Portrait : On l’appelait Scorpion.
Elle a connu l’âge d’or de la Nikkatsu, puis s’est forgé un nom qui reste encore aujourd’hui tout un symbole. Penchons-nous sur le cas particulier de Meiko KAJI, aka Masako OHTA.
Les débuts, en plein âge d’or de la Nikkatsu.
Masako OHTA sort diplômée de l’Académie Yakumo dans le quartier Meguro de Tokyo. Elle démarre sa carrière, à la Nikkatsu sous le nom de Masako OTA (太田 雅子) en 1965, par de la figuration, puis des seconds rôles pour la firme. En 1969, elle apparait dans Nihon Zankyoden, une série de films dirigés par le réalisateur Masahiro MAKINO. Lui reconnaissant des talents de comédienne, il lui offre son nom de scène: Meiko KAJI (梶 芽衣子).
La Nikkatsu a pour volonté, dans les années 1970, de mettre en scène des femmes délinquantes et de contrebalancer l’équilibre des pouvoirs, entre les sexes dans des films hauts en couleurs. Son charisme naturel, souligné par ses traits fins et ses grands yeux ronds, exprimant une résolution et une défiance envers l’ordre établi, vont assurer sa future notoriété.
Elle se fait notamment remarquer dans la série de cinq films : Stray Cat Rock : Delinquent girl boss de Yasuharu HASEBE.
Cette série, sans aucune continuité entre les épisodes, met en avant l’action débridée, par des courses poursuites en motos ou en voitures, dans les galeries souterraines de Shinjuku, et dans des restaurants renommés. On y trouve des trafics en tous genres, sans pour autant être affiliés au milieu de la pègre. Elle y incarnera les seconds couteaux d’une des bandes rivales dans les rues de la capitale.
Elle va, dès le deuxième film de la saga Wild Jumbo, supplanter l’actrice phare Akiko WADA, pour finir tête d’affiche des quatre séquelles.
En 1970, elle tiendra le premier rôle dans: Blind Woman’s Curse de Teruo ISHII.
En prison, Akemi Tachibana, raconte à ses codétenues son histoire : celle d’une chef yakuza d’un clan exclusivement féminin, dont les membres ont chacune une partie d’un même tatouage représentant un dragon. Un soir, lors d’un combat, une femme est accidentellement rendue aveugle. Quelque temps plus tard, les meurtres s’enchaînent dans le groupe, et les victimes se font scalper leur tatouage.
On, y retrouve encore une fois, cette image de femme forte et résolue, qui par sa seule présence à l’écran, impose le respect.
Ce sera approximativement, son centième film pour la Nikkatsu. En effet, sur une décade cela parait énorme aujourd’hui, mais les usages du cinéma japonais de l’époque, étaient de tourner un film en 3 semaines ou 21 jours. Elle endosse ce dernier rôle, avant de s’en quérir d’autres aventures.
S’émanciper de l’image sulfureuse de la Nikkatsu pour incarner autre chose.
Déjà soucieuse de son image, c’est au virage opéré par la Nikkatsu en 1971 de ne produire que des Roman Porno, qu’elle prendra la tangente, ne souhaitant pas devenir une icône de la pornographie japonaise. Elle rejoindra alors les rangs de la Toei.
En 1972, elle jouera dans deux polars inspirés: Wandering Ginza butterfly et Wandering Ginza Butterfly 2: She-Cat Gambler de Kazuhiko YAMAGUCHI.
De 1972 à 1973, elle incarnera La Femme Scorpion.
Sasori est une série de 4 films (3 films de Shunya ITO et le dernier de Yasuharu HASEBE) directement inspirée par le manga éponyme de Tōru SHINOHARA. Shunya ITO membre du syndicat des réalisateurs, ayant occupé un poste important à la Nikkatsu, se souvient de l’actrice, et va naturellement lui proposer le premier rôle de cette série de films particulièrement marquants. Et c’est au travers de ce personnage, qu’une véritable icône se construit.
Un autre fait intéressant à noter, est que l’exploitation des films dans les cinémas japonais de l’époque, les séances se déroulent comme suit : deux films le même soir, généralement un film de gangsters + un Sasori en deuxième partie. Et comme les Wandering Ginza Butterfly sont sortis la même année, tous les soirs, il y avait deux films avec l’actrice en pleine ascension.
Sasori étant un personnage mutin dans le manga, il sera d’abord demandé à Meiko KAJI de jouer avec son regard, ses attitudes et expressions pour incarner l’héroïne. Elle va donc s’inspirer du jeu de Clint EASTWOOD dans Pour une poignée de Dollars de Sergio LEONE (1964). Ses yeux sont une arme, et elle va s’en servir comme le pistolero utilise son colt dans un saloon.
L’épisode fondateur met en scène Nami Matsushima, abusée par son compagnon policier qui, après avoir pris sa virginité dans une séquence forte en symbolisme, se sert d’elle, pour organiser une arrestation dans le milieu des yakuzas. Elle est violée par les mafieux, puis, une fois que son compagnon intervient, elle se rendra compte qu’il est aussi complice d’une corruption souterraine à la manière des films de Kinji FUKASAKU.
