Kyû SAKAMOTO, l’étoile filante
Il y a 35 ans disparaissait tragiquement Kyû SAKAMOTO, le seul chanteur japonais à avoir atteint la première place dans les charts américains et connu une carrière internationale. Représentant le « parfait » japonais, il incarna dans les années 60 grâce à son succès fulgurant, le retour de son pays comme une nation industrielle de premier plan sur la scène mondiale.
Né le 10 décembre 1941 à Kawasaki près de Tokyo, Kyû Sakamoto est le cadet de neufs enfants. Bien que son vrai prénom soit Hisashi, il est très vite surnommé Kyû, qui signifie « 9 » en japonais, et qu’il conservera comme nom de scène. Il n’a que 3 ans lors des premiers bombardements américains sur Tokyo durant l’été 44. Sa mère décide alors de fuir dans sa famille qui réside à 120 km de là, emmenant avec elle ses trois plus jeunes enfants et laissant à son mari les six autres.
En 1956, ses parents divorcent et sa mère obtient la garde de ses enfants mineurs. Le divorce, autorisé depuis 1945, reste très rare au Japon à cette époque bien que la majorité des mariages soient des unions arrangées. À 12 ans, Kyû découvre la guitare puis le chant. À 16 ans, il rejoint son premier groupe de Rock’n’roll, Les Drifters. Mais Kyû Sakamoto ne supporte pas d’être relégué comme chœur et les répétitions se terminent souvent en bagarre. Il parvient à faire remarquer ses talents de chanteur lors d’un célèbre festival de musique, mais une énième bagarre éclate et il quitte le groupe.
Une étoile est née
Comme tous les jeunes de son âge, le moment arrive où Kyû Sakamoto doit mettre de côté ses ambitions musicales et ses rêves de rock star pour réussir le concours d’entrée à l’Université. Mais lorsqu’on lui propose de remplacer le chanteur d’un groupe de style rockabilly américain nommé Danny Iida and Paradise King, le choix est vite fait. Il renonce sans regret à l’idée de poursuivre ses études supérieures. Sa carrière est fulgurante, puisque le groupe se voit proposer d’enregistrer un album pour la JVC en 1959, et leur premier tube sort en 1960. Il sera suivi de nombreux succès. Kyû Sakamoto qui recherche la lumière des projecteurs se lance alors dans une carrière solo.
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Sa notoriété explose en 1961 avec le tube « Ue o Muite Arukō » composé par Hachidai Nakamura, paroles de Rokusuke Ei. Cette magnifique chanson à la musique enjouée est en fait extrêmement mélancolique. L’auteur a écrit le texte alors qu’il rentrait chez lui après l’échec d’une manifestation étudiante contre le maintien de la présence militaire américaine dans le pays. « Je marche en regardant le ciel pour que mes larmes ne coulent pas », témoigne la déception ressentie lorsque le traité de coopération et de sécurité mutuelle entre les États-Unis et le Japon a été signé malgré la forte contestation populaire pour s’y opposer.
Pourtant, ce tube a bien failli ne jamais voir le jour. Kyû Sakamoto, qui a appris à chanter en s’inspirant des stars américaines et notamment d’Elvis Presley apporte une intonation et une prononciation à la chanson qui ne sonne pas vraiment japonais, au grand dam du parolier. Le compositeur en revanche prend le parti de Sakamoto et défend son interprétation qui, selon lui, modernise la pop music japonaise. Il a raison puisque le succès est immédiat et le single bat tous les records de vente au Japon. (Vidéo : Kyû Sakamoto chante Elvis Presley en anglais en 1978).
Une tournée mondiale
L’année suivante, un producteur anglais de passage au Japon entend la chanson et décide de la ramener en occident. Convaincu que le titre imprononçable sera un frein à son succès, il la rebaptise « Sukiyaki » du nom d’un plat typiquement japonais qu’il vient de manger au restaurant. Ce titre n’a absolument aucun lien avec la chanson et montre le peu de considération du producteur pour l’artiste, mais c’est un mot qui sonne japonais tout en étant facile à retenir pour un anglais, et c’est bien là l’essentiel.
