Annecy 2020 : édition numérique, édition prometteuse !
Cette année, distanciation sociale oblige, c’est en ligne que s’est tenu le festival international du film d’animation d’Annecy. Un mal pour un bien puisque journalistes comme festivaliers qui pouvaient habituellement se rendre sur place ont eu le loisir de découvrir à distance ce panorama de l’animation contemporaine dans toute sa variété. Le Japon était d’ailleurs représenté par deux longs métrages dans la sélection officielle (Lupin III The First et 7 Days War) et un dans la sélection dite « contrechamps » (Ongaku – Notre Rock), mais aussi à travers 2 Work In Progress présentant deux films encore en production mais particulièrement attendus : Inu-Oh, prochaine réalisation de Masaaki YUASA, et Le Sommet des Dieux, adaptation par un studio français du manga éponyme de Jiroo TANIGUCHI.
Petit tour d’horizon de cette sélection par nos deux rédacteurs « sur place à la maison », Alexis et Pascal.
Notre avis sur la sélection officielle
Si quelques films de la compétition pouvaient être visionnés en intégralité, ce n’était malheureusement pas le cas de tous, certains devant se contenter d’une dizaine de minutes de montage. C’était justement le cas des longs métrages japonais avec des extraits souvent un peu déceptifs, voire décevant. Heureusement, grâce au distributeur, nous avons pu visionner ces films en intégralité, pour un résultat bien au-dessus de ce que ces extraits nous avaient laissé présager !
Lupin III : The First
L’avis de Pascal : ⭐⭐⭐⭐
Nul n’est besoin de présenter Lupin III, le célèbre cambrioleur, petit fils de notre Arsène national, dont les aventures continuent de faire l’objet de nouvelles séries et films régulièrement. Après Captain Harlock et Saint Seiya, c’est au tour du héros créé par Monkey Punch en 1967 de se voir appliquer le traitement de l’animation 3D. En tant qu’amoureux de l’animation traditionnelle en 2D, j’ai souvent tendance à appréhender l’animation 3D avec un certain à priori.
Mais là, c’est probablement ce qui pouvait arriver de mieux à Lupin à côté de ses aventures 2D habituelles comme notamment la formidable réappropriation du personnage par Takeshi KOIKE, ou bien la superbe série L’aventure Italienne. En effet, alors que les adaptations live ratées de manga et d’animé sont légions – Lupin III n’y ayant d’ailleurs pas échappé – ce film en CGI nous donne justement tout ce que l’on attend d’une telle adaptation tout en évitant les écueils. Le film confère à l’univers de Lupin III et aux personnages qui l’habitent une corporalité, un sentiment d’existence concrète via la lumière et les matières, tout en conservant toute la singularité des personnages. Leur expressivité cartoonesque, leur plasticité et leur dynamisme qui défie parfois les lois de la physique …
Tout cela se fond à merveille dans un environnement qu’on jurerait réel ! Et évidemment, le style, l’ambiance musicale délicieusement jazzy et les thèmes indissociables de Lupin III, ainsi que le travail des doubleurs : tout est là, réuni dans une aventure qui prend même le luxe de laisser planer le spectre de l’illustre aïeul Lupin premier du nom. Sachant qu’Eurozoom va distribuer le film à la fin de l’année (le 16 décembre) sur grand écran dans nos contrées, on ne peut qu’espérer au cambrioleur de ravir le cœur d’un large public !
Ongaku
Le film a obtenu le prix de la meilleure musique originale de cette édition 2020.
L’avis d’Alexis : ⭐⭐⭐
Premier film de son réalisateur, Kenji IWAISAWA, On-gaku : notre rock lorgne du côté de la tranche de vie autant que de la comédie, un pied dans la tradition des anime musicaux, l’autre dans celle des furyô manga. Sauf que, à l’instar de Kenji, son héros chauve et apathique, Kenji Iwaisawa se fiche de tout. A commencer des dites traditions et fait de son film un objet surprenant, à la fois familier et étonnamment singulier. En effet, si on connaît la chanson qu’il joue, de jeunes adolescents voulant se lancer dans la musique, c’est du côté de « l’interprétation », de la réalisation, que On-gaku surprend.
