Entretien avec la nouvelle génération d’animateur : Yuuhei SAKURAGI

Alors que l’édition 2020 du Festival International du Film d’Animation d’Annecy ouvre ses portes, nous avons eu l’occasion l’an dernier de voir en avant-première le dernier film de Yuuhei SAKURAGI. Ce jeune réalisateur spécialisé dans la 3D est emblématique de cette nouvelle génération d’animateurs chargés de faire le pont entre les techniques traditionnelles et le renouveau du secteur de l’animation au Japon. Ainsi, lors de notre entretien, nous avons pu évoquer son ressenti sur l’état du marché de l’animation et de la difficulté de trouver sa place en tant que nouveau réalisateur. 

Hidenobu Sakuragi Ashita Sekai ga Owaru Toshitemo

Le réalisateur M.Sakuragi (à gauche) et le producteur M.Hidenobu (à droite)

Étant jeune et peu médiatisé, le nom de Yuuhei SAKURAGI peut vous sembler inconnu de prime abord… Et pourtant, vous avez déjà pu rencontrer au moins l’une de ces productions. En lisant nos colonnes par exemple : il était assistant réalisateur sur le film Hana et Alice mènent l’enquête dont nous avions fait la critique. Plus récemment, il a réalisé Ingress, l’adaptation Netflix du jeu mobile. A présent, il revient avec Les Mondes parallèles ou Ashita Sekai ga Owaru to Shite mo en version originale. Un long-métrage qui fait suite à un duo d’épisodes sous forme d’ONA qu’il avait déjà dirigé en 2017 avec le studio CRAFTAR.

Les Mondes Parallèles

L’histoire va suivre Shin et Kotori, deux étudiants de terminale. La mère de Shin étant décédée quand il était encore jeune, c’est son amie d’enfance Kotori qui a toujours pris soin de lui depuis. Les deux amis commencent à se rapprocher et à développer des sentiments quand un second drame survient avec la mort du père de Shin, qui travaillait d’ailleurs dans l’entreprise du père de Kotori. A la suite de cet incident, un « autre Shin » apparaît, expliquant qu’il vient d’un Japon alternatif et qu’il est venu pour protéger son alter-ego.

Ashita Sekai ga Owaru Toshitemo

Relative World © Eurozoom

Le format long-métrage permet à SAKURAGI de développer l’univers du film et de mettre en place un scénario plus complexe et plus poussé. Relative Worlds exploite la thématique, assez populaire dans la science-fiction, du double et des mondes parallèles. On découvre alors assez rapidement que les destins des alter-ego entre les deux mondes sont liés, laissant la place pour des combats psychologiques et stratégiques afin d’atteindre la personne que l’on souhaite via son double par exemple. Malheureusement, son format d’1h30 reste trop court pour rendre honneur au scénario. A notre avis, une série aurait permis de donner plus de force au propos et de développer les relations des personnages afin que le spectateur se sente d’avantage impliqué. Ici, le film va à toute vitesse, ne laissant le temps ni aux personnages, ni aux spectateurs d’assimiler les codes de ces mondes. De plus, le premier tiers du film, consacré à nous dépeindre les relations entre les personnages, est à la fois trop court et prend déjà trop temps sur le développement de l’intrigue. Enfin, on ne peut pas parler de ce film sans mentionner l’aspect technique. En effet, la CGI (Computer Generated Imagery) pourra en rebuter certains qui trouveront les visages et les poses encore trop statiques par rapport à l’animation traditionnelle en 2D. Toutefois, comparé à ces précédents métrages et surtout les premiers ONA, on peut voir une nette amélioration qui se ressent surtout dans les scènes d’action qui sont très dynamiques.

Il est maintenant temps d’en parler avec le principal intéressé, Yuuhei SAKURAGI et d’en apprendre plus sur ce dernier !

Rencontre avec le réalisateur

Journal du Japon : Tout d’abord, comment s’est initiée cette collaboration avec le studio Craftar ? D’où est venue l’idée de prolonger ces deux ONA et d’en faire un film ?

Yuuhei SAKURAGI : Quand l’équipe du studio est venue m’approcher pour me demander si ça m’intéresserait de réaliser un film, j’avais déjà travaillé effectivement comme vous dites sur ces 2 ONA. Ces épisodes possèdent en soi une forme de complétude, mais en même temps, j’avais déjà en tête des choses qui pouvaient être la continuité de ces deux épisodes. Et pile au moment où ils sont venus me proposer de faire une suite à Soutai Sekai, je leur ai dit qu’on pourrait faire un long-métrage.

ンウタイセ力イ

D’ailleurs, on peut remarquer une nette amélioration par rapport à ces épisodes originaux. On voit que vous avez apporté une plus grande importance à rendre les visages plus expressifs ; on voit mieux les sentiments des personnages. Comment avez-vous mis en place cet aspect, pour vous ?  Est-ce que c’est quelque chose qui a vraiment été réfléchi et travaillé ?

