Musée Guimet : des arts asiatiques et contemporains
Après avoir parlé de la fête anniversaire des 130 ans du musée Guimet et de l’héritage de son fondateur, Émile Guimet, continuons notre week-end spécial avec la programmation (passée mais aussi à venir avec les expositions de 2020) et l’art contemporain, l’un des axes forts soutenus par la nouvelle direction. Arrivée depuis août 2013, c’est aussi l’occasion de revenir avec la Directrice Sophie Makariou sur ce qu’elle et son équipe ont mis en place depuis sa nomination à la tête du musée.
De la pédagogie et de l’art contemporain
« Depuis que je suis arrivée, nous avons mis en place un certain nombre de choses avec les équipes du musée qui visent essentiellement à ouvrir plus le musée, non pas à changer ses publics mais à ajouter des publics qui ne venaient pas aux musées, en particulier un public de jeunes passionnés par l’Asie mais qui ne franchit pas forcément les portes d’un musée pensant qu’un musée peut être un lien ennuyeux, un mouroir, un lieu où il ne se passe pas grand-chose. Le pari est de donner à ce public non seulement le sentiment mais surtout la certitude du contraire. Et peut-être que cela collait à l’image du musée Guimet, qui pouvait avoir la réputation d’être un lieu sérieux, de savoir sérieux. C’est une très bonne chose mais ce n’est pas pour ça que cela ne peut pas être transmis. Je dis toujours que les gens les plus savants sont en général les meilleurs pédagogues parce que lorsque l’on a travaillé sur un sujet, on sait finalement ce qui est important et on sait éventuellement mieux comment le transmettre. » explique Sophie Makariou.
Des offres assez nouvelles, plus adaptées au temps de visite, sont mises au point avec les « escales Guimet ». Il s’agit de parcours plus courts et un peu à la carte qui changent donc des visites conférences d’une heure et demie. Une offre riche d’ateliers et d’animations pour les enfants est aussi proposée. Guimet c’est aussi des activités en dehors des murs du musée. Le MNAAG est assez impliqué dans des actions d’éducation artistique, pensées et développées pour des enfants de milieux peu favorisés et qui ont très peu l’habitude de venir aux musées. « Cela nous semble important d’amener dans des banlieues difficiles ce que nous pouvons porter de plus positif, sur l’espace où nous visons ensemble qui est un espace de culture partagée. Parler de l’Asie par exemple à des enfants qui pour certains ont des histoires familiales qui les ramènent vers l’Afrique, c’est en quelque sorte une bonne façon de les ramener vers la France. C’est leur dire, c’est tout cela le pays dans lequel vous vivez. Même si c’est un pays que vous pensez loin de tout cela. C’est un pays qui peut vous amener à découvrir les rituels d’hospitalité au Japon, en Chine, etc. Les équipes du musée ont fait un travail remarquable sur les rituels d’hospitalité en Asie et quand vous voyez les images des enfants, c’est très fort et vous sentez qu’il se passe quelque chose. » analyse la Directrice.
L’art contemporain avait été installé au musée dans les années 2008 mais plutôt sous forme d’ « intrusion dans les salles » : souvent un peu plaqué dans les salles et pas forcément ni bien compris par le public ni par les équipes du musée. « C’est extrêmement fondamental, non pas pour dire que nous sommes modernes, mais pour créer quelque chose autour des collections. Tous les artistes contemporains qui passent au musée offrent une œuvre ce qui permet de construire les collections. Du coup, depuis 2013, nous avons abordé les choses différemment. En 2015, nous avons ainsi lancé la première carte blanche en nous disant d’abord qu’il lui fallait un lieu dédié, la rotonde du 4e étage, et que si une carte blanche se répandait dans les collections, ce qui est arrivé notamment avec Prune Nourry, l’artiste devait forcément travailler avec le personnel du musée et notamment l’équipe scientifique. » dit-elle.
Un certain nombre d’actions autour de l’art contemporain ont ainsi été développées.
