Guerre du Pacifique : Épisode 5 – La double offensive dans le Pacifique (partie 1/2)

Dans l’épisode précédent sur la contre-attaque américaine, nous avons assisté au grand tournant de la guerre du Pacifique avec la bataille de Midway mais aussi la campagne de Guadalcanal qui va définitivement inverser la vapeur pour les Américains. À la fin de l’année 1942, le Japon a subi un terrible coup tant les pertes humaines et matérielles (en avions et en navires) sont importantes.

Pour gagner la guerre, les États-Unis devront reconquérir le Pacifique. Une double offensive américaine s’annonce pour les années 1943-1944. Deux Américains lutteront pour arriver le premier sur Tokyo. S’agira-t-il du général MacArthur en passant par le Pacifique sud-ouest, les Indes néerlandaises et les Philippines… ou bien l’amiral Nimitz et la voie directe du Pacifique central, les îles Marshall et Mariannes ?

La guerre du Pacifique (1941-1945)

La guerre du Pacifique (1941-1945) – l’Axe Salomon – Nouvelle-Guinée – Philippines du général MacArthur et l’Axe direct Marshall – Mariannes de l’amiral Nimitz (Source : Atlas historique mondial – éditions Larousse, 2006)

MacArthur et la route du Pacifique sud-ouest

Le général MacArthur avait promis aux Philippins et à ses soldats qu’il reviendrait (confère l’épisode 3 sur l’avancée japonaise dans le Pacifique). Il compte tenir sa parole et sa feuille de route pour marcher sur Tokyo est toute tracée : ce sera l’axe Nouvelle-Guinée – Indes néerlandaises – Philippines. Au début de l’automne 1943, l’opération « Cartwheel »  est bien avancée. Son objectif est de reprendre Rabaul capturée en février 1942 par les forces japonaises en Nouvelle-Bretagne dans le territoire de la Nouvelle-Guinée qui est devenue la principale base avancée pour le Japon dans le Pacifique sud. Les Américains ont repris Guadalcanal, la Nouvelle-Géorgie et Vella Lavella.

Carte de la campagne des îles Solomon en 1943

Carte de la campagne des îles Solomon en 1943 ©United States Marine Corps (Domaine public)

« Cherryblossom » : objectif Bougainville !

Carte de Bougainville

Carte de Bougainville

Avant de pouvoir aborder Rabaul, il faut reprendre le contrôle de la plus grande île des Salomon, Bougainville. La conquête de cette île en forme de violon s’annonce difficile. Le général Kanda de la 17e armée commande près de 40 000 hommes et dispose de 450 avions dont 160 chasseurs Zéro. Du côté de la Marine, à Buka, île au nord-ouest de Bougainville, ce sont 2 croiseurs, 10 destroyers, 10 transporteurs et 12 sous-marins qui sont mobilisables. Les forces alliées sont semblables mais les États-Unis bénéficient d’un avantage : l’initiative des combats.

Sous l’autorité de MacArthur pour la bataille des Salomon, l’amiral Halsey lui présente le 1er octobre 1943 son plan d’action sur Bougainville baptisé « Cherryblossom » (« Fleur de cerisier »). Les extrémités de l’île étant trop bien gardées, l’amiral prévoit un débarquement amphibie au cap Torokina, à l’ouest de la baie de l’Impératrice-Augusta. Après avoir établi un puissant périmètre de défense, la construction d’un aérodrome permettra de juguler la riposte japonaise en maîtrisant les airs. La base japonaise de Rabaul sera depuis Bougainville dans le champ d’intervention des Alliés. Des opérations de diversion dans les îles du Trésor et Choiseul sont prévues pour détourner l’attention de l’ennemi.

Le héros de Guadalcanal, le général Vandegrift mènera la 3e division des Marines, la 37e division et le 2e régiment de Raiders. Le 1er régiment de parachutistes des Marines reste en réserve. La Task Force 39 de l’amiral Merrill composée de 4 croiseurs légers et de 8 destroyers ainsi que les deux porte-avions Saragota et Princeton de l’amiral Sherman assureront la couverture aéronavale.

