Asagao, l’éclosion d’une saga poétique et fantastique dans le Japon féodal de Kamakura

S’il y a de plus en plus de romans dans la littérature française qui se déroulent au Japon, nombreuses sont les intrigues dans l’époque d’Edo ou le Sengoku Jidai, « l’ère des provinces en guerre »… Avec Asagao, Eloi Larchevêque nous livre une saga fantastique et poétique dans le Japon féodal non pas en guerre mais dans un archipel pacifié sous la bannières du premier shōgun Minamoto no Yoritomo. Le personnage principal n’est pas le Généralissime mais bien sa femme, Masako HŌJŌ qui deviendra la « Nonne Shōgun » (ama shōgun). Sa vie est exceptionnelle : dans toute l’histoire japonaise, elle est la seule femme à avoir accédé au pouvoir suprême sans être impératrice !

Cela méritait bien une saga sur cette femme déterminée au destin remarquable et tragique à la fois avec en prime l’interview de l’auteur avec qui nous avons pu aborder sa passion du Japon, les raisons qui l’ont poussé à écrire sur l’époque de Kamakura et faire de Masako l’héroïne de sa trilogie ainsi que ses sources d’inspirations pour mêler faits historiques et éléments fantastiques.

Une Asagao

©Éditions Centon

Un mal mystérieux qui frappe Masako et la quête d’un remède miracle

Asagao, c’est l’histoire de Masako Hōjō, de son mari Yoritomo Minamoto dont l’amour est sincère (rare à cette époque où les mariages sont arrangés et servent aux alliances entre clans de la caste guerrière et la noblesse de cour) et le père Tokimasa Hōjō prêt à tout pour trouver le remède miracle à la mystérieuse maladie qui touche sa fille.

« Yoritomo observa son épouse avec admiration et tristesse. Cela faisait maintenant huit ans qu’il avait épousé la fille de Tokimasa Hojo, par amour, et non par raison comme aurait dû le faire un homme de son rang. Elle lui avait rapidement donné deux enfants. […] Mais un mal mystérieux affaiblissait progressivement son corps depuis maintenant deux ans. » (Chapitre 2, page 28)

« – Je voulais vous demander… Croyez-vous à ces histoires de karma, de maladies provoquées par des choses mauvaises que nous aurions faites ?

– Eh bien, c’est ce que le Bouddha nous enseigne. Dans cette vie ou une autre. […] Vous… Vous vous reprochez quelque chose ?

– Oh, non. Mais cette maladie qui m’alite me donne tout le temps de réfléchir, et de me poser des questions plus ou moins brillantes…

Yoritomo lui sourit et la salua en s’inclinant.

– Reposez-vous bien ma douce fleur, je retourne auprès de mes conseillers. » (Chapitre 2, pages 30 et 31)

Estampe de Utagawa Kunisada représentant Tokimasa Hôjô en train de rêver de la déese Benzaiten

Estampe de Utagawa Kunisada vers 1830 représentant Tokimasa Hōjō en train de rêver de la déesse Benzaiten

Derrière le mal qui ronge la jeune femme, il est bien question de karma et de punition pour les crimes commis au nom de son clan et par son mari pour devenir l’homme le plus puissant de l’archipel avec son « gouvernement sous la tente » (bakufu c’est-à-dire un gouvernement militaire) basé à Kamakura. Tokimasa Hōjō qui a aidé son gendre pour prendre le pouvoir et éradiquer le clan des Taira décide ainsi de partir en pèlerinage sur l’île d’Enoshima afin de prier pour le salut de sa fille.

« Chaque année, les villageois se rendaient ici pour honorer Gozu-Ryu, et surtout sa femme Benzaiten, la déesse de la chance, de la prospérité et de la musique. La tradition voulait qu’elle ait épousé le féroce dragon [Gozu-Ryu] par compassion, afin qu’il ne soit plus malheureux et ne dévore plus les navigateurs d’Enoshima pour apaiser sa colère. Le petit temple avait été érigé au centre de l’île, afin d’honorer le divin couple et pour immortaliser le sacrifice de Benzaiten. » (Chapitre 3, page 33)

Par amour pour sa fille, le gouverneur de Kyoto, entre vision cauchemardesque et hallucination résultant de son jeûne pour se montrer pur devant les dieux, fait face à son terrible passé… Pour la sauver, il devra conclure un nouveau pacte. L’âme de Masako sera-t-elle pure pour recevoir le cadeau de la déesse Benzaiten ?

