Découvrir le Japon : en dessins dans un carnet de voyage ou en mots dans un abécédaire culturel
Journal du Japon vous propose régulièrement différentes approches du Japon : carnets de voyage, romans, essais … les livres sur le sujet sont nombreux. Aujourd’hui nous vous proposons un gros carnet de voyage, façon journal intime dessiné jour après jour, et un essai sur l’esprit japonais, par les mots qui le définissent.
Deux approches très différentes, mais un même but : comprendre le Japon et les Japonais.
Wabi Sabi : impressions du Japon d’Amaia Arrazola
Voici un gros carnet de voyage d’une jeune artiste espagnole partie un mois à Tokyo en février 2017 grâce à une bourse de l’organisation Paradise Air. Le but initial était pour elle de faire au moins un dessin par jour pour créer un journal visuel de son séjour, d’exposer ses dessins au Japon et en Espagne pour « construire un petit pont entre l’Orient et l’Occident ». Puis naît l’idée de transformer cette collection de dessins en livre : elle a complété l’ensemble et mis beaucoup de textes pour expliquer le contexte de chaque paysage, personnage, objet etc. Ainsi est né Wabi Sabi, un carnet de voyage rempli de culture japonaise aussi bien traditionnel (elle aime reproduire des estampes avec sa touche personnelle) que moderne (elle croque la société japonaise contemporaine avec humour).
Pour le titre, elle explique : « Pendant mon séjour, j’ai remarqué qu’il y avait deux types de Japon : deux facettes d’une même réalité. Le pays méga-moderne, super technologique, le Japon des néons, de l’esthétique fluorescente, Harajuku, le quartier d’Akihabara, les jeux vidéo …, qui cohabitent avec le pays zen : le traditionnel, celui de la céramique, des jardins, du contact avec la nature, de la patience, du silence … C’est dans ce dernier que j’ai découvert le Wabi Sabi, un terme qui définit la beauté des choses imparfaites, modestes et humbles, non conventionnelle. »
Semaine après semaine, Amaia partage avec le lecteur ses impressions, ses sensations, ses découvertes.
La première semaine commence à l’aéroport de Barcelone puis avec les premiers pas sur le sol japonais. Après une carte du Japon et des informations sur les ères historiques et autres éléments culturelles (comme le Daruma), voici Tokyo, ses routes et ses buildings. Sa chambre, les personnes qu’elle va fréquenter pendant le séjour. Les premiers repas : elle n’aime pas les mochi mais adore découvrir les bons petits plats des izakaya, les ramen et tous les incontournables de la cuisine japonaise !
Les dessins de la deuxième semaine présentent tous les petits riens du quotidien qui l’émerveillent ou la perturbent. Les affiches qu’elle ne sait pas déchiffrer, du kawaii partout (mascottes, signalisation de chantier, boîte aux lettre panda, etc.), amuse-bouche d’izakaya (elle ne sait parfois pas ce qu’elle met dans sa bouche), mais également les estampes d’Utamaro, Hiroshige ou Hokusai (elle reproduit avec talent de très nombreuses estampes tout au long du livre !), architecture de Sou Fujimoto, maisons traditionnelles ou modernes, fascination des Japonais pour le caca (elle en profite pour parler des toilettes japonaises ou de ce drôle de personnage de dessin animé, détective Popotin !). Du musée Ghibli (son personnage préféré est Kaonashi, sans-visage) aux masques de Nô ou de Kabuki en passant par ses essais de peinture sumi-e (mais elle est trop impulsive et arrête après trois cours)… ce sont tous les pans de la culture japonaise qu’elle dessine avec amour et humour.
La semaine trois est l’occasion d’approfondir certains points sur la société japonaise : la femme au Japon (obéissance, femme samouraï, geisha, Madame Butterfly, les wagons réservés aux femmes) puis le sexe (Kabukicho, sex-shops, love hotel, célibat), mais également le rapport au travail (métro, salaryman, karoshi – travailler à en mourir), et la vie en société (politesse, délinquance, ivresse).
Elle livre ses impressions au lecteur et décrit les trois phases par lesquelles elle est passée : d’abord la sensation de pénétrer dans un parc d’attraction, puis la découverte des côtés moins magiques et plus sombres du pays, et enfin la capacité à se fondre dans la masse.
La semaine quatre permet de découvrir un Japon plus traditionnel avec des explications simples mais bien faites sur le shintoïsme et le bouddhisme, l’ikebana et plus largement le rapport à la nature des Japonais (dont les fameux sakura), le kintsugi (réparer les objets cassés avec de l’or), et les estampes d’Hasui KAWASE. Mais toujours avec le quotidien étrange et fascinant : une affiche pour un spray nasal, les petites merveilles dénichées au Tokyu Hands, la carte du métro de Tokyo qui peut faire peur, la lumière de Shibuya la nuit … et finalement ce mélange de solitude et de liberté qu’elle ressent et dont elle a conscience qu’il lui manquera lorsqu’elle retournera en Espagne.
Les annexes permettent de découvrir photos, tickets et tous les souvenirs de ce séjour, ainsi que la fresque qu’elle a peinte pour la ville de Matsudo où elle logeait.
Une tranche de vie drôle et attachante, qui permet au lecteur de se mettre dans la peau d’une jeune artiste qui découvre Tokyo !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Découvrez également le concept du Wabi Sabi dans notre article dédié : Wabi Sabi : l’insaisissable beauté de l’imperfection.