Les cartes blanches
Avec les cartes blanches, le musée invite un artiste contemporain, pas toujours reconnu totalement par la scène internationale ni forcément dans les grands circuits internationaux ou par de grandes institutions uniquement dédiés à l’art contemporain. Pour la Directrice, tous les gestes autour des œuvres d’art sont très importants, tout comme la conservation et la pratique de ces techniques qui peuvent devenir un mode d’expression vraiment contemporain. Par exemple, pour sa carte blanche, Shouchiku TANABE a réalisé une sculpture de bambou de plus de 6 mètres de haut. Il s’agit, aussi, d’inviter des formes d’art qui ont souvent été éloignées des musées dits des beaux arts.
« L’été dernier, on avait donné carte blanche à un artiste très connu, Pharrell Williams associé à Mr., une grande figure de l’art kawaii japonais. La programmation est ainsi très diversifiée. Cela crée des effets de mise en perspective. Je pense qu’il y a beaucoup de jeunes visiteurs qui sont venus voir cette carte blanche assez « déstructurée » et étonnante et qui sont ensuite descendus pour voir les estampes. C’est extrêmement important. Ce que l’on veut, c’est entrouvrir les portes pour que les personnes les ouvrent plus fortement : qu’ils viennent pour une chose et qu’ils en découvrent une autre. »
Une politique d’acquisition d’art contemporain
Ce goût du contemporain, en résonance avec les collections anciennes, s’exprime aussi dans la politique d’acquisition du musée qui vise à faire entrer beaucoup d’artistes et de créateurs d’aujourd’hui pour les collections de demain. Cela commence avec les collections du 20e siècle. Il faut savoir qu’il y a 6 ans, il n’y avait pas de collection de shin-hanga, l’estampe du début 20e de l’après Meiji. Le musée s’est mis à acheter du shin-hanga, notamment du HASUI, grand maître des paysages. « C’est aussi une volonté forte de créer des liens avec les collections anciennes et de continuer de raconter l’histoire de l’estampe. Nous nous étions intéressés dernièrement à l’estampe d’époque Meiji avec l’exposition « Meiji – splendeurs du Japon impérial » à l’occasion de la commémoration du 150e anniversaire de la Restauration de Meiji. Et aujourd’hui nous allons un peu plus loin avec ces shin-hanga. Je pense que c’est fondamental. » précise Sophie Makariou.
Dans le domaine de la céramique, pour le Japon, la politique d’acquisition de céramiques contemporaines se concentre plus exclusivement sur des femmes céramistes car dans le paysage de la céramique au Japon au 20e siècle, les femmes jouent un rôle tout à fait particulier.
« Pendant toute l’histoire, elles ont été, comme on dit interdites de feu, et elles étaient dans la chaîne de production de la céramique cantonnées à des fonctions assez secondaires comme le broyage de matériaux pour obtenir des couleurs. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’ouverture d’un enseignement qui n’est pas familial (et qui était réservé aux hommes) mais universitaire dans le Japon d’après guerre, d’abord à Kyoto puis à Tokyo, que les femmes vont s’emparer du médium céramique avec une grande liberté, parce qu’elles n’ont pas le poids de la tradition sur les épaules. C’est aussi pourquoi au Japon aujourd’hui, il y a un vivier tout à fait extraordinaire de femmes céramistes ! » explique la Directrice.
Cela a commencé avec l’achat de pièces d’une jeune céramiste japonaise d’une quarantaine d’années, Hitomi HOSONO qui a été pour elle un coup de cœur pour une artiste incroyable qui travaille la porcelaine. Et puis, d’une façon un peu rétrospective, le musée a acheté des œuvres de céramistes de la première génération comme par exemple Hakuko ONO, qui est morte en 1996. Avec les plus jeunes autour de 40 ans et les un peu moins jeunes qui ont un peu dépassé la soixantaine, Sophie Makariou est frappée par « la créativité extraordinaire de toutes ces femmes qui s’emparent de la céramique, un matériau universel de création pour en faire de la sculpture, des objets en eux-mêmes, pas nécessairement des objets utilitaires ».
