Rencontre avec Cédric Biscay : à la croisée des mondes, de Monaco à Shibuya

S’il travaille depuis presque 20 ans dans le monde de la pop-culture nippone en France, cela ne fait, finalement, que quelques années que Cédric Biscay, avec le festival monégasque MAGIC, est un nom connu des amateurs de loisirs japonais. À l’occasion de la sortie du second tome de Blitz, son premier manga dont il est le scénariste, Journal du Japon est allé à la rencontre du fondateur de Shibuya Productions pour parler de son histoire, de ses projets et, évidemment, de la façon dont cette singulière année 2020 les a chamboulé. 

Découverte de l’homme et de son multivers franco-japonais.

Cédric Biscay

Cédric Biscay – Photo ©Radio Monaco

Cédric Biscay et Shibuya Productions

Journal du Japon : Bonjour Cédric, et merci de prendre le temps de répondre à nos questions.

Bonjour, merci pour l’invitation.

Il y a de nombreux sujets à aborder mais comme c’est notre première interview, commençons par toi…Né à Nice en 1979, te voilà enfant des années 80, grandissant avec l’univers télé du Club Dorothée et rêvant donc de lier ta vie future avec toutes ces choses qui ont fait s’émerveiller toute une génération. Ce qui est moins commun, disons, c’est que tu l’as vraiment fait, et assez vite puisque je vois que tu fondes Shibuya International en avril 2002, à 22 ans donc. Du rêve à la réalité, tu n’as pas trainé : c’est quoi ton parcours, et tes ambitions à l’époque ?

C’est marrant d’entendre que ça a été vite car ce n’est absolument pas ma perception.

C’est vrai que je fonde ma première entreprise à 22 ans mais à l’époque je suis contraint de faire face à un problème très basique, je n’ai pas d’argent à investir, mais genre pas du tout à part quelques économies sur mes salaires de pion qui me servent à vivoter.

Je dois trouver un business qui ne nécessite pratiquement aucun investissement, donc adieu mes rêves de production et création de contenu et bienvenue au consulting qui était selon moi plus simple à organiser d’un point de vue logistique.

Bien entendu je n’ai aucune formation en business international ou autre, je ne parle pas un mot de japonais. J’apprends tout en faisant avec pour seule ambition de prouver que je peux apporter plus que de simples conseils.

C’est sûr qu’expliqué comme ça il n’y a pas vraiment de logique mais ce qu’il faut simplement retenir c’est que je voulais travailler avec le Japon et que j’ai fait dès le départ tout mon possible pour y parvenir.

Shibuya-production-images

Shibuya International naît donc bien avant MAGIC au final, et si je résume (bien, j’espère) il s’agit d’une société qui fait le lien entre des entreprises européennes désirant travailler avec le Japon et le Japon lui-même, son marché et ses acteurs pour être plus précis. Concrètement le travail au jour le jour au début, c’était quoi ?

C’est tout à fait ça, j’ai voulu créer une sorte de pont entre le Japon et l’Europe.

Disons que lors de mon premier voyage au Japon j’ai tout de suite vu que les Japonais ne comprenaient pas les européens et vice-versa. Bien sûr il ne s’agit pas simplement d’un problème de langue mais de différence culturelle.

Je pense que ce qui m’a permis de mettre en place un cabinet de conseil dédié à cela, outre la relative innocence liée à l’âge, c’est que j’ai toujours eu l’impression de mieux comprendre les relations d’affaires au Japon que la plupart des étrangers. Il y a tout un tas de codes et la plupart d’entre eux ne se trouvent pas dans les livres.

Je suis aussi souvent le dernier à sortir d’un Karaoké ou d’un Izakaya et il me semble que c’est apprécié.

Encore une fois, ça peut sembler assez simpliste mais c’est difficile d’expliquer par les mots ce qui à l’époque pour moi semblait une évidence. D’ailleurs heureusement que j’en étais moi-même convaincu sinon cela n’aurait pas pu fonctionner.

