[Interview] Etienne Klépal de chez Mana Books
Presque deux ans après leur premier passage en interview chez nous, alors qu’ils fêtaient leur un an sur le marché de la littérature spécialisée dans le jeux vidéo, Mana Books refait le point à nos côtés. Nous nous entretenons donc avec Etienne Klépal, leur nouvel éditeur, afin de faire une petite rétrospective de ce début d’année.
Journal du Japon : Bonjour et merci pour votre temps !
Etienne Klépal : Je vous en prie, c’est avec plaisir !
Tout d’abord, comme notre dernière interview de Mana Books, en juin 2018, a eu lieu avec Philippe Valloti, le précédent éditeur de Mana Books, est-ce que vous pouvez nous expliquer votre parcours et comment vous-en-êtes arrivé à être éditeur de ce label ?
J’ai commencé par faire des études scientifiques, mais je me suis vite rendu compte que ça ne me plairait pas : moi, ce que j’aimais, c’étaient les jeux et la lecture. J’ai plus tard suivi un master en Édition à l’université de Paris X, dans l’optique de travailler dans la bande dessinée. J’ai fait mes premières armes au sein des Éditions Fei – une maison spécialisée dans la culture chinoise – et cette expérience m’a ensuite permis d’intégrer les éditions Dargaud afin de m’occuper du label Urban China en tant qu’éditeur. En 2018, un poste s’est ouvert chez Mana Books, et j’ai sauté sur l’occasion : concilier ma passion des livres et celle des jeux vidéo, c’était inespéré ! J’ai donc rejoint l’équipe d’Ahmed Agne, le directeur éditorial, et je gère depuis la production éclectique de cette jeune maison. Ça, c’est mon parcours professionnel. Mon parcours de joueur, lui, a commencé sur PC avec les point’n click LucasArts, Doom et Warcraft…
Ensuite une question d’actualité : comment Mana Books s’en sort en ces temps sans point de vente physique, et comment envisagez-vous le déconfinement et la suite de l’année 2020 ?
Tout le secteur du livre est particulièrement impacté par cette crise, et notre maison ne fait pas exception. La conséquence immédiate, c’est que nous perdons deux mois de ventes sur l’année, ce qui n’est pas rien. Ensuite, comme les points de vente étaient fermés, une bonne partie de nos nouveautés prévues entre mars et mai a été repoussée au deuxième semestre 2020. Enfin, afin de laisser le temps aux libraires de se remettre et ne pas saturer leurs rayons, nous avons décidé d’alléger un peu notre programme de fin d’année. Nous restons toutefois sereins : nous avons de très beaux titres à proposer dans les mois à venir.
Pendant ce confinement d’ailleurs, et pour vous situer à nos lecteurs, est-ce que vous en avez profité pour faire du jeu vidéo, lire… Et si oui quel jeu, quel livre ?
Toute l’équipe de Mana Books est restée en télétravail durant le confinement, justement pour préparer les parutions à partir de juin – je n’ai donc pas pu jouer toute la journée, mais c’est vrai que j’ai un peu plus de temps libre. J’en ai profité pour relire tout Hunter × Hunter et me lancer dans L’Assassin royal de Robin Hobb. Niveau jeux, je suis en ce moment sur Star Wars Jedi : Fallen Order et Slay the Spire. Avec plusieurs amis, on se retrouve certains soirs sur Call of Duty : Warzone, qui nous amuse beaucoup. J’ai très envie de me lancer dans FFVII Remake, mais comme vous le voyez, mon programme est déjà bien chargé !
Notre première interview remontant donc à juin 2018, quels ont été vos bilans pour Mana Books, pour 2018 et 2019 ? Est-ce que vous vous développez en ligne avec vos objectifs ?
Le bilan est très positif ! D’une part, nous avons réussi à nous faire une vraie place dans les librairies, et je crois que les lecteurs nous ont bien identifiés. Nous avons reçu un accueil très enthousiaste sur beaucoup de nos titres, preuve que les joueuses et joueurs ont envie de retrouver leurs univers préférés sur papier. D’autre part, notre catalogue s’est considérablement étoffé, et nous avons aujourd’hui une offre qui couvre tous les grands courants du jeu vidéo. Nous continuons à sélectionner nos publications avec soin et nous avons atteint le rythme de croisière d’une soixantaine de nouveautés par an.
Sur l’année écoulé d’ailleurs, 2019, pouvez vous nous donner les principaux “top et flop” parmi vos sorties ?
Pour nous, la surprise de l’année a été Stranger Things : nous aimons la série et nous savions que les lecteurs allaient nous suivre, mais nous ne nous attendions pas à un tel engouement.
Nous avons aussi eu de très beaux succès avec notre collection de romans basés sur Fortnite. Ce qu’il y a d’intéressant avec un phénomène de l’ampleur de Fortnite, c’est que cela permet de recruter de nouveaux lecteurs : lors de salons du livre, j’ai rencontré des parents qui m’ont dit « mon fils ne lit jamais habituellement, mais ces livres-là, il les dévore ». Ça, c’est une belle récompense pour un éditeur.
Le manga Danganronpa nous a également étonné, car nous pensions vraiment qu’il s’agissait d’un titre de niche, mais le public a été au rendez-vous. Par ailleurs, Final Fantasy : Lost Stranger continue à très bien se vendre.
Pour ce qui est des flops, je citerais je pense des comics, le marché pour ces titres est encore compliqué en France.