Il faut aussi parler d’une pièce extraordinaire du céramiste japonais Takahiro KONDO, Réduction qui est un moulage sur son propre corps et qui est en quelque sorte un memento mori réalisé après le grand tsunami dans le Tohoku de 2011 qui a causé la mort de 18 000 personnes. « Une pièce absolument fabuleuse que l’on avait présenté dans l’exposition Bouddha, la légende dorée. Lors de son acquisition, le musée a eu le sentiment de faire entrer une très grande pièce dans ses collections ! » nous raconte-t-elle.
Concernant le textile contemporain, il y a eu il y a quelques années l’exposition La danse des formes – Textiles de Samiro Yunoki, un très grand maître du yuzen. Est aussi exposé un kimono d’oiran d’une grande créatrice japonaise, Junko KOSHINO. Ce sont aussi des objets en bambou. Le musée vient aussi d’acquérir un ensemble d’œuvres, des paniers à ikebana ou des formes pures, des artistes du métal, de la calligraphies contemporaine japonaise, toujours dans le souci de continuer la collection du Japon.
« En ce moment pour les 130 ans du musée, nous réalisons un parcours autour des acquisitions contemporaines qui ne sont pas présentées dans une exposition à part mais bien dans le fil normal des collections. C’est assez extraordinaire car l’on voit que les visiteurs les accueillent sans aucune difficulté. D’autre part, et j’insiste sur ça, cela joue des effets de résonance. » évoque fièrement Sophie Makariou.
De la photographie, du cinéma et de la musique
«Nous introduisons aussi cet art contemporain, ce renouvellement des publics, par l’intérêt pour d’autres médias comme la photographie née de la modernité. Nous avons d’ailleurs acheté plusieurs œuvres dont une très importante qui fait près de 3 mètres de long d’un photographe daguerréotype qui utilise la première technique photographique pour en faire un medium très moderne et qui s’appelle Takeshi ARAI. Quant à la musique et au cinéma, il y a le festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo [notre entretien avec Dimitri Ianni, responsable du comité de sélection du festival]. La musique, c’est aussi inviter les formes de musiques contemporaines, notamment au cours des Guimet [Mix] où l’on invite des DJ à mixer nos archives sonores depuis 2015. Pour les performances et danses, les arts du spectacle ne sont pas cantonnés à un endroit unique, le grand auditorium. Le musée a beaucoup de lumière naturelle et des volumes agréables qui n’enferment pas les visiteurs. Cela permet une plus grande perméabilité.»
Programmation 2020 autour du Japon
En 2020, Toshimasa KIKUCHI aura une carte blanche au musée, du 29 juin au 28 septembre 2020. Il s’agit d’un artiste japonais qui travaille la laque et qui est passionné par les objets mathématiques et d’une certaine façon par les formes simples et pures. Leur présentation dans la rotonde du 4e étage devrait être assez étonnante et mystérieuse grâce à la laque. Toshimasa Kikuchi a voulu réaliser sa carte blanche en associant et en empruntant des objets mathématiques à un institut important à Paris, l’institut de recherches mathématiques Henri Poincaré.
Plus d’information et de photographies des œuvres sur le site de l’artiste Toshimasa Kikuchi.
