Eldo YOSHIMIZU dans l’occulte avec Gamma Draconis : rencontre avec l’artiste
Si le manga comme Art est aujourd’hui admis, il est tout de même rare, même si de plus en fréquent, d’avoir la chance de recevoir ces artistes pour des expositions en France. Mais, tout comme des mangaka se font artistes, des artistes se font mangaka : c’est le cas pour l’homme derrière l’exposition à la Galerie Arts Factory à Paris du 20 octobre au 21 novembre, Eldo YOSHIMIZU, que nous avons pu rencontrer.
L’exposition a malheureusement dû être stoppée pour des raisons de crise sanitaire mais le catalogue est tout de même disponible sur internet en format PDF, vous trouverez le lien en fin d’article.
Un Gekiga personnel
Yakuza, moto et vengeance
Monsieur YOSHIMIZU n’est pas du monde du manga. À la base artiste sculpteur pour l’espace publique, il abandonne ce métier pour dessiner des manga, mais pas de n’importe quel genre : du gekiga, manga visant un public adulte. Cela donnera Ryuko, manga d’action survoltée aux découpages et la mise en scènes hors-normes et aux personnages féminins à chemin entre la grâce de Leiji MATSUMOTO et l’esthétique épurée de Kazuo KAMIMURA. Le résultat est unique : le découpage fou, trop parfois, sans codes ni limite perd aussi bien le regard qu’il rend gloire aux scènes de fusillades et de combats au corps à corps. L’histoire se détache même des archétypes évidents repérés au premier regard (Lady Snowblood ou Kill Bill) pour créer son propre récit où Eldo YOSHIMIZU aborde ce qui lui est cher : tragédie filiale, vengeance et héritage. Journal du Japon a d’ailleurs pu avoir un entretien avec l’auteur en 2018 à l’occasion du festival d’Angoulême, abordant plus particulièrement ces thèmes et Ryuko en général.
Une nouvelle collaboration dans l’ésotérique
Cette année, le nouveau projet de Eldo YOSHIMIZU sort en librairie : Gamma Draconis. Mais il n’est cette fois pas seul à la réalisation : Benoist Simmat, scénariste et spécialiste en économie déjà auteur de plusieurs ouvrages à ce sujet et sur d’autres thèmes comme la gastronomie française, est à l’origine de l’histoire. Cela fait de Gamma Draconis un des rares représentants de manga que l’on pourrait qualifier de véritablement international. Voici le synopsis de ce manga :
Aiko est une jeune étudiante japonaise sans histoire, venue étudier l’art religieux à la Sorbonne. Jusqu’au jour où une mystérieuse entité électronique, surgie des profondeurs du web, s’attaque à ses proches. Elle va découvrir que son destin est d’affronter le chef d’une sinistre organisation internationale ayant décidé de marier savoir hermétique et transhumanisme (résumé officiel Lézard Noir).
Histoire singulière mais plus linéaire que Ryuko, et toujours servi par le trait de maître de Eldo YOSHIMIZU, Gamma Draconis est une très bonne surprise peut-être passée trop discrètement en ce début d’année chargé en sortie
Une fois de plus, Journal du Japon a eu l’honneur d’avoir un entretien avec Eldo YOSHIMIZU, cette fois à l’occasion de son exposition à la Galerie Arts Factory à Paris.
Entretien avec Eldo YOSHIMIZU : Gamma Draconis, futur et France
Journal du Japon : Tout d’abord, merci beaucoup pour nous accorder cet entretien. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots les travaux que vous exposez ici ?
Eldo YOSHIMIZU : À Propos de l’exposition, n’est-ce pas ? Mon nouvel ouvrage, Gamma Draconis, sera publié d’ici peu et je voulais montrer les planches originales et les crayonnés de ces planches ainsi que des planches, des crayonnées de Ryuko. J’ai également réalisé de nouvelles peintures pour cette exposition.
Vous ne vous limitez cependant pas au dessin, vous faites aussi de la musique et ou de photos.
Oui c’est vrai, mais la musique et la photographie sont des passe-temps. Mon travail est de dessiner des manga et avant cela je réalisais des œuvres d’art pour l’espace public.
Concernant le manga, j’ai lu dans des interviews que vous aimiez beaucoup le travail de mangaka comme Go NAGAI ou Leiji MATSUMOTO, mais qu’est-ce qui vous plaît dans leur travail ?
Le manga Devilman de Gô NAGAI est d’une grande influence pour moi. Je l’ai rencontré quand j’avais 11 ans. J’ai visité son studio avec ma mère. Dans les années 70 le travail de Gô NAGAI était très érotique comme on peut le voir dans Harenchi Gakuen (L’école Impudique en France) donc les parents ne voulaient pas trop que leurs enfants lisent du Gô NAGAI, et ma mère s’inquiétant a décidé de venir le voir avec moi. Gô NAGAI est très sympathique, j’avais un tome de Devilman sous le bras, il me l’a pris et m’a dessiné Akira Fudô (personnage principal de Devilman). J’étais très heureux.
Votre nouvelle œuvre, Gamma Draconis, est un projet en collaboration avec Benoist Simmat n’est-ce pas ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la génèse du projet ?
L’idée vient de Stéphane Duval, le directeur du Lézard Noir, et de Benoist Simmat. Ils sont tous les deux très amis et vivent à proximité sur Poitiers. Ils parlaient parfois entre eux d’un projet qui avait pour thème le transhumanisme, l’occulte, l’économie et les réseaux internet. Stéphane Duval s’y connait beaucoup sur l’occultisme et Benoist Simmat sûrement aussi. Ils m’ont donc demandé si c’était possible pour moi d’illustrer cette histoire.
