Jizo, le très beau conte-manga d’Antoine Dole et Mato
Il est des livres qui vous touchent, vous émeuvent jusqu’aux larmes. Jizo est de ceux-là. Un conte-manga ou manga-conte qui parle de la mort, de la douleur infinie de la perte, mais aussi de l’amitié et de l’amour qui rendent les choses plus supportables, plus légères. Venez avec nous à la rencontre de Jizo et Aki … et du scénariste de ce beau manga !
Jizo, un manga-conte fantastique
Voici le pitch de l’éditeur : « Aki ne retrouve plus le chemin pour rentrer chez lui. Tout le monde semble indifférent à cet enfant perdu. Tous… sauf Jizo, un étrange garçon sorti de nulle part. Est-ce un enfant des rues ? Va-t-il vraiment le ramener chez lui ? A-t-il raison de le suivre dans le temple où il l’emmène ? Malgré son grand sourire, Aki peine à faire confiance à son nouvel ami. Surtout qu’une effroyable sorcière chasse les enfants à la tombée de la nuit… »
Aki est un petit garçon aux cheveux ébouriffés et aux grands yeux remplis d’angoisse lorsqu’il rencontre Jizo sur un banc, dans une clairière où d’autres enfants jouent au ballon. Jizo, casquette vissée sur la tête et poncho sur les épaules, sourire doux et yeux presque fermés, fait tout pour tenter de rassurer Aki. Il lui donne un ballon, des caramels. Mais le jeune garçon ne pense qu’à retrouver ses parents et s’en va seul. Alors qu’il se perd, incapable de retrouver sa maison, Jizo est à nouveau là et l’accompagne vers un temple pour qu’ils y passent la nuit. Les étoiles brillent très fort. Aki tente encore et encore de retourner chez lui, mais pourquoi ses appels à l’aide semblent ne pas arriver aux oreilles des humains qu’il croise ?
Et qui est cette sorcière terrifiante qui traîne dans son sillage des enfants enchaînés et qui terrorise tous les enfants de la forêt à la nuit tombée ?
Jizo l’accompagnera dans la découverte de la vérité et le protègera autant qu’il pourra de cette vieille femme maléfique. Car, comme vous l’avez probablement compris, ce Jizo comme les autres jizo que l’on croise au Japon « veille sur les âmes des enfants pour ne plus qu’ils se perdent dans l’obscurité de l’autre monde ».
Le lecteur découvre alors l’histoire du petit Aki, le chagrin, la douleur de la perte, mais l’amour et les prières au Jizo.
C’est l’histoire de ces petites statues que l’on croise au bord des routes, dans les temples, un peu partout au Japon, à la campagne comme dans les villes. Ces jizo qui accompagnent, rassurent, réconfortent, qui illuminent l’obscurité et guident les âmes vers la lumière. Tout cela est merveilleusement raconté dans ce manga où innocence et cruauté, lumière et ombre, amour et haine s’entrechoquent … pour réaliser que l’amour permet à chacun de renaître après la douleur, de se reconstruire.
Le scénario est brillamment construit : le lecteur au départ se demande quelle est cette histoire banale d’un petit garçon perdu qui trouve un ami, qu’il rejette au départ puis apprend à apprécier… mais tout bascule dans une dimension fantastique et on est happé par l’histoire pleine de rebondissements, par les combats menés, par la puissance des personnages, mais également par l’émotion qui nous submerge à la vision des scènes familiales, du visage d’une mère.
C’est un cocktail émotionnel bien dosé, qui emportera petits (enfin pas trop petits car la vieille femme pourrait leur faire faire d’affreux cauchemars) et grands, à la découverte de l’entre-deux mondes des jizo !
Côté dessins, on admire la finesse du trait pour créer de superbes forêts qu’aurait apprécié le promeneur solitaire de Taniguchi, des ruelles où le lecteur ère avec Aki, en ayant l’impression d’y être déjà passé, un temple merveilleux au milieu des bois, dans une ambiance nocturne mi-magique, mi-angoissante. Quant aux personnages, ils sont tout de suite attachants : Aki les cheveux en bataille, T-shirt, veste à capuche, pantalon un peu court et baskets, les yeux implorants d’un enfant qui veut voir ses parents, et qui, de page en page semble grandir, mûrir … et Jizo, sa drôle de dégaine avec son poncho troué, son bracelet de perles (de prière) et sa casquette vissée sur sa tête qui cache des yeux toujours mi-clos au-dessus d’une bouche au sourire lumineux …
Ils incarnent chacun l’universalité de leur personnage : un enfant dans ce qu’il a de plus fragile, de plus pur, et un jizo, représenté au Japon en statue souriante, dont Jizo est une personnification magnifiquement réussie. Et que dire de la méchante femme qui traîne des enfants au bout de ses chaînes et hume l’air pour trouver d’autres enfants terrifiés, la tristesse ayant un parfum délicieux pour cette sorcière cruelle ! Ses apparitions envahissent toute la page, son visage effrayant est digne des plus grands méchants des contes ! Quant au rythme, il est parfait, alternant passages calmes et combats, souvenirs et moments présents.
Un manga qui se lit comme un conte, mais avec des images qui le rendent magnifiquement vivant ! Une réussite totale !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Antoine Dole, amoureux du pays des Jizo
Journal du Japon a eu la chance de pouvoir interviewer Mr Tan, alias Antoine Dole qui a écrit le scénario du manga, que les jeunes lecteurs connaissent également pour sa facétieuse Mortelle Adèle et dont nous vous avions présenté le beau Ueno Park ici. Rencontre avec un passionné du Japon !
Journal du Japon : Pouvez-vous nous raconter le début de votre histoire d’amour avec le Japon ?
