Elles nous racontent leur Japon #5 : Elsa Brants
Elsa est mangaka, elle vit à Sète dans la maison de son enfance, sur la colline qui domine la mer. Les mangas, c’est pour elle une affaire de famille : un mari qui fait le même métier -Guillaume Lapeyre, pour celles et ceux qui n’ont pas encore lu Par le pouvoir des dessins animés chez Kana- et deux enfants acquis à la cause. Autant le dire, il y en a partout, du sol au plafond, même dans des cartons quand la place vient à manquer. Son bureau a un air de déjà vu pour ceux qui ont lu son livre : des étagères remplies de mangas, de figurines japonaises et de souvenirs de d’expos, une grande télé, et une belle vue sur le jardin sauvage habité par un écureuil gourmand. J’ai été charmée par sa gentillesse, sa légèreté et son accent chantant. Une après-midi lumineux à parler du Japon, de dessin, du métier d’auteur et surtout, du bonheur de faire ce que l’on aime.
Sophie Lavaur : Elsa, qu’as-tu envie de nous dire sur toi ?
Elsa Brants : J’aime principalement l’humour, et par dessus tout faire rire les gens. Je trouve cela de plus en plus précieux, surtout par les temps qui courent. D’ailleurs, c’est devenu un moyen pour mon éditeur en Belgique de me motiver à travailler plus vite. Quand le temps vire au gris et à la pluie là-bas, il me réclame des pages, histoire de rire un peu. Et ça marche, je mets les bouchées doubles.
Pourquoi cette fascination pour les mangas ? Est-ce juste les mangas ou le Japon plus largement ?
Tout est parti du Club Dorothée quand j’étais enfant. J’ai commencé à le regarder en décalé car nous n’avions pas la télé. Quand elle est arrivée à la maison et que j’ai découvert ces dessins animés, woah ! C’était la seule chose qui s‘adressait vraiment à moi. Tous les autres programmes, c’était soit pour les plus petits, soit pour les plus grands. J’en ai fait une boulimie. Je pourrais te chanter tous les génériques, je les connais encore par cœur.
Et puis j’ai découvert les premiers mangas en import, ils n’étaient pas encore traduits. Du coup pour mes treize ans, j’ai demandé à mes parents une méthode pour apprendre le japonais, la méthode Assimil, la seule à exister à ce moment là. J’étais super motivée, je m’en suis bien sortie, cela a surpris tout le monde car les études ce n’était pas mon fort.
Et cette passion des animes est devenu une passion pour le Japon. Dans la plupart des séries, on voyait une autre culture, des enfants en uniforme, des façons différentes de fonctionner, cela m’a donné envie d’aller sur place, vérifier tout cela.
Beaucoup de choses me plaisent au Japon. Le rapport à la nature, je trouve que dans nos pays, on s’en est détaché, il faudrait faire plus d’efforts, on s’en porterait tous mieux. Là, je suis sérieuse, mais cela me tient vraiment à cœur de le dire (grand éclat de rire). Et puis la cuisine japonaise, mais là, c’est la vie ! Ceux qui me suivent sur Instagram le savent bien.
Quel est le plus japonais de tes mangas ?
J’en ai fait seulement deux pour l’instant….
Je suis fan de tout en terme de lecture, tout ce qui est imprimé sur du papier me fascine. Mais pour ce qui est de mes créations, je suis plus à l’aise avec le format manga, j’ai l’impression que mon style d’humour fonctionne mieux en petites pages, mes gags sont plus percutants, c’est important pour moi car je fais de l’humour. J’ai l’impression aussi d’avoir plus de libertés.
J’essaie de m’approprier les moyens d’expression du manga, mais je ne veux pas faire du 100% manga car les japonais font cela mieux que moi.
Mes albums sont un mix. J’utilise la forme des mangas avec le style d’humour occidental et des histoires liées à notre culture.
