Gaming Memories #35 – Ryu ga Gotoku (Yakuza)
Bienvenue dans ce 35e et dernier numéro 2020 de Gaming Memories. Cette fois-ci, nous allons revenir sur une série qui fête ses quinze ans cette année et qui continue à tourner – des intrigues dignes de polars, des personnages charismatiques, des bastons brutales, le tout dans un Japon contemporain avec un thème assez peu exploité dans le jeu vidéo : sa pègre. Si vous êtes prêts à (re)plonger dans le premier épisode de la série Ryu ga Gotoku, aussi connue sous le nom Yakuza chez nous, c’est par ici ! Equipez-vous bien et direction décembre 2005 !
/!\ Ce jeu est interdit aux moins de dix-huit ans. /!\
Like a dragon
Dans le monde du jeu vidéo, la plupart des séries qui y voient le jour tournent, pour la plus grande partie, autour d’une fantaisie, d’un monde imaginaire avec des personnages idéalisés. Les thèmes réels y existent mais certains, comme la pègre japonaise, restent assez tabous. Grand Theft Auto 3 (Rockstar Games, 2001) et Hitman 2 : Silent Assassin (Eidos Interactive, 2003) en parlaient un peu, mais pas au point de remplir un jeu tout entier.
La volonté de faire un soft autour de ce sujet vient du producteur Toshihiro NAGOSHI (Shenmue, F-Zero GX, Binary Domain). Il souhaitait faire un drama cru, direct, où l’on ressent le sens de ce qu’est l’humanité. Il semblait qu’il y avait moins de joueurs à cette période, et le thème des yakuza fut choisi pour les attirer, et surtout pour la violence que le sujet soulevait. Le lieu dans lequel la série se passe, Kamurocho, s’inspire forcément de Kabukicho, le quartier des loisirs à Tokyo.
Le « Project J » s’est monté d’une façon assez surprenante et inhabituelle, puisque les membres de l’équipe venaient tous d’autres sections de SEGA. Certains avaient travaillé sur Super Monkey Ball (plate-forme), d’autres sur Virtua Fighter 3 (combat) ou encore Panzer Dragoon (shoot’em-up). D’après lui, c’était une nouvelle expérience pour cet ensemble de développeurs venus de partout. Ils n’avaient cependant pas vraiment de vision sur l’ensemble, puisque tout devait d’abord passer par le seul à avoir une idée globale du projet : NAGOSHI. Les autres membres de l’équipe furent séparés en deux : une moitié se chargeait de la partie principale et l’autre, des sous-quêtes.
Le budget du jeu a été de 2,4 milliards de yen (environ 19 millions d’euros, soit l’une des productions les plus coûteuses de l’époque). Il est sorti sur PlayStation 2 le 8 décembre 2005 au Japon et en septembre 2006 dans le reste du monde.
Fight hard…
1er octobre 1995, Kamurocho, Japon. Tout commence et se termine dans un bâtiment du quartier rouge de Tôkyô. Lors d’une nuit d’automne… Kazuma KIRYU, membre du clan de yakuza Tojo, retrouve son meilleur ami et frère de clan Akira NISHIKIYAMA debout, une arme à la main. Au sol repose le cadavre d’un homme, une balle logée en pleine tête et le reste du chargeur dans le corps – Sohei DOJIMA, le chef de « famille » à laquelle les deux jeunes hommes appartiennent. Plus loin dans la pièce se trouve une femme de leur âge, terrorisée par la scène et la tentative de viol que NISHIKIYAMA vient de lui éviter : Yumi SAWAMURA, leur amie.
Les autorités ne tardent pas à arriver. Pour éviter le pire à son ami, dont la sœur est gravement malade et a besoin d’être surveillée, KIRYU somme à NISHIKIYAMA de fuir et accepte le blâme d’un crime qu’il n’a pas commis. Dix ans passent, avec son lot de changements. KIRYU a été banni de son clan, et Yumi a disparu. Il ignore où se trouve NISHIKIYAMA et pour couronner le tout, dix milliards de yen ont été volés au Clan Tojo…
Cette nouvelle ne laisse pas le « monde du dessous » insensible – tout le monde rêve de trouver une telle somme… ! Cela semble avoir un rapport avec Yumi, que Kiryu doit absolument retrouver et mettre en sécurité. Surtout quand la jeune Haruka arrive en ville seule, pour retrouver Yumi… sa tante ?!
Perdu dans dix kilomètres carré… ?