Ma journée type les premières années lorsque je voyage au Japon était sensiblement identique : je démarre de ma Guest house située à Higashi Koganei dans mon vieux costume Tex de chez Carrefour avec une cravate beaucoup trop large !  Je marche 15 à 20 min pour aller à la gare et ensuite attends de nombreux arrêts avant d’atteindre Tokyo où en général je rejoignais mon interprète pour les meetings de la journée, en général 2 le matin, 4 l’après-midi, 1 diner et régulièrement un after. Ma seule lubie, je mettais un point d’honneur à passer chaque soir par Shibuya et me faire une petite partie sur les bornes d’Arcade tout en veillant à ne pas louper le dernier train car hors de question de pouvoir me payer un taxi.

Hayao Miyazaki et Cédric Biscay et son costume Carrefour !

Hayao Miyazaki et Cédric Biscay et son costume Carrefour !

Lorsque je suis en France, à l’époque, c’est beaucoup moins fun, je dois essayer à distance de faire le suivi avec mes contacts japonais. Donc beaucoup d’échanges de mail et de traductions. Seulement il est clair que les japonais préfèrent rencontrer leurs interlocuteurs donc mine de rien je faisais déjà 4 voyages par an au Japon à cette époque et c’est là que passait tout l’argent que je rentrais.

Le truc vraiment sympa dans cette activité c’est que j’ai pu travailler dans divers secteurs qui n’ont aucun rapport entre eux, que cela soit la chimie fine, les énergies renouvelables, l’agroalimentaire, la mode etc.

 

Quand on lit ton parcours en mode accéléré sur les 10-15 ans suivant je retiens entre autres :

D’avril 2005 jusqu’en 2009 : Représentant en région PACA et Monaco du JETRO (Organisation Japonaise du Commerce Extérieur, une agence en étroite collaboration avec le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie).

Depuis septembre 2006, Professeur à l’école polytechnique de l’Université de Nice Sophia Antipolis. Enseigne en Master 1 et 2, le marché du jeu vidéo au Japon, en Corée et en Chine.

De février 2005 à janvier 2015 : représentant du Japon du Festival International du Film d’Animation d’Annecy

2006-2009 : Directeur du marché du film de Tokyo de mars 2006 à avril 2009.

2013 : lancement du Monaco Anime Game Show (MAGS) au Grimaldi Forum de Monaco.

Au final, tu marques quoi au juste sur ta carte de visite ? Ambassadeur pop culture japonaise ?

(Rires) Franchement je ne me suis jamais vraiment posé la question car je ne fais pas attention à tout ça.

Je suis fier de ce que j’accomplis bien sûr mais je suis surtout projeté sur ce qu’il reste à faire.

Il y a tellement de choses passionnantes dans les tuyaux que je n’ai pas vraiment le temps de contempler.

Par contre un truc cool, c’est qu’à ma grande surprise, le Ministre des Affaires Étrangères Japonais a décidé de me remettre un Certificat d’Honneur pour le travail accompli depuis toutes ces années et cela me fait très plaisir car le Japon offre très peu de distinctions. C’est un véritable honneur pour moi.

Festival MAGIC à Monaco

Festival MAGIC à Monaco

Pour finir les présentations il y a un truc qui est assez frappant quand on regarde tes interviews ce sont les liens que tu aimes tisser entre, d’un côté, les artistes japonais et de l’autre des français qui en sont fans ou qui veulent travailler avec. Pourquoi ce lien France-Japon te passionne toujours autant, 30-40 ans après être tombé dedans, et comment le vois-tu évoluer ces dernières années ?

Je pense que le Japon et la France sont des pays proposant une culture très riche et variée.

D’un point de vue artistique j’ai toujours pensé qu’une collaboration entre les français et les japonais pouvait générer de belles choses.

C’est grâce aux contenus japonais (manga, jeux vidéos, dessins animés) et donc aux créatifs japonais que je fais aujourd’hui ce métier. Je trouve d’ailleurs que j’ai eu une chance énorme de connaitre la télévision de l’époque qui permettait une ouverture d’esprit plus grande qu’aujourd’hui.

Pour un bon résultat, Il faut bien sûr dépasser le stade de l’admiration pour passer à celui de la véritable collaboration, en ce sens, si je peux participer à toute forme de collaboration entre la France, Monaco et le Japon, je suis toujours très heureux de le faire.

Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile qu’avant de collaborer avec certaines entreprises japonaises, je suppose que d’une manière ou d’une autre nous avons contribué à cela.