Après, cela ne se voit pas, mais je dessine avec du matériel japonais. A chaque voyage, je reviens avec une valise pleine de fournitures. J’encre à la plume, avec une encre et des plumes achetées là-bas. Je trouve que l’encre japonaise reste bien noire dans le temps, le noir ne bave pas sur les couleurs quand je peins à l’aquarelle. Les plumes du Japon permettent d’avoir un trait plus fin et bien délié. Et qui dit plume dit papier très lisse, donc j’utilise aussi du papier japonais, du papier Kent. Je vis encore sur le stock de 2017, mais il va falloir que j’y retourne.
Et qu’as-tu de japonais en toi ?
Pas tant de choses que ça en fait, j’ai peur de citer des clichés.
Voyons….. ma capacité de travail peut-être ? Je travaille tout le temps, chaque jour de l’année, jusqu’à quinze heures par jour. Ce métier, c’est ma passion, même si ce n’est pas toujours facile de rester concentrée et motivée. Et pour ça, les mangakas japonais sont des modèles pour moi. Certains ne dorment que deux heures par nuit, voire moins pour un auteur célèbre. Je fais de mon mieux, car je privilégie mes enfants avant tout.
Où trouves-tu l’inspiration ?
Dans tout ce que j’ai lu et que je lis dans ma vie, je suis une dévoreuse de livres. Quand je ne lis pas, je n’arrive plus à écrire. Je crois que le fait de lire aide mon cerveau dans sa gymnastique de création, il est plus mis à contribution avec la lecture qu’en regardant des films. Je lis de tout, des romans, de l’historique, de la SF, des biographies, tout me plaît.
Après, il y a la nature, j’y puise l’inspiration pour mes histoires. Je dessine ici chez moi, mais pour écrire, je m’échappe dans un petit bois pas très loin dans la colline, au calme et dans le silence.
Quelle est la genèse de ton dernier album Par le pouvoir des dessins animés paru en 2019 ?
En 2016, j’ai rencontré une éditrice japonaise au salon du livre de Paris où je dédicaçais ma précédente série. Mon style lui a plu, elle m’a proposé de faire un album pour expliquer pourquoi les mangas plaisent tant en France. Là bas, les éditeurs l’ont bien compris, mais pas le grand public.
Donc là, j’ai raconté de façon amusante ma jeunesse avec le Club Dorothée et les animes, mon parcours pour devenir mangaka. Ce sont des tranches de vie très rarement exagérées (grand rire). Et du coup, l’album a été publié en parallèle en français.
Il a aussi été traduit en espagnol, l’Espagne étant un grand pays consommateur de mangas. Chaque année l’éditeur espagnol m’invite au festival de Barcelone, j’adore.
Un secret à partager sur cet album ?
Il a été plus long que d’habitude à réaliser, à cause des temps de traduction et des ajustements sur les gags. Cela a été compliqué car mon humour n’était pas toujours compris par l’éditrice japonaise. Beaucoup de gags ont été supprimés ou revus, culturellement tout ne marchait pas. D’ailleurs la version japonaise a moins de pages, même la couverture est différente, et ça a du sens.
Un jour, l’éditrice m’a proposé une modification qu’elle a « story-boardé » et elle m’a représentée avec un béret ! Mis à part Osamu TEZUKA, je n’ai jamais vu personne dans la rue avec un béret, j’ai trouvé ça cocasse. C’était le bon vieux cliché de la France. heureusement j’ai échappé à la baguette et au camembert.
Tes livres sont traduits et publiés au Japon, comment le vis-tu ?
Save me Pythie a été traduit en japonais pour les plateformes numériques. Pour mon dernier album, tout est resté abstrait jusqu’à ce que je le reçoive par la poste. Cela m’a bouleversé.