Antoine Dole : Le Japon est entré dans ma vie de plein de façons, d’abord dans l’enfance à travers les dessins animés, puis à l’adolescence avec les mangas, et ensuite au fil des années à travers ma découverture de la littérature japonaise et de différents artistes de l’archipel. Quand je suis allé au Japon la première fois en 2015, j’avais l’impression d’avoir déjà fait cette rencontre avec ce pays si particulier, comme si nous avions entretenu une longue correspondance pendant toutes ces années, à travers les héros des livres et des animés qui me fascinaient, et tout ce qu’ils y vivaient. Le Japon est un pays qui parle au cœur : il conjugue des contrastes saisissants et épouse ses complexités, il vous répète qu’il est possible de se construire par-delà les drames, et de se réinventer, car son Histoire est faite de nombreux bouleversements à l’image de la vie de chacun d’entre nous. Nous sommes tous, à un moment de nos existences, frappés par des séismes intérieurs, des typhons d’émotions, des évènements qui nous fracturent. J’ai appris là-bas que l’on peut tout dépasser et reconstruire. J’y suis retourné quatre fois depuis, et chaque voyage me fait tomber un peu plus amoureux à chaque fois.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec un jizo ? Est-ce à ce moment-là qu’a germée l’idée du livre Jizo ?
Mon envie d’écrire sur les Jizo est née en 2015, quand j’ai découvert ces statuettes pour la première fois. Elles sont très mignonnes et j’imagine que, comme moi je l’ai fait à l’époque, beaucoup de touristes les photographient sans savoir ce qu’elles signifient et les croyances qui les entourent. A mon retour en France, j’ai fait des recherches sur le sujet et j’ai trouvé ça beau et lumineux, autant que triste et sombre. Il y avait là une matière sensible à raconter. J’y ai réfléchi pendant un temps mais je me suis laissé emporter dans d’autres aventures éditoriales, jusqu’à ma rencontre avec Mato, que mes éditeurs chez Glénat Manga m’ont présentée. On s’est rencontrés à Tokyo, dans un café près de Ueno Park. Et c’est en parlant avec elle que tout a pris sens : sa culture et la mienne ne se ressemblent pas, mais nos émotions se répondent de façon très naturelle sur certains sujets. C’est cela qu’il fallait qu’on raconte, à travers Jizo, la façon dont certains espoirs traversent tout de nous, et ce qu’il y a d’universel dans la vie de chacun quand il est question, par exemple, d’amour, ou de mort.
Vos textes et les dessins de Mato sont vraiment en harmonie totale, comment vous êtes-vous trouvés et comment avez-vous travaillé ensemble ?
Nos éditeurs nous ont présentés, parce qu’ils sentaient que l’on pouvait s’apporter mutuellement quelque chose. Ils ne se sont pas trompés ! Je connaissais son travail car elle a publié plusieurs ouvrages en édition jeunesse en France, et son univers proche du conte apportait un relief intéressant et inattendu à mon envie d’écrire un récit sombre et tourmenté. Mato et moi nous ne parlons pas la même langue mais il y a quelque chose de très fluide dans la façon dont elle aborde mes mots et dont ils épousent ses images. J’ai été très heureux de la rencontrer en vrai, et de voir comment nos échanges ont fait grandir ma compréhension de sa culture. Nous avons eu la chance de pouvoir multiplier les échanges grâce aux traducteurs qui nous ont accompagnés pendant tout le travail de production du manga. Elle était très soucieuse de respecter ma vision, tout en la nourrissant de symboles et de nuances pour que nos cultures s’accordent et se conjuguent. C’était très important pour nous, de faire un manga sur un sujet aussi sensible, qui ne trahisse ni ses croyances ni les miennes. J’ai adoré travaillé avec Mato, pour moi c’est extrêmement précieux de collaborer avec une artiste comme elle.
La vieille femme-sorcière est vraiment terrifiante. Quelles figures vous ont inspiré ? Elle m’a fait penser à la sorcière de Blanche-neige croisée avec certains fantômes japonais qu’on trouve dans les estampes, et un peu de la sorcière de Kirikou qui est méchante parce qu’elle souffre…
J’aimais cette idée d’un démon qui hante sa propre souffrance, qui est prisonnière de sa propre solitude. J’avais cette image de la Baba Yaga, cette figure de la sorcière cannibale des contes russes. Pour contraster avec la jeunesse et la fougue d’Aki, notre héros, c’était intéressant de lui opposer une créature qui semble refuser son destin, et qui vieillit, inlassablement, comme si elle ne voulait pas s’éteindre. Ce sont deux façons de se refuser à l’inéluctable. Elle est une métaphore de ce qui reste de nous quand rien ne se libère, un amas de colère et de douleurs. Elle est aussi une sorte d’alter égo de la mère d’Aki et de ce qu’elle traverse. Je voulais qu’elle porte des chaînes, dans lesquelles s’empêtrent les âmes des enfants qu’elle croise sur son chemin, c’était ma demande la plus précise. Et Mato l’a imaginé de cette façon monstrueuse et effrayante, qui rappelle les démons des estampes japonaises. Sa laideur est le reflet de sa douleur.
Avez-vous d’autres projets avec Mato ? (On adorerait !)
Oui ! Nous travaillons sur un nouveau manga ensemble qui verra le jour chez Glénat Manga l’année prochaine si tout va bien. Impossible de s’arrêter après Jizo, Mato est une illustratrice qui m’inspire et me donne envie de raconter des histoires ! J’espère que vous prendrez plaisir à les découvrir !
Journal du Japon remercie Antoine Dole pour sa gentillesse et sa disponibilité, vous pouvez le suivre via son site internet ou ses réseaux sociaux Facebook, Twitter ou Instagram.
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