Yoshitsune et Benkei attaqués par les esprits des guerriers Taira Estampe de Utagawa Kuniyoshi

Estampe de Utagawa Kuniyoshi représentant Yoshitsune et Benkei attaqués par les esprits des guerriers Taira

« Il se pencha, plissa les yeux, et reconnut enfin une multitude de crabes qui se dirigeaient vers lui. Leur corps était traîné par quatre longues pattes maladroites, et leur dos présentait un visage humain grimaçant. Sa surprise se mua en stupeur lorsque le fourmillement de leurs milliers de pattes se transforma en une voix métallique et bourdonnante « Hojooo… Hojoooo… Hojo »? Et après un court silence, comme un coup de tonnerre :

– Traître ! Traître Hojooo ! Meurs !

Blanc comme un linceul, Tokimasa se jeta dans le temple, et leur cria depuis l’entrée :

– Mais qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas ! Allez-vous-en ! Retournez à la mer, Yōkai !

Un crabe énorme sortit de la pièce d’eau et s’approcha du temple. Il remua ses petites pattes, et s’exprima avec cette étrange voix métallique :

– Je suis Tatsugashira. Nous avons dévoré tant de corps ce jour-là. Ce fut un vrai festin. Un festin royal. Vous nous avez offert tout un clan en pâture, ainsi qu’un jeune empereur vierge de toute corruption. Les Taïra nous hantent, Hojo. Nous sommes maudits par ce repas. Tant de bateaux ont coulé ce jour sanglant, Hojo. Tant de traîtrise, tant de malheur, tant de pleurs, Hojo, tant de pactes rompus… […] Hojo, tu nous as trahis ! Tu avais prêté allégeance, tu es maudit, comme nous sommes maudits ! (Chapitre 3, pages 35 et 36)

Du fantastique et des références historiques

Les crabes Heikeopsis japonica et la fin tragique des Taira

Heikegani (Heikeopsis japonica)

Heikegani (Heikeopsis japonica) (RD 77 pour Wikimedia Commons)

Au Japon, il y a une espèce de crabe, les heikegani (Heikeopsis japonica), qui a la particularité d’avoir une carapace dont le motif ressemble à un visage humain. Les Japonais aiment à penser que ces crustacés sont la réincarnation des guerriers Taira morts en 1185 lors de la bataille de Dan-no-Ura dont l’épopée du clan est racontée dans le Dit des Heike (Heike monogatari où Heike est la lecture chinoise du nom de clan des Taira).

L’auteur fait d’une pierre deux coups avec cette croyance populaire en ajoutant de l’horreur au récit mais aussi une explication à la chute des Minamoto dont la lignée s’éteindra rapidement après la bataille navale de 1185. Si le bakufu de Kamakura survivra bien à la mort de Yoritomo, seuls ses deux fils, Yoriie puis Sanetomo, lui succéderont. Comment expliquer cette tragédie ? Le choix de Éloi Larchevêque d’une malédiction et d’un nouveau pacte est assez habile.

Retrouvez notre article de l’épopée japonaise sur l’époque de Heian et la montée des clans guerriers dans notre épisode 3 : « Heian, une paix provisoire ». Dans l’épisode 6 de la série Bushi no Jidaï que nous vous recommandons de regarder, Maître Jean-Jacques consacre une vidéo intéressante à Minamoto no Yoshitsune, le héros de la guerre de Genpei.

