Voyagez au Japon, du pixel au réel : le Seichi Junrei de Gaël Berton
Difficile par les temps qui courent de se projeter dans un possible voyage, quel qu’il soit… On peut toujours s’asseoir confortablement et découvrir de nouveaux paysages devant un film, une série télévisée, ou encore devant un bon jeu vidéo.
Pourtant, à l’aide de son livre Voyagez au Japon, du pixel au réel, édité chez Third Editions, Gaël Berton, fondateur du site Kanpai a réussi le pari incroyable de nous faire voir du pays sans nous faire bouger de notre canapé. Et même de nous montrer qu’il est possible de visiter le Japon à travers plusieurs jeux vidéos différents.
Retour donc sur cette œuvre, avec l’interview d’un passionné.
Mieux que la VR
Voyagez au Japon, du pixel au réel fait partie de la catégorie beaux livres. Il faut dire qu’avoir des illustrations dans un ouvrage de chez Third Editions est chose assez rare pour être notée et qu’ils font ça bien ! Le livre est divisé en trois parties :
– une introduction au Japon pour mettre en contexte le pays dans sa globalité. Combien cela peut coûter d’y partir ? Quelle serait la meilleure période ? Quelques mots à connaître en japonais, etc.
– la deuxième partie présente une vingtaine de jeux vidéo, classés par ordre alphabétique, qui ont un rapport évident avec le Japon (Resident Evil, Persona,…) et nous conseille des lieux à visiter en lien avec ces jeux (avec l’exacte station de train, de métro, de bus à laquelle il faut s’arrêter pour s’y rendre).
– la troisième partie est sans doute la plus passionnante. Tout en gardant le thème du jeu vidéo, Gaël Berton nous présente divers aspects culturels de la société japonaise que l’on retrouve également très souvent dans l’univers vidéoludique. Par exemple, le système judiciaire japonais et la façon dont il est (plus ou moins bien) représenté à travers les jeux Phoenix Wright: Ace Attorney ou Judgment.
L’originalité de ce livre réside dans le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une encyclopédie du jeu vidéo japonais mais également d’un guide touristique rempli de conseils autant sur le plan financier que culturel… mais pour les passionnés de jeux vidéos ! Il existe déjà le Seichi Junrei, terme qui évoque le « pèlerinage des fans d’animés », qui peuvent découvrir des décors vus dans leurs séries préférée. Les gamers ont désormais leur propre pèlerinage grâce à ce guide !
Il ne s’agit pas de dépeindre le Japon comme un paradis où il fait bon vivre, mais bien d’un ouvrage écrit par un passionné qui souhaite partager ses voyages au pays du soleil levant et qui nous propose de faire de même, d’abord en lisant son livre, dont le format est particulièrement adapté pour apprécier la beauté des photos, et, peut-être plus tard, en l’utilisant comme guide touristique.
En bref, une jolie promenade !
Interview de Gaël Berton.
Journal du Japon: Bonjour Gaël et merci pour ton temps. Tout d’abord, peux-tu nous dire quel est ton premier souvenir en rapport avec le Japon, ce qui t’a fait aimer ce pays, cette culture ?
Gaël Berton: Au tout début des années 1990, j’ai commencé à comprendre que les jeux vidéo provenaient (à l’époque presque exclusivement) du Japon. Cela s’est accéléré avec la presse spécialisée comme Player One, Consoles+ ou Joypad en découvrant que, grâce à l’import, les pigistes jouaient aux nouveaux jeux et découvraient les consoles de prochaine génération souvent plusieurs mois voire années avant l’Europe. Et cela s’est confirmé avec mon initiation au manga, d’abord par Dragon Ball puis tant d’autres titres dans la foulée. Tous ces faisceaux convergeaient vers le pays du soleil levant et m’ont fait découvrir un soft power fascinant, qui s’est vite élargi à la culture japonaise dans son ensemble. J’ai donc commencé l’apprentissage des kana et premiers kanji en autodidacte pour mieux décrypter ce que j’importais, avant d’entrer à l’université en japonais et d’effectuer mon premier voyage en « terre sainte » !
Comme tu l’expliques dans ton livre, c’est parce que tu en as discuté avec Mehdi de chez Third Editions et grâce à ton agence de voyage Keikaku que tu en es venu à écrire ce livre. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours de recherche ? Ce qui a été le plus compliqué à faire ou, au contraire, le plus facile ?
On s’est mis d’accord avec Mehdi sur la ligne éditoriale de « Du Pixel au réel » peu avant un énième voyage professionnel vers le Japon, début 2019. J’ai donc profité d’un peu de temps libre sur place à cette occasion pour chercher de la littérature et avoir de bonnes sources, mais j’ai été surpris de découvrir qu’il n’en existait pas à proprement parler. Au Japon, on trouve plusieurs livres sur le seichi junrei (« pèlerinage en terre sainte ») manga/animé, mais rien dédié au jeu vidéo. En ce sens, « Du pixel au réel » est donc une approche inédite mondiale ! La sélection précise des jeux et des thématiques s’est faite avec l’éditeur et le travail de recherche réalisé de mon côté de manière relativement classique. Une fois cette longue phase préparatoire finalisée, je me suis attelé à la rédaction et, une fois n’est pas coutume chez Third Editions, au choix des photos et captures d’écran.