Les opérations de diversion et le débarquement sur Bougainville

Débarquement de Marines sur Bougainville

Débarquement de Marines sur Bougainville ©United States Marine Corps (Domaine public)

Le 27 octobre, l’opération de diversion démarre. 7 000 soldats débarquent dans les îles du Trésor. Les Japonais se défendent et se battent jusqu’à la mort comme le bushidō le leur enseigne. Après 4 jours de combat, les Alliés contrôlent la zone au prix de 40 tués et 145 blessés dans leurs rangs. Du côté japonais, 200 cadavres et seulement 8 soldats faits prisonniers par les troupes néo-zélandaises. En parallèle, pour leurrer l’ennemi et « faire du volume », le 2e bataillon de parachutistes des Marines débarque à Choiseul. L’évacuation aura lieu le 3 novembre. Ces diversions ont fonctionné et le général japonais pense alors que les Américains ont pour objectif Buin depuis les îles Trésor.

Raiders de l'U.S. Marine au cap Torokina sur l'île de Bougainville

Raiders de l’U.S. Marine au cap de Torokina sur l’île de Bougainville ©United States Marine Corps (Domaine public)

Le 1er novembre, à 07 h 10 du matin, les 3e et 9e bataillons de la 3e division des Marines approchent du cap Torokina et débarquent sur les plages de Bougainville presque désertes, sauf dans la partie orientale du cap Torokina. 25 blockhaus sont âprement défendus. Bravant la houle, 7 500 Marines débarquent à 07 h 30. La zone de débarquement est sécurisée à 11 h 00. Bilan : 78 hommes perdus contre un bataillon japonais de 270 soldats presque anéanti. A Rabaul, la nouvelle arrive et l’amiral Koga n’a pas l’intention de laisser les Américains s’installer sur Bougainville. Il ordonne plusieurs raids aériens. Les avions envoyés de Rabaul n’arrivent pas à empêcher les débarquements et sont mis en échec par les chasseurs américains et néo-zélandais : 26 Zéro sont abattus contre 4 appareils alliés.

La bataille de la baie de l’Impératrice-Augusta

Carte de la bataille de la baie de l’Impératrice-Augusta

Carte de la bataille de la baie de l’Impératrice-Augusta ©United States Marine Corps (Domaine public)

Face à l’échec de l’aviation, le général japonais envoie l’amiral Ōmori avec 2 croiseurs lourds, 2 croiseurs légers et 6 destroyers avec pour mission la destruction des navires de débarquement et de transport au cap de Torokina. Les porte-avions de l’amiral Sherman sont trop loin mais la Task Force 39 de l’amiral Merrill, dans la nuit du du 1er au 2 novembre, vers 2h30, intercepte la flotte japonaise à proximité des côtes de Bougainville.

Les navires américains munis de radar manœuvrent bien dans l’obscurité et réussissent à gagner la bataille de la baie de l’Impératrice-Augusta. Si les torpilles lancées par les destroyers américains ratent leurs cibles, elles permettent de désorganiser la flotte ennemie lors de la manœuvre d’évitement. Les croiseurs américains en profitent pour ouvrir le feu et endommagent le Sendai, croiseur léger japonais. Dans leur tentative de riposte, la flotte est désorganisée : le Samidare percute un autre destroyer, le Shiratsuyu. Le destroyer Hatsukaze est percuté et endommagé gravement par le croiseur Myōkō.

L’amiral Merrill fait tirer des fumigènes pour effectuer la retraite. L’amiral Ōmori pense à cause de la fumée qu’il a coulé un croiseur lourd. Il décide que la mission est accomplie et ordonne à la flotte de faire demi-tour pour rentrer à Rabaul. L’amiral américain les suit et trouve le Sendai et le Hatsukaze endommagés. Le croiseur léger et le destroyer japonais sont tous les deux coulés. Bilan : presque tous les navires japonais ont été touchés, le Sendai et le Hatsukaze ont été coulés et côté américain, un croiseur et deux destroyers sont légèrement endommagés et un destroyer a été plus gravement touché.

