Des suggestions bienvenues dans un monde où les nouveautés se comptent chaque année par centaines. Ainsi devient-il de plus en plus difficile de faire un choix parmi la pléthore de titres disponibles. C’est par ailleurs tout sauf un hasard si le large jury choisi pour établir la sélection n’est composé que de passionné(e)s, parmi lesquels bon nombre de libraires, aux goûts multiples et à l’affût constant de la moindre perle. À ce titre, l’harmonisation de leurs votes a toujours offert des listes variées et révélatrices des potentiels du moment. De quoi assurément inspirer les éditeurs français par la même occasion… Voyez par vous-même avec cette sélection 2021 !
10e : SPY×FAMILY, de Tatsuya ENDO
La guerre froide s’est installée entre deux pays Ostania et Westalis depuis quelques années. Le meilleur espion de Westalis, Twilight, est alors envoyé en mission pour enquêter sur un politicien aux idées radicales, Donovan Desmond. Pour accomplir sa mission, il décide de commencer son enquête avec le fils de ce dernier. Twilight endosse une nouvelle identité et doit même construire une famille. Il adopte alors Anya, une orpheline pouvant lire les pensées, pour enquêter sur le fils de Desmond dans la prestigieuse école d’Eden. Sans le savoir il va également se marier avec une assassine appelée Yor Briar. Cette famille construite de toute pièce va alors habiter sous le même toit, en cachant aux autres leurs réelles intentions et motivations.
Le manga de Tatsuya ENDO était déjà arrivé 2e l’année précédente. Être dans le top 10 deux années de suite est gage que le manga a été apprécié par le jury. Les votants ont été réceptifs au style et à ce que véhicule ce titre. SPY×FAMILY est loué pour son dynamisme et son humour. Ce qui ressort le plus dans les commentaires des jurés c’est une adhésion quasi unanime au concept de « fausse famille ». Selon eux, cela permet d’entrevoir des relations entre les personnages principaux très intéressants et permet une réflexion sur la famille au-delà des liens du sang. C’est un manga qui vient tout juste d’arriver en France chez Kurokawa.
9e : Kowloon Generic Romance, de Jun MAYUDZUKI
Reiko Kujirai est une employée dans une agence immobilière dans la ville de Kowloon, à Taiwan. Son plaisir quotidien : manger de la pastèque en fumant une cigarette. C’est dans un paysage dystopique, un bidonville de béton labyrinthique qu’elle travaille avec Hajime KUDÔ, un homme de 34 ans, et Ri le directeur de l’agence.
Un résumé simple pour un manga plus complexe qu’il n’y parait. Ce qui a plus au jury en particulier, c’est l’exécution dans la réalisation du manga. Dans le tome 1 on passe subtilement d’un manga de romance entre adultes à de la SF. Le style de l’autrice est en parfaite adéquation avec son récit. De plus elle intègre un grand nombre de planches avec peu de case et de dialogue, installant un rythme lent, mais très agréable. Les jurés ont aussi beaucoup aimé l’équilibre habile entre romance, humour, drame. Kowloon Generic Romance dépeint de manière touchante les relations amoureuses entre hommes et femmes travaillant à plein temps. Jun MAYUDZUKI réussit un tour de force en combinant les genres très différents que sont la romance et la science-fiction.
8e : Metamorphosis no engawa, de Kaori TSURUYA
Yuki, une retraitée, seule, de 75 ans découvre par hasard la librairie Naka. Dedans elle tombe sur le rayon manga et sa curiosité est piquée par la couverture d’un d’entre eux. Il s’agit d’un manga de Boy’s love contant la romance entre deux lycéens. Yuki devient accroc aux mangas et va fréquenter assidument la librairie pour échanger avec le vendeur, une lycéenne, autour du manga. Elle se rendra même dans une convention de dōjinshi pour la première fois.
Metamorphosis no engawa a surpris une grande partie des jurés. Le début ne les avait pas emballés, mais ils ont été rattrapés par la principale qualité du manga : sa tendresse. Le jury a été très touché par la justesse avec laquelle l’autrice a retranscrit les émotions ressenties par Yuki. La tristesse, la joie, la découverte tout cela est parfaitement arrangé pour donner une œuvre qui donne le sourire. Cette histoire douce et rigolote met en avant la joie de faire de nouvelle rencontre et surtout le partage intergénérationnel. Le manga est édité en France chez Ki-oon, sous le nom BL Metamorphose depuis 2019.
7e : Onna no En no Hoshi, de Yama WAYAMA
Le professeur Hoshi est enseignant de japonais, à l’apparence maussade, dans un collège pour fille. Responsable de la 4e 4 son visage s’illumine quand il se creuse la tête pour décrypter le shiritori en image que ses élèves font dans le cahier de bord de la classe. Le shiritori est un jeu ou chaque joueur doit énoncer un mot commençant par la dernière syllabe du mot précédent. Son quotidien est un peu chamboulé quand il doit également s’occuper d’un chien dans la classe, ou encore lorsqu’une étudiante voulant devenir mangaka lui demande des conseils.
