Quel avenir pour les éditeurs indépendants ? Rencontre avec Anthony Dufour, le fondateur d’Hikari

Face aux «machines à récolter des clichés» que sont les reportages habituels, Anthony Dufour décide de monter la société Hikari, afin d’apporter un nouveau souffle au modèle de production des reportages et documentaires à l’étranger. Il s’installe d’abord à Tokyo pour ouvrir le premier bureau d’Hikari. Puis rapidement s’ouvrent de nouveaux établissements en Asie : à Pékin puis Séoul. Hikari commence à tisser un réseau de partenaires et de collaborateurs à travers le monde. Puis en Amérique, en Europe, et toujours selon le même modèle, avec des journalistes français ou européens qui vivent sur place. De retour en France, il crée  une agence de presse et une société de production pour poursuivre le développement. Enfin en 2013, Hikari Éditions est créée pour prolonger cette recherche d’authenticité via la littérature.

Journal du Japon est allé les rencontrer.

bannière hikari

Journal du Japon : Bonjour Anthony.  Pour commencer, pourriez-vous revenir sur votre parcours personnel/professionnel et ce qui vous a mené à devenir éditeur ?

Anthony Dufour portrait Hikari Editions

Anthony Dufour

Anthony Dufour : Alors à la base, je suis journaliste et j’étais correspondant en Asie pendant un certain temps, notamment au Japon. Et quand on travaille pour la télévision, on est toujours dans un cadre assez contraint, formaté donc on travaille soit pour un journal télé, soit pour une émission de magazine, ou reporter pour un documentaire… Mais malgré tout on ne réalise et on ne diffuse que ce que la chaîne elle-même souhaite que l’on passe à l’antenne. C’est ce formatage et cette limitation par rapport à la richesse et la complexité de ce qu’on connait et vit sur place qui m’a donné envie de devenir éditeur. C’était un moyen de se redonner de la liberté, de sortir du carcan pour raconter des choses qu’on ne pouvait pas trouver à la télévision. Et puis, lorsque l’on est journaliste à l’étranger, on raconte « les grands problèmes du monde ». Pour moi c’était, disons, Fukushima il y a quelques années. Et donc, quand on rentre chez soi, et que votre famille et vos amis vous interrogent, ça ne les intéresse pas tous ces grands problèmes globaux. Eux, ce qu’ils veulent savoir c’est : comment on se soigne ? qu’est-ce qu’on mange ? comment ça va pour les enfants à l’école ? – enfin je veux dire des questions du quotidien, des questions normales de conversation. Mais ces choses-là, on n’arrivait pas à les dire, il n’y avait pas d’espace dans les médias pour en parler.  Alors qu’à mon sens, je crois que c’est souvent une bonne manière de découvrir un pays, le quotidien.

Le pays raconté par le mec en cravate qui va nous expliquer un Japon « entre tradition et modernité », il peut se le garder. Mais, par contre, tout ce qui va s’attacher à raconter des histoires personnelles, dépeindre les valeurs, est un bon moyen de raconter un pays. Je dis toujours la même chose : je déteste Yann Arthus Bertrand – ça on peut l’écrire (rires) – je trouve que c’est vraiment un imposteur et un escroc, je m’y suis frotté personnellement. Mais, il faisait le monde vu du ciel , maintenant je trouve qu’on fait « le monde vu du sol », vu d’en bas et de la vie quotidienne. Et c’est une perspective pas mauvaise, beaucoup plus humaine, beaucoup plus incarnée pour raconter les choses. Bon évidemment, on rate certaines choses : on n’a pas la vision d’ensemble. Mais bon le mec qui veut tout voir, tout raconter il va rater des choses aussi. Nous on essaye vraiment de se concentrer sur l’intime, le personnel et la vie quotidienne.

Comment parvenir à garder cette authenticité et à se faire une place au milieu des autres grandes collections de guides touristiques très formatés ? Quels sont les messages que vous essayez de faire passer ? 