Comment se déroulait la réalisation de Gamma Draconis ?
Premièrement, Benoist Simmat écrivait le scénario et le relisait avec Stéphane Duval. Ensuite, la femme de Stéphane Duval, Asako MAENAKA le traduisait en japonais et me l’envoyait. Je lisais le scénario, je dessinais mes planches, je les renvoyais, et c’est tout.
Est-ce qu’il y a eu des soucis lors de ces procédés ?
Eh bien vous voulez du concret, du concret (rires). Oui il y en a eu quelques fois. Benoist Simmat a écrit un scénario semblable à un film d’action d’Hollywood du genre Mission Impossible, mais moi je ne dessine habituellement pas ce genre de scénario. De mon côté je préfère des films moins « deep » comme ceux des Frères Coen, de Paul Haggis ou les films coréens. Pour Gamma Draconis, je demandais parfois à Benoist Simmat de changer des éléments. Je peux me le permettre car nous sommes amis.
C’est vrai que l’histoire de Gamma Draconis change de Ryuko. Dans l’avenir comptez-vous explorer encore de nouveaux genres ?
Actuellement je dessine un nouveau projet qui vient de moi et qui a pour nom Hen Kai Pan. C’est une histoire assez étrange, une sorte de conte de fée sur l’être humain. Il y a 5 contes à des endroits différents : une personne vit près de Tours, une vielle femme qui vit dans les montagnes de l’Himalaya au nord de l’Inde à Radak, une personne aux Etats-Unis en Arizona près de la frontière avec le Mexique et qui a l’air d’un américain natif. Attendez, je vais vous montrer les images sur mon compte Facebook (Eldo YOSHIMIZU sors son téléphone portable et nous montre sa page où l’on peut voir les images de ce nouveau projet). Celle-ci vit en Islande (voir image ci-contre).
Oui, on peut d’ailleurs voir cette illustration dans l’exposition, elle est très belle.
Merci beaucoup. Et lui vit à Madagascar. Ce personnage est Asura. Ashura est à la base un dieu combattant au Japon, vous verrez le lien entre ces deux noms et le personnage dans l’histoire. Il y a deux faces aux contes racontés : une prône que beaucoup d’Hommes sont mauvais et qu’on doit donc les juger et s’en débarrasser selon ce qu’ils sont, et une autre pense qu’il n’y en a seulement que quelques uns de mauvais et que l’on ne doit pas tuer. Il y a aussi l’idée que la vie continue après la mort mais sans le corps et la mémoire. C’est une histoire assez compliquée et dangereuse. Le Covid 19 actuel, et l’histoire que j’ai fait sur le jugement de l’humanité, sont similaires, ça m’a surpris.
Si je ne me trompe pas, Gamma Draconis est actuellement exclusif à la France, avez-vous l’impression d’avoir un lien particulier avec la France ?
Tout commence par mon amitié avec Stéphane Duval. Un ami m’avait parlé de Stéphane Duval et du Lézard Noir, un petit éditeur mais avec une très bonne sélection d’artistes avec entre autres Kazuo UMEZU, Seichiro MARUO, ou Minetarô MOCHIZUKI. Je l’ai donc contacté sur Facebook et nous nous sommes rencontrés dans une fête à Tôkyô. Au début Stéphane Duval n’appréciait pas trop Ryuko et ne voulait pas l’éditer, mais quelques temps après nous nous sommes revus pour parler et j’ai insisté pour qu’il publie mon manga. Finalement il accepté, mais on a fait un deal : il voulait bien publier Ryuko en France mais dans le futur je devais dessiner un nouveau projet pour le Lézard Noir, ce projet c’est avéré être Gamma Draconis.
J’ai visité beaucoup villes comme Tours, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon, Nancy, Metz, etc, et je suis devenu amis avec des lecteurs lors de mes dédicaces. La raison pour laquelle j’ai choisi la France est liée à mon amour pour Takeshi KITANO, le réalisateur de films. C’était un présentateur d’émission et comédien pour la télévision au Japon mais il a commencé à réaliser des films. Dans les premiers temps la presse japonaise n’aimait pas son travail : il devait être comédien pas réalisateur. Au contraire, en France on l’a applaudit pour ses films dès le début. Je veux être comme Takeshi KITANO, c’est une source d’inspiration. J’aime aussi la culture française, les français et toi aussi (rires). Tout le monde respecte mon travail et la subculture japonaise comme les manga, les anime ou bien le design, l’architecture et la mode. J’aime aussi les films français des années 60 et 70, je suis assez old-school.
Grand merci à Monsieur Eldo YOSHIMIZU d’avoir conduit cette interview seul en anglais, ce qui malgré la difficulté de parler en profondeur des choses, nous a permis d’avoir un échange direct très instructif et agréable. Merci aussi à la galerie Arts Factory d’avoir pu proposer cette exposition malheureusement arrêtée à cause de la situation sanitaire. Bonne nouvelle : le catalogue de l’exposition est disponible sur le site de galerie, jetez-vous dessus pour régaler vos rétines et peut-être craquerez-vous à l’achat d’une planche.
Retrouvez Eldo YOSHIMIZU sur son site internet et sur les réseaux : Instagram, Facebook et Twitter.
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