Les 3 écailles de dragon et le motif du clan des Hōjō

Mitsu uroko, insigne héraldique des Hōjō ©2006 Petr Sládek alias slady (Wikimedia Commons)

Mitsu uroko, insigne héraldique des Hōjō ©2006 Petr Sládek alias slady (Wikimedia Commons)

Non, il ne s’agit pas de la Triforce du jeu vidéo The Legend of Zelda mais bel et bien du kamon (insigne héraldique) aux « trois écailles » du clan des Hōjō appelé Mitsu uroko. Dans la saga culte de Nintendo, une aventure sans fin, la relique au triangle d’or représente le symbole des trois déesses d’or d’Hyrule et les 3 qualités élémentaires du guerrier : la force (ou le pouvoir), la sagesse et le courage. Eloi Larchevêque profite de la rencontre de Tokimasa Hōjō et de la légende du dragon de l’île d’Enoshima pour retranscrire les origines légendaires de la bannière du clan, à savoir les 3 écailles de dragon qu’il aurait ramassé au sol après l’apparition de la déesse Benzaiten et de son époux monstrueux :

« Des reflets de lumière bleue s’échappaient d’entre des pierres [de la grotte que l’on peut visiter]. Il crut d’abord qu’il s’agissait de pierres précieuses, mais en se rapprochant, il comprit que ce devait être lié à la présence du dragon. […] Il ramassa l’un des objets à l’origine de ces reflets. Il ressemblait à un morceau de verre triangulaire, dont les bords irréguliers se décollaient en feuillets mous. […] Le second objet était identique. Tokimasa supposa qu’il tenait entre les mains deux écailles de Gozu-Ryu. Il chercha quelques minutes, mais ne trouva qu’une seule autre écaille. […] Il glissa les trois reliques dans le pli de sa ceinture. » (Chapitre 8, page 68)

Estampe de Utagawa Hiroshige représentant le pélerinage dans la grotte du sanctuaire de Benzaiten sur l'île d'Enoshima

Estampe (vers 1850) de Utagawa Hiroshige représentant le pélerinage dans la grotte du sanctuaire de Benzaiten sur l’île d’Enoshima

Le conte populaire de la fille de la lune revisitée

Le Conte de la princesse Kaguya

Le Conte de la princesse Kaguya de Isao TAKAHATA ©Studio Ghibli

La guerre des Taira et des Minamoto est reléguée à l’arrière plan laissant la part belle à l’histoire fantastique de Masako. On ressent toute la sensibilité de l’auteur dans des descriptions de la nature pleines de poésie. Les fleurs s’invitent tout au long du récit et des saisons qui passent : « la floraison de l’abricotier mume dont les fleurs percent la neige et annoncent la fin imminente des privations hivernales » (page 118) ; les érables et ginkgos pour la chasse aux feuilles rouges (momijigari) ; la fleur de lotus, symbole de pureté dans le bouddhisme ; les glycines… Mais aussi l’astre lunaire et la faune, comme le lapin (très lié à la Lune dans l’Asie de l’est), les grenouilles, les lucioles et les cigales qui ont tant inspiré les poètes japonais dans leurs haïkus.

L’auteur réutilise le fameux conte de la fille de la lune, grand classique de la littérature japonaise du 10e siècle, qui a donné lieu à un film d’animation Le Conte de la princesse Kaguya par le regretté Isao Takahata du studio Ghibli. Si Momotarō est un enfant né dans une pêche, dans Le Conte du coupeur de bambou, la princesse Kaguya qui dit venir de « la capitale de la Lune » est découverte bébé dans une tige de bambou par un vieil homme sans enfant. Dans Asagao, Éloi Larchevêque se réapproprie la mystérieuse naissance de la fille de la lune en la faisant naître dans une courge-bouteille appelée aussi « belle-de-nuit » ou fleur de lune.

« Lorsque la lune se dévoila à nouveau, un unique pied de courge-bouteille en fleurs couvrait la totalité de la pergola. La glycine n’apparaissait plus que sur un plan latéral. Sa partie horizontale s’effaçait sous le majestueux feuillage de la courge, qui exhibait un foisonnement irréel de fleurs blanches. […] Superbe, la plante n’avait jamais tant mérité son surnom de belle-de-nuit. Sous le feuillage de la courge et de la glycine, une unique calebasse pendait au milieu des gousses velues. […] Durant cet instant unique,la silhouette d’un bébé suçant son pouce se dessina contre la paroi de la calebasse. » (Chapitre 12, pages 92 et 93).