 

2020 : une année qui manque de MAGIC

Bon on va sans doute moins rêver maintenant, puisque l’on va parler de cette étrange année 2020. Comment, tant sur un plan psychologique et personnel qu’en terme de business, se sont passées les quelques semaines qui ont précédé l’annulation, jusqu’au moment où il a fallu prendre la décision et faire l’annonce ?

Magic Monaco 2020, l'édition annulée

Magic Monaco 2020, l’édition annulée

Le moins que l’on puisse dire c’est que cette situation a généré beaucoup de stress. Il faut savoir que le MAGIC est un événement organisé à 100% par Shibuya Productions et qu’il ne reçoit aucune subvention. Il faut aussi savoir que la décision officielle d’annuler est intervenue seulement quelques jours avant l’événement. Ce qui veut dire que nous avons prévenu certains invités 2 jours avant leur départ. À l’époque le Japon était considéré comme un pays à risque et donc il nous était impossible d’un point de vue légal d’accueillir des personnes en provenance de ce pays. À l’époque il n’était pas encore interdit d’organiser des événements, mais le nôtre ne pouvait clairement pas se tenir à cause de la provenance de nos invités et de certains de nos visiteurs.

J’ai particulièrement apprécié le soutien de la plupart de nos partenaires qui ont accepté, soit de nous rembourser, soit de décaler à l’édition suivante. Nous avons bien entendu des pertes incompressibles liées à la communication ou à certains billets d’avion que les compagnies n’ont pas voulus rembourser mais au final même si ça pique, on se dit que cela aurait pu être bien pire.

Pour les autres activités, il y a eu également un ralentissement mais on a su rebondir. Le principal obstacle pour moi c’est de ne plus pouvoir voyager, car les confcall et le télétravail en général ont leurs limites. Le travail à distance, c’est très bien pour le suivi mais beaucoup moins pour initier des projets. Personnellement ma valeur ajoutée c’est de créer des opportunités, et pour ça j’ai besoin de rencontrer les gens.

 

Pour expliquer un peu à nos lecteurs, qui finissent peut-être par ne plus se rendre compte à force de voir ces événements se répéter : annuler une édition d’un salon, en dehors du fameux communiqué de presse… ça veut dire quoi ? Quelles en sont les conséquences concrètes ?

La première conséquence pour nous est financière, car même si l’entrée au MAGIC est gratuite, des sponsors payent pour avoir de la visibilité et nous permettre entre autres de maintenir cette gratuité. Logiquement nous n’avons pas pu obtenir le niveau de sponsoring habituel. Ensuite, comme je l’évoquais, de nombreux billets d’avion n’ont pas été remboursés ainsi que les éléments de communication autour de l’événement (flyers, posters, affichages etc).

Ce sont des dépenses loin d’être négligeables.

Ensuite il y a la conséquence assez spécifique au MAGIC qui est pour nous un moyen de communication et de rencontre globale. Ne pas tenir l’événement ralentit de fait nos possibilités de business et la création de nouveaux projets.

 

Si on revient à l’actualité récente… Si on lit les témoignages des commerçants qui doivent fermer, on a l’impression qu’on les a mis genoux à terre pour les achever… que ce coup là, chômage partiel ou pas, c’est le coup de trop. Comment, autour de toi, vois-tu le monde de l’événementiel le vivre ?

Je ne suis pas vraiment le mieux placé pour parler de ça car malgré cette crise sanitaire, je ne me suis séparé de personne et je n’ai pas non plus fait appel au chômage partiel. La raison est simple, nous avons différents secteurs d’activité, nous nous sommes adaptés et nous sommes actuellement sur de nouvelles opportunités. Hors de question de sacrifier ma team, les personnes qui la composent sont trop précieuses.

Concernant l’événementiel pur, je ne crois absolument pas aux versions online qui sont proposées par certains événements. Je ne comprends pas le concept. L’intérêt d’un événement selon moi c’est avant tout de se rencontrer physiquement et de partager. Ce n’est juste pas compatible avec la situation sanitaire actuelle. Peut-être qu’organiser un événement online a permis à certains organisateurs de conserver leurs subventions, mais à part cela, je ne vois pas bien ce que ça apporte au public.

Ceux qui souffrent le plus sont les événements qui ont un business model qui repose exclusivement sur les visiteurs et stands payants. Il faut être solidaire avec eux car la situation ne leur permet pas de vivre.

