Coronavirus au Japon : pourquoi si peu de cas ? L’ombre des JO…
Les Jeux olympiques sont « une preuve que l’être humain saura vaincre ce nouveau coronavirus ». C’est un message clair qu’adresse le Premier ministre japonais Shinzō ABE, à la sortie d’une visioconférence avec les dirigeants du G7, lundi 16 mars. Hors de question d’annuler l’événement, censé se tenir en juillet 2020. Pourtant, face à la pandémie du covid-19, le chef du gouvernement nippon et le CIO (Comité international olympique) se sont entendus pour la première fois sur un report des Jeux en 2021. Pendant ce temps, le Japon est pointé du doigt pour son manque d’efficacité dans la gestion de la crise sanitaire, voire pour son manque de transparence. Journal du Japon vous propose d’éclaircir la situation.
Au Japon, l’épidémie du nouveau coronavirus semble moins préoccupante qu’en Occident. Les Japonais sortent moins sous l’injonction du gouvernement mais la plupart continuent de se rendre à leur travail. Les transports en commun, les restaurants et les commerces restent en service ou ouverts. Après trois semaines de fermeture, les écoles et les centres de soutien scolaire, les bibliothèques, les musées, les théâtres et les cinémas rouvrent par endroit. Au 21 mars, les autorités japonaises font état de 1 016 personnes contaminées détectés et 43 morts. Des chiffres étonnamment bas pour un pays en première ligne avec son voisin, la Chine qui est le foyer d’origine du virus, et, avec des métropoles surpeuplées comme Tokyo en premier lieu.
Les risques et les cas sont sous-estimés
En cause, le manque de kits de test. Le Japon assure ne pas pouvoir fournir en quantité suffisante les centres hospitaliers, les laissant ainsi dans le désarroi. À Nagoya, les lits manquent déjà et certains patients sont transférés vers la périphérie. La contagion ne reste que très partiellement mesurée. Pour un comité d’experts réunis le 19 mars, l’épidémie a été stabilisée mais « une explosion » de la contagion n’est pas écartée. Ce contexte flou est vu par nombre de médias internationaux comme un manque de transparence du gouvernement de Shinzō Abe. Les risques et le nombre de cas sont pour ces derniers sous-estimés. Ce phénomène est inhérent à toute épidémie et il s’observe aussi en France ou en Italie. Parmi les Japonais qui ne sont pas pour l’instant soumis au confinement, l’inquiétude arrive et monte.
Les problèmes n’échappent pas à la population japonaise. « Le gouvernement a agi trop tard. Il ne protège pas le peuple ce qui provoque du désordre », raconte une employée du Musée Ghibli qui avait été fermé jusqu’au 14 mars. Le Japon aurait longtemps tergiversé avant de fermer ses frontières aux ressortissants chinois. Il faut dire que les citoyens de « l’Empire du milieu » sont les premiers clients du Japon. Ils s’y rendent et renflouent le marché du pays, en privilégiant les cosmétiques et les produits de luxe plutôt que les sites touristiques. Un point sensible est touché, l’économie chère à Shinzō Abe. Avec un objectif désormais illusoire de 40 millions de touristes pour 2020, le Premier ministre semble compter sur la tenue des Jeux Olympiques. Ils avaient déjà fait la gloire du Japon en 1964 alors pourquoi pas en 2020 ? Certains Japonais comme les médias font vite le lien et remettent ainsi en question la transparence de l’État et de son gouvernement. Esthéticienne à Yokohama, Ikuko Yokota est perplexe : « je ne les crois qu’à moitié parce qu’ils cachent aussi des choses ». Pour elle, l’effroi d’une épidémie latente est bien présent : « j’ai peur qu’un client me contamine et que la panique s’empare du Japon ».
Des théories du complot ?