La réalité des grosses boîtes, des grands guides, des grandes collections c’est que… c’est de la merde (rires) ! Non, j’exagère évidemment, mais c’est déontologiquement désastreux. Bien sûr, même moi si je pars en voyage, pour les questions logistiques, de déplacement, et aussi pour savoir quels sont les 15 trucs les plus touristiques, je vais sûrement m’acheter un Guide du Routard ou un Lonely Planet. Mais pour savoir où aller manger par exemple, je ne vais certainement pas leur faire confiance. Et puis, le second problème à mes yeux avec ce type de guide, c’est que j’ai pu voir dans quelles conditions ils étaient élaborés. On ne peut pas demander à un jeune homme qui a fait quatre voyages dans sa vie de faire un guide sur le Japon en trois semaines, à un moment ce n’est pas crédible. Et c’est pourtant ce que font des grands guides qu’on trouve largement en rayon et qui occupent le devant des rayons de la Fnac aujourd’hui. Sans compter qu’ils sont souvent rédigés avec le soutien financier des offices de tourisme qui peuvent exiger certaines conditions en échange. Donc encore une fois, c’est intéressant, ça donne une base mais ça ne me dit pas comment fonctionne ce pays, comment il vit.

bureau hikari editions

Les bureaux d’Hikari à Lille

De notre côté, nous mettons un point d’honneur à ce que tous nos livres soient écrits par des auteurs résidant sur place : nous sommes la « maison d’édition des auteurs francophones à l’étranger ». Au départ, nous étions seulement centrés sur le Japon, puis nous nous sommes développés et maintenant on publie des livres sur la Chine, la Corée, l’Amérique du Sud mais toujours en gardant la même démarche. On retrouve chez tous nos auteurs un savoir-faire ou bien une histoire journalistique, quelque chose qui les as poussé, après des années de frustration à la radio, la télé… à vouloir sortir du carcan pour enfin raconter ce qu’on ne leur a jamais demandé de raconter en fait : le quotidien, les rencontres, l’humain. Quand on vit à l’étranger, on finit par se faire des copains, moi j’avais des copains, surtout des copines à Tokyo, qui m’ont appris plus sur le Japon que la plupart des reportages que j’ai fait et pourtant ils seront jamais dans les reportages qu’on fait. Alors qu’au moins dans nos guides nous pouvons offrir ce kaléidoscope, ces rencontres….

D’ailleurs, concernant la série « Portrait de ville », qui consiste en ce kaléidoscope de témoignages, comment sont choisies les personnes sur place ?

Alors c’est l’auteur qui choisit, il vit dans la ville. Et, à la fin, le dernier portrait est toujours celui de l’auteur.

Parmi ses rencontres, ses connaissances, … ?

Portrait de ville Oui après ils sont tout de même journalistes, donc ils sont capables de faire un effort pour sortir de leur cercle, même si en définitive le livre va beaucoup leur ressembler. Par exemple, Portraits de Tokyo ressemble assez fort à l’auteure ainsi que Portraits de Kyoto mais cela doit avant tout ressembler à la ville. Londres par exemple, est extrêmement cosmopolite, extrêmement bigarrée, Kyoto ça l’est moins. Mais sur le portrait de Tokyo il y a un côté un peu féminin qui est très agréable. Et puis, elle a fait un choix dans les rencontres/portraits qui est très intéressant. Il y a une samurai fille qui fait ça très sérieusement, enfin qui a une tradition samurai et cultive cette tradition de façon très sérieuse comme on peut le faire au Japon, mais en étant une femme, et c’est une forme de féminisme aussi, de continuer ça comme ça.

Oui, parce que c’est une thématique encore très connotée masculine en définitive ?

portrait de villeOui et puis on sait très bien que le Japon c’est un pays hyper masculin, où les femmes sont une majorité mais silencieuse, et parfois un peu invisible. On tente de les faire parler, de dire quel est le Tokyo qu’elles aiment, dont elles profitent. Et puis surtout quand on est un étranger et qu’on va au Japon, on a beaucoup plus de chance de se lier avec des femmes, qu’on soit un homme ou une femme… je ne parle pas du point de vu amoureux ou de relation comme ça, mais la réalité c’est que c’est les femmes qui sont ouvertes au Japon. Vous allez dans un café et à une table il y a un groupe de femme et on peut discuter avec elle, on peut entamer une conversation. N’essayer pas avec un groupe de mec… enfin ils ne vont même pas comprendre, c’est particulier.

Pensez-vous traiter le Japon sous des aspects plus engagés ou sensibles, politiques ou sociétaux par exemple ?

