L’Infirmière de Koji Fukada : réflexions malades
Depuis 2017 et la doublette Harmonium (prix du jury Un Certain regard à Cannes) et Sayônara, Koji FUKADA s’était fait rare dans nos salles obscures. Trois ans d’absence qui n’auront cependant pas été trois ans d’oisiveté, puisqu’il nous revient avec pas moins de trois films, L’homme qui venait de la mer, tourné en 2018 et qui devrait sortir en décembre, Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis, labellisé Cannes et prévu pour l’année prochaine et enfin L’infirmière, réalisé entre les deux, en 2019, et qui ouvrira, le 5 août, le bal de son retour en salles, et en grâce.
Déconstruire le confort familial
FUKADA est, entre autres, un réalisateur des faux semblants, des fausses pistes. Un réalisateur qui prend un malin plaisir à filmer des idéaux, familiaux, estivaux ou autres, pour mieux, ensuite, donner à voir leurs dissonances. Il est un réalisateur espiègle, ou furieux, qui ne construit des châteaux de sable que pour mieux les regarder s’effondrer. Un réalisateur dont les films sont toujours plus complexes et ambigus qu’il n’y paraît, et qui n’a de cesse de chercher, au cœur des histoires à priori simples qu’ils racontent, les zones grises, obscures et inquiétantes.
Ainsi, son précédent film, Harmonium, était tout entier habité par un malaise insidieux qui, scène après scène, transformait en home-invader cruel ce qui, jusque-là ressemblait à un drame familial comme tant d’autres. L’Infirmière, à ce titre, est un film tout aussi dérangeant, reprenant le même mécanisme de renversement et de bascule et transformant son histoire chargée de bienveillance, fondée sur la confiance d’une famille en son infirmière à domicile, en un véritable cauchemar. Si le mouvement est le même, ce sont cependant ses rouages qui changent et qui font de L’Infirmière, bien plus qu’une redite d’Harmonium. En effet, dans ce dernier, FUKADA jouait sur l’intrusion, sur le parasitage progressif et l’isolement programmé de personnages à priori unis. Or, c’est sur un tout autre ressort que repose L’Infirmière, film où le malaise intra autant qu’extradiégétique vient avant tout d’une confusion généralisée, portée par une temporalité fragmentée et une réalisation chirurgicale.
Aux origines du manque
Bien sûr, il y a la base saine, facilement compréhensible, la relation de confiance établie entre Ichiko, l’infirmière à domicile, et la famille pour laquelle elle travaille. Jour après jour, elle s’y occupe avec patience et douceur de la grand-mère malade et aide les enfants, deux sœurs, à réviser, s’imposant, au fil du temps, comme un indispensable pilier et soutien autant physique qu’émotionnel et scolaire. Dans ce petit groupe où le père est absent et où mère et filles semblent difficilement se comprendre, elle est le cœur et la colle, ce qui maintient la famille et son unité. Seulement, si la scène d’introduction nous a appris une chose, c’est que tout cela est révolu, et qu’Ichiko non seulement ne travaille plus pour la famille mais a aussi changé de vie, de nom et même de couleur de cheveux. En effet, le film est construit sur une alternance de deux temporalités : une première dans laquelle Ichiko fait encore parti de la famille et où le spectateur est témoin de son effondrement progressif après la disparation de la cadette, Saki, et une seconde, après cet effondrement, donnant à voir la vie d’une Ichiko accusée de complicité avec le kidnappeur de la jeune fille et bannie de la famille. Cette alternance, que FUKADA a la finesse de ne pas marquer avec insistance, jouant toujours sur une certaine incertitude temporelle, se veut alors programmatique, annonçant d’avance les échecs de toute forme de salut, chaque plan lumineux de la première partie, étant systématiquement mis en défaut par l’obscurité et la solitude propre à la seconde. Ainsi, entre les deux temporalités, le réalisateur construit un véritable jeu de miroirs où chaque moment voit son sens reflété, approfondi et parfois déformé par sa mise en perspective avec l’autre époque. Un jeu qui n’a d’ailleurs rien d’un hasard dans un film, qui, de son très beau premier travelling initial – le visage d’Ichiko se dévoilant derrière un miroir à mesure que la caméra avance – à sa dernière scène, tout aussi fascinante, n’a de cesse de jouer sur le thème de la réflexion et des reflets. Un motif que FUKADA exploite avec virtuosité, traînant son film non pas du côté du polar mais plutôt de celui du thriller où la disparition qui compte n’est pas tant celle de Saki que celle des repères moraux et sociaux.