La maîtrise du ciel et de la mer dans les Salomon

Le 11 novembre, porté par le succès, l’amiral Halsey remobilise ses porte-avions et en emprunte trois autres à la 5e flotte. Pour attaquer Rabaul, les États-Unis ont prévu 185 avions qui arrivent sans trop de difficulté à balayer les Zéro japonais en défense. Dans l’attaque, 2 destroyers ennemis sont coulés ainsi qu’un croiseur léger et des navires de transport sont endommagés. Prudent, l’amiral Koga avait évacué le gros de sa flotte sur Truk, la grande base japonaise des îles Carolines. La riposte aérienne japonaise est un échec : la défense anti-aérienne américaine tient bon. Les jeunes recrues japonaises manquent d’expérience face aux Wildcat américains : les lourdes pertes de pilotes japonais expérimentés à la bataille de Midway handicapent grandement l’aviation japonaise lors de la campagne de Bougainville. Les nouveaux obus à fusée de proximité permettent aux Américains de dresser des barrières de feu difficilement franchissables.

La 20e division en formation le 16 octobre 1941 avec dans l'ordre le Sagiri, l'Amagiri et l'Asagiri

La 20e division en formation le 16 octobre 1941 avec dans l’ordre le Sagiri, l’Amagiri et l’Asagiri (Wikimedia Commons)

Redoutant une attaque sur Buka, au nord de l’île de Bougainville, l’amiral japonais souhaite renforcer la garnison et la réapprovisionner. Pour ce faire, il envoie un « Tokyo Express », convoi de 5 destroyers dont 3 pour transporter 900 soldats. La marine américaine informée, le capitaine de vaisseau Burke lance une opération d’interception avec 5 destroyers. Les destroyers de transports japonais Amagiri, Yugiri et Uzuki ont le temps de débarquer les hommes et le matériel. Ils reprennent ainsi leur route pour rentrer à Rabaul. Dans la nuit du 25 au 26 novembre, vers 1h40, les navires japonais sont repérés par les radars américains. Le destroyer d’escorte, l’Ōnami est frappé par plusieurs torpilles et coule immédiatement. L’autre destroyer d’escorte, le Makinami est mis hors de combat par une torpille puis coulé par les canons. Les 3 destroyers de transport se séparent et fuient dans des directions différentes. Le Yugiri est pris en chasse et est coulé vers 3h30. La bataille du cap Saint-George avec aucune perte du côté américain pour 3 destroyers japonais coulés sur 5 montre que les États-Unis ont dorénavant, en plus de l’avantage dans les airs, la maîtrise de la mer dans les Salomon.

Bataille terrestre sur Bougainville

Il reste dorénavant à gagner la bataille terrestre à Bougainville. Marais, plantes grimpantes, chauves-souris, serpents, lézards et insectes… Tel est le décor des opérations ! Les Américains avancent et se fraient un chemin dans la jungle épaisse à la machette. De midi à minuit, les soldats affrontent les fortes pluies tropicales. Ce sont 33 000 combattants américains qui sont dorénavant sur l’île en forme de violon avec les renforts de la 37e division d’infanterie. Les Alliés progressent bien et la tête de pont atteint 55 km². Les Japonais ripostent et leurs assauts sont repoussés. La défense des collines sera farouche : l’une d’elles est d’ailleurs baptisée « colline aux grenades » ! Dans le secteur protégé par les Américains et les Néo-zélandais, deux pistes d’aviation (une pour les chasseurs et l’autre pour les bombardiers) sont opérationnelles dès le 9 janvier 1944.