Dessins originaux, bande-son atypique, rotoscopie savamment utilisée pour dynamiser les scènes de musique, une hilarante maîtrise des silences et des longueurs, les quelques une heure et dix minutes du film d’Iwaisawa sont véritablement saturées d’idées originales et réussies qui font d’On-gaku un pur film sur le rock, en d’autres mots, sur la liberté de jouer une musique et dire une histoire qui soient siennes et uniquement siennes.
L’avis de Pascal : ⭐⭐⭐⭐
On-gaku : notre rock est une véritable surprise. Un feu d’artifice à mèche lente qui démarre doucement, laissant s’installer une ambiance flottante à l’humour absurde et à contre-temps pour mieux exploser ensuite. Avec un style au crayon de couleur qui évoque le dessin d’enfant, le première film de Kenji Iwaisawa déroute tout d’abord, abordant la thématique du furyô de campagne dont il prend le contre-pied.
Mais ce calme voire cet ennui, et cette simplicité apparente de l’animation distillant une ambiance pour le moins iconoclaste sont littéralement explosés dès que la musique entre en scène et qu’il s’agit de la mettre en image. Là, l’animation se fait énergie, mouvement et lyrisme, notamment grâce à la rotoscopie. On est alors embarqué et l’on jubile. Car On-gaku porte très bien son titre occidental « notre rock » et prouve que l’on peut justement être rock : même avec une flûte à bec ; être baraqué et chanter l’amour en marcel ; être le gars le plus doux et poli du monde et être punk. Le film ressuscite l’âme rock et punk d’une manière différente, mais qui n’est pas sans évoquer l’esprit du manga Beck d’Harold SAKUISHI.
7 Days War
L’avis d’Alexis : ⭐⭐⭐
Premier film de son réalisateur Yuta MURANO, 7 Days War est adapté d’un roman d’Osamu SODA et raconte la semaine de six adolescents réfugiés, en plein été, dans une usine désaffectée. Histoire d’une fugue, le film, comme son nom l’indique, est aussi et même surtout l’histoire d’une transgression, d’une guerre en bonne et due forme, contre le monde des adultes et leurs règles incompréhensibles.
Et de fait, s’il aborde une variété de thèmes polémiques comme l’immigration, la corruption politique, la cause LGBT+ ou le harcèlement scolaire, le film n’est jamais aussi réussi que quand il abandonne ces thèmes qu’il ne fait d’ailleurs que survoler, pour jouer sur cette idée de guerre, sur le pouvoir libérateur de la transgression et du jeu et sur la beauté du geste adolescent. En bon teen-movie qui n’est pas sans rappeler The Kings of Summer, et, comme les meilleurs films du genre, 7 Days War brille alors, dans ces moments par la tendresse qu’il met dans sa réalisation d’une identité adolescente qui semble se construire, chez MURANO, au fil du jeu, guidée par un plaisir transgressif dressé comme véritable miroir et bouclier face au sinistre sérieux des adultes.
L’avis de Pascal : ⭐⭐⭐
Adapté d’un roman jeunesse très populaire au Japon et vieux d’une trentaine d’années, les premières images du film évoquaient un ersatz de Makoto SHINKAI. Au final, si le sujet reste centré sur les dilemmes que l’on doit affronter dans sa jeunesse pour se construire, le film de Yuta MURANO affirme sa propre identité, notamment en évacuant toute dimension fantastique et en abordant des thématiques sociales que l’on a rarement l’occasion de voir traitées en anime, comme l’immigration par exemple. Aussi, si le film n’a visiblement pas les mêmes moyens que certaines grosses productions, il reste cependant très agréable à l’œil, notamment grâce à un très joli travail sur les décors, et on se laisse rapidement emporter par ce film dynamique et par ses personnages.
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Revu des Work in Progress
Le principe des work in progress en festival est de permettre aux producteurs et réalisateurs à la fois de faire un point sur l’avancée d’un projet devant la presse et de le teaser en montrant quelques extraits ou images, le tout accompagné d’un temps de questions-réponses avec des membres de l’équipe du film. Annecy a donc proposé deux work in progress autour d’œuvres japonaises, dont une production française.
