Sarazanmai : j’en voudrais 3 assiettes s’il-vous-plaît !
Les anime bizarres, souvent, ça marque. Ils font du sumo en maillot de bain avec leur derrière, ils font des poses tout le temps sans raison, un ours tient un café… Mais combien de fois a-t-on entendu parler de ces séries sans jamais en voir un seul épisode de peur de leur étrangeté ? S’arrêter à ces apparences extravagantes vous fera malheureusement passer à coté de toute une gamme d’anime qui, au delà de leur apparente étrangeté, cachent souvent de véritables joyaux. C’est justement le cas de Sarazanmai, dans lequel ce joyau se trouve là où vous n’auriez jamais pensé : dans votre anus !
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Un kappa à Asakusa
L’histoire se déroule à Asakusa. Kazuki Yasaka, Toi Kuji et Enta Jinnai, tous trois en 5e, font un beau jour la rencontre de Keppi, un être mystérieux à l’apparence de kappa. Ce dernier leur subtilise leur shirikodama, une boule mystique logée dans l’anus, et ils se transforment en kappa eux-mêmes. Keppi leur déclare que pour retrouver leur apparence initiale, ils devront lui rapporter le shirikodama d’un zombie. Y parviendront-ils ? Au même moment, au poste de police où travaillent Reo Niiboshi et Mabu Akutsu, quelque chose est sur le point de se produire… (synopsis officiel de Wakanim)
Eh oui ! Sarazanmai c’est particulier, et le récit n’hésitera pas par la suite à partir dans d’autres directions encore plus surprenantes. Mais ne soyez pas inquiet, ce désordre apparent est en réalité maîtrisé par un des maîtres, que dis-je, LE maître du bizarre : Kunihiko IKUHARA.
Un réalisateur pas comme les autres
Dit comme ça, ce nom ne vous paraît peut-être pas familier. IKUHARA est pourtant le réalisateur de plusieurs anime qui ont traversé leur époque pour atteindre des statuts d’œuvres cultes. Que dire de Utena la fillette révolutionnaire, diffusé fin des années 90, qui marqua son temps par sa cruauté, son bouleversement des codes et des genres et son esthétisme fascinant ? Et Mawaru Penguindrum qui en 2011 a baladé les spectateurs dans ses intrigues à tiroir à triple fond, jamais avare en rebondissements, tout en confrontant directement les japonais à leur blessure de l’attentat au gaz sarin du métro de Tôkyô en 1995. Ou bien Yurikuma Arashi qui, bien que moins marquant, proposait déjà une thématique désir amoureux/cannibale avec un prédateur/proie un an avant le fameux Beastars, et conserve une direction artistique sans fausse note.
Toutes ces œuvres sont, à l’instar de Sarazanmai, des histoires loufoques : des collégiens se battent dans des duels d’escrime pour la main d’une promise ; un chapeau-manchot arrive à maintenir en vie une jeune fille malade ; des ours humanoïdes mangeurs d’homme s’infiltrent dans une école alors que les mondes des hommes et des ours doivent rester séparés par un grand mur… À ces particularités scénaristiques s’en ajoutent d’autres dont nous auront le plaisir de discuter plus tard, et qui font également de Sarazanmai, dernière œuvre en date du réalisateur, un véritable anime d’auteur dans le sens où il reflète typiquement la personnalité artistique de Kunihiko IKUHARA.