Et, plus classiquement, il y aura aussi cet été une exposition d’estampes sur les phénomènes atmosphériques, « Fuji, pays de neige », nom qui fait allusion au roman Pays de neige de Yasunari KAWABATA dont plusieurs extraits seront d’ailleurs lus au musée dans un cycle de lecture. « Au-delà du plaisir d’exposer ces magnifiques estampes, ce que l’on fait de plus en plus, c’est faire rencontrer la photographie y compris l’ancienne avec l’estampe. On ira jusqu’à l’estampe shin-hanga : il y a d’ailleurs des paysages de neige en particulier chez HASUI qui sont absolument extraordinaires. »
Le mont Fuji est une véritable divinité au Japon qui évoque les neiges éternelles. L’exposition reviendra donc sur cet objet pictural et d’observation par excellence, du fait du changement de la lumière et des saisons. Une petite mise en perspective sera effectuée avec le travail des impressionnistes, d’autres grands créateurs. Citons Les Meules et la série des Cathédrales de Rouen de Monet mais aussi la façade de l’église de Moret-sur-Loing de Sisley peinte à plusieurs moments de la journée. C’est le mont Fuji qui a été le premier objet que l’on a peint à plusieurs moments de la journée ou de la nuit, avec des phénomènes climatiques différents, par temps de neige, un matin clair, avec de la foudre… En particulier avec Hokusai, 40 ans avant les impressionnistes qui étaient de grands connaisseurs et consommateurs d’estampes.
Le musée possède une très belle série de Fuji : en particulier le Fuji par temps clair aussi appelé le Fuji rouge. On verra grâce aux collections de photos que les photographes japonais ont capturé le mont Fuji exactement comme leurs ancêtres le faisaient dans les estampes. « Il faut savoir que pour des raisons techniques on ne pouvait pas photographier réellement le mont Fuji parce que le blanc de la neige faisait qu’il n’y avait pas assez de densité pour que cela impressionne. Les premières photographies étaient des tirages sur papier albuminé et du coup, les artistes japonais peignaient sur la photo le mont Fuji pour le faire apparaître, à partir des estampes. Il y a donc un lien extrêmement étroit entre les deux. » explique Sophie Makariou. La création contemporaine sera représentée avec des noren de Samiro YUNOKI, des rideaux japonais fendus qui représentent le mont Fuji.
Un musée en perpétuel changement
Dans le musée, la Directrice nous explique que lors des projets d’expositions, il y a une excitation à aborder les sujets par des angles différents. Dans les collections permanentes, rien n’est vraiment permanent. Ce qui change, c’est d’abord tout ce qui est fait avec des matériaux fragiles : toutes les œuvres en papier, avec du cuir, des peaux de serpent ou de requin par exemple ; les textiles ; la vitrine de l’armure est d’ailleurs changée une fois par an. Il y a 21 rotations et changements d’œuvres dans le circuit des collections permanentes, en plus d’une dizaine d’expositions dans l’année. « Je pense que les personnes qui viennent souvent au musée savent que le musée change tout le temps : que cela soit la présentation des photos et les textiles… Et puis, le musée se réinvente beaucoup ces dernières années. » Le musée a réinvesti son second bâtiment où la Chine est plutôt exposée et où il y a le fameux pavillon de thé japonais qui n’est pas encore pour le moment accessible en visite libre. Il reste à réaménager tout le bas qui permettra plus tard aux visiteurs l’accès au jardin japonais qui est lui déjà restauré. Pour l’instant, son accès est limité à de rares moments privilégiés. « Le pavillon de thé est un lieu assez extraordinaire et unique à Paris. De parole de spécialistes, il est peut-être l’un des plus beaux pavillons de thé de l’Europe où en tout petit comité (pas plus de 7 personnes), des cérémonies de thé ont lieu. » annonce fièrement Sophie Makariou.