La base japonaise de Rabaul neutralisée

Carte du détroit de Vitiaz, en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Carte du détroit de Vitiaz, en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Grâce à ces nouvelles pistes d’aviation sur l’île de Bougainville, les appareils américains ne sont plus qu’à 350km de Rabaul. La base japonaise est bien protégée avec sa garnison de 100 000 hommes. « Est-il bien nécessaire de perdre du temps et des vies humaines pour s’emparer de Rabaul ? » se demande l’État-major et l’amiral King. Décision est prise de court-circuiter la base en la bombardant notamment. A la fin de 1943, en Nouvelle-Guinée, les Américains contrôlent les vallées intérieures des fleuves Ramu et Markham et sur la côte  Finschhafen, Wareo, Sio ainsi que Saidor. Maître de la péninsule de Huon, en poussant davantage, le général MacArthur pourrait paralyser Rabaul en la prenant en tenaille à l’ouest depuis la Nouvelle-Guinée et à l’est depuis les Salomon. En prenant Cap Gloucester, non loin de la péninsule Huon, le passage entre les mers de Bismarck et de Corail serait alors verrouillé pour les Japonais.

Cap Gloucester, débarquement en Nouvelle-Bretagne

Cartes des débarquement sur Cap Gloucester et localisation de l'aérodrome

Cartes des débarquement sur Cap Gloucester et localisation de l’aérodrome (Cartwheel: The Reduction of Rabaul de John Miller, Jr., Office of the Chief of Military History, U.S. Department of the Army, page 292)

Le 26 décembre 1943, les navires de guerre de l’US Navy et de la Royal Australian Navy effectuent des tirs de barrage sur les positions japonaises à Cap Gloucester suivis par des attaques aériennes de l’Armée de l’air américaine et de la Royal Australian Air Force. Les Marines de la 1ère division débarquent dans la baie de Borgen, sur les plages Yellow Beach 1 et 2, au sud est de leur objectif : Cap Gloucester. Un débarquement de plus faible envergure et composé d’un seul bataillon est effectué sur Green Beach sur la côte ouest pour couper les possibilités de retraite à la garnison japonaise. Pas de comité d’accueil mais les Américains découvrent un « enfer vert » encore plus terrible que celui des Salomon ! Les cartes effectuées d’après les reconnaissances aériennes s’avèrent fausses à de nombreux endroits. Là où les cartographes annoncent des « marais secs », l’infanterie américaine se retrouve dans l’eau et la boue jusqu’aux cuisses… Les arbres abattus ou déracinés par le bombardement freinent encore plus leur progression. Tombant sans prévenir à leur passage, ils font les premières victimes mortes durant cette opération. Face à une opposition japonaise dispersée mais croissante au fil de la journée, les Marines établissent le soir un périmètre de sécurité tout autour des plages. Le lendemain, un bataillon appuyé par des tanks entame une marche en longeant les lignes côtières vers l’aérodrome situé à environ 4 km au nord-ouest. Sur leur route, les soldats arrivent à capturer le complexe de défense de Blue Beach le 28 décembre. Dans cet affrontement, seuls 9 Américains sont tués contre 260 Japonais. L’aérodrome de Cap Gloucester passe finalement sous possession américaine le 29 décembre, face à une résistance minimale.

Les îles de l’Amirauté et l’isolement de Rabaul

Carte pour localiser la base japonaise de Rabaul dans la mer Solomon

Carte pour localiser la base japonaise de Rabaul dans la mer Salomon

Les troupes continuent de progresser vers l’est de la Nouvelle-Bretagne. Début mars 1944, la péninsule Willaumez est atteinte avec un nouveau terrain d’aviation à Talasea : le tiers de l’île est sous contrôle. Rabaul n’est plus qu’à moins de 300 km. Le général MacArthur a réussi son objectif : isoler au plus proche Rabaul. La prise des îles de l’Amirauté isolerait complètement la base japonaise ainsi que celle de Kavieng à la pointe septentrionale de la Nouvelle-Irlande.

