Bonsaï Couture : une exposition reposante et deux artistes inédites
Le 24 janvier dernier, à la Sway Gallery à Paris, se tenait le vernissage d’une exposition mettant à l’honneur deux pans de la culture japonaise : la céramique et le bonsaï ! Deux artistes, toutes deux en pleine évolution dans leurs métiers respectifs, collaboraient sur le thème du monde entier afin d’offrir aux amateurs d’art une présentation de leur travail. Cette exposition s’est terminée le 8 février et nourrit de jolies perspectives sur un art un peu méconnu du grand public. Pour l’occasion, Journal du japon a rencontré ces deux artistes très ouvertes et heureuses d’échanger avec le public français sur cette partie de la culture japonaise.
L’art du bonsaï allié à l’art de la mode !
Ce qu’il faut retenir avec cette exposition, ce n’est autre que les codes de l’artisanat sont en pleine mutation. Aujourd’hui, plus que jamais, les arts japonais tendent à s’ouvrir et à évoluer pour être le plus accessibles possible. L’exposition Bonsaï Couture met parfaitement en exergue cette évolution. On y suit en effet le travail de Machiko KOIDE, artiste céramiste et Chie YAMAZAKI, artiste bonsaï.
Mais connaissez-vous, d’ailleurs, l’art du bonsaï ? C’est un art d’ornement : on associe en effet des pots et des plantes afin d’offrir le plus bel ornement possible. Et en parallèle, on amène un peu de verdure chez soi, on le dispose dans le hall d’entrée, dans un bureau – où que l’on souhaite – pour le contempler et voir défiler le rythme des saisons. C’est un art codifié, à bien des niveaux, comme on l’imagine : un plant, dans un pot souvent carré, à la couleur sombre le plus souvent. En somme, quelque chose de classique et sobre même si on sent l’intemporalité derrière.
Mme YAMAZAKI et Mme KOIDE, décident d’offrir un vent de fraîcheur bienvenue à leurs disciplines respectives en pensant que peut-être, à l’instar d’un vêtement qu’on porterait et changerait au gré du temps et des saisons, on pourrait faire de même avec le bonsaï, et ainsi offrir davantage de créativité : pourquoi un bonsaï ne pourrait-il pas correspondre à tel ou tel autre pot décoré avec soin et avec une forme bien définie ? C’est l’approche offerte par ces deux femmes : promettre un renouveau. Le bonsaï est habillé par un pot créé spécialement, aux formes diverses et variées mais intrigantes et subtiles. Le plant prend alors une forme différente et unique qu’il suffit d’entretenir au fil des saisons. Une oeuvre d’art à portée de main.
Sur ce principe, lors de l’exposition, on découvre des céramiques très originales, qui attirent le regard et qui séduisent. De même, la variété des plants de bonsaï différents est grande, du plus petit moussu au plus grand, tel un ikebana. On prend plaisir et on se laisse transporter dans leur univers si foisonnant et si ouvert vers le futur. On perd le côté très conservateur pour offrir un renouveau qui fait mouche. Pour Journal du Japon, c’est indéniable, ce mélange est une jolie réussite, et on découvre deux artistes qu’il va falloir suivre à l’avenir. Pour en savoir davantage sur elles et leur travail, nous avons saisi l’opportunité de cette exposition pour leur poser quelques questions…
Deux artistes à l’écoute
Journal du Japon : Bonjour, et merci de nous accorder cette interview.
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous parler un peu de vos parcours respectifs ?
Machiko KOIDE : Je suis artiste céramiste, mais cela ne fait que dix ans que je pratique la céramique. Auparavant, j’étais couturière-designer dans la mode, et j’étais également illustratrice.
Chie YAMAZAKI : Moi aussi cela fait dix ans que je travaille sur le bonsaï dont trois ans d’apprentissage, et sept ans en indépendante. En 2017, il y a eu le mondial du bonsaï par exemple, où j’y étais professeur en réalisant des démonstrations.
Comment votre collaboration s’est-elle mise en place ? Vous connaissiez-vous avant ?