 

Comment abordes-tu la préparation de MAGIC 2021, quels enseignements ont été tirés de la première annulation et du confinement qui a suivi ?

Alors là c’est la grande inconnue, voilà bien un sujet sur lequel je ne suis pas en mesure de répondre clairement. Pour le moment nous organisons le MAGIC 2021 sur 2 jours les 26 et 27 février 2021, l’ensemble des invités 2020 ont confirmé leur présence mais pourront-ils simplement venir au final ?

Bref même si j’aime anticiper, je dois bien admettre que je ne maitrise rien sur ce sujet.

Une chose est certaine, il faudra vite prendre une décision.

 

Parallèlement, le MAGIC a commencé une carrière japonaise avec son édition Kyotoïte. Comment s’est déroulée cette édition ? Quelles sont les différences avec la version française ? Le public est-il le même ?

Le MAGIC Kyoto c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire, dans le vrai sens du terme. Non seulement les plus hautes autorités japonaises sont présentes et soutiennent l’événement dont certains membres de la Famille Impériale ce qui est unique, mais en plus le cadre est juste dingue. La première année, nous avons utilisé le Toei Uzumasa Eigamura, ce sont des studios de Cinéma appartenant à la Toei, même le grand Akira KUROSAWA est venu tourner là-bas ! Je me souviens de la tête émerveillée qu’avait Frank Miller (The Dark Knight) un de nos invités, chaque jour passé sur place ! Pour la seconde édition nous avons opté pour le Kyoto Rohm Theatre qui est un véritable centre de congrès et nous avons conservé des activités cosplay au Toei Park.

MAGIC Monaco et MAGIC Kyoto sont proches au niveau de la philosophie mais la version japonaise est encore plus exclusive. Là où nous acceptons un maximum de 3000 visiteurs à Monaco, nous sommes à 1000 à Kyoto. Je ne suis pas intéressé à faire un gros événement en taille mais par faire un grand événement en termes d’impact. Pour un non japonais, organiser un événement pop culture au Japon, ce n’est clairement pas gagné d’avance ! On relève ce défi car on trouve ça trop cool. Je n’aurais jamais osé imaginer que cela soit possible. Le Gouverneur de Kyoto ainsi que le Maire de la ville sont de précieux soutiens pour nous.

Cocktail de clôture du MAGIC Kyoto 2018 au sommet de la tour de Kyoto

Enfin, après 5 éditions, comment vois-tu le MAGIC désormais ? La première édition faite en 5 mois est désormais loin, MAGIC c’est une grosse machine maintenant ? Avec toujours cette volonté de faire un salon de passionnés aux antipodes de Japan Expo ?

Nous avons maintenant une expérience assez solide au niveau de l’organisation du MAGIC, je dirais presque que ça roule tout seul, mais en fait non, ça roule grâce à l’équipe qui se remet constamment en question, je tiens à saluer ici le travail de Dominique Langevin présente depuis la première édition et qui par son implication rend les choses plus simples. Ce n’est pas du tout une grosse machine, nous sommes 4 à organiser le MAGIC, ce qui fait, il est vrai 4 fois plus de monde que la première édition en 2015 !

La raison d’être du MAGIC à la base c’est de permettre à notre public de rencontrer de grandes personnalités du monde de la pop culture, des stars qui ne se déplacent pas forcement sur d’autres manifestations. En cela le fait de limiter les entrées est un vrai plus car il est beaucoup plus simple chez nous d’approcher son artiste préféré et d’obtenir une photo ou une dédicace. Ce qui m’importe c’est l’expérience du visiteur.

Je n’ai pas vraiment l’habitude de parler d’autres événements mais je pense que Japan Expo n’a aucun rapport avec MAGIC que cela soit en termes de taille ou de philosophie. MAGIC n’est pas une foire type salon de l’agriculture ou de l’auto. Si on devait aller vers un idéal, je dirais que j’aimerais que le MAGIC soit considéré comme le Festival de Cannes de la pop culture ! Un lieu où coexistent Art, Science et Éducation. C’est ce que nous essayons de faire lorsque nous organisons une conférence par exemple entre le mangaka Leiji Matsumoto et l’astronaute Jean-François Clervoy. Je pense qu’il faut des événements pour tout type de public.