« Japonisme 2018 tout le temps ! »
« Je faisais un bilan avec l’ambassadeur du Japon en France Masato KITERA et je me disais que depuis mon arrivée, entre les expositions à l’extérieur (festival international de photographie Kyotographie) et à l’intérieur autour du Japon avec des choses très différentes comme les 3 chefs d’œuvre de la sculpture de Nara nous sommes dans Japonisme 2018 tout le temps ! [NDLR : 2018 marquait le 160e anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la France, ainsi que le 150e anniversaire du début de l’ère Meiji] D’ailleurs, pour cette exposition, 4 années d’échange avec la préfecture de Nara ont été nécessaires pour faire venir ces œuvres qui appartiennent à des temples. Ensemble, il a fallu ajuster le projet. Au début, ils souhaitaient plus d’objets et ils n’étaient pas sûrs. Et puis finalement, nous avons décidé de tous se concentrer sur trois grands chefs-d’œuvre pour qu’il y ait une unité de narration et pour au final avoir le Jizō bosatsu très fluide et calme dans la vitrine centrale avec deux figures de gardien absolument extraordinaires avec leur anatomie étonnante qui fonctionnaient très bien ensemble. En deux mois, ce sont 20 000 visiteurs ! » nous raconte Sophie Makariou.
Pour Japonisme 2018, l’exposition « Meiji, splendeurs du Japon impérial » était d’ailleurs un projet auquel la Directrice tenait beaucoup et qu’elle avait en tête dès son arrivée en 2013 ! Elle pense aussi que cela a été une découverte pour le public français extrêmement avide du Japon. «On parle toujours de la période d’Edo, comme si les choses s’arrêtaient avec Edo. Alors que pas du tout ! Je pense que l’on a intérêt à pousser le plus possible les limites chronologiques parce que c’est passionnant et qu’en fait tout cela passionne aussi le public.» détaille-t-elle. Elle explique que l’exposition a été complexe à monter. C’était dur de trouver le bon fil de narration et de garder complètement la main sur le sujet. «En effet, il y a avait beaucoup de pression comme nous étions dans le cadre de Japonisme 2018. Nous avions évidemment projeté l’exposition bien longtemps avant.»
Il était aussi difficile de choisir les objets. D’abord, parce qu’il y avait tellement de choses à montrer. «Tellement que nous aurions dû la faire au Grand Palais !» plaisante Sophie Makariou. Et puis, c’était un pari parce qu’effectivement les personnes sont habituées à l’art de l’époque d’Edo. «Au début, quand je rentrais des objets, parfois, je me disais que cela n’allait pas plaire. Et finalement, cette exposition a été un très grand succès. Et pour moi, le succès, ce n’est pas juste le nombre de visiteurs mais aussi la satisfaction de la visite : les visiteurs passaient beaucoup de temps dans l’exposition, plus d’1h30, une visite longue et très attentive donc.» confie la Directrice. L’enjeu était que les visiteurs apprennent d’autres noms d’artistes que Hokusai et Hiroshige. Tout au long du parcours, des focus sur de grands artistes comme Makuzu Kōzan, Kodanji, Zeshin SHIBATA et Kyōsai KAWANABE étaient égrainés.
Autre satisfaction : le petit quiz à la fin avec les objets sans cartel mélangés : objets japonais, objets japonisants faits en dehors du Japon ou objets japonisants faits au Japon qu’il fallait identifier… Aucun n’avait 100% de bonnes réponses. Même des historiens d’art étaient déroutés à des moments et ne savaient plus si l’objet qu’ils avaient sous les yeux était japonais, allemand ou fait aux États-Unis ! Cet aspect interactif est une réussite. «Cela parlait aussi beaucoup évidemment de la relation au Japon puisqu’on terminait avec une sorte de clin d’œil avec l’album d’estampes de Van Gogh et les livres d’or de la maison du docteur Gachet dans nos collections qui montrent cette passion insensée qu’il y a entre la France et le Japon. Là aussi il y avait une ouverture sur la période suivante, montrant que là non plus, les choses ne s’arrêtent pas à la période Meiji.»
On peut montrer d’autres choses : des vases émaillés, des cloisonnés japonais postérieurs. Cela a permis de mener une vraie politique de recherche sur les collections du musée. Beaucoup de choses dans le domaine de la céramique notamment ont réémergé. De plus, cela a mené à l’acquisition d’émaillés cloisonnés. Il n’y en avait aucun dans les collections françaises, ni au Musée des Arts décoratifs ni à Guimet. Grâce à cette exposition, une collection a ainsi été commencée.