Ryu ga Gotoku est jeu d’aventure de type bac à sable (sandbox, la taille en dessous du monde ouvert – open world). On peut s’y promener plus ou moins librement et le temps y est figé tant que l’on n’a pas atteint son prochain but scénaristique. Pendant ce temps, il est possible de visiter divers bâtiments comme des boutiques (pour acheter ou revendre des objets, potentiellement de soin), ou de quoi se divertir (Club Sega, billard, bowling…), voire même aller dans des bars à hôtesses. Le personnage que l’on suit, Kazuma KIRYU¸ proposera donc au joueur de faire sa vie à sa convenance, dans l’ordre qu’il souhaite tant qu’il ne continue pas sa quête principale – le jeu n’est pas en temps réel, on peut prendre tout son temps entre chaque évènement-clé. On croisera de nombreuses personnes au cours de nos déambulations dans le quartier red light, et les aider – ou se mêler de leurs affaires – lancera des sous-quêtes (substories) rendant cette vie plus complète et passionnante.
Si l’on passe beaucoup de temps à courir dans tous les sens pour faire progresser le jeu, celui-ci ne consiste pas qu’à rechercher ses destinations et vivre à sa guise. Il est saupoudré de combats « aléatoires ». Régulièrement, un groupe de gens mal intentionnés viendra vous attaquer. Là s’enclenche une bataille où l’on peut se déplacer librement dans une zone limitée en taille. Il y aura le plus souvent plusieurs ennemis. Pour se défendre, Kiryu dispose d’un combo de trois attaques, des projections et une attaque spéciale en fonction du nombre de coups normaux faits avant. On a donc un rythme très carré, à base de « Normal, spécial », « normal, normal, spécial » et ainsi de suite. On peut varier ses enchainements et, à force de frapper, la jauge de « Heat » du personnage augmente. Là, de nouvelles actions seront possibles, aussi bien avec les armes trouvés ça et là (battes, couteaux…) que les décors. Ces actions sont violentes et font mal… ! On notera aussi un verrouillage d’ennemis et la possibilité de se mettre en garde.
A chaque combat ou quête terminé, on gagne des points d’expérience, à la manière d’un RPG, et ces points peuvent être attribués à diverses capacités. La barre de vie du personnage, sa force, ses attaques, de nouvelles Heat Actions, tout peut être amélioré, et le rend plus fort. Ces combats étant trouvables régulièrement, on peut très bien faire du leveling si souhaité. Les niveaux à gagner sont séparés en trois catégories avec chacune des types d’augmentations différents et prédéfinis, un peu à la manière d’un RPG où chaque level up donnera des stats différentes.
Un jeu aussi solide que son personnage, mais avec quelques petites failles quand même
Ryu ga Gotoku est un jeu tout en 3D, on dirige donc son personnage dans les rues du quartier assez librement, comme dans n’importe quel jeu d’aventure. Sauf qu’à leur contraire, on se déplace sur des plans fixes, avec une caméra qui nous suit parfois en changeant d’angles pour plus de dynamisme, mais on ne peut pas la bouger à volonté. Il en est de même pour les combats, ce qui donne parfois des angles de caméra étranges. De plus, les décors ont beau être bourrés de passants, en train de discuter ou de se promener, sans que cela ne dérange la fluidité de ce qui se passe à l’écran.
Les visages des personnages manquent peut-être un peu de détails pour certains, mais restent cohérents, bons, réalistes et expressifs. Certes, Resident Evil 4 (Capcom) et Metal Gear Solid 3 (Konami) sont sortis cette même année, mais aucun de ces deux jeux n’avait autant de variété de contenu ou de personnages différents à montrer. On reconnait les protagonistes principaux au premier coup d’œil et le quartier en lui-même offre différentes ambiances en fonction des ruelles que l’on traverse. Que ce soit l’allée principale ou le quartier coupe-gorge local, il n’y a pas deux rues qui se ressemblent et on finit par retrouver son chemin de plus en plus naturellement, comme lorsque l’on apprend à connaître une nouvelle ville dans laquelle on vient d’arriver. Les combats aussi sont fluides et rapides, et on s’amuse à tenter diverses actions spéciales avec les décors et armes, juste pour faire payer à tous ces punks leurs attaques incessantes. Certaines batailles plus longues mettront Kiryu aux prises avec une armée entière de yakuza belliqueux, et là encore en gérer plusieurs à la fois ne cause aucun problème. On prend les éléments du décor disponibles et on frappe dessus avec… on apprécie même de les brutaliser !