J’ai d’autres exemples de productions pour le Japon. Regarde, ce magazine Tezucomi, à l’intérieur il y a des histoires d’auteurs qui reprennent des histoires de Osamu TEZUKA. Et dans le lot, il y a des auteurs français…. dont moi. J’ai fait une histoire avec Princesse Saphir, et j’ai également écrit le scénario pour un dessinateur français. D’ailleurs cet exemplaire, je l’ai acheté dans une librairie au Japon. Je ne touchais pas terre quand je l’ai découvert dans les rayons, c’était génial.
Le top du top, c’est quand tu vois quelqu’un lire ton livre et qu’il se marre, là tu es trop contente.
Quel est ton plus beau souvenir d’autrice ?
C’était en 2013, après la vague sur le Japon. Elle est passée près de la baie de Matsushima, un endroit où j’avais séjourné car la famille de mon amie japonaise y a une maison. J’avais adoré cet endroit, la mer, la nature, les temples dans la forêt, tout y est sublime. J’y ai de très bons souvenirs. Donc quand j’ai appris la catastrophe, j’ai été abattue pendant quelques jours, jusqu’à ce que j’apprenne que l’endroit avait été épargné.
Et là ce livre [NDLR : elle se lève pour aller le chercher dans sa bibliothèque], il a été publié en soutien aux victimes [NDLR : Magnitude 9 – Des images pour le Japon aux éditions CFSL Ink]. J’ai fait une illustration qui représente mon temple préféré. A deux cents mètres il y a la mer, puis tu t’enfonces dans la forêt, c’est sombre, et soudain il y a un rayon de soleil qui vient illuminer ce petit temple caché. C’est mon plus beau souvenir du Japon. Pourtant j’y suis allée plusieurs fois, tout m’a plus mais cet endroit est le seul à m’avoir autant bouleversée. Pour moi, c’était évident de dessiner ce temple.
Ton auteur préféré sur le Japon ?
Je suis une très très grande fan de Rumiko TAKAHASHI. C’est de l’humour absurde, c’est fabuleux. Ma série préférée c’est Lamu, mais pour commencer dans les mangas, je conseille Maison Ikkoku. C’est une auteure très prolifique, je l’adore.
As-tu un rêve d’autrice ?
Ben, rencontrer Rumiko TAKAHASHI ! Depuis quelques années, au festival d’Angoulême, les auteurs peuvent voter pour l’auteur de leur choix, il n’y a pas de sélection.
C’est mon autrice de cœur, donc je vote pour elle depuis le début. L’année dernière, elle a reçu le grand prix de la ville d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre, c’est énorme, elle est la deuxième femme à recevoir un prix, le grand prix en plus. Imagine, une auteure de mangas !
Dans la série des rêves fous, j’aimerais aussi aller dédicacer au Japon.
Plus sérieusement, j’aimerais que ma prochaine série plaise à mes lecteurs. Je travaille dur dessus, ce sera pour 2021. J’ai été un peu ralentie ce printemps lors du confinement, je suis une maman poule donc je me suis occupée de mes enfants en priorité. La sortie est juste décalée de quelques mois, rien de grave.
Ton prochain projet, c’est donc cet album ?
Ben oui. Allez je pitche l’histoire… Cela se passe dans une Europe médiévale un peu fantasmée. C’est l’histoire de la princesse Myrtis, une princesse pourrie gâtée avec le sale caractère d’une enfant gâtée. Et puis arrive l’âge de se marier. Cela ne l’intéresse pas du tout, elle n’a pas envie d’une vie dorée à obéir à un mari. Donc elle se barre ! Elle ère, elle part dans la nature, essaie de survivre en n’étant plus princesse mais toujours avec son foutu caractère. Et elle se rend compte que le seul moyen pour avoir un statut honorable est de devenir sorcière. C’est une histoire un peu féministe. Et vous allez vous bidonner !
Merci Elsa pour ces confidences et pour ton précieux temps.
Par le pouvoir des dessins animés d’Elsa Brants est édité aux Editions Kana.
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