Oui en effet, c’est le point auquel j’ai apporté beaucoup d’importance et d’attention. Mais également au niveau du mouvement. Il y a un autre court-métrage qui s’appelle Ingress sur lequel j’ai travaillé avant de travailler sur Relative Worlds, et dans celui-ci je n’avais pas utilisé de motion capture. Et si au Japon ne pas utiliser de motion capture ne posait pas de problème, je savais que c’était quelque chose qui pouvait faire tilter le public international. Donc cette fois j’ai utilisé la motion capture comme façon de procéder, pour rendre les mouvements des personnages le plus réaliste possible. Mais pour ne pas créer de décalage entre le corps et le visage, il fallait également améliorer le réalisme des visages. C’est pour cela que nous avons pris le temps de détailler la force d’expression et les sentiments sur les visages des personnages. Mais en même temps, comme je travaillais sur la population japonaise cette fois-ci, je ne pouvais pas appliquer un style « sur-joué » comme on peut le voir à Hollywood, avec des expressions du visage très marquées. Les Japonais sont beaucoup plus dans la retenue, on a dû jouer sur la sensibilité plus que sur la réaction.

 

The Relative Worlds © Eurozoom

 

Pourquoi ce choix de la 3D alors ? C’est un style encore très minoritaire dans l’animation japonaise, n’est-ce pas un risque de rendre le film moins attractif qu’un film traditionnel en 2D aux yeux du public ?

Alors, moi je fais partie de la génération qui a été formée à la 3D et a toujours travaillé en 3D, donc je ne pense pas que j’opterai un jour pour un retour vers le dessin à la main. Et oui, en effet on peut sentir que la 3D exclusive peut donner un sentiment de rigidité aux mouvements des personnages. Ça, je ne le nie pas. Pour corriger cela, ce n’est pas, à mon avis, en ajoutant des animations à la main ou du dessin à la main que l’on pourra corriger cela. Il faudra trouver une nouvelle façon de faire de l’animation en 3D, pour arriver à combler cette lacune, si elle existe.

 

Je crois que c’est votre premier long-métrage original si on ne compte pas votre travail sur Hana & Alice, alors qu’est-ce que ça fait de passer de « réalisateur 3D » à « réalisateur en chef », il doit y avoir de nouvelles compétences à acquérir, en management d’équipe, … ?

Sur Hana et Alice, pour être plus précis, je « supervisais les opérations sur le terrain » on va dire. Il y avait un réalisateur, qui montrait la ligne directrice à suivre et moi il fallait que je m’applique à  ce que cette ligne soit suivie par tout le monde. Alors que cette fois, c’est moi qui montrait cette ligne. Et effectivement j’ai ressenti une pression concernant la façon par laquelle je devais m’adresser à mon équipe pour qu’ils me suivent et même si moi j’avais des doutes, ces craintes, ces peurs, il fallait que j’apprenne à les cacher.

 

Une question un peu plus générale maintenant sur l’industrie de l’animation au Japon. Que pensez-vous de la diversification de l’offre en terme d’animés japonais, notamment avec l’ouverture à l’internationale avec des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime ?

Oui tout à fait, vous avez raison, surtout concernant les nouveaux moyens de visionnage. On sait en tant que réalisateur que les gens qui nous regardent ne sont plus confinés qu’au Japon mais sont dans le monde entier. Et même s’il existe un marché japonais spécial, et qu’on peut continuer à faire des animés pour le marché japonais, honnêtement, économiquement c’est de moins en moins viable comme système, et nous les jeunes réalisateurs, on a envie de faire des choses qui puissent être vues en dehors du Japon, aussi. Donc on est conscient qu’on peut être vu ailleurs mais moi je suis un jeune réalisateur qui n’a pas encore de reconnaissance mondiale donc je ne peux pas trop encore imposer mes volontés : dire je veux faire ci ou ça. Ainsi, j’ai pour objectif de d’abord faire des films qui soient reconnus par les Japonais et par le public international, pour pouvoir peut-être ensuite plus poser mes conditions, sur les thèmes que je voudrais aborder ou les choses que je voudrais faire.

Les Mondes parallèles

Relative Worlds ©Eurozoom

Relative Worlds se place dans cette démarche alors et constitue un passage obligé pour vous afin de gagner en notoriété et « faire ses classes » ?

A vrai dire quand on fait un film on ne travaille pas tout seul, on travaille avec une équipe, je ne sais pas si il s’agit vraiment du meilleur endroit pour présenter ce dont on a envie personnellement. De mon côté, j’ai fait ce film en essayant de voir vers quoi les yeux de la société étaient dirigés, ce que les gens avaient envie de voir. Donc c’est un peu dans cette optique que je l’ai fait, avec la collaboration d’autres personnes. Dans un long métrage comme celui-ci beaucoup de gens et d’argent sont investis, alors faire quelque chose dans lequel on serait le seul à trouver un sens mais que personne d’autres ne comprendrait, ce serait peut-être un peu égoïste. Bien sûr, je ne vais pas dire que j’étais totalement détaché en tant que personne, mais j’ai essayé de voir ce que voulaient les gens et ce que moi je pouvais intégrer de moi-même, dans ce que je pouvais offrir aux gens aussi. C’est un équilibre que j’ai essayé de respecter.