Ce jeu joue beaucoup sur l’ambiance visuelle, sérieuse, mature et agressive, révélant un monde rarement exploité dans le jeu vidéo. Sang, meurtres, combats brutaux, alcool, et cabarets à hôtesses : tout y est. Rien n’est pourtant si gratuit que cela, c’est « juste » la vie commune dans le milieu de la pègre dans un quartier des loisirs. Les personnages ne se privent pas pour être vulgaires, avoir un langage cru, et le tout avec charisme. Certaines substories dépeignent, en contrepartie, de par leur douceur, tout comme certains personnages tels que la jeune Haruka. L’atmosphère est là pour donner l’impression d’un polar sombre, malgré certains aspects plus légers « typiquement SEGA ».
Malheureusement, si le jeu peut afficher un bon nombre de PNJ à l’écran, tous se ressemblent un peu et n’ont finalement que peu de personnalité. Il y a quelques modèles différents et parfois, les ennemis que l’on croise et que l’on affronte deviendront le protagoniste d’une substory à venir. De même, Ryu ga Gotoku souffre de temps de chargements récurrents ; si cela peut donner une ambiance d’avoir un écran de ce genre avant chaque combat, comme dans un versus fighting, en avoir à chaque fois que l’on sort d’une boutique, ou avoir un temps de chargement de deux ou trois secondes qui gèle l’action à changement d’écran rend le jeu un peu lourd. Un jeu mal optimisé ? Trop gourmand pour la console ? Cela reste à voir mais l’animation globale est bonne, et les combats sont fluides et regorgent de petites scènes en fonction des Heat Actions utilisées. Juste, ces affrontements sont funs et divertissants, mais pas pendant une heure d’affilée (ce que le jeu n’imposera jamais). Et si la carte du quartier montre où aller pour continuer la trame la plupart du temps, on regrettera que, contrairement aux épisodes suivants, on n’ait pas de petit résumé de notre prochain objectif, dans le cas où il ne soit pas assez clair ou que l’on fasse une pause trop longue entre deux sessions. Le jeu, cependant, explique bien son gameplay à chaque nouvelle feature.
Le coté visuel ne fait pas tout. Au niveau du son, on a un jeu qui joue beaucoup sur une simulation de vie réelle, en quelque sorte. Il n’y a pas de bande-son permanente en pleine exploration, mais des vagues au loin, des rumeurs de voix et, parfois, de la musique qui émane d’une boutique quelconque lorsque l’on passe devant. Les bars ont un vrai cachet, tout comme la salle d’arcade est exubérante de bruits. Le son soulignera surtout les moments forts de l‘histoire, ou les combats. On peut trouver que, du coup, l’ensemble sonore soit vide (et c’est parfois une peu le cas, les konbini sans musique de fond et un son simule une foule…alors qu’il y a une seule personne dans la boutique) mais elle permet de se rapprocher plus de la réalité.
Depuis ce tout premier épisode et pour tous les suivants, SEGA a pris dans son équipe de doubleurs Takaya KURODA (Kiryu, Kenshirô – Fist of the North Star), Hidenari UGAKI (Majima, Jagi – … Fist of the North Star… décidemment) ou encore Rie KUGIMIYA (Haruka, Rin – … Fist of the North Star… sérieux.) et Kazuhiko YAMAJI (Detective Date – Rihaku… allez, on vous laissez deviner dans quel jeu ?). Ceux-ci sont des doubleurs japonais, on se doute donc bien qu’ils sont expressifs et vivants dans leurs rôles, donnant une vraie identité à leurs personnages, les rendant vivants à leur façon.
Le jeu a été également doublé en anglais, sous-titré en français chez nous. Une belle intention qui tombe vite à l’eau tant le tout est moins réussi (le peu de succès de cette localisation est la raison pour laquelle les épisodes sont restés en japonais…). Les personnages secondaires, comme les hordes de punks et yakuza que l’on affronte, sont une honte douloureuse pour les oreilles tant il n’y a que trois ou quatre voix différentes pour leur intégralité. Le tout mixé à coup de différentes de pitch audio pour simuler plus de voix… mais entendre à longueur de temps (et dix fois par combat) « Damn, that hurts ! », « Wanna die ? » ou autres « Piece of shit ! » ne fait que rendre le tout insupportable à la longue. Oui, il y a Mark Hamill et Eliza Dushku dans tout, mais cela ne fait malheureusement pas le job…
Bien que ce premier épisode soit plus court que les suivants, il demandera une trentaine d’heures pour atteindre la fin, substories inclues (plus d’une cinquantaine !). Il profite d’une certaine simplicité, et est plus direct que ses petits frères du fait qu’il va à l’essentiel, et les scènes cinématiques qui racontent l’histoire sont encore loin d’être un film comme dans Yakuza 0 par exemple. Ce n’est pas un défaut, au contraire, car à la manière d’un Metal Gear Solid, on a souvent l’envie de poser sa manette dans un jeu si cinématographique. De fait, ici ce n’est pas le cas et l’action reste permanence, que ce soit pour les combats ou pour courir dans tous les sens à la recherche de sa destination suivante.
