Elles nous racontent leur Japon #4 : Edith Silva
Edith est graphiste, artiste et poète. Elle habite Lyon, dans un mignon appartement au bon goût du Japon qui lui sert aussi d’atelier. Attablées au kotatsu*, fesses par terre, un thé vert à la main, nous parlons du Japon bien sûr, mais aussi de poésie, du métier d’artiste, de littérature, de graphisme. Et de gens, d’histoires de vie, de nos envies respectives. Une belle après-midi d’hiver, au doux son de musiques nippones. Pour la photo, il manquait le soleil. Pas grave, je suis revenue.
Sophie Lavaur : Bonjour Edith, qu’as-tu envie de nous dire sur toi ?
Edith Silva : J’ai étudié le graphisme, mais au lycée j’ai longtemps hésité avec l’anthropologie. Je suis fascinée par les cultures, essayer de comprendre les humains. J’ai fait deux années d’apprentissage dans un atelier de signalétique, puis j’ai travaillé comme chargée de communication. Deux belles aventures à taille humaine. Après quelques années, mes envies de création ont repris le dessus, besoin de voir du pays, de sortir du bureau. Alors, avec Brice mon conjoint nous avons décidé de faire un long voyage, direction le Japon, naturellement. C’était en 2016, une période de remise en question.
Pourquoi le Japon ?
La première fois, en 2014, c’était l’idée de Brice, j’ai suivi. C’est lui qui était fasciné par le Japon. Un voyage découverte classique, et un gros coup de coeur. J’étais très frustrée de rentrer si vite. En 2016, nous sommes repartis, cinq mois, pour travailler chez l’habitant. Une aventure sans filet. Nous sommes restés quelques semaines dans une ferme à Hita, sur l’île de Kyushu, à désherber les champs, tige par tige. De belles rencontres, dans le partage, avec une vraie intensité dans la relation. Nous avons croisé des japonais curieux, ouverts sur le monde, capables de parler de la vie, de la mort, de différences culturelles, sans tabou. Il y avait beaucoup de poésie dans ce quotidien pourtant simple. Nous travaillions dur, promenions le chien le matin dans la campagne, un vrai retour à l’essentiel. J’ai beaucoup réfléchi sur moi, sur ce que je voulais faire. C’était comme une renaissance, avec l’impression d’être redevenue une enfant. Depuis, je créée à partir de ces souvenirs et de ces ressentis, pour les faire revivre.
Peux-tu nous raconter la genèse du livre ?
Durant ce séjour, je dessinais chaque jour, pour nous. Et puis, ne parlant pas le japonais, j’ai utilisé les dessins pour communiquer. Ils se sont accumulés. J’ai découvert le pouvoir des haïkus* avec mon livre de chevet, « Oreiller d’herbes » de Natsume SÔSEKI. Sur place, j’en ai peu écrit. Les mots sont venus après. Une sorte de mélancolie pour capturer chaque instant de la vie, c’est un moteur dans mon travail, une part de moi que j’ai appris à valoriser.
J’ai continué à dessiner à mon retour, sans trop savoir. Puis j’ai croisé le Rendez-vous du voyage de Clermont Ferrand, l’occasion de ma première rencontre avec le public, conquis. J’ai alors cherché un éditeur, j’ai été repérée par Alice Monard et les éditions Sully sur Instagram. Voilà, mon livre est sorti à l’automne 2018.
Un secret à partager sur le livre ?
Oh, il y en a plein, tant de beaux souvenirs. Le dessin de la page 24 me montre en kimono, c’est la première fois que j’en mettais un. Ce qu’on ne voit pas, ce sont mes pieds. Je suis grande, il n’y avait pas de geta* à ma taille, alors je suis allée à la cérémonie du thé en crocs….. bonjour le raffinement !
Il y a aussi les dessins de la page 87. Ils ont été faits par Moeno, la fille de Masako, une artiste rencontrée sur le marché à Nagano. Elles étaient trop contentes d’échanger avec des gaijin*. C’est Moeno d’ailleurs qui m’a fait découvrir la linogravure, technique que j’utilise maintenant régulièrement. Lors de notre dernier séjour en 2019, nous sommes retournés les voir, une belle amitié est née.
Qu’as-tu appris de cette aventure littéraire ?
Arriver à mener un projet de A à Z. Je suis en ébullition permanente, je commence plein de choses, mais là je suis allée jusqu’au bout. Aussi, parler du quotidien et de la nature en écrivant des haïkus, il y en a un certain nombre dans mon livre, j’y ai pris goût, je continue.
Ce fut également l’occasion de partager mon univers avec un plus grand public, une part de moi que j’ai révélée et qui m’échappe un peu maintenant, j’ai appris à me dévoiler un peu, à me faire confiance.
Ton livre ou auteur préféré sur le Japon ?
Le poète Sōseki comme mentionné précédemment.
Aussi le livre de Machi TAWARA, L’anniversaire de la salade. Un choc, au Japon, quand il a été publié. Le journal d’une jeune adulte, raconté dans un format traditionnel, en tankas, des poèmes courts japonais ancêtres des haïkus. Il y a également le célèbre mangaka Taiyō MATSUMOTO. Une grosse influence sur mon travail au quotidien, j’aime beaucoup son approche à la fois graphique et poétique, sa façon de raconter les choses au travers de son regard d’enfant.
Et maintenant ?
Je continue à dessiner, écrire des haïkus, à produire des cartes et des linogravures. Peut être un jour j’en ferai un recueil. Vous pouvez les découvrir sur mon site, et même les acheter depuis la boutique en ligne que j’ai ouvert très récemment sur Etsy.
Ce printemps, j’ai réalisé un livre illustré sur l’Arbresle, la commune où j’ai grandi. J’avais à cœur de faire un lien entre deux époques initiatiques de ma vie, mon enfance et mon voyage au Japon. Il y a une expo à l’office du tourisme local, elle se termine en août. Des conférences étaient prévues, hélas elles ont été annulées, au vu du contexte.
Mais mon gros projet des derniers mois, c’était l’écriture d’un roman, sur le Japon bien sûr. Une auto-fiction, largement inspirée de ce que nous avons vécu en 2016 lors de notre séjour à la ferme. Un récit poétique du quotidien, avec des réflexions identitaires et environnementales, le tout illustré par des peintures que j’ai réalisées depuis. Une façon de retourner là bas, en attendant le prochain voyage.
Merci Edith, au plaisir de se revoir pour parler de ce roman.
Découvrez le livre d’Edith Silva, Le Japon, 100 instants de voyage sur le site des Editions Le Prunier Sully.
Retrouvez aussi d’autres portraits d’auteures dans notre rubrique : Elles nous racontent leur Japon.
* kotatsu : table basse chauffante, on s’assoit par terre autour
* haïku : court poème japonais composé de trois vers et qui exprime la beauté fugace d’un instant de vie
* gaijin : les étrangers, les non japonais
* geta : chaussures traditionnelles des geishas