Certains conspirationnistes vont jusqu’à dénoncer une gigantesque mortalité dans les maisons et les hôpitaux. La loi de secret défense de 2013 (特定秘密保護法) conforterait pour eux ces allégations. Elle stipule que le gouvernement est en droit de cacher des informations ou des mesures pour la sécurité de la Nation. Mais comme le souligne Oscar Boyd pour le Japan Times, « il est difficile de croire qu’une nation comptant de nombreux médecins pourrait être réduite au silence. S’ils peuvent crier gare en Chine, ils le peuvent au Japon ». Malgré la main de fer du Parti communiste chinois, le docteur Li Wenliang avait pu alerter la communauté internationale de ce qu’il désignait en décembre dernier comme « un nouveau type de pneumonie ». La Chine aura attendu tout de même presque deux mois pour reconnaître le nouveau coronavirus et procéder aux premiers confinements. Le Japon assure qu’il va fournir davantage de kits de test mais il semble prendre beaucoup (trop ?) de temps pour apporter des précisions. Alors, peut-on s’attendre à une hausse soudaine du nombre de morts dans les hôpitaux de l’archipel ?
« Rien n’est suffisamment fait »
Si pas mal de temps s’est écoulé avant que le Japon ne ferme enfin ses frontières avec son principal partenaire économique, les trois semaines de développement des symptômes du Covid-19 arrivent à leur terme. Une nouvelle vague de cas détectés devrait donc être logiquement observée dans les hôpitaux japonais. Pour y faire face, les médecins attendent une meilleure réponse de la part de l’État. « Il est compliqué de correctement expliquer la capacité de dépistage du Japon, dans la mesure où elle varie à travers le pays. Mais autour de moi, rien n’est suffisamment fait » rapporte Kentaro Iwata, spécialiste des maladies infectieuses à l’Université de Kobe. Maintenant, la vague de rapatriement en provenance de l’Europe accentue les peurs. C’est un désastre humain qui pourrait avoir lieu si le Covid-19 touche des personnes âgées, dans un pays où le vieillissement de la population n’est plus à démontrer. À titre d’exemple, l’Italie est le pays dénombrant le plus de morts, ayant la population la plus vieille du monde… juste après le Japon.
Le report des JO… En 2021 jusqu’à l’été 2021.
Dans le communiqué de presse du CIO, « la commission exécutive décide d’accélérer la planification de scénarios pour Tokyo 2020 ». Que se cache-t-il derrière ces scénarios ? Est-il question d’annuler ou de reporter les Jeux qui doivent en théorie avoir lieu cet été, du 24 juillet au 9 août 2020. Le Comité olympique relève que « d’importantes améliorations ont été constatées au Japon où la population réserve le meilleur accueil à la flamme olympique » mais que la situation dans le monde est inquiétante avec « une augmentation considérable du nombre de cas et de nouvelles flambées de COVID-19 dans différents pays et sur différents continents ». Dans cette crise sanitaire mondiale, une réflexion de quatre semaines vient de débuter pour préparer plusieurs solutions et pour organiser les Jeux Olympiques tout « en protégeant la santé de toutes les personnes concernées et en contribuant à contenir la propagation du virus [qui] est fondamental » rappelle Thomas Bach, le Président du CIO dans sa lettre à destination des athlètes. Le report s’annonce d’ores et déjà comme un problème épineux et quelle sera la meilleure solution choisie ? Petit tour de ces hypothèses. Pour l’instant, une chose est sûre : l’annulation des JO n’est pas à l’ordre du jour. Seul le report est envisagé, mais à quelle nouvelle date ?
La première hypothèse serait de décaler d’un mois voire plusieurs mais toujours sur l’année 2020, à la fin de l’été ou cet automne. Ce choix présenterait alors plusieurs problèmes : tout d’abord, les experts se trouvent toujours dans l’incertitude pour prédire la future situation sanitaire dans le monde et rien ne dit que la pandémie de Covid-19 sera terminée dans quelques mois ; et ensuite, si le report a lieu en automne, cela permettrait d’éviter aux athlètes (et aux spectateurs) l’enfer de la fournaise de la capitale tokyoïte l’été mais cela coïnciderait avec la période des typhons qui avait déjà causé des annulations de matchs lors de la dernière Coupe du monde de rugby à Tokyo.