Regarder son reflet
Plus tôt, nous parlions de « confusion généralisée » et c’est bien là le cœur du film, ce qui fait autant son intérêt que sa force. En effet, avec L’infirmière, le réalisateur livre une œuvre qui frappe avant tout par la façon dont elle brouille toute les lignes et certitudes à laquelle personnages et spectateurs pourraient s’attacher. Ainsi, Ichiko est d’abord présentée comme une infirmière modèle, mais la seconde partie du film donne aussi un aperçu de ses failles, sans jamais non plus s’y arrêter frontalement, jouant bien souvent sur la frontière entre réalité et rêverie ou plutôt cauchemar. Et il en va de même pour la famille chez qui elle travaille, où des détails, une montagne de détritus dans la chambre de l’aînée, l’empressement de la mère à accuser son employée ou une brochure abandonnée sur la table, semblent tous indiquer que quelque chose cloche et que l’unité a été chassée de la maison en même temps qu’Ichiko. À ce titre et même avant toute, L’Infirmière est avant tout un formidable film sur le regard et la perception, qui n’a de cesse de croiser les perspectives et les versions sans jamais prendre aucun parti.
On comprend alors aisément le choix du motif du miroir, tant FUKADA s’emploie, précisément à révéler encore et toujours, à faire tomber les masques, à jouer sur ce qui est vu, et ce qui, au contraire, échappe au regard ou est perçu différemment. Le miroir, dès lors, devient un objet privilégié, renvoyant chaque personnage à sa propre vision, le confrontant à sa propre image, donnant à chaque scène deux versions : une face et un revers, une image tangible et un reflet. Avec une telle construction qui fait aussi la part belle aux délires, cauchemars et fantasme d’Ichiko, L’Infirmière s’impose comme un film virtuose, autant dans son montage que dans sa réalisation, chaque plan, chaque mouvement de caméra et chaque transition dévoilant une chose et en cachant une autre, comme si chaque image avait le pouvoir autant de créer du sens que de la confusion, de rapprocher de la réalité autant que d’en éloigner. À ce titre une séquence plus qu’aucune autre s’impose comme un monument de précision cinématographique : opposant deux visites au zoo, l’une avant, l’autre après l’éjection d’Ichiko de la famille, elle les met en regard de façon chirurgicale, un travelling vers la gauche répondant à un autre vers la droite, un plan étant filmé au même endroit, mais avec une perspective différente selon l’époque, et, bien sûr, les thèmes abordés lors de chaque visite se répondant l’un l’autre. Fascinante et véritable moment pivot du film, la scène donne à voir autant l’imbrication des époques que celles des narrations, la façon dont le croisement de ces perspectives complique les relations, rend toute lecture définitive et absolue impossible.
En somme, c’est donc cette ambiguïté qui donne toute sa richesse à L’infirmière. Bien sûr, il est aussi un film social, qui donne à voir les conséquences désastreuses de l’acharnement médiatique et de la recherche aveugle d’un coupable. Mais c’est lorsqu’il va au-delà de ce propos aussi nécessaire qu’évident, que le film devient réellement percutant, entretenant un doute permanent quant aux motivations des personnages. À ce titre, s’il est une grande œuvre sur le regard et sa faillite, il est aussi une réflexion plus que réussie sur les silences, sur la parole empêchée, qu’elle soit interdite ou non entendue. Il est un film où le malaise découle autant de l’incapacité des personnages à voir la même chose que de leur inaptitude à dire ce qu’ils perçoivent et veulent : un film où les relations humaines sont toujours compliquées par des non-dits, des attentes et des projections qui leur donnent un poids insoutenable sous lequel même les meilleures intentions ne peuvent que s’effondrer. Enfin, il est aussi un film tout entier porté par son actrice principale, Mariko TSUTSUI, qui y délivre une partition incroyablement juste, percutante et touchante.
Film amer, percutant et dérangeant, L’Infirmière est une réussite évidente, confirmant la capacité de FUKADA à parasiter et questionner les genres et à remettre en cause les certitudes et les convictions. Surtout, il est un film qui file une métaphore hautement percutante, donnant à voir une cellule familiale malade et, derrière elle, une société en crise, l’une et l’autre corrompant et rejetant celle qui, pourtant, a le pouvoir de la soigner, transformant la bienveillance en ressentiment et les douces paroles murmurées en cris déchirants.
Alors moi je veux bien tout ça mais quand je mets cinéma c’est que je veux regarder les films et pas regardé soit la bande-annonce soit images du film enfin voilà c’est logique merci de corriger ce petit problème comme ça je pourrais regarder des films sauf si vous ne pouvez pas rajouter l’option film là ok je veux bien
Encore une chose , je ne veux pas que vous mettiez des films YouTube !!!!! C’est hors de question.
Merci beaucoup (sauf si vous n’avez pas regardé mon message )
Bonjour Téké san,
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