Ce sont des sujets sensibles. Quand j’habitais encore là-bas, j’ai été pourchassé par les groupes d’extrêmes droites à Tokyo : nous étions cités sur les forums d’extrême droite car nous avions réalisé un documentaire pour France 5 qui s’appelait les fantômes du passé, sur la manière dont le Japon a du mal encore aujourd’hui à assumer son passé militariste ; un film pour montrer qu’aujourd’hui on chante Kimi Ga Yo dans les écoles, on défile au pas de l’oie pendant les récréations, on est encore dans une société qui révère le côté militaire de son organisation. On est qu’une petite fleur de cerisier dans l’océan des cerisiers. Donc oui on l’a déjà fait, mais c’est vrai qu’on l’a pas fait en livre. Mais ça dépend des auteurs, des opportunités. Mais nous sommes, en tant que maison d’édition et agence de presse, hyper concernés par les questions de libertés et surtout celles de libertés d’expressions. Et donc on ne lâche rien sur ces questions-là, mais c’est vrai que nous n’avons pas encore eu l’opportunité de le faire. Je crois que nous avons quand même travaillé sur l’aspect féministe, avec j’aime le natto  notamment, dont l’auteur est une personne engagée, féministe, qui raconte le rapport de la femme au Japon et aux Japonais, ce qui est vraiment intéressant. Mais ce n’est pas exclu dans le futur, rien n’est encore joué !

 Oui bien sûr ! Parce là, la démarche c’est plutôt les auteurs qui viennent vous voir et proposer des idées ?

Japon Quotidien

Le Japon Quotidien ©Seuil

C’est les deux. Mais il n’y a pas aujourd’hui de jeunes auteurs. C’est à dire que – je vais dire quelque chose de très vache – mais le Japon c’est le pays des vieux universitaires et des vieux auteurs. Jean-François Sabouret, Philippe Ponce,… c’est des mecs bien, mais le plus jeune a 70 ans. Alors que la Corée ou de la Chine, ce sont des pays qui ont renouvelé leur intérêt, où il y a de jeunes universitaires, ou de jeunes journalistes qui y sont installés et qui travaillent, alors que ce n’est pas le cas du Japon. Les observateurs du Japon sont un peu âgés et un petit peu consensuel. On finit tous par être un peu « tatamisés », à ne pas vouloir briser l’harmonie, c’est difficile. Franchement le gouvernement japonais sur ces questions en ce moment est très bloqué. On est sur un gouvernement super nationaliste et qui ne tolère pas, qui ne tolère rien autour… Les universitaires qui travaillent sur le Japon sont quand même largement financés par le Japon du coup ça bloque, c’est compliqué.

 

D’où vient le nom “Hikari” ? 

Anthony : Ahh Hikari, qu’est-ce que ça signifie ?

Pauline (chargée de communication) : la clarté.

Anthony : de manière fugace ! Quand on est au Japon, on est souvent confronté à ce mot, « hikari », il y a le Hikari qui est une des vitesses du Shinkansen, ce n’est pas le plus rapide c’est le Nozomi, mais c’est le 2e plus rapide. Quand on a la fibre à la maison on a la « Hikari fiber ». Et puis c’est un très beau kanji, moi j’avoue c’est le visuel du kanji qui m’a plu au départ, et donc on avait fait un petit logo avec le kanji.

Mais il n’y est plus là ?  C’est dommage…

HikariEh oui, au début quand j’ai créé Hikari, je vivais au Japon, j’avais mis le kanji, mais au fur et à mesure, nous avons été en Chine, en Corée, puis ailleurs dans le monde, et le côté kanji japonais n’était pas très bien vu partout quoi, surtout en Chine. Quand j’ai ouvert le bureau, ils m’ont dit « vous êtes gentils là avec votre nom japonais », en plus c’était pendant l’occupation japonaise, alors « Les japonais amenaient la lumière sur le Chine », ils venaient les éclairer, ils donnaient « l’Hikari », donc nous avons un autre nom en chinois, le cachet officiel pour les autorités chinoises. Et donc nous avons retiré le kanji du logo au bout de quelques années, c’est un bon exemple du nationalisme japonais dont on parlait tout à l’heure, il est partout, il gêne…

Au final, cette spécialisation en Asie s’est faite de manière organique, en partant du Japon puis vous vous êtes développés jusqu’à arriver en Amérique du Sud ?