Un plat de qualité
Une autre habitude de IKUHARA est d’adopter, pour chaque série qu’il réalise, un style graphique différent. Pour cela il emploie toujours un nouveau chara-designer, qui sont à la base souvent des mangaka. Dans le cas de Sarazanmai il s’agit de Miggy, artiste aux couleurs pastel habituée des dôjinshi (manga amateur). Elle est en plus épaulée à l’adaptation du chara-design original par Kayoko ISHIKAWA qui est également directrice d’animation sur le projet. Cette dernière reste peu connue mais son travail est à surveiller de près tant les ending qu’elle a réalisé pour la saison 2 de Space Dandy ou pour la série des Aikatsu sont de véritables pépites aux couleurs acidulées. On aperçoit aussi dans la série beaucoup d’éléments venant directement de IKUHARA comme des panneaux de signalisation étranges en grand nombre ou bien une foule dessinée en bonhomme bâton déjà présent dans Mawaru Penguindrum. Bien que coproduit par le studio MAPPA, Sarazanmai est avant tout un projet de Lapin Track, nouveau studio composé de proches de IKUHARA, qui lance ici sa première production, bien qu’ayant déjà aidé le Studio Silverlink pour Yurikuma Arashi.
Un soin particulier a été apporté aux génériques d’ouverture et de fin. Ce n’est pas moins que Kana-Boon (l’opening « Silhouette » de Naruto Shippuden, « Figther » de Gundam Iron Blooded Orphans) qui ouvre chaque épisode avec un opening riche en couleur et en mouvement accompagné, comme d’habitude pour le groupe, d’une chanson entraînante et entêtante. Mais la véritable prouesse musicale et visuelle vient de l’ending « Stand By Me » par The Peggies (premier ending de Boruto et opening de Rent a Girlfriend récemment). Celui-ci associe une magnifique chanson à des vidéos en prises de vue réelle du quartier d’Asakusa sur lesquels les personnages de la série vont être incrustés. Ça peut sonner cheap mais la qualité des images, combiné aux effets de lumières utilisés et aux soins apportés à l’incrustation des dessins 2D donnent un résultat admirable qu’il ne faut pas louper.
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Un anime d’auteur
Une recette éprouvée mais excentrique
Comme évoqué plus tôt, Sarazanmai se situe dans la droite lignée des œuvres de Kunihiko IKUHARA. La série est construite autour d’une recette « monster of the week » (un zombie différent à battre chaque semaine avec un affrontement suivant un même déroulé), reprenant beaucoup de codes des canons du genre comme certains tokusatsu (série japonaise à effets spéciaux type Super Sentai, Ultraman,..) ou plus directement à Sailor Moon, franchise de magical girl par excellence sur laquelle IKUHARA a débuté sa carrière de réalisateur. Nous avons donc traditionnellement le droit à plusieurs séquences qui se répètent à chaque épisode : la scène d’extraction des désirs qui transforment la victime du rituel en zombie, la scène de transformation en kappa et la scène de victoire face au zombie où les héros absorbent son shirokidama et partagent leurs esprits. Ces segments bénéficient d’une animation et d’une mise en scène sublimes, à l’image des scènes de transformation de Sailor Moon ou, pour citer plus récent dans le même registre, de la franchise Precure. Généralement ce genre de répétition est rarement agréable dans une série, mais IKUHARA en a fait une des forces motrices de sa narration depuis Utena. Bien qu’identiques, ces scènes arborent des significations différentes au fil de l’intrigue, des évolutions des personnages, et la répétition peut très bien être modifiée subtilement ou stoppée net, marquant ainsi un point de rupture décisif dans le récit.
En règle générale ces répétitions sont accompagnées d’ost catchy et de phrases rituelles permettant de mener la transformation à bien (et donner un slogan facile à retenir pour les spectateurs, voire toucher encore plus de monde). Par exemple, « Pouvoir du prisme lunaire, transforme-moi ! » vous dit sûrement quelques chose sans pour autant avoir vu un seul épisode de Sailor Moon ? Et les spectateurs de Mawaru Penguidrum se souviennent sûrement du « Seizon Senryaku » (traduit en « stratégie de survie ») et du « Imagine ! » crié par la jeune Himari, en plus d’avoir la musique « ROCK OVER JAPAN » en tête. Sarazanmai va un pas plus loin en fusionnant ces 2 aspects pour plusieurs scènes de danse et chant iconiques : on peut tout à fait le qualifier de comédie (ou tragédie) musicale. Mais une démonstration vaut toujours mieux que la meilleure des explications.