Une autre solution serait de reporter les Jeux à l’été 2021 et c’est d’ailleurs la date limite de report convenue entre le CIO et le Japon. Et niveau calendrier, cela demandera quelques aménagements. En effet, des événements sportifs majeurs sont déjà prévus l’été prochain : les Championnats du monde de natation seront à Fukuoka et ceux d’athlétisme seront organisés aux États-Unis par exemple.
En tous les cas, quoi qu’il arrive, peu importe la solution préférée, le report coûtera cher au Japon. Les préparatifs des Jeux auront coûté plus de 12 milliards de dollars (11,2 milliards d’euros) -officieusement beaucoup plus. Plus de 6,7 millions de billets ont déjà été vendus pour les Jeux olympiques et paralympiques, pour un total qui devrait représenter 90 milliards de yens (753 millions d’euros). Un report d’un an coûterait au pays jusqu’à 640 milliards de yens (5,4 milliards d’euros) selon les estimations dévoilées jeudi par le Pr. Katsuhiro Miyamoto, de l’Université du Kansai. Lundi, les responsables de l’organisation ont botté en touche pour répondre à la question de savoir qui réglerait l’ardoise.
Mise à jour du 25/03/20
Dans son communiqué du 24 mars, le Comité olympique indique que « dans la conjoncture actuelle et sur la base des informations transmises par l’OMS aujourd’hui, les Jeux de la XXXIIe Olympiade à Tokyo devaient être reprogrammés après 2020 mais au plus tard à l’été 2021. Il a également été convenu que le nom des Jeux ne changerait pas et serait toujours : Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020. »
Vers un confinement à Tokyo ?
Le gouverneur de Tokyo, Yuriko KOIKE, a indiqué que des mesures strictes pourraient être nécessaires pour contenir la propagation du nouveau coronavirus, y compris un éventuel confinement de la capitale. « Il existe le danger que des clusters [d’infection] se développent parmi les jeunes et propagent le virus sans qu’ils en soient conscients », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse lundi. Le report des Jeux pourrait être une bonne nouvelle pour les Tokyoïtes… Affaire à suivre comme on dit.
Pour toute information concernant le coronavirus, voici le site officiel français Info Coronavirus.
Sources :
- Why is Japan still a coronavirus outliner ? The Japan Times
- Experts sound alarm over Japan’s coronavirus testing, The Japan Times
- In Nagoya, scramble for hospitals beds highlights coronavirus challenge for aging Japan, The Japan Times
- Article du Point sur le nombre de morts en Italie, Le Point
- Au Japon, le coronavirus provoque une crise de confiance politique, Le Monde
- Jeux olympiques : le CIO et le Japon ouvrent la voie à un report, Le Monde
- À Tokyo, l’étrange légèreté à l’heure du coronavirus, Le Monde
- Pour Shinzo Abe, pas question d’annuler les Jeux olympiques, Asahi Shimbun
- Number of coronavirus infections in Japan passes 1,000, JapanToday
- La santé et la sécurité étant primordiales, la commission exécutive du CIO décide d’accélérer la planification de scénarios pour Tokyo 2020, Olympic.org
- Coronavirus : La piste semée d’embûches du report des Jeux olympiques de Tokyo
- Tokyo governor warns of possible lockdown, The Japan News
- Communiqué commun du Comité International Olympique et du comité d’organisation de Tokyo 2020, Olympic.org
Le 23 mars, le Canada est le premier pays à boycotter les Jeux olympiques de Tokyo 2020, annonçant qu’il n’enverra pas d’athlètes. La même semaine, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire laissait également imaginer une telle mesure pour les sportifs français. Le report des Jeux olympiques en 2021 est un camouflet pour Shinzō Abe qui désirait pourtant redorer l’image du Japon. Cela aura peut-être de bonnes conséquences : plus de transparence et une réelle prise en main du problème sanitaire ? Les jours et semaines à venir devraient nous donner la réponse.