Magic_logo

Échecs et projets

Terminons cette interview sur une troisième partie plus joyeuse : comment fait-on un manga d’échecs avec MONSIEUR Kasparov… Je veux dire : comment germe l’idée un peu folle  et comment ensuite se concrétise-t-elle ?

Cela va paraître un peu simpliste mais j’ai toujours rêvé de faire un manga, le problème c’est que je ne sais pas dessiner. La seule option était donc d’imaginer une histoire. J’aime bien le genre nekketsu et les échecs, je me suis dit que ce sujet était très peu représenté, que je pouvais en faire quelque chose de cool. J’ai travaillé sur une sorte de bible avec un scénario global et des personnages, puis je l’ai envoyée à destination de Garry Kasparov avec lequel je n’avais jamais eu de contact auparavant.

Pour moi Garry Kasparov c’est l’homme qui a affronté les machines ! Je voulais absolument qu’il collabore sur Blitz.

Quelques temps après, je reçois un mail me proposant un rdv à Paris où il doit séjourner quelques jours pour affaires. Il ne connait rien au monde du manga à part Astroboy mais il est emballé par le projet et me donne son feu vert. Ensuite je pars à la conquête du dessinateur qui pour moi devait être absolument japonais et on travaille comme des oufs d’avril à mai pour présenter le premier chapitre lors du Festival de Cannes 2019 en présence de Garry Kasparov. C’est la première fois qu’un manga papier était présenté à Cannes, on a même eu droit à un photocall officiel sur la très chic plage du Majestic !

CB&GK2©Shibuya Productions

Cédric Biscay et Garry Kasparov ©Shibuya Productions

Tiens d’ailleurs je m’y perds un peu sur un point : ce titre est bien en dehors de votre partenariat avec Michel Lafon, non ? Le nom de l’éditeur c’est… Iwa : une nouvelle maison ? Dis-nous en plus !

C’est très simple, je suis quelqu’un qui essaye de m’associer un maximum avec des gens compétents lorsque je démarre une nouvelle aventure.

L’édition de manga, on n’en avait jamais fait avant et quand cet éditeur est venu nous proposer de collaborer, je me suis dit pourquoi pas, de l’extérieur ça paraît sérieux.

On a donc décidé de créer un label manga ensemble et nous avons sorti quelques titres de jeunes auteurs à ce jour. Je ne suis pas personnellement impliqué mais mon équipe fait bien entendu le suivi éditorial.

Nous allons prochainement sortir une nouvelle version d’Astroboy sous ce label avec mon compère Jean-David Morvan ainsi que Gerald Parel et Guillaume Martinez. Là pour le coup je m’en occupe directement car le Japon est impliqué.

Cette première expérience avec un éditeur français m’a démontré qu’il est important d’être maître à bord pour décider notamment de la promotion, du marketing et des aspects clés de l’édition, donc on a décidé de créer notre propre maison d’édition qui se nomme IWA. Ça veut dire « le rocher » en japonais et c’est bien sur un clin d’œil à Monaco.

Le premier titre d’IWA est Blitz mais d’autres suivront.

 

Tu travailles en tant que co-scénariste sur ce titre, qu’est-ce que tu penses y avoir apporté ici, qu’est-ce qui te ressemble dans ce titre ?

Et bien disons que j’ai créé l’univers et les personnages ainsi que la trame globale du scénario.

Pour chaque tome je retravaille ensuite le scénario avec ma co-scénariste et on valide ensemble les dialogues.

J’aime bien les histoires où les héros ont du caractère, je ne sais pas si c’est mon côté français mais ça m’intéresse le gars qui part de rien et qui réussit à gravir les échelons petit à petit à la surprise générale. Là où je ne suis plus français c’est que je suis content pour lui quand il a réussi (rires).

 

Pourquoi les échecs plutôt que le shôgi par exemple ? Pour une portée internationale du titre seulement ou c’est plus que ça ?

Alors déjà je ne connais absolument rien au Shôgi ! En fait, même si je suis très loin d’être un champion d’échecs, il faut quand même avoir quelques bases pour se lancer dans un manga sur le sujet, c’est donc ce qui a guidé le choix en premier. Pour moi une des grandes forces des auteurs japonais c’est de parvenir à captiver le lecteur sur des sujets qui sont hors de ses intérêts habituels.