Diffusée à l’international en 1963, la chanson connaît un immense succès et se classe n°1 du Billboard Hot 100 aux États-Unis pendant 3 semaines. Avec 13 millions de copies écoulées, il s’agit d’un des singles les plus vendus de tous les temps. Surfant sur ce succès, Sakamoto se lance dans une tournée mondiale qui le mène en Europe et aux Etats-Unis, où il participe au célèbre Steve Allen Show. (Vidéo : Kyû Sakamoto au Steve Allen Show)
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Son image saine et ses performances scéniques conquièrent le cœur des adolescents qui l’accueillent en hurlant à chaque descente d’avion. D’une grande lucidité, Kyû Sakamoto a conscience qu’il a aussi un rôle politique à jouer car il représente son pays sur la scène internationale. Il est le symbole du Japonais inoffensif, toujours souriant, qui contribue à consolider le « mythe de la minorité modèle ». Le succès de Kyû Sakamoto annonce aussi le retour du Japon comme nation industrielle en plein essor sur la scène mondiale, et prépare l’arrivée des Jeux olympiques en 1964. (Vidéo : Kyû Sakamoto chante « Sayonara Sayonara » au Brésil en 1968)
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Le retour au pays
A son retour, Kyû Sakamoto continue sa carrière de chanteur parallèlement à une belle carrière d’acteur avec de nombreux tubes et quelques premiers rôles dans des films.
Kyû Sakamoto épouse l’actrice Yukiko Kashiwagi en 1971, qui lui donne deux filles, Maiko et la future chanteuse Hanako Oshima. Une fois mariée, Yukiko renonce à sa carrière et devient femme au foyer.
Voulant utiliser sa renommée pour venir en aide aux moins favorisés, Kyû Sakamoto a fait preuve de générosité tout au long de sa carrière. Il notamment organisé un concert destiné à amasser des fonds pour les Jeux paralympiques de Tokyo, qui manquaient cruellement de financement. Il s’investit ensuite tout particulièrement dans le soutien aux enfants handicapés, notamment aveugles ou malvoyants. En 1979, il sort « Soshite Omoide », la première chanson japonaise en langue des signes. Cette initiative n’est pas anodine, car jusque dans les années 90 les enfants sourds sont contraints de parler et il est interdit d’utiliser la langue des signes à l’école.
Un destin tragique
Mais le destin de Kyû Sakamoto s’arrête net le 12 août 1985. Il périt à 43 ans, dans la plus grande catastrophe aérienne de tous les temps, l’accident du Vol 123 de la Japan Airline qui fait 505 morts et dont les circonstances traumatisent durablement le pays.
L’accident est dû à une rupture en vol d’une cloison arrière de l’appareil qui avait été mal réparée suite à un précédent incident, où la queue avait touché la piste au cours d’un décollage. Pendant 30 minutes, les pilotes ont tout essayé pour contrôler la trajectoire de l’appareil avec la seule puissance des moteurs avant que l’avion ne s’écrase dans les montagnes. Durant ces interminables minutes, certains passagers conscients que l’accident était inévitable ont écrit des mots d’adieu à leur famille. Ces mots ont été découverts dans les décombres par les secouristes. Un de ces messages a été traduit et adapté par Allain Leprest dans sa chanson « D’Osaka à Tokyo« .
« Mon amour, je t’écris dans le Boeing en feu
Qui plonge vers la mer. Je ne reviendrai plus
D’Osaka à Tokyo, je suis devenu vieux
Ai-je fait sur la Terre ce qu’il aurait fallu?
Je prie pour qu’on retrouve ce dernier mot de moi
Sous cent tonnes d’acier au fond de l’océan
Devant, c’est la montagne, mon cœur sur la paroi
Se brisera bientôt. Embrasse les enfants«
Seules 5 personnes (assises sur la même rangée) ont miraculeusement survécu, mais on suppose que de nombreux passagers étaient encore en vie après l’impact. Ils succombèrent ensuite d’hypothermie faute d’avoir été secourus assez rapidement. Les responsabilités de ce drame furent nombreuses. Une polémique s’ensuivit, mettant en cause le manque de réactivité dans la réponse des autorités japonaises due à la bureaucratie présente entre le gouvernement et les militaires. Boeing fut aussi montré du doigt pour sa mauvaise réparation et la Japan Airlines accusée de défaut de maintenance. À tel point que le responsable de maintenance se suicida après cet événement et que le président de la compagnie aérienne démissionna.
Une gloire fulgurante et un destin brisé ont fait entrer Kyû Sakamoto dans la légende. Encore aujourd’hui ses chansons sont très connues au Japon, et sont des incontournables du répertoire des Karaokés. En 1993, un musée à sa mémoire a été inauguré à Hokkaido. On y trouve une immense collection de disques, de costumes de scène, de photos, de films. Depuis 35 ans, son célèbre tube « Sukiyaki » fait l’objet de multiples reprises dont un récent hommage par le groupe KISS lors de leur tournée à Tokyo en 2013 (cf. vidéo). Ce morceau a aussi été utilisé comme générique dans le long métrage d’animation La Colline aux coquelicots du Studio Ghibli, sorti en 2011.
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