Le 23 février 1944, trois bombardiers de l’US Air Force survolent à basse altitude l’île de Los Negros et ne repèrent aucun signe d’activité ennemie et en déduisent que les îles de l’Amirauté ont peut-être été évacuées. Le général MacArthur ordonne ainsi une « reconnaissance en force » le 29 février 1944. Contrairement aux apparences, les Japonais sont bien présents et en nombre, 4 000 hommes selon le Bureau des Renseignements Alliés. L’ennemi fait silence radio et ne riposte pas aux attaques aériennes.

La première vague des troupes américaines ayant débarqué sur Los Negros le 29 février 1944

La première vague des troupes américaines ayant débarqué sur Los Negros le 29 février 1944 ©United States Marine Corps (Domaine public)

La 1ère division de cavalerie américaine débarque sur une plage isolée de Los Negros, la troisième plus grande îles de l’Amirauté. Les Japonais défendent la côte opposée. La première résistance étant faible, les troupes alliées occupent en deux heures l’aéroport de Momoto. Retranchés derrière des casemates, dissimulés par un terrain propice aux défenseurs, les troupes impériales luttent avec acharnement et lancent des assauts suicides dans les champs de mines. Le , la campagne des îles de l’Amirauté est officiellement terminée. Les troupes japonaises, à court de munitions et de nourriture, sont obligées de cesser le combat. Plus des trois quarts de la garnison japonaise sur les îles a été anéantie avec 3 280 tués et 75 soldats capturés. Du côté américain, les pertes s’élèvent à 326 morts.

Avec ses succès militaires et l’isolement de Rabaul, le général MacArthur est en bonne voie pour démontrer que sa route par la Nouvelle-Guinée pour le Japon est possible.

 

Nimitz et le Pacifique central

Général Holland Smith

Général Holland Smith (« Howlin’ Mad ») ©United States Marine Corps

« Les forces du Pacifique central avanceront vers l’ouest à partir de Pearl Harbor », telle est la consigne donnée par les chefs d’état-major américains. Pour pouvoir bombarder le Japon, la route toute tracée est donc de mobiliser la flotte de Pearl Harbor pour reconquérir les îles Marshall puis Mariannes. Restera ensuite à choisir entre Iwojima, plein nord ou Okinawa, au nord-ouest… La deuxième solution pourra être l’option préférée si le général MacArthur réussit après les Philippines à atteindre Formose. L’amiral Nimitz n’en est pas encore à ce choix et a fort à faire déjà pour réussir la première partie de l’itinéraire. La logistique sera déterminante pour gérer les approvisionnements et les longues distances à traverser : entre la Californie et Pearl Harbor, ce sont 5 000 km ; 5 000 de plus entre la base navale américaine d’Hawaï et les îles Marshall ;  et 3 000 km séparent ces dernières avec les Mariannes. Pour son offensive dans le Pacifique central, l’amiral Nimitz dispose d’une belle force de frappe avec : la 5e flotte de l’amiral Raymond Spruance soit 6 grands porte-avions de 32 000 tonnes, 5 porte-avions légers de 11 000 tonnes, 8 porte-avions d’escorte, 12 cuirassés, 9 croiseurs lourds, 5 légers et 56 destroyers ; la 5e force amphibie de l’amiral Richmond Turner ; le 5e corps amphibie du général Holland Smith (« Smith le hurleur ») composé de Marines et de troupes de l’armée de terre ; avec en complément de l’aviation embarquée, l’aviation terrestre de l’amiral John Hoover.