Le jury a grandement adoré ce titre. L’auteur qui avait déjà été nominé l’année dernière pour son manga Muchū sa, Kimi ni propose un manga avec personnage principal intriguant. Sa qualité principale est son comique de situation. On se surprendra à rigoler d’un coup lorsque Hoshi sensei se prendra la tête pour quelque chose d’apparence futile. En somme un manga porté par son personnage principal qui vous fera passer un bon moment.
6e : Kaijū Hachigō, de Naoya MATSUMOTO
Le Japon est en proie à des attaques régulières de kaijû, des monstres gigantesques. Après la destruction de leur village natal, Kafka Hibino et Mina Ashiro, deux amis d’enfance, décident d’intégrer les Forces de Défense japonaises pour lutter contre ces monstres. Mina gravit les échelons et devient commandant alors que Kafka est recalé et se cantonne au poste de nettoyeur, un travail où il nettoie les dépouilles des kaijû vaincus. Mais un jour il ingère des particules et obtient le pouvoir de se transformer en kaijû humanoïde en conservant sa conscience.
Ce manga est à surveiller de très près ! Il est vu pour beaucoup comme le prochain hit des shônen manga. Entre combats épiques, monstres et amours, les critiques sont dithyrambiques, un dessin percutant et maîtrisé de bout en bout, un shônen condensant ce qui se fait de mieux en matière de superhéros. Kaijū Hachigō s’annonce comme un futur titre incontournable. Pour le moment aucun éditeur français n’a annoncé sa parution dans l’hexagone mais on pressent Kazé car ils ont édité une autre œuvre de l’auteur, Pochi&Kuro.
5e : Oshi no Ko, d’Aka AKASAKA et Mengo YOKOYARI
Goro est un gynécologue obstétricien dans une clinique. Un jour une patiente enceinte de jumeaux se présente. Goro la reconnait, il s’agit de Hoshi no Ai, une idole du groupe « B Komachi » dont il était fan. Alors que l’idole est en train de donner naissance, Goro qui se rendait sur les lieux est assassiné par un fan haineux de Hoshi no Ai. Alors qu’il perd la vie, ses dernières pensées vont vers cette femme qui accouche. La seconde d’après, il se réveille dans les bras de Ai. Sa vie de gynécologue prit fin et celle du fils d’idole commença.
Beaucoup des votants s’attendaient à une histoire banale autour d’idole. Le titre restait très énigmatique pour la plupart. Mais tous ces doutes ont été dissipés, le manga révèle une histoire plus complexe avec du mystère et de la comédie sur fond de réincarnation. Il a été apprécié également par l’angle avec lequel il aborde le monde des idoles. Une vision de ce qui se passe derrière le rideau.
4e : Mizu wa Umi ni Mukatte Nagareru, de Rettō Tajima
Lorsqu’il entre au lycée Naotatsu, est invité par son oncle, un trentenaire dont notre héros ne connait que très peu de choses, à venir habiter chez lui afin d’être plus proche de son établissement. À son arrivée à la station de train, ce n’est pas son oncle, mais une femme qui est présente pour venir le chercher : Mme Sakaki-san, une femme dans la vingtaine. Très vite Naotatsu comprend qu’il n’est pas au bout de ses surprises lorsqu’il comprend que Sakaki n’est pas la femme de son oncle. En effet ils sont cinq dans cette maison où réside un mangaka en herbe, l’oncle, Mme Sakaki, un homme forcé de se travestir pour exercer sa profession de voyante et enfin un professeur âgé aux connaissances presque infinies, mais à l’esprit enfantin. Ainsi une cohabitation entre divers profils et âges commence.
Néanmoins un lien inattendu lie Naotatsu à Sakaki. Un secret vieux de 10 ans liant le père de Naotatsu et la mère de Sakaki… Comment les deux protagonistes vont-ils vivre ensemble avec cette révélation, dans une maison des plus animées !
Arrivé 5e l’an dernier, Mizu wa Umi ni Mukatte Nagareru continue de plaire énormément. Le jury a trouvé les personnages extrêmement bien écrits et développés, comme s’ils étaient réels. L’histoire a surpris, car cette tendresse dans la narration cache un drame. De plus le rythme lent d’un quotidien raconté permet au lecteur de se détendre et de s’attacher à chaque personnage.
3e : Karaoke ikō !, de Yama WAYAMA
Satomi est un collégien et chef de la chorale du collège Morioka. Son quotidien est chamboulé lorsqu’il doit aller donner cours à un yakuza de 39 ans Narita Kyôji. Cet homme n’a qu’un objectif : devenir un bon chanteur pour éviter de recevoir une punition lors d’un tournoi de karaoké de son clan. Satomi est enlevé chaque semaine pour enseigner à ce yakuza un peu fou. Mais au final, à force de leçon une amitié étrange semble se nouer entre les deux.
Yama WAYAMA ne cesse de surprendre. Avoir deux de ses mangas dans le top 10 est d’ailleurs assez exceptionnel. Les avis sont tous excellents. Une histoire drôle et intrigante dont la narration est maîtrisée de bout en bout. Cette amitié insolite entre un collégien et un yakuza a étonné et remporté une grande partie des suffrages. Ces résultats témoignent d’un talent pour l’écriture de personnage et la mise en scène.