Au départ, il y avait des réticences mais rien n’a été caché. La question de la Constitution, du système impérial, de la formation du nationalisme et de la montée vers la guerre ont été abordés… En le faisant avec une vraie neutralité et en montrant aussi de façon artistique les estampes de la guerre sino-japonaise avec la très belle série au musée. Les visiteurs ont pu les voir aussi comme des œuvres d’art et pas uniquement comme des objets de propagande.
«J’aimais bien aussi la vitrine sur les yōkai où là aussi on ne présentait pas uniquement sur le mode anecdotique. Nous expliquions pourquoi il y avait autant de représentations de yōkai à l’époque Meiji. Parce qu’en fait, c’était une façon d’exorciser la peur. En fait, nous ne disions pas que Meiji était juste une marche triomphale du Japon vers la modernité. Cela s’est fait au prix de contraction sociale terribles et de douleurs pour la société japonaise et donc, nous voulions montrer tout cela. Je trouve que l’exposition était à la fois instructive et amusante avec notamment les passages avec Kyosai Kawanabe et les yōkai. Il y avait une diversité de propositions assez incroyable, avec des prêts inouïs et tout cela dans un espace pas gigantesque.» explique Sophie Makariou.
Des expositions aux multiples visages et une collection gigantesque !
« Le musée reçoit des propositions de l’extérieur et pour d’autres, c’est le musée qui est à l’initiative des expositions temporaires. Pour les cartes blanches, je dirais que c’est un peu tous les cas de figure :
-
soit c’est un coup de cœur pour un artiste et du coup, il faut absolument arriver à faire quelque chose ;
-
soit ce sont les galeries qui nous approchent : on a d’ailleurs une très longue liste de propositions en attente.
Cela peut aussi être à l’occasion d’une acquisition. Par exemple, pour l’exposition « Sur la route du Tokaido », le souhait était de marquer essentiellement l’entrée du grand album d’estampes du Tōkaidō ayant appartenu à Victor Segalen. Avec 166 estampes du Tōkaidō processionnaire sur 200 estampes que compte l’album, il est apparu important de traiter du Tokaido et la Directrice a contacté le plus grand collectionneur d’estampes en Europe pour pouvoir exposer des chefs d’œuvre de la collection Leskowicz.
Pour «Fuji, pays de neige», l’idée est d’avoir une exposition participative, un nouveau modèle le commissariat est confié à des étudiants. Le musée choisit le thème puis les oriente un peu avec une feuille de route. Et ce sont les étudiants qui vont être les commissaires d’exposition : «c’est très intéressant et cela apporte un vent de fraîcheur !» nous dit-elle enthousiaste. «Nous avons aussi parfois des commissariats complètement extérieurs. Pour « Le monde vu d’Asie – Au fil des cartes » notamment, deux universitaires avaient été invités pour faire l’exposition avec les équipes de Guimet. Les aspects les plus techniques étaient réservés pour le musée mais les vrais spécialistes de la cartographie asiatique, c’étaient eux : Pierre Singaravélon et Fabrice Argounès, professeur et enseignant d’histoire contemporaine et de géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.» continue-t-elle.
Quant aux acquisitions, il existe plusieurs possibilités d’action. Cela peut être des ventes publiques en France et à l’étranger ; des achats auprès de maisons de ventes et pour des œuvres invendues, en négociant, des affaires intéressantes sont réalisées ; des achats chez des marchands ou dans des galeries. C’est également beaucoup de dons qui représentent en nombre autant que les achats. Ils proviennent de Français, d’étrangers, d’artistes et de fondations qui peuvent soutenir des acquisitions. Par exemple, le musée a acquis l’an dernier une magnifique porte d’ivoire indien offerte par une fondation. A noter le mécénat participatif utilisé pour l’acquisition d’une armure de samouraï, méthode de financement à renouveler nous confie Sophie Makariou qui précise que requiert du temps de préparation. Les campagnes de crowdfunding sont intéressantes car cela crée de l’adhésion autour du musée au-delà de l’argent récolté.