Opération « Galvanic » dans l’archipel des Gilbert, l’attaque sur Makin et Tarawa, l’île de sang

Carte de l'archipel des Kiribati

Carte de l’archipel des Kiribati (archipel des Gilbert) avec la position d’Hawai et des îles Marshall (Wikimedia Commons)

Avant de s’emparer des îles Marshall, les Américains doivent éliminer la menace de flanc que représente l’archipel des Gilbert. Ancienne possession britannique peu fréquentée avant la guerre, l’archipel des Gilbert est comme coupé du monde depuis l’occupation japonaise. Les États-Unis ne disposent ainsi que de très peu de renseignements sur les défenses japonaises sur place. Les Américains peinent à déterminer le potentiel naval ou aérien et ignorent que le gros des navires de guerre se sont repliés sur Truk. Ils sous-estiment aussi les dégâts occasionnés sur l’aviation lors de leurs nombreux raids aériens sur Rabaul. Face à cette incertitude, par sécurité, il est décidé d’opter pour un fort bombardement aérien et naval suivi d’une attaque en force. Deux assauts seront lancés : le premier mené par le 65e régiment d’infanterie de la 27e division sur Makin, l’atoll le plus au nord ; et un second sur Tarawa par la 2e division des Marines.

27e division d'infanterie débarquant sur Makin le 20 novembre après un bombardement naval

Troupes de la 27e division d’infanterie débarquant sur l’île de Butaritari, sur Yellow Beach le 20 novembre après un bombardement naval (Domaine Public)

Le débarquement sur l’île Butaritari de l’atoll de Makin a lieu le 20 novembre 1943 à l’aube. La résistance japonaise sur Makin est plus grande que celle espérée et même s’il n’y a que 800 Japonais (une moitié de soldats et 400 travailleurs japonais ou coréens), ils sont bien décidés à se battre jusqu’à la mort  : seuls 3 Japonais sont faits prisonniers ! Une centaine de travailleurs coréens sont libérés. Les combats ont duré 4 jours et l’US Army déplore 66 morts et 185 blessés. La bataille de Makin se termine avec le torpillage par un sous-marin japonais d’un porte-avions d’escorte, le Liscome Bay le 24 novembre. En 23 minutes, le navire sombre avec tout son équipage : l’US Navy compte 697 morts soit 10 fois plus que les pertes au sol.

Photo aérienne de l'atoll prise en septembre 1943, peu avant sa conquête par les Américains

Photo aérienne de l’atoll en septembre 1943 ©U.S. Navy National Museum of Naval Aviation (Domaine public)

L’épisode le plus sanglant se déroule dans l’atoll de Tarawa. l’opinion américaine va être choquée par le prix en vies humaines que va coûter la conquête de cette si petite île de Betio de 3km de long sur 600 mètres de large. L’amiral Keiji SHIBASAKI et ses 3 000 hommes dont 2 600 combattants d’élite sont retranchés dans leurs blockhaus. Le commandant japonais des lieux promet aux Américains que même à un million à attaquer l’île durant 100 ans, ils n’y arriveraient pas ! Le 20 novembre à 5h, la flotte américaine commence le bombardement : il pleut sur Betio 3 000 tonnes d’obus. L’aviation embarquée prend alors le relais. Première erreur américaine dans la bataille de Tarawa : ils ont sous-estimé la résistance des défenses japonaises et seuls les réseaux de communication sont détériorés. Quelques heures de bombardements ne suffisent pas. Des tirs plus précis et des projectiles plus puissants sont aussi nécessaires. Les engins de débarquement (Landing Craft Vehicle and Personal) ont environ 5 000 mètres à parcourir du lagon pour atteindre les rivages soit un quart d’heure de navigation en principe. Deuxième erreur (par inexpérience ou défaillance des liaisons radio ?) : à cause d’une mauvaise coordination des opérations de bombardement et du débarquement, alors que les tirs s’arrêtent sur Betio, les troupes commencent à peine leur trajet.