2e : Chi. Chikyū no undō ni tsuite, de UOTO
L’Europe au 15e siècle, une période où l’on brûlait sur des bûchers les hérétiques. On attendait de Rafao, un enfant prodige, lors de son entrée à l’université une spécialisation en théologie considérée comme la matière la plus importante. Selon lui c’était un choix logique, car il valorisait la raison et le sacré plus que tout. Or un jour, devant lui un homme mystérieux apparut. Il cherchait une forme de vérité dans la pensée hérétique. Cela chamboula alors la vision du monde de Rafao.
Le jury a été conquis par ce manga. Il se démarque des autres par son fond. Le mangaka mêle Histoire et philosophie au travers d’un héros, Rafao, qui commence une remise en question sur son éducation. Qu’est-ce que la raison, la rationalité, la religion ? Toutes ces questions vont animer Rafao lors de sa rencontre avec l’étrange homme. Les thèmes abordés sont toujours d’actualité. Doit-on continuer de vivre dans un monde mensonger ou se chercher la vérité ?
Le grand gagnant est… Sōsō no Frieren, de Kanuhito YAMADA et Tsukasa ABE !
Un groupe de 4 héros, Himmer, le moine Highter, le guerrier Aizen et la mage elfe Frieren triomphent d’un mage maléfique. Fatigués d’un voyage de 10 ans tous ressentir une vive émotion lorsque ce dernier prit fin à l’exception de Frieren. Pour une elfe de 1000 ans, cela ne représentait pas grand-chose. Après leur victoire ils purent admirer la comète Era qui traverse le ciel tous les 50 ans. Ils se firent la promesse de retourner la voir et ainsi le groupe d’aventurier fut dissout. 50 ans plus tard comme promis chacun revinrent admirer la comète et Frieren constata que ses amis avaient beaucoup vieilli. Peu de temps après les retrouvailles Himmer décède. À ses funérailles Frieren éclata en sanglot en se rendant compte qu’elle ne connaissait rien de Himmer. Déconcertée elle décide de partir un voyage pour apprendre à connaître l’humanité.
Numéro 1 des suffrages avec 91 points loin devant Chi. Chikyū no undō ni tsuite qui arrive deuxième avec 67 points, Sōsō no Frieren remporte haut la main le Manga Taishō de 2021. Le jury est unanime sur l’œuvre, elle est touchante et se démarque d’autres manga fantastiques. Mettre en scène le « que sont-ils devenus » a été l’élément qui a piqué la curiosité des jurés. Les héros sont ramenés à leur condition de simples hommes à la vie courte. La réflexion portée par le manga autour de la vie limitée, de la mort et du deuil a touché profondément les lecteurs. Sous ces aspects de récits fantastiques se cache un discours universel, car tout le monde est concerné à un moment de sa vie par ses sujets.
Cette édition a été comme les années précédentes, forte en nouveautés. Cette année les personnages ont été à l’honneur. On retrouve comme dénominateur commun à ce top 10 des protagonistes complexes qui sont plus que de simples héros. Il y a une volonté de les rendre les plus humains possible. C’est LA qualité qui ressort de tous les mangas nommés.
Même si ces mangas n’arrivent pas tous, pour le moment, en France gardez à l’esprit le nom des auteurs car une de leurs prochaines séries pourraient bien être un succès mondial. Ils ont toutes les qualités requises pour créer des titres encore meilleurs. Mention particulière pour Yama WAYAMA qui réussit à produire des mangas très différents, mais toujours d’une qualité impressionnante avec une écriture de personnage d’une finesse incroyable, sans compter que trois de ses mangas ont été bien classé en 2020 et 2021. Kaijū Hachigō est pressenti pour devenir une nouvelle série phare du Shōnen Jump+ donc il ne devrait pas tarder à arriver chez nous. Comme pour les éditions précédentes on ne peut que trépigner d’impatience jusqu’à pouvoir enfin voir ces mangas éditer en France ! Et vous quels sont les titres qui vous font le plus envie ?
Vous pouvez retrouver le classement final sur le site officiel de l’événement : www.mangataisho.com
Pour jeter un œil à nos présentations précédentes, c’est ici !
On aura peut-être Kowloon Generic Romance, vu qu’on a déjà eu un manga du même auteur en France avec Après la pluie
Normalement Kowloon parait aux éditions Kana en mai de cette année. L’éditeur avait fait l’annonce en décembre dernier.
Bonjour, premièrement merci de nous avoir lu ^^ Oui le manga sera bien édité chez BigKana. Le format du manga sera à priori 18*13cm on pourra donc profiter des belles double-page ! Pour ma part c’est un des titres du manga taisho que j’attends le plus avec Kaiju n°8. Et pour vous ?
Hum, difficile à dire. J’ai découvert Oshi no Ko récemment et j’ai beaucoup apprécié le traitement de l’univers des idoles (et du monde du spectacle en général). Je ne sais pas si c’est réaliste mais ça prend le tout sous un angle plutôt bienveillant, sans oublier l’enquête comme fil conducteur.