La menace du scalpel sur le Japon
Depuis une dizaine d’années, la Corée du Sud est devenue LE pays de la chirurgie esthétique, devançant le Brésil. Se faire refaire le nez, les pommettes ou encore les yeux est devenu banal dans un pays où le diktat de la beauté touche aussi le monde du travail. Cette mode des opérations commence aussi à toucher le Japon, où la réputation de la beauté naturelle des japonaises… est menacée par le scalpel.
Journal du Japon vous fait faire un petit tour du bistouri.
Une tendance lourde…
Mifa, coréenne vivant depuis sa plus tendre enfance au Japon, rigole doucement en montant les escaliers pour se rendre à son travail :
« Je suis coréenne, mais je les représente mal, je ne me maquille jamais et je n’ai jamais fait de chirurgie esthétique, je ne teins pas mes cheveux non plus ! ».
Cette assistante maternelle est certaine d’être une exception à la règle. Dans son pays, peu de jeunes femmes choisissent cette voix. La voix royale est celle de la chirurgie esthétique, du maquillage à outrance, de la teinte des cheveux… Le but : ressembler aux stars de la K-pop ou du petit écran. Le diktat de la beauté est tellement fort, que cela soit pour trouver un emploi, un mari voire même des amis (!), que la Corée du Sud est aujourd’hui connue comme étant un des pays pratiquant le plus d’opérations esthétiques.
Mais c’était sans compter sur le Japon…
« J’ai l’impression que le Japon change et devient comme la Corée du Sud concernant la beauté ; c’est toujours beaucoup moins superficiel, mais ça arrive, lentement », déplore Mifa.
Pas si lentement. En effet, le nombre des opérations a bondi : en 2016, le Japon se classe troisième parmi les pays pratiquant le plus la chirurgie esthétique (derrière les États-Unis et le Brésil), selon l’ISAPS (the international society of aesthetic platic surgery). Cette année-là, 209 017 opérations chirurgicales ont eu lieu dans le pays, sans compter les 928 960 opérations étiquetées non-chirurgicales. Des chiffres colossaux et un marché énorme !
Les Japonaises en deviennent friandes
Toujours selon le rapport de l’ISAPS, l’opération la plus demandée est la chirurgie des paupières (106 177 interventions sur les paupières pour 165 496 interventions du visage, quasiment les 2/3 !). Ce chiffre classe le Japon sixième dans le classement des pays pratiquants le plus d’opérations du visage, derrière le Brésil, les États-Unis, la Russie, le Mexique et l’Inde.
Il faut dire que l’accès aux cliniques est simple. Elles sont présentes en grand nombre dans les grandes villes et surtout, elles font de la publicité. Cet acte est exploité comme étant de la consommation, de la même façon que l’on se rend dans un institut. Certains cliniques utilisent d’ailleurs des moyens de communication modernes et sont présents sur des réseaux sociaux : exemple de la Clinique tokyoïte Jiyugaoka, présente sur Instagram (mais aussi You Tube, Twitter, etc.), plate-forme justement montrée du doigt, régulièrement, pour son diktat de la beauté. Le profil des clientes est souvent le même : être belle avant tout pour se trouver un mari, et vient ensuite l’objectif de trouver un travail. La difficulté des rencontres et l’inquiétante baisse démographique du pays ne font qu’encourager ces pensées superficielles.
Ce phénomène est décrit pas les psychologues comme un effet boule de neige : plus les femmes se font opérer et plus les critères de beauté augmentent et se durcissent, et plus d’autres femmes cèdent ainsi à la pression.
« Être complexé par son corps est la nature même de l’homme, créant ainsi la diversité. Seulement, se faire opérer pour répondre à des critères et non par souffrance psychologique est très dangereux. Cela peut perturber profondément le patient, qui, après opération, ne se reconnait plus. Une image d’un beau nez en photo, ne rendra forcément pas pareil sur soi-même », analyse Matthieu, jeune psychologue.
Une fausse solution, qui, à défaut de fonctionner, peut complètement éloigner la personne du but recherché en la déstabilisant psychologiquement. Pourtant, aujourd’hui, les opérations continuent d’avoir beaucoup de succès. À croire que la beauté naturelle prônée par le Japon depuis des siècles est en train de disparaître…
Finalement, le Pays du Soleil levant ne parvient pas, tout comme le reste de l’Asie d’ailleurs, à garder sa part de tradition dans un monde moderne de plus en plus normatif… et au sein d’un marché de la chirurgie esthétique qui pèse aujourd’hui 10 milliard d’euros.
Complément d’information à ne pas rater cette semaine avec la diffusion du reportage « Complément d’enquête. Du selfie au bistouri : les jeunes accrocs à la chirurgie ? » chez nos confrères de France 2, le jeudi 6 février à 20h30.