L'un des quatre canons japonais de 140mm défendant l'île de Betio photographié après la bataille

L’un des 4 canons japonais de 140mm défendant l’île de Betio photographié après la bataille ©Veterans of Foreign Wars (Domaine public)

Contrairement aux précédents débarquements, les soldats se heurtent directement à des défenses organisées et à un feu nourri. Les Japonais ont ainsi le temps de reprendre leurs esprits et d’organiser la défense de l’île en ajustant leurs salves de mortiers et leurs rafales de mitrailleuses. Des embarcations sont touchées. La barrière de corail atteinte et la marée trop basse, les hommes doivent se jeter à l’eau : à découvert, avec de l’eau jusqu’à la taille, il reste aux Américains 500 à 600 mètres à parcourir ! Des centaines de cadavres sont ballottés par les flots. Quelques chars réussissent à débarquer et peu à peu, les bataillons qui paient un lourd tribu, gagnent des mètres à la grenade et aux explosifs. En fin de journée, des têtes de pont de 150 mètres de profondeur sont conquises. Au matin du 21 novembre, deux bataillons de réserve arrivent en renfort. Les chars et l’artillerie appuient la progression des Marines. Dans la nuit du 22 au 23, 500 Japonais refoulés dans la partie orientale de l’île lancent une importante contre-attaque pour tenter de repousser les Américains à la mer. La charge nipponne désespérée à la baïonnette est arrêtée sans difficulté à la grenade et à la mitrailleuse. Dès le lendemain, le 23, les dernières forces japonaises sont anéanties. De la garnison, seuls un officier et 16 soldats ont été faits prisonniers. Du côté américain, le bilan de la bataille de Tarawa est terrible : un millier de morts et plus de 2 000 blessés.

Le lance-flammes a été très utilisé par les Marines pour réduire un à un les abris japonais

Le lance-flammes a été très utilisé par les Marines pour réduire un à un les abris japonais ©United States Marine Corps (Domaine public)

L’atoll de Kwajalein dans les Marshall

Carte des îles Marshall

Carte des îles Marshall (Wikimedia Commons)

Après les Gilbert occupées ou neutralisées, l’amiral Nimitz peut se concentrer sur son nouvel objectif : les îles Marshall. Les Japonais devinent le prochain coup de l’adversaire américain et fortifient donc les atolls extérieurs de l’archipel : Mili, Jaluit, Wotje et Maloelap. Ils font l’erreur de négliger l’atoll le plus central, Kwajalein. L’amiral américain décide de les surprendre en débarquant justement à cet endroit, procurant par la même occasion des terrains d’aviation bienvenus. L’atoll de Kwajalein compte 2 îlots importants : Roi-Namur au nord et Kwajalein en forme de croissant de lune 70 km au sud. Sur les 8 000 Japonais qui les occupent, seuls 2 200 sont des soldats : ce sont en majorité des travailleurs ou techniciens armés pour défendre l’île et leur vie.

Les bombardements sont massifs et prolongés pour ne pas reproduire la même erreur qu’à Tarawa et connaître les mêmes bains de sang. En janvier 1944, les 750 chasseurs et bombardiers de la Task Force 58 se succèdent, suivis des gros cuirassés, pour bombarder les atolls. Les avions japonais (150 dans les îles Marshall) n’ont aucune chance et la défense aérienne japonaise est totalement anéantie à la veille de l’attaque amphibie. Roi-Namur a reçu 4 fois plus de bombes et de projectiles que Betio, endommageant ainsi sérieusement cette fois-ci les défenses terrestres. Le 31 janvier 1944, de petits îlots voisins de Kwajalein sont occupés et des batteries d’artillerie sont installées pour participer à la bataille.

Carte de Roi-Namur

Carte de Roi-Namur (Wikimedia Commons)

Le 1er février, à l’aube, les bombardiers lourds B-24 Liberator et les destroyers lancent l’ultime préparation avant le début des débarquements et plus de la moitié des défenseurs japonais sont mis hors de combat. A 11h30, la première vague part pour Roi-Namur. Les destroyers continuent de frapper les grèves en appui jusqu’à l’arrivée des soldats sur l’île. Contre un adversaire moins solide qu’à Betio, les Marines de la 4e division prennent le contrôle dans la journée de la partie de Roi et celle de Namur le lendemain après-midi. De la garnison de 3 545 Japonais, seuls 51 sont faits prisonniers. L’ennemi refuse de se rendre, les Américains éliminent toute menace, même l’adversaire blessé restant dangereux. Sur Kwajalein, il faudra 3 jours aux 11 000 Marines pour éliminer la garnison de l’île de 5 000 Japonais : il n’y a que 49 prisonniers ; les Américains ont 177 tués et un millier de blessés.