Entre 2013 et septembre 2019, 556 œuvres sont entrées en dehors des photographies sur une collection qui compte 65 000 œuvres et 500 000 photographies ! De quoi occuper des générations de conservateurs ! Il y a beaucoup d’étudiants qui viennent. La photographie est un vrai objet de recherche. Avec l’œuvre intégrale de Marc Riboud, il vient de rentrer dans le musée un fonds de 12 000 plaques photographiques patrimoniales extrêmement importantes car cela concerne le plus grand marchand d’art asiatique de la première moitié du 20e siècle. Les photographies de Marc Riboud seront à l’honneur avec une exposition du 8 avril au 7 septembre 2020.
«Nous sommes noyés dans une masse de photographies qui intéressent tous les musées et qui sont fondamentales pour l’histoire de nos disciplines. Et on sait qu’il faut que l’on arrive à mettre en place dans les années à venir un gros projet de recherche internationale : on y arrivera jamais tout seul. Les musées, c’est un travail sans fin. Avec 500 000 photographies, vous faites une exposition et une fois terminée, le responsable des collections photographiques vous dit qu’il vient de trouver des choses qui auraient mérité d’y être. Cela sera pour la prochaine.» explique Sophie Makariou.
Si une seule œuvre pouvait être sauvée d’un incendie, Sophie Makariou choisirait parmi toute la collection du musée, le grand rouleau japonais de Hon’ami Kōetsu (1558-1637) du début de l’art Rimpa acquis en 2014 par le MNAAG. Cette nouvelle anthologie poétique selon le modèle de l’époque de Heian (794-1185) est pour elle la quintessence de ce que le Japon peut faire de sublime. Elle qualifie cette grande calligraphie et cette poésie waka « d’herbes légères » et admire « la main très souple qui calligraphie avec un ductus très léger qui se détache sur un fond d’or et de mica ». Tout le long des 9,5 mètres du rouleau, le décor change au gré des saisons. Il est exceptionnel aussi par le fait qu’il n’a pas été découpé. En achetant cette œuvre, le musée Guimet est entré dans un assez petit club de musées à avoir l’un de rouleaux de Hon’ami Kōetsu non découpés (une vingtaine seulement dans le monde) et dont la plupart ont été montés en kakemono.
Depuis que Sophie Makariou a été nommée Directrice du musée Guimet, tout en conservant l’héritage du philanthrope Émile Guimet, elle a entrepris une vaste réflexion sur ce qu’est un musée aujourd’hui et ce vers quoi Guimet devait tendre. Avec l’objectif d’ouvrir le musée sur le monde et sur un public délaissé de jeunes passionnés de l’Asie qui ne fréquentent pas naturellement les musées, Guimet se modernise et évolue en s’adaptant aux habitudes d’aujourd’hui (avec les visites courtes dites « escales Guimet » notamment), en mettant en valeurs des artistes contemporains lors des cartes blanches mais aussi en proposant toute forme d’art avec des événements comme le festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo ou les Guimet [Mix]. Si l’art contemporain s’invite beaucoup plus qu’auparavant, les plus vieilles œuvres de la collection continuent d’être mises en valeur lors d’expositions temporaires. Le Japon et son art sont plutôt bien représentés lorsque l’on regarde toutes les expositions passées de qualité qu’il y a eu. Sophie Makariou dit que c’est Japonisme 2018 tout le temps et nous ne pouvons qu’être d’accord tant le Japon est bien mis en valeur tous les ans ! Cet été sera aussi à l’heure japonaise avec de magnifiques estampes avec l’exposition « Fuji, pays de neige » et la carte blanche donnée à Toshimasa Kikuchi.
Encore un grand merci à Sophie Makariou pour avoir pris le temps de répondre à nos questions et à Hélène Lefèvre pour l’organisation de l’interview.