Population vieillissante : quel avenir pour les Japonais ?
Dans certains villages du Japon, les petits écoliers aux casquettes jaunes ne défilent plus. Les rues se vident et le grand-âge gagne du terrain. Ce phénomène n’est pas nouveau : la population japonaise continue de décroître et de vieillir. « Le jour où le Japon disparaîtra » pouvait-on même lire à la Une du Courrier international, en mars 2018 déjà. Le phénomène de « décroissance » de la population a commencé en 2005, et rien ne semble pouvoir y remédier. Le Japon continue de perdre sa population, inexorablement. Pour récapituler la situation, Journal du Japon a interviewé pour vous les premiers concernés.
« Je veux voyager tant que j’en ai la force », confie Ikuko YOKOTA, esthéticienne de 67 ans. Au Japon, les anciens voient la retraite comme un couperet. Dans une société où 33% de la population a plus de 65 ans, le travail prolongé est la norme. Le 19 mars 2020, la Chambre basse a approuvé une nouvelle loi qui oblige les employeurs à assurer un poste pour leurs salariés de plus de 70 ans. Face au vieillissement de la population, comment le troisième âge assure-t-il ses vieux jours ?
Shoshikoreika (少子高齢化 »moins d’enfants, hausse de l’âge ») : c’est le mot que les Japonais ont choisi pour décrire le phénomène. Selon le ministère des Affaires intérieures, 46% de la population japonaise devrait avoir au moins 65 ans en 2060. En 2018, 918 000 naissances ont été enregistrées pour 1 363 000 décès. Le solde naturel, c’est-à-dire le nombre de naissances auquel on soustrait le nombre de décès, est de – 444 000 personnes en 2018. La très relative émancipation des femmes, la perfection du système de santé, la précarité de l’emploi et la baisse du nombre de mariages sont autant de facteurs explicatifs.
« Le gouvernement ne fait rien, ne peut rien«
Le grand-âge est soucieux du futur qui s’esquisse. Mais le plus important est de vivre, maintenant. Devant la disparition de la population active, la pension de retraite est un problème majeur. À Yokohama, Ikuko raconte. « On en parle depuis toujours, le gouvernement ne fait rien, ne peut rien ». Le Premier ministre Shinzō ABE veut pourtant prouver le contraire. En avril 2019, il souhaite accueillir sur une année 40 000 visas pour des personnes moyennement qualifiées. Verdict : en novembre, la barre des 1 000 est seulement atteinte. « Je ne suis pas optimiste. Il n’y a plus assez d’enfants, ma pension de retraite diminue », renchérit la sexagénaire. Travailler plus longtemps reste une assurance pour une majorité de Japonais. La retraite privée peut se substituer aux fonds publics, mais ne saurait suffire.
Heureusement, il y a la famille… ou pas
Au Japon, la famille accueille souvent ses aînés et représente une alternative. Âgé de 85 ans, Ken KYAHARA a pris sa retraite à 70 ans. Cet ancien chercheur dit avoir une vie ordinaire : « Je vis avec ma famille alors je ne manque pas tant d’argent. Je lis, j’écris des haïkus, je vis la vie », rigole-t-il. Logé et nourri, Ken résume ses dépenses aux livres d’occasion. Grâce à son ancien travail, il bénéficie aussi du fonds d’aide universitaire, réservé aux anciens enseignants. « C’est un avantage de vivre avec ses proches », concède-t-il. Tous n’ont pas cette chance. D’autres meurent sans le sou, dans l’oubli d’un petit appartement… C’est le kodokushi (孤独死), la mort solitaire des anciens. La société japonaise deviendra-t-elle plus ouverte ? « Il faut accepter une nouvelle définition de la famille, moins rigide. Il serait alors possible que la natalité revienne », espère Hatsumi KUHARA, enseignante de 56 ans. « Dans une société modèle, les enfants portent l’avenir, les adultes la production, nos aînés l’expérience et la sagesse », pense son mari Seiji. Si le gouvernement s’englue, la solution se cherche aujourd’hui dans les mentalités des générations futures.
Concrètement, quelles solutions ?
En 2018, suite à une commande du gouvernement nippon, plusieurs organismes et think tanks (organisations spécialisées de recherches auprès desquelles un État demande un service) ont publié 20.000 scénarios pour la population japonaise dans les vingt prochaines années. Globalement, une solution serait d’encourager et de privilégier les petites entreprises locales. Selon les scientifiques, il faut investir dans le milieu rural et encourager le télétravail depuis les périphéries – ce qui désengorgerait par ailleurs les métropoles. Un renouveau des transports en commun vers les provinces serait aussi nécessaire pour redonner souffle à la ruralité nippone, en proie à la disparition des communes. En revanche, la réussite d’un tel processus nécessite : de l’argent, du temps, la mise en place de politiques publiques sans plus tarder, la volonté des politiciens eux-mêmes. Bref, des conditions pas toujours réunies.
Aujourd’hui, la politique du gouvernement, obsédé par les chiffres, se résume en « objectif 100 millions d’actifs » (一億総活躍社会 : ichiokusou katsuyaku shakai) pour 2065. Le mot d’ordre lui-même est honni par les Japonais, et les contre-slogans tels que « 100 millions sans retraite ? » [l’expression一億総玉砕 : ichiokusou gyokusai est reprise de la Seconde Guerre mondiale, pour désigner le sacrifice des Japonais jusqu’à leur dernier souffle] s’affichent sur les réseaux sociaux. Le problème auquel fait face le Japon est à la croisée de bien des discours politiques, des principes personnels, de la vie des entreprises et de l’économie. Si les raisons du vieillissement de la population sont multiples, il n’est pas encore trop tard pour corriger la situation et apporter des solutions.
Sources :
Courrier international, Le jour où le Japon disparaîtra
Nippon.com, Déclin de la population japonaise : le nombre de naissances toujours en baisse
Nippon.com, Plus d’un tiers des Japonais compte travailler après 65 ans
Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 第一章:我が国高齢化を取り巻く状況