Machiko : On s’est rencontré il y a 8 ans environ, cela ne faisait que deux ans que nous avions débuté toutes deux, dans la céramique pour moi, dans le bonsaï pour Chie. J’essayais de me faire connaître et de faire un peu de publicité autour de mes pots en céramiques à l’époque, et je suis alors allée voir le Maître bonsaï de Chie. Il s’est tout de suite exclamé, après avoir apprécié mes propositions, que c’était intéressant car il avait une apprentie sous son aile, une fille, à qui il pensait. Pour lui un travail en commun serait une bonne idée pour chacune d’entre-nous. C’est de cette façon que cela s’est produit, on ne connaissait donc pas forcément le travail de l’autre.
Que pensez-vous de vos arts respectifs aujourd’hui dans un monde aussi moderne ? Comment pensez-vous que cet art est accueilli aujourd’hui ?
(Rires) Machiko : En fait, ceux qui aiment le bonsaï sont une minorité car il faut beaucoup de travail pour entretenir un bonsaï et ce n’est pas forcément quelque chose d’actuel et moderne. Au Japon aussi, seule une minorité de personne apprécie cet art en réalité, et cela devient de plus en plus rare. Moi j’adore, j’ai réellement été impressionnée quand j’ai découvert le petit bonsaï que vous pouvez voir lors de l’exposition. J’espère donc que d’autres personnes auront la même réaction et apprécieront cet art.
Chie : On peut dire aussi qu’il y a de nouvelles cultures aujourd’hui chez les jeunes qui aiment également l’art du bonsaï, car il faut beaucoup de soin et de travail, ce qui le place dans une logique d’artisanat et qui plait ainsi.
Le fait d’allier la céramique et le bonsaï ensemble, qu’est-ce que cela vous apporte à toutes deux ?
Machiko : Pour nous, la représentation du bonsaï, c’est souvent le petit pot de bonsaï, un peu stéréotypé, carré, et avec peu de couleurs. Alors que moi j’ai décidé d’enlever cette barrière venue d’une ancienne tradition pour apporter davantage de créatif et de couleur dans mes pots. Au Japon, on fait de nouvelles choses, mais le bonsaï reste dans ces céramiques. Chaque bonsaï a son pot différent en fonction de mon imagination. J’ai parfois des surprises car je me rends compte que tel bonsaï rentre à merveille dans tel pot. Pour moi, c’est une véritable étude et je trouve cela passionnant.
Comme on parle de l’imagination et de créativité, on sait que l’art du bonsaï est très codifié et respecté, est-ce que cela laisse quand même de la place à de la créativité ?
Machiko : La tradition du bonsaï, c’est d’apporter un morceau de nature à l’intérieur. C’est-à-dire que l’on va chercher à prendre un peu de la nature au-dehors pour la ramener chez soi. C’est une tradition que je continue, mais avec mes céramiques, où j’apporte un aspect nouveau.
Comme vous travaillez ensemble justement, comment vous y prenez-vous ? Est-ce que le bonsaï est réalisé avant ? Le pot en céramique en premier ?
Machiko : Je prépare souvent la céramique d’abord que j’envoie ensuite à Chie. On n’habite pas à côté donc cela ne se fait pas dans l’heure. Mais on fonctionne ainsi. Au départ, on a débuté cette collaboration pour essayer de toucher un plus large public, et notamment les jeunes. Par exemple, pour mon œuvre qui ressemble à un corset, titré Brigitte, je souhaitais à tout prix la faire en étant moi-même une japonaise alors que mon inspiration était française. Dans ma tête, je savais que si quelqu’un d’un autre pays la faisait, on pouvait dire que c’était du n’importe quoi, alors que c’est totalement inédit et un essai à la base. Je cherchais juste à m’exprimer tout en pensant aux français, c’est aussi pour montrer qu’en céramique et dans le bonsaï, tout est possible. On n’est pas obligé de se cantonner aux stéréotypes.