Les exemples qui me viennent tout de suite c’est Eyeshield 21 ou encore Hikaru no Go. Que l’on aime ou pas le football Américain ou le go, ça n’a pas d’incidence sur le fait d’apprécier le manga ou non.

Je souhaite que Blitz plaise autant à un amateur d’échecs qu’à un lecteur qui ne s’intéresse pas du tout à ce sport. À mon avis le pari il est là, et c’est ce qui me semble le plus difficile à réaliser.

C’est même passionnant car c’est ce qui va déterminer si on est bon ou pas en tant qu’auteur de manga.

Après il est vrai que les échecs ont une portée internationale forte, j’espère que Blitz pourra en bénéficier rapidement et être disponible en dehors du Japon et de la France.

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BLITZ-volume 2

Comment as-tu construit tes personnages principaux, qui semblent être du pur jus shônen sur les deux premiers tomes ? Car une grande partie du titre repose sur leurs épaules…

C’est tout à fait ça, je voulais un héros à fort potentiel qui part dans tous les sens et qui a du mal à se concentrer, c’est bien sûr Tom, je voulais aussi une héroïne bien badass qui semble tout maîtriser mais qui a également ses propres problèmes, à savoir Harmony. Le rival mystérieux et impassible en la personne de Karl, et la bande proche des héros à savoir Laurent, Zhang, Anne, Saori et Marius.

De l’humour avec un Jean-Marc dont on a l’impression qu’il sort de nulle part et du mystère avec le propriétaire de la boutique d’antiquités. C’est important de pouvoir s’identifier au personnage que l’on souhaite, en cela ils ont tous des personnalités variées.

À partir du tome 3 on va voir arriver d’autres personnages supers intéressants et surtout le récit va prendre une certaine épaisseur car Blitz ce n’est pas qu’une simple succession de parties d’échecs. Comme je l’ai souvent dit, l’intuition et l’IA sont très présentes.

 

Ah et le personnage de Jean-Marc, il vient d’où (on la l’impression que c’est un clin d’œil à des connaissances françaises au Japon, non ?) ?

Alors en fait Jean Marc est un mix de plusieurs personnes que j’ai rencontrées au Japon mais d’une en particulier. Dans les années 2000 il y avait à Shibuya une sorte de truck qui proposait des crêpes, et à l’intérieur il y avait un afro américain super grand et baraqué et ça faisait super cocasse de le voir dans un petit truck japonais avec son tablier et son chapeau blanc à distribuer des crêpes aux clients japonais.

 

Tous les mangas portant sur des jeux de type échec, shôgi, Go, etc bute toujours sur la même difficulté : que faut-il montrer des parties pour, d’un côté, séduire les amateurs du jeu et, de l’autre, ne pas perdre les néophytes. Quels choix ont été faits pour Blitz ?

Il me semble que ce n’est pas facile d’apporter une réponse globale à cela.

Dans Blitz, on a pris le parti d’expliquer un maximum de chose que cela soit dans le récit lui-même ou plus encore dans les bonus. C’est pour ça que nous travaillons avec des pro des échecs et bien entendu au premier rang Garry Kasparov.

Cependant je ne voulais pas que cela soit rébarbatif alors j’ai demandé à Daitaro NISHIHARA de donner un maximum de dynamisme dans les parties et pour certaines d’imaginer un véritable champ de bataille où l’on peut donner libre cours à toutes sortes de combats.

Pour moi Blitz doit être accessible à tout le monde sans connaissance préalable, et pour ceux qui cherchent davantage de profondeur, ils doivent pouvoir également en trouver.

Savoir doser est important mais sans jamais tomber dans du « tiède » qui est en général la pire chose lorsqu’on veut contenter tout le monde. Bref, c’est à nous les auteurs de faire de la bonne cuisine avec les ingrédients que nous créons.

Blitz - Extrait

Blitz – Extrait

Les shônens sportifs sont des titres au long cours la plupart du temps… Quoi que À l’assaut du roi, seul autre manga d’échec édité chez nous, s’est terminé en 4 tomes. Du coup, quid de Blitz ?

Personnellement, j’aime les séries longues, dans ma tête pour le moment j’ai pensé Blitz en 20 tomes mais plus j’écris et plus je me dis que je pourrais en faire 30 ha ha.

