[INTERVIEW] Le Prix Konishi Manga : quand traduction et traducteurs sont à l’honneur
Journal du Japon met régulièrement des traducteurs de mangas à l’honneur dans sa rubrique « Paroles de Trad' », mais nous ne sommes pas les seuls à nous y intéresser, loin de là. Le Prix Konishi, fondé avec l’Ambassade du Japon il y a 25 ans, tient cette année la quatrième édition de sa déclinaison manga, en récompensant une fois de plus un traducteur ou une traductrice pour son travail sur une BD japonaise, en cours de publication en France.
Il était donc logique que nous finissions par les rencontrer, pour vous en dire plus sur le prix, via l’interview de son coordinateur Frederic Toutlemonde, mais aussi sur les traducteurs et la traduction de manga en France, un sujet qui nous passionne évidemment tous !
Le Prix Konishi Manga : genèse et fonctionnement
Journal du Japon : Bonjour et merci pour votre temps. Pour commencer, revenons sur la création de ce prix : comment est-il né et quel en était l’objectif ?
Frederic Toutlemonde : La Fondation Konishi pour les Échanges Internationaux organise depuis plus de 25 ans le Prix franco-japonais pour la traduction littéraire. Soutenir la traduction comme vecteur d’échange et d’ouverture culturelle entre la France et le Japon est donc une action centrale pour la Fondation Konishi depuis sa création. La montée en puissance du manga en France ces 20 dernières années a amené la Fondation Konishi et l’Ambassade du Japon en France à engager une réflexion sur comment soutenir et valoriser le travail formidable des traducteurs et traductrices spécialisés dans le manga. L’Ambassade du Japon en France souhaitait par ailleurs contribuer plus activement à améliorer l’image du Japon en France par des mangas de qualité. Cette réflexion a débouché sur la création de ce prix propre à la traduction du manga japonais en français. Suite à cette réflexion, la Fondation Konishi a décidé de la création d’un nouveau prix propre à la traduction du manga japonais en français.
D’une manière générale, les prix littéraires ont tous plus ou moins un public cible. On se doute que le prix Konishi concerne l’univers du manga en France et qu’il intéresse forcément les professionnels du milieu, éditeurs comme traducteurs… mais quel public visez-vous, vous ? Pour le moment, quel écho avez-vous auprès du lectorat manga ?
Ce prix ne vise pas un public en particulier. Nous espérons qu’il puisse être un indicateur intéressant tant pour le lecteur de mangas, dans ses choix de lectures, que pour les professionnels de l’édition, de plus en plus attentifs à la qualité de la traduction. Bien qu’encore modeste, la notoriété du prix progresse d’édition en édition. Cela reste un prix axé sur un aspect assez technique du manga, il n’a donc pas forcement le même potentiel en terme de popularité, comparé à un prix récompensant globalement une œuvre. Mais ce prix va définitivement dans une valorisation qualitative du manga, point très important pour la Fondation Konishi comme pour l’Ambassade du Japon en France, et cette démarche peut avoir non seulement une certaine audience auprès des lecteurs mais surtout une réelle utilité pour choisir un bon titre parmi une offre pléthorique.
Cette année nous sommes actuellement dans la préparation de la 4e édition. Concrètement comment ce prix fonctionne t-il ? Quelles en sont les étapes et les titres concernés chaque année ?
Ce prix fonctionne en deux étapes : nous établissons d’abord une liste de 10 titres nommés pour le Grand Prix grâce à un Premier Jury composé d’une vingtaine de grands lecteurs, journalistes spécialisés ou libraires. Chaque membre de ce Premier Jury nous fait remonter une sélection de titres en cours de publication ou ayant été publiés dans l’année avec comme critère principal la qualité des textes (confort de lecture, choix d’un vocabulaire approprié aux personnages et aux situations). La qualité de l‘œuvre en soi est aussi pris en compte à ce stade. Un Grand Jury, composé de 5 membres japonisants avec une spécialisation dans l’étude du manga, étudie ensuite ces 10 titres dans les deux langues, puis les membres débattent de l’attribution du Grand Prix.
Est-ce qu’il existe d’autres prix équivalents à l’étranger ?
Je ne connais qu’un concours de traduction de manga en anglais organisé par les autorités japonaises et quelques éditeurs japonais. Mais de ce que j’ai compris, ce concours ne concerne pas les œuvres publiées en langue étrangère, elle récompense juste un chapitre de manga mis à disposition par un mangaka pour les traducteurs candidats à ce concours. C’est donc quelque chose de très différent et de nettement moins académique que le Prix de la Fondation Konishi.
Avec l’expérience des précédentes éditions, quels sont finalement les critères clés du Grand Jury dans le choix de leurs traductions favories ?
En comparant les versions françaises et japonaises, le Grand Jury se penche vraiment sur les choix de traduction d’une part, et l’évaluation des problématiques et difficultés propres à l’œuvre traduite. Car il faut reconnaître que toutes les œuvres ne sont pas égales sur ce point. Il y a bien évidemment des œuvres plus ou moins chargées en texte, bien écrites ou non, techniques ou jargonnantes. Il s’agit donc aussi de faire la part des choses sur ce qui fonctionne bien ou mal dans la version finale en français : est-ce de la faute de la traduction ou de l’œuvre en soi ? Oui les membres du Grand Jury ont du pain sur la planche, et les échanges qui découlent de leurs lectures dans les deux langues peuvent être rapidement très techniques et passionnés.
La traduction de mangas en France
Est-ce que, selon vous, les mangas en France sont bien traduits, dans l’absolu et par rapport aux autres pays ? Est-ce que cette qualité de traduction a évolué ces dernières années ?