Oui en effet ça reste une majorité de nos livres, de nos films, etc. Ça s’est fait naturellement, aujourd’hui on a l’impression que la Chine est un monstre qui occupe l’actualité tout le temps mais ce n’était pas le cas avant, il y a 20 ans, et donc nous sommes arrivés au moment où la Chine a adhéré à l’OMC (ndlr : Organisation Mondiale du Commerce), a ouvert ses frontières et est devenue un acteur très important du monde. Donc nous étions là au bon moment, c’est un coup de bol, une question d’opportunité. Et puis c’est là que la Chine a commencé à être intéressante pour nous, ça a toujours été un gros truc la Chine, mais on avait peu d’interaction, on leur achetait pas grand-chose, c’était le Japon qui était le grand acteur commercial électronique avec l’Europe, pas la Chine.

D’ailleurs cet engagement semble aussi se traduire dans le choix des genres littéraires édités, on trouve peu de roman/fiction chez vous, on reste sur des récits favorisant la réalité, le vécu ? 

Tokyo c'est fini

Tokyo c’est fini ©Hikari

Alors oui encore une fois, c’est ce que nous avons fait de plus, mais nous restons ouverts à tout, un bon projet, une bonne histoire… Nous avons des jolis projets de romans graphiques et d’histoires mais une idée de livre ça suffit pas, il faut que derrière il y ait une plume, une histoire. Tokyo c’est fini, par exemple, c’est un roman, donc ça c’est quand même une vraie fiction, même si on peut dire que l’auteur a emprunté à sa réalité personnelle. L’auteur Régis Arnaud vit toujours au Japon, depuis 24-25 ans maintenant. Et il raconte son arrivée et ses premières impressions. C’est un style à la fois très juste et très fin, très intelligent dans son écriture. C’est vraiment une belle écriture et surtout c’est très drôle, c’est ironique en permanence. Il s’en prend d’abord à lui-même, l’auteur, mais aussi à ces Français qui se bercent d’illusions avant d’arriver au Japon. Aujourd’hui on est très mondialisés donc on connait un peu mieux le reste du monde, même si les médias nous aident pas trop, mais il y a 20 ans ou 25 ans, le Japon c’était quand même très exotique, très lointain. Maintenant on a tous un cousin ou un proche qui y a été, on a vu des émissions.

C’est vrai que je vois avec les gens de ma génération, les animés et les mangas ont pu contribuer à créer une vision fantasmée du Japon.

Alors je suis un peu plus vieux, je ne suis pas né avec des animés, enfin il y avait Goldorak mais bon… Les trentenaires d’aujourd’hui, je comprends que c’est très loin de ce qu’ils ont pu imaginer, mais si on fait abstraction de ça, ça reste un pays où il y a quand même des surprises, des lumières, ça clignote, ça envoie du son, c’est rigolo ! J’y suis allé avec mes enfants, l’été dernier, on est remonté tout le Japon avec le JR Pass. On s’est dit ils vont adorer ça, car pour le coup c’est très manga, c’est très enfantin. On dit qu’il n’y en a pas à tous les coins de rues, mais la réalité c’est, quand on se promène dans toutes les grandes villes, il y a des endroits où ils peuvent essayer d’attraper des peluches, il y a toujours des trucs, même dans les musées il y a des espaces pour que les enfants puissent jouer, ils ont toujours recours à un personnage pour rendre la chose ludique.

Pour situer, vous me parliez de Régis Arnaud, son livre date de quelle année ?

Début des années 2000

Mais je croyais que vous publiez ce livre depuis 2018 ?

Chez nous c’est la réédition, son premier éditeur a fait faillite entre-temps… Les éditeurs c’est fragile.

Vous résistez bien vous !

Grâce à la partie TV d’Hikari, parce que c’est très petit le livre, c’est une économie très limitée. Mais comme on a une partie audiovisuelle, c’est vraiment elle qui finance le reste.

Les bureaux d’Hikari

Pauline : C’est difficile de survivre en tant que maison d’édition quand on a des gammes assez précises ou des sujets assez précis, par rapport à Hachette qui édite des tonnes de thèmes.