Yugao de la série Cinquante-quatre chapitres du Dit du Genji de Utagawa Hiroshige

Yugao de la série « Cinquante-quatre chapitres du Dit du Genji » de Utagawa Hiroshige en 1852 – Clarence Buckingham Collection (The Art Institute of Chicago)

 

Interview d’Eloi Larchevêque pour Asagao – Tome 1 : Éclosion

Journal du Japon : Bonjour Éloi et merci de nous consacrer du temps. Dans votre présentation d’auteur, il est précisé que vous faites partie de la génération « Club Dorothée ». Quelles œuvres vous ont marqué ou vous inspirent encore aujourd’hui pour l’écriture ?

Eloi Larchevêque

Eloi Larchevêque – Photo de l’éditeur ©Éditions Centon

Éloi Larchevêque : Je dirais que chaque âge a sa sensibilité, et que l’acquisition de la maturité en quittant l’enfance voit une lente progression des goûts, qui s’appuient toutefois sur les acquis. Néanmoins, Ulysse 31, Albator et Les Mystérieuses Citées d’or demeurent mes madeleines de Proust préférées. Nous y trouvons dans tous trois une figure paternelle forte et une quête du foyer. J’avoue avoir aussi un faible pour l’humour absurde que l’on retrouve dans Lamu ou Le collège Foufoufou, proche du non-sens des Monthy Python je trouve. Plus récemment, Hitoshi MATSUMOTO a su porter à l’écran une œuvre qui je trouve transcende l’absurde avec Symbol. Sans ces dessins animés de mon enfance, je ne pense pas que j’aurais eu accès à cette approche mystique, voire gnostique, de Symbol. Ken le survivant, dont je n’étais pas spécialement fan, s’avérait être une série très marquante par sa violence morale et physique, où le héros ne faisait aucune concession pour atteindre son but.

Jeune adulte, je suis tombé amoureux de l’œuvre de Hayao MIYAZAKI : son respect de la nature, sa précision graphique, l’animisme prégnant qui nous ramène à notre enfance où tout était possible. Ces possibilités infinies prennent corps sous leur aspect malfaisant dans l’œuvre de Lovecraft qui a également bercé mon adolescence. Cet auteur a posé les bases de l’horreur moderne, en conciliant sciences et créatures fantastiques, tout en rappelant que face à une situation effrayante, un écrivain devait parfois privilégier l’imagination du lecteur à une description horrifique limitée par le vocabulaire employé. Le mangaka Junji ITŌ est selon moi l’héritier d’H.P. Lovecraft. Même si le support graphique fige la situation horrifique présentée, il arrive à corrompre si profondément le contexte anodin du quotidien que nous sentons que le mal peut sommeiller en toutes choses.

Génération Club Dorothée

Génération Club Dorothée ©1987-1996 AB Droits Audiovisuels

Quel a été le cheminement de l’enfant devant sa télévision qui découvre les dessins animés japonais à l’auteur qui s’intéresse aujourd’hui au folklore traditionnel et à l’histoire nipponne ?

Beaucoup de dessins animés japonais de mon enfance illustraient des récits occidentaux (Sherlock Holmes, Tom Sawyer, Princesse Sarah, Rémi, etc) ou prenaient cadre dans des dystopies, du médiéval fantastique ou des fictions futuristes. Au final, il y a peu de représentations fidèles du quotidien japonais. Toutefois, si l’on se tourne vers les comédies qui ont pour cadre les lycées, ou les romances contemporaines, nous commençons à toucher du doigt l’organisation scolaire, les traditions et la vie de famille. La mangaka Rumiko TAKAHASHI avec Juliette je t’aime (Maison Ikkoku) et Lamu m’a donné des clés de lecture, en explicitant les situations et les personnages récurrents qui pouvaient apparaître inopinément dans d’autres dessins animés. En compagnie de la veuve Juliette de Maison Ikkoku, nous abordons les rites funéraires, le culte des ancêtres et la notion de réincarnation. Les yōkai, kami et prêtres shintō et bouddhistes sont présents dans Lamu, mais je ne comprenais pas vraiment cet univers. Et je n’ai jamais aimé ne pas comprendre ! Du coup, j’ai cherché qui étaient ces personnages récurrents, que signifiaient les sanctuaires ou les petites statues de jizō, etc. La découverte de ces croyances et de leur histoire s’est avérée tout à fait intéressante. Cela permet de mieux comprendre ce qui est mis en récit, mais surtout cela permet de mieux appréhender la culture de l’auteur et le contexte du propos. La culture nipponne ne repose pas sur les valeurs chrétiennes et occidentales qui nous sont si familières, mais est le fruit d’un syncrétisme shinto-bouddhiste tinté de confucianisme et taoïsme [Plus de détails sur notre article « Shintô : sur la Voie du Culte »]. Nous sortons donc des sentiers battus : le héros peut mourir à la fin ; les enfants ne sont pas intouchables ; la parole donnée a de la valeur ; la nature est respectée, etc.