Est-ce que, depuis vos débuts, votre ligne éditoriale a évolué ? Même question pour votre public cible…
Pas vraiment, nous restons fidèles à notre intention initiale, qui est de célébrer le jeu vidéo sous toutes ses formes. Cette ligne éditoriale nous permet en outre d’explorer des genres très différents : romans, mangas, beaux livres, guides… on ne se refuse rien. En revanche, chaque année nous nous autorisions quelques titres qui n’ont rien à voir avec le jeu vidéo, lorsqu’une licence ou un thème nous touche particulièrement. C’est une petite part de notre catalogue et nous restons toujours dans la pop culture, mais grâce à cela nous pouvons toucher un public différent.
Entre vos ouvrages côté jeux vidéo, des guides plus culture pop (Stranger Things, James Cameron) et vos mangas, lesquels attirent plus particulièrement l’attention auprès du public ? Comment se répartit globalement votre chiffres d’affaire sur ces thématiques ?
Plus que par formats, nous réfléchissons par licences, donc nous ne segmentons pas notre chiffre d’affaire avec d’un côté les mangas et de l’autre les guides et les romans. Cela dit, le marché du manga étant exceptionnel en France, nous avons la chance d’avoir un gros lectorat sur nos séries adaptées de jeux. Par ailleurs, les univers virtuels étant de plus en plus somptueux, il y a aussi une très forte attente de la part des joueurs sur les beaux-livres, et cela constitue un de nos autres points forts.
Comme évoqué, vous comptez le guide officiel de la série à succès Stranger Things ou encore un beau livre sur la carrière de James Cameron dans votre catalogue. Les séries et films sont-ils des créneaux que vous souhaitez creuser davantage pour d’autres publications ?
Oui, même si les jeux vidéo resteront au cœur de notre production, nous souhaitons pouvoir continuer à explorer d’autres pans de la pop culture. Encore une fois, cela restera circonscrit à quelques titres par an et à des thématiques qui nous sont chères.
Venons-en à l’ensemble manga / jeu vidéo : d’ailleurs le pensez-vous comme ça, comme un univers de licence ou faites-vous des recherches séparément de titres mangas d’un côté, d’artbook de jeu vidéo de l’autre ?
Nous le pensons comme un univers de licences, oui. Ce qui influe surtout sur la nature d’un projet, c’est l’origine géographique du studio derrière le jeu dont il est tiré : un RPG japonais aura plus de chance d’être adapté en manga, tandis qu’un FPS occidental se déclinera plus souvent en comics ou en roman. Pour les artbooks en revanche, il n’y a pas vraiment de différence.
Sur les artbooks, quels sont vos critères de choix et/ou qu’est-ce qui fait un bon artbook ?
Nous fonctionnons au coup de cœur ! Nous savons que les artbooks peuvent représenter des investissements importants pour les lecteurs, donc nous sélectionnons les univers qui nous semblent les plus riches et les plus originaux. Quant à ce qui fait un bon artbook, pour moi cela tient à plusieurs choses : j’ai envie de voir le travail des artistes, des premiers crayonnés aux illustrations finales, tout en ayant suffisamment de lecture. Je cherche des anecdotes, des explications sur les décisions créatives… Plus que l’exhaustivité, c’est la cohérence du contenu qui m’importe. Enfin, je suis attaché à la forme, donc la fabrication à une grande importante à mes yeux : l’impression, le choix du papier, etc.
Et, tout simplement, la même question pour un manga de jeu vidéo !
Évidemment, pour un manga la qualité du dessin compte beaucoup pour nous, mais c’est surtout le scénario qui nous retient. Il y a plein de façons d’adapter un jeu vidéo : va-t-on retranscrire l’histoire racontée dans le jeu ? Ou alors proposer un nouveau récit dans le même univers ? Ou, à l’instar de Final Fantasy : Lost Stranger, développer une saga à la croisée des différents opus ? Pour une adaptation classique du scénario d’un jeu, la difficulté pour l’auteur est de trouver le bon rythme : on ne peut pas dérouler un récit de la même façon dans un jeu de plus de cent heures et dans un manga en cinq tomes. C’est un équilibre délicat.
Vous parliez également de «développer de la création» de votre côté», qu’en est-il de ce pan et quels sont vos ouvrages originaux, qui ne tiennent pas de l’adaptation ou traduction ?
Je ne peux rien dévoiler pour le moment, mais c’est toujours un de nos objectifs et nous y travaillons activement. Cela demande bien plus de temps, et nous voulons être fiers de nos premières créations.
Dernière question : le ou les jeux (et artbook) que vous attendez le plus en 2020 à titre personnel ou à titre d’éditeur ?
Sur les jeux, la liste est longue, mais je citerai The Last of Us Part II, Cyberpunk 2077, Xenoblade Chronicles, Hollow Knight: Silksong et le prochain Assassin’s Creed Valhalla. Il y a de plus en plus de choses enthousiasmantes du côté des indépendants, qui pourraient d’ailleurs donner lieu à davantage de publications. En interne, FFVII Remake était très attendu, et je crois qu’il n’a pas déçu !
Merci Etienne !
Les éditions Mana Books n’ont pas perdu de temps pendant le confinement puisqu’elles ont déjà annoncé un nouveau manga Assassin’s Creed, Assassin’s Creed Blade of Shao Jun, à paraître le 11 juin, ainsi qu’une bande dessinée inédite Stranger Things, Stranger Things Zombie Boys, prévue pour le 27 août.
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