Anthony : C’est comme quand on va chez Auchan, quand on s’appelle Danone ou Nestlé, on peut négocier 40 rayons, donc on a de la présence, alors que quand on fait du Breizh Cola, on n’a qu’un petit morceau de rayon. Nous on n’est pas Hachette, donc on ne peut pas imposer au libraire d’en avoir plein dans son rayon, on ne peut pas leur dire vous m’en prenez 100 et vous les mettez en tête de gondole. Ils vont me dire : désolé on a déjà le guide du routard. Nous on est plus dans le petit produit artisanal. Mais c’est normal et puis la différence a toujours été présente dans le marché de l’édition, il y a certains des livres qui marchent bien, et 95% des livres en France ne se vendent pas, c’est-à-dire le chiffre moyen de vente d’un livre en France est autour de 500 exemplaires. Les têtes d’affiches font 200.000, 300.000 et puis y’en a pleins qui font 200. Donc il faut comprendre que plus de 9 livres sur 10 ne se vendent pas. Et ce phénomène-là est encore plus fort aujourd’hui qu’hier, on pourrait s’imaginer qu’avec la diversité, la diversification de l’offre, plus de communication autour du livre, il y ait plus de curiosité autour du livre… en fait non. Je crois qu’on a tous besoin d’être rassurés : on va aller voir Star Wars au cinéma, on va prendre le bouquin de l’auteur le plus connu.

C’est le choix de la passivité, de la facilité, on n’a pas forcément le temps de se renseigner, de s’informer…

j'aime le natto

J’aime le natto (Julie Blanchin Fujita)

Et puis on n’est pas toujours aidé par les libraires, on trouve de moins en moins de libraires indépendants, qui se donnent la peine… Nous on travaille avec certaines librairies depuis des années, si ils n’aiment pas un livre ils vont nous le dire, ils ne vont pas forcément le mettre en avant. Mais quand ils aiment bien… je veux dire, j’ai un libraire à Paris qui m’a fait 15% de la vente mondiale de j’aime le natto, sur UN libraire indépendant, parce qu’il le recommande aux gens. Donc moi je ne peux fonctionner que si le bouche à oreille fonctionne et si les lecteurs s’y retrouvent et le font savoir autour d’eux. En plus le libraire indépendant on le croit quand on va le voir, le libraire de mon quartier il me connait il sait ce que j’aime bien, on lui fait confiance. Alors que si tu vas à la Fnac, à Cultura, dans les grandes librairies, dans les grandes chaînes, tu trouves rien, même parfois nos livres ils ne sont pas à Cultura, Fnac, etc.

Je profite que Pauline soit là, pour lui poser une question concernant la partie communication : Hikari c’est une maison d’édition de niche, vous visez peut être un public plus « mature » et ouvert d’esprit et par conséquent parfois plus âgé, et qui n’ont peut-être pas trop l’habitude des réseaux sociaux, donc il a fallu adapter le plan de communication au lectorat ?

Pauline : C’est vrai, mais après sur Instagram il y a beaucoup d’interaction, beaucoup de gens qui s’intéressent. Alors, oui, c’est souvent des gens assez ouverts d’esprit j’ai remarqué et qui nous lisent, qui s‘intéressent à la découverte, la culture. Mais c’est vrai qu’en terme de communication c’est pas toujours facile, les gens sont pas toujours forcément actifs sur les réseaux sociaux, mais je pense qu’il y a des personnes qui se sont habituées. Par exemple la dernière fois il y avait un monsieur qui m’a appelé pour savoir si nous allions sortir un catalogue parce qu’il nous suit depuis longtemps, il m’a même donné son adresse postale (rires). Donc oui, il faut savoir s’adapter.

Anthony : En général le public est assez âgé, mais en réalité ça dépend des pays. Corée/Japon c’est jeune. Mais Chine et reste du monde c’est plus âgé, je n’ai pas d’explication, récemment nous avons fait un truc sur la Russie, c’était très âgé. Et puis on a la collection des imagiers, qui est pour les jeunes parents.

Cette dernière collection d’imagiers s’adresse d’avantage aux couples franco-japonais qui habitent en France, j’imagine ? 

Evidemment, c’est beaucoup de parents japonais, encore une fois c’est le résultat de la mondialisation, les enfants métisses sont extrêmement nombreux et forcément ils vivent dans un pays et pas dans l’autre et donc, forcément, ils ont une langue qui va devenir maître et l’autre qui va s’effacer un peu. D’ailleurs ça marche dans les 2 sens, les imagiers sont franco-japonais, ça veut dire que ça peut s’utiliser pour les Français qui veulent apprendre le japonais, comme pour les Japonais qui veulent apprendre le français.