S’en suit un film carcéral à la violence graphique extrême et politique, où l’autorité masculine dénature la féminité.
Déçue par la misogynie de son ex compagnon, et isolée, elle passe sous le feu des mauvais traitements infligés par les gardiens, ainsi que les violences intestines entre femmes en milieu fermé. Pleine de rancœur, elle va organiser son évasion pour assouvir sa vengeance.
Le deuxième film de la saga, prend une dimension nationale dans sa trame. Sasori s’étant échappée avec d’autres prisonnières, on la suit dans une cavale infernale, où va se mêler des scènes surréalistes et des faits divers du moment. Notamment, celui qui occupa les forces de police de l’époque: l’affaire du chalet Asama (あさま山荘事件). Ces événements inspireront la scène de prise d’otage et, les échauffourées avec la brigade anti-émeutes, est repris à l’écran.
Le troisième opus quant à lui, la symbolise comme un animal en mode survie, où elle est prête à tout pour échapper à sa geôle. Les influences de la trilogie sont nombreuses : Tristana de Luis BUNUEL, Histoires extraordinaires le film à sketchs de 1968 réalisé par Roger VADIM, Louis MALLE et Federico FELLINI, L’œil du diable d’Ingmar BERGMAN, Un chien andalou de BUNUEL / DALI.
Shunya ITO estime qu’il a fini son travail sur Sasori avec cet épisode, et il s’arrêtera là. Mais un quatrième épisode, étant voulu par la Toei et l’actrice, elle va faire venir un des cinéastes pour qui, elle a joué aux temps de la Nikkatsu : Yasuharu HASEBE. Le cinéaste rompt avec le surréalisme et, embrasse un virage vers le film très politique. Sasori y trouve l’amour à nouveau, avec son reflet masculin et n’en devient que plus fragile. Mais, victime encore une fois d’un complot, elle ira en prison de très haute sécurité, qui cette fois-ci est gérée par des femmes. Ce qui change la balance des pouvoirs en place.
Mais voilà, l’actrice est fatiguée de retomber dans les travers de la nudité facile imposée par la production. Et le déclin funeste, annoncé par la fragilité retrouvée de son personnage, fait qu’elle cessera d’incarner La femme scorpion en 1973. La Toei, ne veut pas lâcher la poule aux œufs d’or qu’est Sasori et elle entreprendra des suites, qui ne sont qu’une ombre de ce qu’était l’icône de Meiko KAJI, malgré des choix parfois judicieux.
C’est quelques mois plus tard, qu’elle incarnera à l’écran l’héroïne du manga Lady Snowblood de Kazuo KOIKE. Ceci est pour le compte de la Toho et du réalisateur : Toshiya FUJITA, lui aussi transfuge de la maison Nikkatsu (avec, à son actif deux Stray Cat Rock et quelques Roman Porno).
L’intrigue se déroule pendant l’ère Meiji, et plus précisément entre 1873 et 1900. Pour enrayer les révoltes paysannes, le shogunat Tokugawa organise des rançonnements, pour démotiver les insurgés. C’est lors d’une de ces campagnes organisées dans le village de Koike, que notre histoire prend son essence. Un couple, est pris à parti par quatre infâmes personnages, le mari est sauvagement tué. La femme, quant à elle, est violée pendant 3 jours et 3 nuits. Amorçant sa vendetta et après l’assassinat de l’un des coupables, l’épouse est jetée en prison. Elle y nourrit une vengeance héréditaire : faire un enfant à tout prix, pour l’éduquer, le former pour l’accomplir à son tour. La jeune Yuki nait dans la geôle maternelle.
Elle est perçue comme l’enfant du démon, car née de père inconnu et qui se voit transmettre la rancœur maternelle et la liste des bourreaux à exécuter.
Le diptyque est un chanbara à la violence graphique importante, sans compter le message profondément féministe qui s’en dégage. A l’issue du succès de Lady Snowblood son image d’icône cesse, pour être reconnue comme une actrice accomplie. Elle jouera dans pas mal de films de yakuza comme: Jingi naki tatakai: Hiroshima shitō hen ou Yakuza no hakaba: Kuchinashi no hana de Kinji Fukasaku, ainsi qu’une carrière à la télévision, dans des séries et téléfilms (bien plus confidentiels, pour nos yeux européens) jusqu’en 1989.
Prendre sa retraite des écrans pour embrasser une carrière de chanteuse à plein temps
C’est une habitude du cinéma japonais, dans les années 1960 de faire assurer le générique de ses films par la star du film. Elle en assure la performance vocale, mettant en valeur ses talents de chanteuse, une première fois dans Stray Cat Rock : Wild Jumbo. Puis écrit plusieurs chansons pour le score de : Stray Cat Rock : SEX Hunter, Machine Animal et Blind woman’s curse. Et c’est avec la saga de la Femme Scorpion, que sort le premier single Urami Bushi dans les bacs en 1972 en parallèle de l’exploitation du film, et il trônera dans le top 10 des charts.