L’esprit japonais, comprendre le Japon et ses habitants
Ce livre se présente comme un abécédaire des notions importantes pour comprendre les Japonais, leur façon de penser, leur culture. De aimai (l’ambiguïté très japonaise) à zôtô (les cadeaux), les auteurs (un Occidental et un Japonais, ce qui donne deux approches très complémentaires), expliquent la psychologie des Japonais, mais également leurs relations (au travail, en famille, dans le groupe), leur rapport à la nature, à la mort, et bien d’autres choses encore.
C’est donc un livre à la fois riche et agréable à lire, indispensable pour tous ceux qui veulent comprendre comment fonctionne cette société japonaise, qui peut sembler souvent étrange aux Occidentaux qui n’en comprennent pas les codes, les subtilités, les nuances !
Chaque mot fait l’objet d’une explication détaillée aussi bien d’un point de vue linguistique qu’historique et sociétal. Les deux auteurs sont professeurs de linguistique dans une université japonaise, le contenu est donc très accessible tout en étant très documenté (études et chiffres à bon escient, origine et évolution du concept, histoire au fil des siècles et des ères, courants de pensée, tendances actuelles) et très complet (en quelques pages, le lecteur a l’impression d’avoir cerné les bases de chaque notion).
Les textes ont été écrits à partir de séminaires regroupant des étudiants, et le lecteur se sentira un peu comme un élève dans un amphi, à qui on explique les mots et les notions fondamentales pour comprendre la société et la culture japonaises. Ce n’est donc pas soporifique ou incompréhensible, c’est au contraire pédagogique et enrichissant !
Et même s’il est paru pour sa première édition en 2002, les notions abordées existent toujours et sont bien ancrées dans la culture du pays.
Quelques exemples :
- Aimai : l’ambiguïté, « état dans lequel on introduit délibérément plusieurs sens, ce qui est source d’imprécision et d’incertitude ». Une ambiguïté bien acceptée au Japon, et qui est même, pour beaucoup, une spécificité de la culture nippone. Ce chapitre est l’occasion d’aborder la règle de l’unanimité qui prévaut dans tout « groupe » au Japon, et de remonter le fil de l’histoire avec la structure verticale de la société, le rôle des anciens. L’harmonie passe ainsi par l’absence de critique ouverte, par des idées qu’on n’exprime pas de façon claire et frontale, par les silences qui sont très appréciés dans les conversations japonaises, par le non qui est très peu utilisé. Autant d’aspects importants et souvent troublants pour les étrangers qui travaillent dans le pays, mais qu’il est important de connaître pour mieux communiquer.
- Hedataru to Najimu : L’espace personnel. Ce chapitre explique l’importance de l’espace personnel pour les Japonais. L’évolution d’une relation se fait en trois étapes : maintien d’une distance (hedatari), suppression de la distance, et naissance d’une amitié (najimu). Tout repose sur la réserve, la retenue. Et en cette période de distanciation, il est intéressant de comprendre le hedatari dans l’histoire du Japon : « Dans les temps anciens, les vassaux apprenaient à « se tenir à 90 centimètres de leur seigneur de manière à ne pas marcher sur son ombre ». Cet adage signifiait que les serviteurs devaient respecter leur maître et suivre les règles de bienséance. Selon Hall, la distance de 90 centimètres est l’espace minimum pour pouvoir maîtriser physiquement les personnes autour de soi et avoir des conversations confidentielles. Quant à l’expression « marcher sur l’ombre de quelqu’un », elle singifie qu’on empiète sur son espace personnel. Les enfants jouent souvent à kage-fumi (marcher sur l’ombre des autres), un jeu qui repose sur la même idée. »
- et pour finir en beauté, Zôtô : les cadeaux. « Les Japonais se font beaucoup de cadeaux tout au long de l’année. A chaque occasion importante, d’énormes quantités d’argent et de biens sont distribuées aux familles et aux individus. Le jour du Nouvel An par exemple, les adultes reçoivent des centaines de cartes et les enfants des sommes d’argent appelées otoshidama de leur famille et leurs voisins. On fait égalemen des cadeaux aux personnes à qui l’on souhaite manifester sa reconnaissance ou son respect à certaines périodes de l’année – ochûgen en juillet et oseibo en décembre. Bien entendu, il n’y a pas que des cadeaux saisonniers : on reçoit des présents à toutes les phases importantes de la vie – naissance, entrée à l’école, fin d’études, mariage, vieillesse, décès et même anniversaires d’un décès. De plus, on est toujours censé apporter un cadeau quand on se rend chez quelqu’un, quand on présente des excuses, quand on revient de voyage, etc. Maruyama recense quarante-trois sortes de cadeaux saisonniers et cérémoniels, tandis que Befu énumère quatre-vingt-cinq occasions où il est possible d’en offrir un. » Et un peu plus loin, la Saint-Valentin : « Autre cadeau saisonnier, celui de la Saint-Valentin. Même si ce n’est pas une tradition japonaise, elle est très respectée de nos jous. Le 14 février, les femmes, en particulier les jeunes, offrent des chocolats aux hommes qu’elles connaissent. C’est un événement plutôt commercial au cours duquel sont consommées des tonnes de chocolat. On a créé une fête où les hommes offrent des chocolats aux femmes, le White Day, la fête Blanche. Dans les deux cas, ces chocolats sont offerts par devoir, par obligation sociale, et sont d’ailleurs appelés girichoko, « chocolats obligatoires ». »
Un livre très instructif pour ceux qui veulent comprendre en profondeur le fonctionnement de la société japonaise, que ce soit dans le cadre de leur travail, d’un voyage ou simplement pour appréhender une autre culture.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Deux livres passionnants, deux approches très différentes et finalement complémentaires pour appréhender le Japon et sa culture !