Vous signalez que par exemple pour l’œuvre du corset, vous avez été inspiré par la France, mais quelles sont plus généralement vos inspirations à toutes les deux pour réaliser votre art ?
Machiko : Dans cette exposition, le thème est celui du monde entier. Donc j’ai travaillé par régions du monde, en m’inspirant de ces dernières. Habituellement, néanmoins je trouve l’inspiration partout autour de moi.
Chie : Pour moi, tous les arbres ont leur originalité, et c’est ce qui est le plus important. Ensuite le pot, c’est un peu comme changer un vêtement, et c’est la même chose pour le bonsaï, on l’habille et le déshabille. Mais mon inspiration reste la nature environnante.
Mme Yamazaki, que pensez-vous de l’art du bonsaï aujourd’hui ? Y aurait-il peut-être une idée d’écologie derrière le bonsaï ?
Le bonsaï c’est d’être proche de la nature. Donc il y a forcément ce côté écologie qui accompagne, qui nous enveloppe. J’essaie aussi de communiquer avec les amateurs du bonsaï du monde entier afin d’échanger autour du bonsaï.
Donc pour vous l’art du bonsaï c’est un échange international ? Ce n’est plus entièrement japonais ?
Oui c’est bien ça. Avant, c’était importé du Japon. Aujourd’hui ce n’est plus le but : l’objectif, c’est de partir de la matière proche de nous, la nature à côté de nous.
Comme ce que vous nous avez montré tout à l’heure ?
Oui absolument. Ce sont des plantes trouvées en France, dans la rue ou achetée ici sur place. Pour moi, c’est d’ouvrir le bonsaï aux autres, de ne plus rester sur l’idée bonsaï = Japon et plantes importées de ce pays, mais bien de s’ouvrir.
Si on parle des arbres, n’est-ce pas devenu plus difficile aujourd’hui de trouver un nouveau type d’arbre pour travailler le bonsaï ? Du fait des changements climatiques par exemple ?
Comme l’été où il fait très chaud, surtout au Japon, et très doux en hiver, c’est plus difficile de garder un bonsaï ou de faire pousser des plantes et des arbres.
Quelles sont vos solutions pour y remédier et continuer votre travail ?
En été, les solutions sont de mettre un petit toit au-dessus du bonsaï, et d’arroser davantage. Mais en hiver c’est plus compliqué car on ne peut pas empêcher la nature de pousser et de créer de nouvelles pousses.
Avez-vous prévu d’autres collaborations ensemble comme celle d’aujourd’hui ?
Pour le moment non, on n’a pas encore de suite à cette collaboration. Mais pourquoi pas, l’idée reste ouverte.
Auriez-vous un message à offrir à la nouvelle génération pour les pousser à s’ouvrir au bonsaï ?
Machiko : Il y a quelques temps de cela j’ai eu une maladie plutôt grave. N’ayant pas d’enfants, je me suis mis à penser un peu plus au fait de laisser une trace de mon travail aux autres. Je suis à présent vraiment ouverte à l’idée de montrer ce que je fais et de le partager aux jeunes générations.
Chie : Je vois beaucoup de personnes qui travaillent tout le temps, sans prendre le temps de faire quoi que ce soit… Je pense vraiment que travailler le bonsaï apporterait un moment de relaxation et de respiration, pour se recentrer.
Pour terminer, auriez-vous un conseil en particulier à faire passer à nos lecteurs, qui voudrait se lancer ?
Chie : Il faut vraiment essayer de faire du bonsaï avec de la mousse. On peut ainsi commencer avec un rien : la mousse sur les murs, les mauvaises herbes… Et cela permet de créer une petite histoire et de débuter tout simplement. Vous aussi, les Japonais qui habitez en France, faites-le, vous sentirez davantage passer les saisons.
Merci beaucoup !
On remercie chaleureusement la galerie Sway Gallery qui nous a accueilli et que l’on vous recommande. Et nous remercions également les deux artistes pour leur générosité et le temps qu’elles ont accepté de nous accorder. Vous pouvez suivre Machiko Koide sur son facebook et Chie YAMAZAKI sur son facebook aussi.