De toute façon peu importe ce que je veux faire, ce sont les lecteurs qui vont décider de me laisser ou non continuer. Aujourd’hui je suis en train d’écrire le tome 5 car nous avons un rythme de parution soutenu de 3 par an. Je m’éclate à faire ça et c’est finalement très différent de mes autres activités. Je pense que tant que le plaisir est là, il n’y a pas de problème pour se renouveler.

 

Comment se porte le titre, qui vient de présenter son second tome, comment est-il accueilli ?

Ça va bien, malgré le confinement et notre absence d’Amazon, le tome 1 s’est vendu a un peu plus de 7000 exemplaires à ce jour, ce qui est pas mal en 8 mois. Le truc cool c’est qu’il se vend bien en librairie mais aussi dans les magasins d’échecs.

Le tome 2 je n’ai pas encore les chiffres mais moins d’une semaine après sa sortie on nous contraint à un nouveau confinement, donc le démarrage risque d’être un peu plus difficile.

Entre tout ça, j’ai pu faire quelques dédicaces et je suis super content de voir que le public est super varié, il y a des enfants bien sûr mais aussi des ados et adultes fans de manga.

Aussi une chose dingue, c’est qu’il y a pas mal de joueurs d’échecs de tous âges, des gens qui n’avaient jamais ouvert un manga avant Blitz et qui me font des supers retours.

Je n’avais jamais expérimenté le costume d’auteur et je dois bien avouer que lorsque je rencontre des fans de Blitz, je suis trop heureux.

 

Bon nous pourrions continuer cette interview sur plein de sujets, avec des projets japanime et jeu vidéo dans les tiroirs, certains depuis quelque temps comme Astroboy ou Cobra : n’as-tu jamais peur de te disperser (le reproche classique du trop faire donc mal faire si je simplifie), ou c’est juste que tu restes un passionné qui ne sait pas dire non à un projet cool ?

C’est tout le problème lorsque travail et passion ne font qu’un. J’ai envie de faire plein de choses !

En fait lorsque j’ai créé avec mon associé Shibuya Productions en 2014, il y avait des choses que je rêvais de faire depuis très longtemps. Travailler sur Astroboy, Shenmue et Cobra, c’était transformer ces rêves en réalité.

Cobra

Cobra

Comme je ne suis absolument pas un businessman, il est vrai que mon enthousiasme était tellement débordant que j’ai voulu de suite annoncer tous ces projets fous afin de potentiellement agréger des partenaires et aussi partager ma joie avec les fans.

Avec le recul, évidemment ce n’était peut-être pas le meilleur moyen de communiquer, il est préférable dans notre monde aseptisé où tout est disponible immédiatement d’attendre quelques mois avant la sortie et de balancer son truc.

Shibuya Productions n’est pas Disney ou Netflix, nous ne pouvons pas produire à la chaîne des contenus. Par contre nous sommes capables d’aller chercher des IP fortes auprès d’ayants droits qui nous font confiance.

Mine de rien, en 6 ans d’existence, on a commercialisé 4 jeux vidéos, 1 série animée, 1 documentaire, 5 séries de manga et on a organisé 5 éditions de MAGIC à Monaco et 2 éditions de MAGIC à Kyoto. Le 1er Décembre on sort Twin Mirror sur PS4, Xbox One et PC en collaboration avec Dontnod et Bandai Namco, le 26 février on sort le tome 3 de Blitz etc.

Je préfère qualité à quantité mais on ne peut pas dire qu’on a chômé pour autant ! On a d’ailleurs quelques surprises dans les cartons.

On attend ça avec impatience alors… Encore merci pour ton temps, et bon courage !

Merci !

Retrouvez le 3e tome de Blitz début 2021, tout comme la prochaine édition du MAGIC si tout se passe bien. D’ici là, vous pouvez suivre Shibuya Productions via leur site web et leurs réseaux sociaux (Facebook, Twitter , Instagram ) ou le site web du salon MAGIC et leurs pages Facebook, Twitter, Instagram ou You Tube. Vous pouvez enfin suivre Cédric Biscay directement sur son compte Twitter ou Instagram.

 

Remerciements à Cédric Biscay pour son temps, mais aussi Sahé Cibot & Sophie Fabrello pour la mise en place de cette interview.

Photo de une © Radio Monaco 

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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