L’attaque de Truk dans les Carolines et le détour aux Mariannes

L'amiral Mitscher à bord de l'USS Lexington, qui a été son navire amiral en 1944

L’amiral Mitscher à bord de l’USS Lexington, son navire amiral en 1944 ©U.S. Navy (Collection Naval History & Heritage Command)

L’amiral Nimitz décide de s’attaquer à Eniwetok, l’ultime « gros morceau » des Marshall, à 500 km au nord-ouest de Kwajalein. Avant, l’amiral américain se méfie de Truk, le « Pearl Harbor nippon », la grande base japonaise des îles Carolines. Si le gros de la flotte combinée a été évacué sur les Palaos, il y reste tout de même 365 avions à la mi-février. Le 17 février, la Task Force 58 lance l’attaque. Au large, avec deux cuirassés de 45 000 tonnes, l’Iowa et le New Jersey, l’amiral Spruance attend en embuscade les navires qui tentent de quitter l’atoll. En 24 heures, les États-Unis viennent de détruire 260 appareils nippons et de couler 200 000 tonnes de navires japonais, essentiellement des navires marchands. La TF58 n’a perdu que 25 avions et le porte-avions Intrepid touché par une torpille réussit tout de même à regagner sa base. Sur le retour, le commandant de la Task Force 58, l’amiral Mitscher fait un (large) crochet de 2 000 km par les Mariannes. Le 23 février au matin, il prend par surprise 150 bombardiers basés à Saipan, Tinian et Guam dans les Mariannes. Après ces raids dans les Mariannes, le ciel des Marshall est parfaitement dégagé et l’archipel d’Eniwetok est maintenant la nouvelle cible. Le débarquement a lieu le 18 février avec les Marines du 22e régiment et les fantassins de la 27e division d’infanterie. Il leur faudra 3 jours d’intenses et sanglants combats pour contrôler Eniwetok. On dénombre 348 morts et 866 blessés côté américain contre 3 400 Japonais morts et une poignée de prisonniers, presque tous de simples travailleurs. Avec les conquêtes de Kwajalein et Eniwetok, les Américains contrôlent les Marshall. Les autres atolls puissamment fortifiés comme Wotje, Maloelap, Mili et Jaluit sont délaissés. Coupés du monde et les ravitaillements ne pouvant être effectués que par sous-marins, ils ne représentent plus une menace.


Les États-Unis ont repris le dessus sur le Japon mais il reste encore aux Américains à reconquérir le Pacifique. Une double offensive américaine s’annonce pour arriver sur Tokyo. Le général MacArthur souhaite passer par le Pacifique sud-ouest, les Indes néerlandaises et les Philippines. L’amiral Nimitz prône la voie directe du Pacifique central avec les îles Marshall et Mariannes. Tous les deux rencontrent le succès. Le premier a réussi à isoler la base japonaise de Rabaul en reprenant le contrôle de Bougainville et les îles Salomon, en avançant jusqu’au premier tiers de la Nouvelle-Bretagne et en débarquant sur les îles de l’Amirauté. Si l’amiral Nimitz rencontre des difficultés à reprendre les Gilbert en perdant de nombreux hommes sur l’île de Tarawa, les erreurs commises ne sont pas reproduites et la reconquête des Marshall se déroule sans accroche. Le danger que représentait la base de Truk dans les Carolines est écarté.

 

 

Une de l’article réalisée avec une image de promotion pour le jeu Battlefield V ©Electronic Arts Inc.

David Maingot

Responsable Culture à JDJ et passionné de la culture et de l'histoire du Japon, je rédige des articles en lien avec ces thèmes principalement.

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