Le fuzei dans les jardins japonais : immersion photographique par Claude Lefèvre
Journal du Japon vous invite, avec le retour du printemps, à découvrir ou redécouvrir les jardins japonais grâce à un grand et beau livre de photographies qui vous emmènera dans des dizaines de jardins du Japon grâce aux photographies-haïkus de Clade Lefèvre.
Le fuzei
Lorsqu’on visite un jardin japonais, on a généralement du mal à mettre en mots les sentiments qui affluent. Paix, sérénité, repos, silence, beauté. On admire un paysage, la nature mise en scène, des images parfaitement cadrées, des créations de montagnes, de rivières, d’étangs, parfois sans une seule goutte d’eau. Le regard reste de longues minutes sur une montagne de graviers, une vague tracée au râteau, un bouton de fleur légèrement coloré, un pétale posé sur la mousse, une racine tortueuse, une branche mystérieusement horizontale. Chaque détaille émerveille, chaque scène invite à la méditation.
Le fuzei est le mot utilisé pour définir cet ensemble de sensations. Jacques Roubaud l’explique ainsi au début du livre : « Le fuzei est composé des deux caractères chinois fu, en japonais le vent et zei le sentiment ; c’est le sentiment bouleversé que dégagent l’intimité des choses et par conséquent la sensation de la beauté mélancolique qui en émane. On pourrait aussi dire que c’est le monde des sentiments né de l’harmonie existante entre l’esprit et la forme des choses ». La professeur Masuda dit aussi que c’est « l’expression d’une émotion fugitive, d’un sentiment poétique ». Donner un fuzei, c’est donner ou créer une impression tout en évoquant une émotion.
Des émotions que Diane de Margerie évoque dans sa préface La mélancolique beauté des choses : « Le jardin me permettait alors de vaincre le temps ; de régresser vers l’époque Heian, vers le roman superbe de Murasaki Shikibu, le si célèbre Dit du Genji, quand à travers les étangs, la rêveuse pouvait saisir les sons, le frissonnement du vent dasn les branches, le chant lointain des moines, tout cet invisible que les photographies de Claude Lefèvre suggèrent si bien ». Dans ces jardins, les reflets ajoutent du mystère au réel, les pierres tracent des pas vers un lieu qui reste invisible. Les photographies évoquent le haïku cher à cette écrivaine, mais également au photographe. Elle est « frappée par le calme qui se dégage de certaines de ces photographies comme si elles voulaient effacer la douleur qui pénètre le monde ». Le photographe « se contente de donner à soi sans prétendre interférer avec le regard des autres ».
Dans son introduction L’être-jardin, François Barré apprécie chez Claude Lefèvre « l’image d’un monde plus vaste que son image« . Le photographe « voit et revoit, vient et revient, réfléchit à l’angle de vue et à la lumière attendue, songe au récit du jardin, au vu et au tu, à cette totalité d’une relation au monde concentrée dans un esprace réduit, savant, « chargé », dont la photographie ne saura saisir son périmètre entier ».
Claude Lefèvre, avant de laisser le lecteur pénétrer dans son univers, explique l’influence des films japonais sur son travail : rigueur des cadrages, lumière des intérieurs, esthétisme des compositions, des plans et séquences, épure des décors. La littérature l’a également accompagné dans cette quête de restitution du fuzei. Mais il s’est finalement détaché de toutes ces connaissances comme un disciple zen « qui après avoir suivi les leçons de son maître des années durant commence à comprendre qu’il n’y a rien à comprendre ».
Son expérience des jardins japonais fut une succession de rencontres, de rendez-vous : « Dans mes premières confrontations avec les jardins du Japon, j’ai immédiatement retrouvé ce qui avait influencé mon travail photographique ; j’étais dans la même sublimation de l’espace, la même rigueur esthétique. Ma rencontre avec le korakuen, ce si beau jardin d’Okayama, fut peut-être déterminante et point de départ de cette aventure qui me mena dans un vagabondage d’Hokkaido à l’archipel d’Okinawa, en des rendez-vous parfois intimes avec la plupart de ces jardins. Je les découvrais le plus souvent au travers d’une avancée, une sorte de véranda précédant les maisons et les temples. Union harmonieuse des angles droits et des formes naturelles, principe essentiel de l’esthétisme des jardins au Japon, lieu même de la contemplation, voire de la méditation, vision formelle de l’espace, le jardin s’offrant à la vue dans ce cadre rectangulaire, précurseur du cadre photographique ».
C’est à travers son regard que le lecteur découvre les plus beaux jardins du Japon, qu’il admire un paysage, un élément, une structure de roches, une forêt de bambou, un pont de pierre, un étang de lotus.
La diversité des éléments, des paysages, des ambiances, des couleurs, des textures, des lignes, des ombres, émerveille le lecteur. Il n’y a plus qu’à se laisser embarquer pour un long et fascinant voyage au pays des jardins !
Du détail au paysage
Après avoir évoqué le fuzei en histoire, culture, poésie et récit, il est donc temps de pénétrer dans le cœur du livre, dans ses photographies.
Son grand format (23,5 X 34,8 cm) et la qualité d’impression des photographies permettent de s’immerger totalement et de ressentir ce sentiment de fuzei qui imprègne chaque page.
Parfois un paysage s’installe en double page, parfois il n’occupe que la page de droite pour laisser un court texte poétique s’installer sur la page opposée, blanche, juste noircie des quelques mots de Bashô, Issa ou d’autres poètes ou penseurs japonais (dont le lecteur pourra d’ailleurs retrouver les sources bibliographiques en fin d’ouvrage, une façon de faire précieuse pour ne pas perturber la découverte).
Toujours dans le même esprit, point de légende à chaque photographie, l’immersion est totale, le lecteur ne sait pas où il est, mais il y est pleinement. Et pour les curieux, la liste des jardins où ont été prises les clichés se trouve également en fin d’ouvrage.
Rien ne vient donc perturber le regard qui se perd dans des paysages de graviers, rebondit sur des boules de mousse ou dans des dédales de roches, nage avec les carpes koï ou se perd au milieu de dizaines de statues. Statues qui sont très présentes tout au long du livre, seules ou en grand nombre, comme endormies depuis des siècles et recouvertes de mousse, ou au contraire en groupe, bien éveillées, presque en mouvement avec leurs petits bonnets de laine crochetés enfoncés sur leurs têtes, parfois souriantes, d’autres fois souffrantes, semblant vouloir nous parler ou priant dans le silence.
Tourner les pages, c’est également se laisser hypnotiser par les lignes ondulantes, les vagues et les cercles tracés sur les graviers des jardins secs.
C’est cheminer doucement sur des pierres plates posées sur la mousse, le gravier ou l’eau, pas après pas, silencieusement, humblement.
C’est découvrir des rivières qui coulent lentement, des plans d’eau immobile, des ponts qui les enjambent dans leur plus simple expression.
C’est ouvrir une fenêtre sur un paysage enchanté, où les éléments du jardin créent des perspectives qui englobent également les montagnes et les arbres au-delà du jardin.
C’est regarder le miroir de l’eau, les ombres portées, les feuilles tombées dans l’étang qui se mêlent aux algues qui y ondulent pour créer un tableau aquatique aux multiples couleurs et profondeurs.
C’est sentir le souffle des saisons, du blanc de l’hiver enneigé au rose délicat du printemps, du vert moite de l’été au rouge flamboyant de l’automne.
Un voyage apaisant et revigorant que nous vous invitons à faire pour chasser la morosité !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.