Hanagatami, Un rêve de cinéaste mis en chantier
Disponible en Blu-Ray depuis le 06 Juin 2020, uniquement chez l’éditeur anglais Third Window Films.
La sortie au format physique d’une œuvre de Nobuhiko ŌBAYASHI est suffisamment exceptionnelle dans l’hexagone,
pour que notre rédaction se soit procuré le titre en import et vous le chroniquer.
Nous allons, plus vous parler de l’aventure humaine qui l’a engendré, et de ce qui aujourd’hui, fait de ce métrage : une œuvre rare.
Chrysalide, je naquis.
Hanagatami est un film écrit et réalisé par Nobuhiko ŌBAYASHI (1938-2020) basé sur une nouvelle de Kazuo DAN (1912-1976). Le film est produit par : Terumichi YAMAZAKI et Kyôko ŌBAYASHI. Avec: Shunsuke KUBOZUKA, Shinnosuke MITSUSHIMA (The forest of love de Sion SONO, Blade of the immortal de Takashi MIIKE), Keishi NAGATSUKA, Honoka YAHAGI.
Le film est coproduit par : PSC, Karatsu Film Committee, ce qui est une particularité assez singulière pour être notée. En effet, la ville de Karatsu (préfecture de Saga, sur l’île de Kyūshū), n’avait plus de salle de cinéma active depuis très longtemps.
La mairie organisait jusqu’alors un cinéma de fortune dans ses locaux,le tout porté par une association locale. Un appel fût lancé, pour mécénat.
De son côté, cela faisait 40 ans que Nobuhiko ŌBAYASHI
gardait ce projet dans ses cartons, mais, écrit bien avant la réalisation d’Hausu en 1977, le script était justement pensé pour se dérouler dans cette ville. L’appel de soutiens externes de la ville fut l’opportunité rêvée de faire d’une pierre deux coups.
De là, une concordance d’énergies positives se met en marche. Alors qu’Il faut 106 milliards de Yens (1 million d’euros) pour financer le film, une collecte locale est lancée et aboutit à 600 000€ collectés : le tournage pouvait enfin commencer.
Karatsu à la rescousse
Après le vent de chance inouïe, vint la guigne : Nobuhiko ŌBAYASHI très tôt dans la mise en production est diagnostiqué d’un cancer du poumon en phase quatre.
Maintenant souffrant et absent du plateau, les énergies vont tout de même perdurer pour faire exister le film, il faut dire que le cinéaste tourne avec les mêmes équipes depuis 40 ans et, en dehors des acteurs, la machine est bien rodée. La fourmilière s’est affairée en l’absence de sa reine et, au regard du cinéphile le plus exigeant qui soit, l’illusion est parfaite.
Le film va se payer le luxe de recréer en conditions réelles la parade Karatsu kunchi qui a lieux traditionnellement en novembre :
un immense carnaval, où les chars défilent en forme de casques de samouraïs, de dorades, de dragons, de tortues et d’autres
créatures fantastiques.
Chaque char mesure de cinq à six mètres de long et peut peser entre deux et cinq tonnes,
ce qui donne une idée de l’entreprise pharaonique demandée à cette petite ville.
Les habitants furent recrutés pour la figuration, la ville accepta que la parade se déroule deux fois la même année (une fois en août pour les besoins du tournage, et en novembre comme veut la tradition), tout était mis en place pour illuminer, tel un phare brûlant, ce petit morceau de Japon.
Papillon, prend ton envol
Voici donc, un film très personnel, qui illustre les craintes du réalisateur par rapport à la guerre, qui l’a traumatisé étant enfant.
Les protagonistes, pris dans la tourmente en pleine ère Shōwa, et plus précisément en 1941, lors de l’invasion de la Manchourie et la bataille de Pearl Harbour. Il y narre en 168 minutes l’histoire du jeune Toshihiko, un jeune homme de 16 ans qui emménagé avec sa tante dans la ville de Karatsu dont les camarades de classes devront, tour à tour, s’enrôler ou disparaître. Il y rejoindra sa
cousine Mina EMA, recluse dans le manoir de la ville, en proie à la tuberculose.
Pour la petite histoire, la grande véracité du monde médical dépeinte au cours du film tient du fait que le père du cinéaste était médecin et que lui-même se destinait à le devenir. De plus, sa nouvelle condition de vie en sursis transparait dans le métrage. Notamment au travers de péripéties, dont nous vous laissons l’entière découverte.
Le tout est servi dans une candeur poétique incroyable, comme autant de rêveries surréalistes en surimpressions, par une association de techniques anciennes de superpositions de pellicule, et de numérique sur fonds verts.
C’est une succession de tableaux, qui donnent l’impression de collages de scrapbooking prenant vie. Cette poésie, est appuyée par des textures évoquant des peintures de VAN GOGH ajoutées de ci, de là, ou encore de l’expressionnisme du cinéma allemand des années 1920.
Techniquement ce film est aussi intéressant de par ses changements de formats d’images avec du 4/3 et du cinémascope et,
de savoir passer de la couleur, au noir et blancs, ou l’animation. La direction photo, quant à elle transpire de couleurs chaudes et chatoyant es, à la manière d’un animé sorti des studios Ghibli. Par contre, il y a aussi, des prises de vues un peu plus granuleuses, mêlant encore une fois l’ancien et le moderne dans un tout.
Cet objet cinématographique est tout autant expérimental que son aîné Hausu, ainsi qu’un vibrant hommage très Nouvelle Vague française au film Et mourir de plaisir (1960) de Roger VADIM.
De nombreux éléments de ce film y sont incorporés : la scénographie d’un acte charnel entre Mina et Ukai, où elle vient à mordre son partenaire, rappelant le vampirisme dans l’œuvre de VADIM.
Ou encore, le spectateur peut témoigner de la solitude grandissante de Mina, qui est autant attachée émotionnellement, que recluse forcée comme Carmilla au domaine VON KARSTEIN dans Et mourir de plaisir.
La passion des moments partagés, malgré la mort omniprésente dans le métrage prend son plein essor dans le climax.
C’est à ce moment que la parade intervient, imposante et difficile à manœuvrer, mais débordante de vie. Les images, et textures se mélangent, comme des souvenirs doux amers, pour mieux s’en enrichir, et continuer d’avancer.
C’est le motif, qui jalonne notre aventure humaine depuis sa genèse : un projet, une vision, des embuches colossales, et la vie qui trace son chemin vaille que vaille, envers et contre tout.
Passée inaperçue lors de sa sortie le 16 décembre 2017, cette pénultième production de Nobuhiko ŌBAYASHI prouve que naît parfois du malheur de bien jolies choses : pour une production faite de bouts de ficelles Hanagatami est un exploit, à voir absolument.