Vous parliez tout à l’heure du fait qu’en tant que jeun réalisateur vous avez tout de suite été poussé vers la 3D. Et pourtant, on vous voit apparaître dans le film Never ending Man : Hayao MIYAZAKI, alors quel rapport entretenez-vous par rapport à son cinéma et par rapport à la méthode d’animation traditionnelle ?

A mes yeux, le Studio Ghibli et Miyazki n’ont pas fait seulement des animés, ils ont bâti un pan de la culture japonaise en entier. Quand j’ai travaillé avec lui, ce n’est pas techniquement que j’ai appris des choses c’est plus par rapport à la façon, de déplacer les personnages. M. Miyazaki c’est quelqu’un de très sensoriel, qui m’a appris beaucoup de choses, la façon dont pense les personnages aussi, ce qu’on ne voit pas forcément à l’écran mais comment décrire et dessiner ce qu’ils pensent, toutes ces choses qui n’apparaissent pas de façon technique, à ce niveau-là c’est quelqu’un que je respecte énormément. Dans le documentaire qu’on voit M. Miyazaki nous a fait l’honneur de nous demander de lui donner quelques techniques par rapport à l’utilisation de la 3D. Et il s’est créé un échange dans la mesure où nous on y était pour ça, mais en retour M. Miyazaki nous a beaucoup parlé de la façon dont il pensait que devaient être utilisées les techniques traditionnelles de dessin à la main et de 3D ensemble, et que c’était essentiel pour lui, pour l’avenir de l’animation au Japon.

Et pour finir, est-ce que vous avez d’autres projets en tête pour le futur ?

Ce qui m’intéresse le plus dans l’animation, en ce moment, c’est les liens qui unissent les humains, les gens. Dans Relative Worlds, même si la trame principale se passe pendant la guerre, la relation entre les deux mondes, moi ce qui m’a vraiment tenu à cœur cette fois c’est vraiment de traiter des liens qui unissaient les différents personnages, qu’ils soient dans le même monde ou dans des mondes séparés. A l’avenir j’aimerai, si possible, si j’en ais l’occasion, continuer de décrire au mieux les relations qui peuvent unir les hommes et les femmes.

Merci à Eurozoom d’avoir permis cette rencontre possible et à Jamel, pour son travail d’interprète lors de l’interview !

3 réponses

  1. Jules dit :

    Les personnage restent encore statiques et trop lisses, trop parfaits. Peut être qu’on atteindra un jour une animation 3d digne de ce nom mais on y est toujours pas. L’important ce n’est pas la technologie mais les moyens financiers qu’on met dans le film/anime. Un Miyazaki sans argent bah ça va être moche et figé. Pourtant il y a eu Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit en 2001 (19 ans et plutôt beau !) on peut clairement avoir une bonne 3d.
    Ce qui est gênant c’est que les film et anime 3d qui sortent sont des brouillons, le réalisateur ici présent ne dit pas le contraire « Il faudra trouver une nouvelle façon de faire de l’animation en 3D, pour arriver à combler cette lacune, si elle existe ».

    A part ça merci pour l’interview, son point de vue sur le marché international est intéressant. Mais la 3d c’est vraiment ma bête noire 🙂

    • Olivier Benoit dit :

      Complétement d’accord, ce ne sont encore (bizarrement ?) que des brouillons, mais en tant que fan d’animation traditionnelle je ne suis pas impatient que le phénomène se généralise ^^ »

      Pourtant dés qu’on sort du cadre de l’animation où la 3D n’a pas le level (hormis des productions comme Harlock ou le prochain Lupin), les studios de jeu vidéos gèrent ça très bien et font des choses formidables (Le créatures de l’esprit qui avait milles longueurs d’avance sur tout le monde, tout ce Visuals Works de manière générale pour FF, etc).

    • Quentin DUMAS dit :

      Pour moi le problème est avant-tout lié à l’expérience, mais le financement doit jouer aussi. Il faut quand même se rappeler que lorsque sortait Toy Story 1 aux USA (très beau pour l’époque, une véritable prouesse même), le Japon sortait GITS premier du nom. Le Japon n’a pas l’expérience dans le domaine qu’ont les autres pays, peut-être pas les technologies, et inévitablement les investisseurs ne suivent pas. Il faut simplement laisser aux japonais le temps de rattraper leur retard dans le domaine à mon avis. (Et puis comme vous deux, si on aime l’animation japonaise c’est pour sa 2D, alors pourquoi en changer ? :p )

      Avec plaisir ! Je suis content que l’interview vous ais plu en tout cas 😀

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