Inu-Oh
L’avis de Pascal : ⭐⭐⭐⭐
Work in progress particulièrement attendu que celui-ci, Inu-Oh confirme que Masaaki YUASA est loin de s’être assagi ou de viser uniquement le grand public. Le réalisateur retrouve Taiyo MATSUMOTO (après la série Ping Pong) pour s’attaquer à un sujet de prime abord surprenant, celui d’un obscur performeur de noh du 14e siècle, Inu-Oh, artiste avant-gardiste et gloire fugace maintenant tombée dans l’oubli. Mais l’approche du réalisateur est, elle, tout sauf classique.
Se replaçant dans le contexte de l’époque, il met en scène un théâtre noh bien moins austère que celui que nous connaissons maintenant ; un art alors aussi populaire et dynamique que le kabuki, qui avait ses héros, comparables aux rock stars de maintenant. Le personnage de Inu-Oh lui-même est victime d’une « malédiction », un handicap qu’il va parvenir à surmonter grâce à sa bonne nature et sa force de caractère. Il va ainsi se lier avec Tomona, un joueur de biwa (luth japonais) aveugle. C’est l’histoire de ce duo particulier et leur amitié que Yuasa va placer au cœur du film.
Une particularité que le réalisateur va imprimer dans la texture même de l’image, cherchant, par exemple, à retranscrire visuellement la manière dont un aveugle découvre et appréhende le monde qui l’entoure. Ces premiers extraits, dont le style évoque la peinture et le crayon gras, sont en tout cas saisissant d’audace et s’accordent parfaitement au design si particulier de MATSUMOTO. Alors que Ride Your Wave est encore attendu chez nous et que Japan Sink 2020 s’apprête à être diffusé sur Netflix, on a hâte d’en découvrir encore plus sur Inu-Oh.
L’avis d’Alexis : ⭐⭐⭐⭐
Avare en images, le Work in Progress de Inu-oh, prochain film de Masaaki YUASA n’en reste pas moins une fascinante plongée dans le processus créatif d’un des artistes les plus excitants de son milieu et de son époque. Surtout, il s’agit d’une mise en bouche alléchante, occasion pour YUASA d’affirmer ses ambitions pour ce film qui marquera ses retrouvailles avec Taiyou MATSUMOTO qui en est le character-designer, à commencer par sa volonté d’y « peindre les pop-stars perdues de l’histoire ». Présenté par YUASA comme un film sur ce qui lie les choses à travers l’histoire et la transmission d’histoires singulières, Inu-oh, prévu pour 2021, reste mystérieux. Un mystère qui augure cependant le meilleur, à l’image de son impressionnante ouverture, mise en scène visuelle et virtuose des sons qu’entend un personnage aveugle.
Le Sommet des dieux
L’avis d’Alexis : ⭐⭐⭐
Plus qu’un nom, Jiroo TANIGUCHI est une promesse. Celle d’un trait singulier, d’une narration captivante, et de mangas inoubliables. Un monument que ses multiples chefs-d’œuvre ont rendu indépassable. S’attaquer à l’adaptation animée de l’un d’entre eux s’apparente dès lors à un projet titanesque, presque impossible, à une véritable ascension de l’Everest. Et ça tombe bien, car c’est là l’objet du Sommet des dieux, qu’adapte Patrick Imbert dans un film qui devrait sortir en 2021.
Présenté cette année, en attendant le film définitif, le work in progress est un document fascinant sur ce projet ambitieux, donnant à voir les coulisses de l’élaboration d’un film, et surtout de l’émergence, au fil des réunions et confrontations des techniques et approches, d’une vision commune et portée par l’équipe toute entière. Un document précieux sur l’élaboration d’un film, et surtout la promesse d’un potentiel miracle, celui d’une adaptation réussie, qui pourrait bien nous attendre dans les salles obscures, au détour de l’année 2021.
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L’édition d’Annecy 2020 en ligne a quand même permis de voir des films et des extraits de films d’animation japonais qui s’annoncent prometteurs pour des sorties en salle. Nous leur souhaitons tout le succès qu’ils méritent. Alors, rendez-vous pris dans les salles obscures ! N’hésitez pas à mettre en commentaire ce que vous avez pensé de cette édition du festival et des films !