Quel est ton jeu préféré ? Et quel est celui que tu as aimé découvrir « en vrai » une fois sur place, au Japon ?
Question très difficile, après 30 ans de gaming ! J’ai aimé énormément de jeux, dans des genres extrêmement variés, de Xenogears à Rez, de Shadow of the Colossus à Breath of the Wild. Et je prends toujours beaucoup de plaisir à découvrir des choses hors du Japon, comme cette année The Last of Us Part II.
Plus qu’un lieu en particulier, source d’inspiration d’un jeu vidéo comme je les détaille dans le livre, j’ai aimé découvrir au fil des années des sensations plus transverses du Japon qui expliquent les orientations de design à la japonaise, que l’on retrouve évidemment dans les œuvres vidéoludiques. Mais il m’est également arrivé de reconnaître, dans une forme de sérendipité, des visites « sources » sans le vouloir, par exemple les collines de Shibuya en 2003 pour Jet Set Radio, ou encore l’an dernier où je me suis retrouvé à Yokosuka pour une toute autre raison, et où j’ai eu un « flash » Shenmue alors que je me trouvais à Dobuita !
Y’en a-t-il un que tu regrettes de ne pas avoir pu mettre dans ton livre ?
Pas particulièrement, je crois en toute modestie que l’on a couvert un spectre assez large du sujet tout au long de ces 208 pages, grâce notamment à l’expérience de Mehdi dans l’édition qui a permis de bien synthétiser ma connaissance du terrain. Et je suis très fier d’avoir la plume d’une référence comme Florent Gorges pour la préface du livre.
Tu parles d’un possible deuxième tome « guide touristique » mais cette fois en rapport avec les mangas et animes. Peux-tu nous donner un petit spoiler de quelques titres que tu aimerais y voir ?
Le choix est beaucoup plus vaste dans le domaine des mangas et animés que dans le jeu vidéo. Si l’on arrive à effectuer ce second tome, il va donc falloir faire une sélection en fonction des titres les plus connus et appréciés en Occident. En effet, de nombreuses œuvres ont des liens avec des préfectures japonaises mais n’ont jamais franchi les frontières de l’archipel, elles sont donc moins pertinentes d’un point de vue éditorial pour les lecteurs.
Nous n’avons pas encore commencé à travailler sur ce livre, et pour cause, il ne pourra exister que si les ventes de « Du pixel au réel » sont suffisantes pour permettre de le justifier. Mais à froid, je peux déjà citer des évidences comme Evangelion, One Punch Man, Le voyage de Chihiro ou encore Your Name qui ont des endroits d’origine au Japon très forts. Les liens sont encore plus ténus qu’avec le jeu vidéo et j’espère de tout cœur pouvoir travailler sur ce tome prochainement, si le premier livre rencontre du succès !
Puisque tu as déjà fait des voyages en « terre sainte de l’otaku » à titre professionnel et personnel, as-tu des anecdotes geek à nous faire partager ?
C’est surtout l’intégration du jeu vidéo dans le paysage quotidien au Japon qui m’a beaucoup marqué, agréablement, par le passé. Malheureusement, c’est en train de changer ces dernières années, d’abord avec l’avènement du smartphone au début des années 2010 (cela a été un peu plus tardif au Japon : il a fallu attendre pour que la population daigne lâcher ses portables à clapet !) qui a permis de donner ses lettres de noblesse au casual gaming en Occident. Avant cela, en occident, le jeu vidéo était relativement limité à une frange d’otaku, alors qu’au Japon il était déjà intégré à beaucoup plus de couches de population et frappait par sa forte présence dans l’espace public. Beaucoup plus récemment, la crise sanitaire du Coronavirus, par les mesures de distanciation physique et la longue fermeture des frontières au tourisme depuis l’étranger, a porté des coups successifs très durs à l’industrie de l’arcade au Japon, qui était encore plutôt vaillante avant cela. Elle va en tout cas largement y disparaître en matière de présence à court terme, c’est très triste… Même les quartiers historiques, comme Akihabara à Tokyo et Den Den Town à Osaka, ont progressivement réduit la place des jeux vidéo ces deux dernières décennies, alors qu’on pouvait y faire de belles affaires au début des années 2000.
Heureusement, certains signes redonnent de l’espoir, par exemple l’ouverture du centre commercial Parco à Shibuya, et ses plusieurs stores officiels, ou encore dès l’année prochaine la zone Super Nintendo World à Universal Studios Osaka.
Quel est le meilleur jeu pour découvrir le Japon selon toi ?
Je pense qu’il faut segmenter les deux facettes un peu clichées du Japon pour cela. D’un côté, on a donc l’aspect moderne et urbain, que l’on retrouve par exemple dans les derniers Persona ou les Yakuza. Et de l’autre, les concepts plus traditionnels et mythologiques, pour lesquels Okami me semble le meilleur candidat. Et en bonus, pour la partie historique et esthétique, la « surprise » de cette année Ghost of Tsushima, en ce sens qu’elle est développée par des Américains, en hommage au Japon. À ce titre, je trouve l’approche passionnante et elle a d’ailleurs à la fois flatté et piqué certains développeurs japonais dans leur ego !
Merci Gaël pour cet interview !
Vous pouvez retrouver Gaël sur son site Kanpai.