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Il y en a dans l’assiette
Une question peut venir en tête lors du visionnage de Sarazanmai : Pourquoi des kappa ? Les kappa sont des créatures du folklore japonais associés aux yôkai. Pour faire simple, ce sont des sortes de grosse grenouilles avec une assiette posée sur la tête. IKUHARA trouvait peut-être dans ces créatures une représentation symbolique forte de ce qu’il voulait exprimer dans cette série (mais de quoi réellement ? à vous de voir). En dehors de cet aspect, il est classique dans les œuvres du réalisateur de mélanger ainsi l’humain avec l’animal, réel ou fantastique. La personne ainsi fusionnée perd son humanité et devient autre. Ça devient alors aussi bien pour la victime un moyen de se libérer des normes imposées par la société, qu’une irrégularité à pointer du doigt et à éliminer pour cette dite société. Ce thème était central dans Yurikuma Arashi. Dans Sarazanmai il est aussi présent mais en sous-texte dans l’intrigue, et laisse place à d’autres idées.
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Dès le premier épisode, le réalisateur expose directement sa thématique principale : le désir sous toutes ses formes, aussi bien matériel qu’amoureux. Les zombies que nos héros doivent combattre sont en effet des personnes ayant succombé à leur désir qui vont perdre raison pour l’accomplissement de ce dernier. Mais le trio principal et le duo antagoniste des policiers ne sont pas en reste non plus. Le Désir est le véritable moteur de l’intrigue. Chacun est confronté à ses envies, qui entraînent aussi bien amour, jalousie et haine, et qui mènent toutes à un désir particulier qu’on retrouve dans le titre de chaque épisode : « Je veux qu’on soit liés ». Cette connexion sera effective mais douloureuse avec à chaque épisode la scène de « Sarazanmai » où les 3 héros, en absorbant la shirokidama du zombie, vont avoir leurs esprits liés et leurs secrets les plus honteux dévoilés après avoir hurlé à pleine voix le titre de la série. Sarazanmai va donc nous montrer la beauté et l’importance de ces liens tout autant que la nécessité de les briser, souvent à contrecœur, lorsqu’ils deviennent toxiques pour soi-même.
La série a en plus le mérite d’exposer le spectateur à des réalités trop rarement représentées dans les anime, comme l’homosexualité ou le travestissement, sans jamais les tourner en ridicule une seule fois. Sarazanmai est en effet un anime qui salut l’hors norme : chacun doit trouver, en se confrontant aux normes imposées par la société (souvent personnifiées dans les œuvres de IKUHARA), son propre soi quitte à avoir le monde sur le dos. Malheureusement, le format court de l’anime (11 épisodes) nous fait quelque peu regretter le passage sous silence de certains développements de personnages centraux, comme celui de l’idol, figure omniprésente visuellement mais au rôle trop flou pour être réellement saisi naturellement.
Au delà de ses atours aux symboliques osés et volontairement grotesques, Sarazanmai accouche d’une histoire sur l’intimité des désirs et la nécessité de la présence de l’autre pour soi. Ces propos ne sont pas rares dans les œuvres japonaises, mais c’est la cohabitation de ces derniers avec la loufoquerie ambiante de l’intrigue et de la mise en scène qui donne une force et une identité unique à Sarazanmai. Il s’agit donc d’une belle porte d’entrée à d’autres horizons de l’animation, loin des normes, avec IKUHARA et c’est disponible sur Wakanim.
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En bonus, voici les réponses aux mystérieux anime bizarres évoqués en introduction :
- Ils font du sumo en maillot de bain avec leur derrière, c’est… Keijo !!!!!!!!
- Ils font des poses tout le temps sans raison, c’est… Jojo’s Bizarre Adventure
- Un ours tient un café, c’est… Shirokuma Café