En 1989, après une carrière de chanteuse d’Enka, elle se fait plus discrète. Poussée par l’engouement autour de sa musique, après la tornade Kill Bill, elle se remet à la chanson. C’est en 2009 qu’elle sort le single: Onna wa yametai.
En 2010, sort une compilation étalée sur 6 CD chez Teichiku de ce qu’elle avait composé pour le cinéma.
provider: youtube
url: https://youtu.be/Agx6nZBLKLo
src: https://www.youtube-nocookie.com/embed/Agx6nZBLKLo?feature=oembed&wmode=opaque
src mod: https://www.youtube-nocookie.com/embed/Agx6nZBLKLo?wmode=opaque
src gen: https://www.youtube-nocookie.com/embed/Agx6nZBLKLo
En 2011, elle sort son premier album depuis 31 ans: Aitsu no suki-so-na burūsu avec des chansons écrites par Ryudo UZAKI et Yoko AKI.
Cette contribution se fera aussi en dehors de l’archipel.
Hong-Kong a, aussi mis en chantier sa propre saga Sasori, qui restera cantonnée dans les abîmes du cinéma bis. Pour l’anecdote, lors de la promotion de Kill Bill dans l’Hexagone, l’éditeur TF1 Video fait une gentille bourde, en rééditant la Sasori Hongkongaise plutôt que l’originale.
La Nikkatsu, va même adapter en Roman Porno La Femme Scorpion, dans une parodie avec Naomi TANI. Kôyû OHARA réalise : Female Prisoner 101 : suck (Joshûu 101: Shaburi) en 1977.
C’est donc, surtout, en 2003 et 2004 que l’on reverra un vibrant hommage à la belle, au travers des deux films Kill Bill de Quentin TARANTINO. En effet, ce serait Uma THURMAN qui aurait glissé l’idée de liste vengeresse au cinéaste, et tous deux avec les Lady Snowblood en tête, reprendront le gimmick du scénario, les scènes de sabre dans la neige, et une chanson de Meiko KAJI en générique de clôture de chacun des volumes du diptyque.
Depuis, elle a reçu de nombreuses offres de rôles par Hollywood. Mais elle les refuse systématiquement, disant qu’elle offrirait : « une bien piètre performance dans une autre langue que le japonais ».En 2009, c’est au tour du réalisateur Sion SONO, de se réapproprier le mythe de La femme scorpion dans son monumental chef d’œuvre Love Exposure.
Les personnages qu’elle a incarné, et en première ligne : La Femme Scorpion et Lady Snowblood, ont laissé la porte grande ouverte pour la prise de conscience des femmes dans l’archipel. Sa figure implacable, résolue et combative anime depuis maintenant 50 ans l’imaginaire collectif des femmes japonaises. Parfois, elles sont surnommées, les « Kajis » en rapport avec le nom de scène de l’actrice. Meiko KAJI, incarne l’icône de la femme japonaise libérée, capable de se défendre et de s’exprimer. Ce nom reste encore aujourd’hui très significatif, auprès des femmes, étant parfois utilisé de façon péjorative dans la lutte de sexes qui fait toujours rage actuellement. A l’heure actuelle, elle est toujours très active, est présente sur les réseaux sociaux, tient un blog, deux chaînes YouTube et continue de sortir des disques, dont le dernier date de 2018. Et nos oreilles sont ravies encore d’entendre son joli filet de voix, dans des standards indémodables.
Crédit images:Tous droits réservés ©Nikkatsu, Toei, Toho, Teichiku, Arrow Film, TF1 Video, HK Video
Pour dire vrai… quand j’ai vu « On l’appelait Scorpion » et que je l’ai vue, j’ai immédiatement pensé à Love Exposure. Mais j’étais loin de me douter que ce n’était qu’un personnage. Sasori-san!
C’est plus qu’un simple personnage. Ce que met en relief Love Exposure en détournant l’icône de Sasori, c’est la misogynie latente de la société nippone d’hier et d’aujourd’hui. C’est la parfaite anti-thèse (ou anti-Christ) de la cause féministe, car c’est un homme qui se travesti, c’est aussi un stratagème pour produire plus de clichés de petites culottes dans la compétition qui anime le groupe d’amis du film. C’est une référence cinématographique très forte, car Sasori a pu apporter sa pierre à l’édifice à la cause de la libération de la femme dans la société des 70’s, et pour faire un parallèle avec le cinéma français: Meiko Kaji serait la Bernadette Lafont de l’époque, et Naomi Tani la Brigitte Lahaie, toute deux à naviguer dans le Bis, mais laissant une empreinte indélébile sur la société.
Et quand Sono Sion utilise cette force pour s’en moquer, c’est un peu une manière de dire que les apparences sont trompeuses, le Japon de Love Exposure est misogyne, et que par extension il est détestable dans son relationnel (pour rappel Love Exposure fait partie de ce qu’on appel la Trilogie de la Haine: les deux films suivants sont Cold Fish et Guilty of Romance qui appuient le propos sous deux angles différents, mais avec la même optique).
Bel hommage à cette icône du ciné d’exploitation … un Coup de projecteur mérité ! Merci
Bonjour, et merci pour votre retour =)