Oui sans hésitation ! Et je dirais de mieux en mieux. Alors bien sûr, il y a et aura toujours des lecteurs exigeants, à l’affût de la moindre erreur, qui ne partagent pas mon avis, mais je crois que la traduction officielle du manga en France est désormais hautement qualifiée, avec énormément de moyens humains tant du côté du nombre de traducteurs et traductrices, que des moyens éditoriaux qui entourent et encadrent aujourd’hui la traduction du manga. Les méthodes de travail varient bien sûr selon les éditeurs de mangas, mais il me semble que dans l’ensemble, les grandes maisons d’édition de mangas en France investissent beaucoup d’effort dans la mise en place, le suivi et la vérification de leurs traductions. Je n’ai pas l’impression que la traduction de mangas jouisse d’autant d’attention chez nos voisins européens.
Est-ce que vous trouvez que le traducteur et la traduction de mangas manquent de reconnaissance du côté des éditeurs comme du public ? D’ailleurs, le traducteur de mangas a-t-il la même reconnaissance que le traducteur littéraire standard ?
La qualité de la traduction en français ayant une importance considérable dans le plaisir de lecture, personnellement je trouve normal que la traductrice, le traducteur jouisse d’une certaine visibilité dans les mangas. Je ne saurai dire si la forme doit être similaire à celle des traductions littéraires, mais je trouve anormal et regrettable que les informations sur la traduction d’un titre manga soient parfois si difficiles à trouver dans la page de crédits, ou dans les descriptifs techniques de l’œuvre fournis par l’éditeur.
Espérons que cette interview contribue à les mettre en lumière alors… Et justement terminons cette interview en parlant des traducteurs !
Coup de projecteur sur les traducteurs
Sur le prix lui-même : vous avez choisi que chaque lauréat ne puisse pas être re-cité dans les éditions suivantes. Pour quelles raisons ? Au bout d’un moment, cela ne risque-t-il pas d’appauvrir le prix, si tous les traducteurs les plus talentueux ont déjà été cités ?
Le choix d’écarter de la sélection les œuvres des lauréats précédents n’est pas propre au Prix Konishi manga, il fait foi aussi pour le prix Konishi franco-japonais de la traduction littéraire. La raison principale est évidente : promouvoir l’émergence des jeunes traductrices et traducteurs pour que ce milieu reste dynamique et attractif. Je ne connais pas bien la situation de la traduction littéraire aujourd’hui, mais pour ce qui est du manga, personnellement je n’ai aucune crainte d’appauvrissement du prix, tant le nombre de traductrices et traducteurs talentueux est important. Les facultés de japonais qui forment l’écrasante majorité des traductrices et traducteurs professionnels de mangas n’ont jamais été aussi pleines. Tout laisse donc à penser que la qualité des traductions en compétition dans les prochaines éditions restera tout aussi élevée que celle des premières éditions. Cette question est toutefois légitime tant les 3 premiers lauréats continuent à proposer des traductions remarquables et remarquées, ce qui est tout à leur honneur !
Parmi les trois précédents lauréats, est-ce qu’il y a des points communs qui ressortent, que ce soit dans leur profil ou dans leur façon de travailler ?
Pour les points communs, je pense qu’il y a d’abord la formation linguistique en faculté de japonais et déjà beaucoup d’années à ne vivre que de la traduction de mangas ; près de 20 ans pour Thibaud Desbief je crois. J’ai l’impression que confrontés à une œuvre nouvelle, leur choix de traduction repose énormément sur cette très longue expérience, une méthodologie artisanale propre à chacun, très loin d’une approche un peu empirique de la traduction que l’on peut avoir quand on fait ses premières armes.
Quant à leur profil, je dirais qu’ils sont professionnels et passionnés.
Avez-vous eu des retours de ces derniers sur ce que le prix Konishi leur a apporté ?
Je crois que le prix leur a apporté un tout petit peu de lumière sur leur travail, leur implication dans le choix des œuvres traduites. Thibaud Desbief a par exemple fait l’objet récemment d’une belle interview dans Télérema suite au Grand Prix de 2019, ce qui n’est pas désagréable. Nous espérons surtout que ce prix leur a apporté du réconfort et de la motivation pour continuer à s’investir autant dans la traduction de mangas. Se retrouver seul face à sa traduction n’est pas évident au quotidien.
D’ailleurs, quand et comment sont-ils mis au courant qu’ils sont nominés ou vainqueurs ?
Nous annonçons les nominations sur le site internet du Prix Konishi Manga en général mi-novembre.
NDLR – les nominations 2021 sont d’ailleurs tombées il y a peu, jugez plutôt :
L’annonce publique du Grand Prix se fait au Festival de la bande dessinée d’Angoulême fin janvier, jusque là sur la scène de la bulle manga, le MangaCity. Cette année, le Festival d’Angoulême est obligé de s’adapter à la crise sanitaire en modifiant son édition 2021 par une édition virtuelle fin janvier 2021 et une édition physique au printemps.
L’annonce du Grand Prix devrait donc se faire durant l’édition virtuelle de fin janvier, sur un format à l’étude actuellement.
On suivra cela avec attention. Encore merci pour votre temps !
Rendez-vous donc fin janvier pour connaître la lauréat 2021 du Prix Konishi Manga. D’ici là, pour en savoir plus sur les titres nominés, nous vous conseillons de vous rendre sur le site internet du Prix qui présente les 10 mangas sélectionnés (avec résumé, avis du premier jury et du traducteur). Vous pouvez aussi suivre l’actualité du prix via leur compte Twitter ou leur page Facebook. Enfin, découvrez notre rubrique Paroles de Trad qui met à l’honneur le métier de traducteur !