L’ensemble des cinématiques du premier chapitre. Attention aux spoils pour qui n’a vraiment jamais joué au jeu.
Le jeu n’est pas non plus trop difficile, bien que certaines scènes demandent d’être bien préparé (et d’avoir le maximum d’objets sur soi, curatifs comme offensifs). Il reste toujours la solution de faire différentes sauvegardes sur différents fichiers et revenir en arrière pour faire du leveling en cas de problème, et le soft propose tout de même trois niveaux de difficulté différents (Facile, Normal par défaut et Difficile). En cas de plusieurs échecs dans une même bataille, il propose même de baisser le niveau le temps de finir cette phase si jamais l’entrainement intensif ne vous passionne pas.
S’il n’est pas parfait, et manque d’une certaine optimisation, ce premier Ryu ga Gotoku pose donc parfaitement les bases de la série : une trame passionnante, des personnages forts en caractère, des bastons violentes, une ambiance sombre dans une ville sale ou chaque coin de rue peut être le théâtre d’un crime. Les rebondissements y sont nombreux, et la liberté bien présente à coté d’une ligne conductrice. Une simulation de vie de loin, qui à l’époque faisait un peu office de « suite spirituelle » à Shenmue pour les joueurs, mais qui finalement s’en éloigne un peu.
Le Dragon revient toujours
Ryu ga Gotoku, malgré un doublage à l’accueil mitigé hors du Japon, a tout de même obtenu assez de succès pour avoir cinq suites et sortir cette année 2020 un nouveau départ avec Yakuza Like a Dragon. La série a aussi eu quelques spin-offs, comme Yakuza Dead Souls (Kamurocho au pays des zombies…), et deux autres à l’ère Edo. Récemment, pour ses soixante ans, SEGA a aussi distribué gratuitement Streets of Kamurocho, un petit Beat’em-up principalement inspiré du premier jeu dans le premier niveau de Streets of Rage 2 ! Très répétitif et court, mais un cadeau des plus amusants.
Concernant le premier épisode, il a été remaké en 2016 sur PS4 (puis porté sur Steam et xBox One), le mettant plus à la « norme » des opus sortis entre temps. Il ajoutait aussi plusieurs styles de combat, des cinématiques suivant l’histoire d’un autre personnage qui viennent compléter le scénario, de nouvelles sous-quêtes, les défauts d’époque corrigés, tout en gardant un jeu plus léger en cinématiques que Yakuza 0. Les effets de lumière sur certaines scènes de ce dernier avaient aussi disparu (sans doute parce qu’il n’y avait pas autant d’effets de lumière), mais on y trouvait quelques petits bugs graphiques quand même, de temps à autres. Rien de bien grave pour autant. Kiwami, en tous cas, a donné naissance à un remake de RGG 2 et à une Yakuza Collection (remaster des épisodes 3 à 5).
Malgré ses lourdeurs techniques, ce premier opus de la série reçut majoritairement de bonnes critiques, pointant l’originalité de son contexte très rarement vu, et surtout d’une façon aussi sérieuse. Il reçut même le prix d’excellence aux Japan Game Awards et Famitsu Awards. Son style de combat qui s’améliore au fil des upgrades du personnage ainsi que son background, le sujet qu’il traite de façon prenante et passionnante ont souvent été mis en lumière par les critiques. Ce qui lui valut d’être aussi transposé au cinéma… pour le meilleur et le pire !
S’il n’est pas parfait, ce premier Ryu ga Gotoku a son charme et pose les bases de toute une série qui vit maintenant depuis quinze ans. Typiquement japonais, typiquement japonisant même, il a su séduire son public grâce à son scénario prenant, ses personnages charismatiques et son ambiance jamais vue auparavant. Vaut-il mieux jouer directement à son remake ? Non, pas vraiment. Il mérite d’être essayé tel quel si possible, au moins histoire de voir « comment c’était avant ». Mais si vous n’avez pas le choix, foncez vers Kiwami : c’est un très bon remake d’un très bon jeu déjà à la base !
Sur ce, à l’année prochaine pour de nouvelles aventures rétro !
Captures d’écran prises par JDJ. Crédits des autres visuels : Tous droits réservés ©SEGA ©Ryu ga Gotoku Studios.
Dernier article de l’année, heureux de voir qu’il y à eu quand même de bonnes choses en 2020. Voyage au Japon à travers les jeux en attendant d’y fouler le sol.
Ah ça, pour ça Shenmue et Yakuza c’est top. ^^
Merci pour le emssage!