[Pour en savoir plus sur Rumiko Takahashi, ci-dessus l’interview réalisé par et pour le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême]

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’écrire votre premier roman sur le shogunat de Kamakura (1192-1333) ?

La mise en place du premier shogunat demeure le cadre de mon récit. Mais ce n’est pas le sujet principal. C’est la biographie singulière de Masako Hōjō, l’épouse du premier shogun, qui m’a motivé à approfondir ma connaissance de cette période. Cette femme surnommée parfois « la nonne shogun » a eu un impact majeur sur le maintien de la cohésion des provinces unifiées par son époux, quitte à sacrifier l’un de ses fils et à éroder les anciens temples bouddhistes en légitimant la réforme Zen. Femme de fer, enfants de pouvoir manipulés, morts étranges, mutations religieuses et politiques : voilà un terreau stimulant pour un récit.

Pour écrire Asagao – Éclosion, vous vous êtes inspiré du Dit des Heike, l’un des grands classiques de la littérature japonaise médiévale. D’où est venue l’idée d’adapter cette épopée japonaise ? 

Je n’ai pas l’orgueil de proposer une adaptation de cette épopée colossale ! J’en délivre juste une petite tranche, autour de Yoritomo Minamoto et surtout Masako Hōjō. Afin d’éclairer le lecteur, j’ai recours à quelques souvenirs des batailles qui ont précédé, comme celle de Dan-no-Ura où a péri l’enfant empereur [NDLR : Antoku est alors âgé de six ans]. Les personnages que je mets en scène ont connu ces faits de guerre. Bien que la situation soit apaisée, quelques perfidies demeurent et des soubresauts armés sont encore en action, comme la poursuite de Yoshitsune Minamoto [NDLR : demi-frère de Yoritomo Minamoto].

Dans la bibliographie, en plus du Dit des Heike, on retrouve des livres sur le bouddhisme, la cour et le bakufu à l’époque de Kamakura mais aussi d’autres récits comme le Dit de Genji. Est-ce l’un de ces livres qui vous a donné envie d’écrire votre roman mêlant histoire japonaise et fantastique ? 

Le cadre de mon récit est relativement méconnu en France. Nous sommes surtout habitués à l’époque d’Edo (1603–1868) voire à son phantasme et les clichés qui l’accompagnent. Ici, il a fallu sortir de ces clichés et chercher de nombreux documents abordant cette époque. Il est d’ailleurs difficile de trouver des éléments relatifs à la vie quotidienne (comment se soignait-on ? Comment dormait-on ? Quelle était la façon de monter à cheval ?…). En investiguant, on se rend compte que le Dit du Heike et le Dit du Genji ont eux-mêmes été des sources d’inspiration « libres » pour les artistes japonais des ères successives. Ainsi, il est possible de trouver des estampes représentant Tokimasa Hōjō rencontrant le dragon d’Enoshima et la déesse Benzaïten et de découvrir des spectacles de danse ou de Nō abordant l’amour de Yoshitsune et sa maîtresse Shizuka, etc. Avec le temps, le merveilleux s’est entremêlé avec le récit historique. Paradoxalement, j’ai cherché à être fidèle avec les faits historiques, les us et coutumes, tout en accordant une place significative aux faits mythologiques tels que rapportés dans les œuvres successives et le folklore. Néanmoins, n’oublions pas que même les deux « Dits » comportent quelques passages qui relèvent du merveilleux. Ma seule liberté a été de donner une explication surnaturelle à l’ambition jusqu’au-boutiste de Masako.

Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu éditions Diane de Selliers

Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu éditions Diane de Selliers traduit par René Sieffert ©Éditions Diane de Selliers

Pour quelles raisons avez-vous voulu recentrer l’histoire sur Masako, plutôt que sur le conflit entre les clans Taira et Minamoto ? 

Estampe de Tsukioka Yoshitoshi (19e siècle) représentant Tomoe Gozen

Estampe de Tsukioka Yoshitoshi (au 19e siècle) représentant Tomoe Gozen

Il existe déjà de nombreux récits de guerre. Et comme je l’ai évoqué précédemment, je n’avais pas l’ambition d’adapter le Dit des Heike. Masako, par le simple fait d’être une femme, sort du paysage guerrier et masculin de l’époque. D’autres femmes se sont illustrées par faits de guerre, comme Tomoe Gozen, mais pas pour leur poids politique comme Masako. À travers Masako, il y a loisir à présenter : l’arrivée du Zen au Japon, l’organisation sociale des clans aux palais, certaines cérémonies, les luttes de pouvoir dissimulées, etc. Par goût personnel, cette vie du noble et du citoyen m’attire davantage que les conflits guerriers, finalement plus simples. Néanmoins, je dois également évoquer ces derniers !

Vous êtes-vous inspiré de voyage au Japon (Enoshima, Kyoto, Kamakura notamment) pour décrire au mieux les lieux ?

Je n’ai malheureusement pas eu loisir à voyager au Japon. J’ai toutefois consulté beaucoup de livres et blogs très illustrés. J’ai aussi virtuellement parcouru quelques rues grâce à Google Street View, afin de me rendre compte des reliefs et des vues. Entre les conflits, les séismes et les incendies accidentels, il reste assez peu de vestiges architecturaux d’époque. Les estampes sont intéressantes, mais à prendre avec des pincettes : les représentations des personnages de l’ère Kamakura sont parfois vêtus ou armés selon les connaissances contemporaines de leurs auteurs.

Éclosion est le titre du premier tome de la série Asagao. S’agit-il d’une trilogie ou bien le nombre de parties n’a pas encore été décidé ?

En effet, il s’agit d’une trilogie. C’est le nombre de tomes que je me suis fixé pour couvrir la vie de Masako Hōjō. Le premier tome met en place la situation. Le deuxième abordera la mort de Yoshitsune et de Yoritomo. Et enfin, le dernier tome évoquera la mort des deux fils de Masako, la fin de la lignée Minamoto.

Le 2e tome est-il écrit ? Si oui, une idée de la date de sortie dans les librairies ?

Il est en cours d’écriture et j’aimerais le terminer l’année prochaine.

Merci Éloi, et vivement la sortie de ce deuxième tome !

 


Asagao 1er tome

Asagao – Éclosion, le premier tome de la saga de Éloi Larchevêque ©Éditions Centon

Dans son premier tome Éclosion de la trilogie Asagao, Éloi Larchevêque réussit à lier des parties de la vie de Masako Hōjō à des éléments fantastiques en s’imprégnant et réutilisant des histoires du folklore riche japonais. L’auteur, dont on devine la sensibilité, livre au lecteur une histoire poétique touchante d’un père prêt à tout pour trouver le remède miracle au mal mystérieux qui frappe sa fille. L’âme de Masako sera-t-elle pure pour recevoir le cadeau de la déesse Benzaiten ?

Sans réécrire sur l’épopée des Minamoto et des Taira, le récit se concentre sur la vie de la seule femme à avoir accédé au pouvoir suprême sans être impératrice dans toute l’histoire japonaise ! Un grand travail de recherche sur l’époque de Kamakura a été effectué pour distiller tout au long du livre des renseignements et des descriptions sur la vie à cette époque.

Le premier tome est déjà disponible chez votre libraire préféré ou bien en ligne, notamment dans la boutique des éditions Centon. Le deuxième tome sur la mort de Yoshitsune et de Yoritomo devrait arriver l’année prochaine.

David Maingot

Responsable Culture à JDJ et passionné de la culture et de l'histoire du Japon, je rédige des articles en lien avec ces thèmes principalement.

1 réponse

  1. 21 décembre 2020

    […] nous vous avions présenté Asagao – Éclosion, une nouvelle trilogie poétique et fantastique aux éditions Centon offrant une immersion dans le […]

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