Ah, vos livres sont aussi distribués au Japon ?

Alors, J’aime le Natto oui, il est distribué dans une version légèrement modifiée pour le public japonais. Et on a fait une version américaine, et là c’est des trucs un peu… disons que quand on voit ses seins au bain, là il a fallu les retirer, question de pudeur, c’est rigolo. Ils nous ont demandé très gentiment si on pouvait retirer cette planche. Alors que bon, y’avait rien de sexuel là-dedans.

Donc il y a des libraires japonais qui vous commande des exemplaires de « j’aime le natto » ?

Ah oui bien sûr, alors j’aime le natto , maintenant ils le commandent direct au Japon car c’est coédité, avec un éditeur japonais, Kodansha. C’est eux qui sont venus nous voir. Donc c’est plutôt agréable, et puis on a régulièrement Kinokuniya qui nous commande des bouquins, et c’est marrant, ils nous renvoient des conseils, « alors oui on a bien reçu vos exemplaires, puis-je vous suggérer que sur la tranche… (rire) ». Non mais c’est marrant y’a un degré d’attention, c’est gentil.

Est-ce que vous avez des auteurs japonais favoris, des influences ?

bébé de la consigne automatique

©Editions Philippe Picquier

J’ai que des banalités à dire (rire), j’aime bien Murakami, mais l’autre bizarrement, le moins connu, je trouve que, surtout les derniers, j’ai moins accroché à la narration. Mais l’autre Murakami Ryu, il a eu le prix Tanizaki, ce qui n’est pas rien dans la littérature japonaise. Mais plus généralement, je pense, je suis peut-être pas assez spécialiste, mais je trouve qu’il n’y pas une grande littérature jeune et traduite en français au Japon, c’est un vrai problème…

Oui comme vous disiez, autant il y a peu d’universitaire qui étudie le Japon, autant il doit y avoir peu de littérature jeune aussi.

Peut-être que c’est lié à ça aussi. C’est-à-dire quand un éditeur français reçoit des projets il les reçoit parce qu’un universitaire, parce qu’un traducteur va s’en emparer et les traducteurs littéraires japonais sont très âgés, les universitaires aussi, donc on se retrouve avec des gens très âgés. Si je prends la littérature chinoise, ou la littérature coréenne, c’est bourrés de titres, d’écrivains des années 80-90 qui sont déjà publiés en France et qui ont déjà une énergie extrême. Je suis sûr que ça existe au Japon, mais le processus ne fait que commencer, il y a  une jeunesse qui se réveille un peu, qui ne veut plus vivre comme ses parents.

Et après ?

Nous avons pas mal de projets de livres en cours et d’idées en cours, moi je crois que – peut être que c’est de la naïveté – notre manière de consommer change. Aujourd’hui j’essaie de faire plus attention à ce que je mange, j’essaie de me déplacer de manière plus responsable… et je crois que la manière dont on se cultive, lit, regarde le monde, est également en train d’évoluer et donc qu’il y a une place pour l’édition indépendante. Il y a une place pour la curiosité quand elle est bien dirigée, donc même si nous restons toujours dans une position de niche, il faut l’admettre, je crois que c’est une niche qui a tendance à grandir et qui a un grand potentiel.

C’est ça que l’on doit travailler, notre originalité, notre spécificité, et se rendre compte que c’est une originalité qui a tendance à parler à un monde de plus en plus important. Quand j’étais étudiant, il m’est arrivé d’aller une fois en Angleterre en bateau, c’était mon voyage d’étudiant et maintenant vous avez tous au moins une année à l’étranger,  n’importe quelle université propose des échanges. Et cette ouverture-là ne peut que s’améliorer au niveau mondial, on va tous avoir de plus en plus besoin de comprendre le Japon ou l’Asie, donc a priori on aura toujours plus besoin de gens qui voudront nous écouter. Mais il faut leur mettre les bons projets en face des yeux, et ça c’est le combat de Pauline (clin d’œil complice).

On gardera l’œil nous aussi… Merci !

Retrouvez les éditions Hikari sur leur site internet, ou via leurs réseaux sociaux Instagram, Twitter et Facebook.

Merci à Anthony et Pauline d’avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions et de nous avoir accueillis dans leurs locaux. 

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