De #Metoo à #Kutoo, quels progrès pour la femme japonaise ?
La Constitution japonaise du 3 novembre 1946 statue dans son article 14 que l’égalité entre tous les citoyens doit être garantie : « Tous les citoyens sont égaux devant la loi ; il n’existe aucune discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l’origine familiale.«
Cependant, deux ans après #Metoo, la condition des femmes ne semble pas avoir beaucoup progressé et être toujours très éloignée de celle des hommes au Japon. Aujourd’hui, Journal du Japon vous propose de vous faire le point sur les évolutions de la situation tant au niveau des progrès que des difficultés récurrentes.
Des obligations vestimentaires à l’origine de #Kutoo :
En juin 2019, c’est un nouveau scandale qui naît au Japon. Il se diffuse sur Twitter, via l’hashtag #Kutoo. Les femmes critiquent l’obligation de porter des talons hauts à leur travail ; c’est un « dress code » qui leur est imposé alors qu’aucun n’est requis pour les hommes.
A l’origine de cette insurgence, Yumi ISHIKAWA. Ishikawa est une actrice et modèle de 32 ans, qui a impulsé une pétition déposée ensuite au Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, « 厚生労働省 ». Quand cette pétition fut présentée, elle comportait déjà 17 000 signatures ; aujourd’hui, son nombre est presque de 32 000.
#Kutoo vient de l’association du terme « Kutsu », qui veut dire chaussure, et « Kutsuu », qui signifie douleur.
« #Kutoo Je veux me débarrasser de l’obligation de porter des chaussures à talon sur mon lieu de travail »
« #Kutoo est issu de la combinaison des mots « chaussure » (kutsu) et « douleur » (kutsû) et du hashtag #Metoo, dont il partage également la signification. »
Le problème avec l’obligation de porter des talons hauts est que cette pratique entraîne un problème de santé publique. En effet, porter régulièrement des talons de plus de 5,08 cm augmente la pression sur le tendon d’Achille et les muscles du mollet. Ainsi, plus vous vous habituez à porter des talons hauts, plus le risque de tendinites accroît lorsque vous repassez à des chaussures plates.
En réponse aux réclamations des femmes, le ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, Takumi NEMOTO, avait déclaré, le mercredi 5 juin 2019, que « C’est quelque chose qui est socialement accepté et qui tombe dans le domaine de ce qui est professionnellement nécessaire et approprié ».
De nouvelles conformités sociales : après les talons, les lunettes
Dans de nombreux secteurs d’activité, partout au Japon, des employeurs interdisent à leurs employées de porter des lunettes sous prétexte qu’elles ne rendent pas « féminines ». Banri YANAGI, une femme japonaise de 40 ans, travaillant dans une assurance de vie, a été interviewée par le Japan Times ; au cours de l’entretien, elle affirme trouver « étrange d’autoriser les hommes à porter des lunettes mais pas les femmes ». En effet, c’est ici que le problème se pose, car tout comme #Kutoo, ces politiques discriminatoires sont basées sur des critères de genre.
Une nouvelle fois, les femmes utilisent Twitter à travers l’hashtag « #メガネ禁止 » (#LunettesInterdites) qu’elles utilisent afin de dénoncer les politiques anti-lunettes ou exprimer leur soutien, majoritairement. Ce phénomène traduit une certaine tendance à utiliser les réseaux sociaux pour critiquer la société ; c’est une manière pour les jeunes générations de critiquer les codes sociaux qu’elles rejettent. Ainsi, Ishikawa, qui a impulsé #Kutoo, explique que « le problème avec les lunettes est le même que celui avec les talons. C’est une règle seulement pour les travailleuses. »
« J’adore les femmes qui portent des lunettes #LunettesInterdites »
« Dire que « les lunettes des femmes les enlaidissent » est incompréhensible à un million de pourcent. Les femmes à lunettes sont magnifiques. Les femmes à lunettes sont magnifiques. Je le répète. »
Un marché du travail qui essaye de ne plus mettre de côté les femmes :
Les femmes connaissent une entrée lente dans le champ politique. En effet, en 2019, lors des élections de la Chambre des conseillers, ou « 参議院 » (Sangiin), seulement 28 femmes ont obtenu un siège ; sur les 124 nouveaux élus à la Chambre, les femmes ne représentent que 22,6%. C’est malheureusement, un taux inférieur à celui de 2016 qui était de 29,2%. Le gouvernement de Shinzo ABE espère atteindre un taux de 30% de femmes dans la Chambre des Conseillers en 2020. Les progrès dans le domaine politique ne sont pas explicites, ce sont plus des personnalités qui se mobilisent et arrivent sur le devant de la scène.
Ce projet des 30% en 2020 s’applique aussi dans le domaine privé. Les inégalités d’emplois entre les hommes et les femmes résultent d’un processus en amont : le « Shukatsu », qui correspond à la « recherche d’un emploi ». Après avoir fini l’université, les entreprises japonaises embauchent directement les étudiants japonais. Au cours de ces entretiens, les étudiants peuvent être victimes d’harcèlement ou d’agressions sexuelles ; selon Business insider’s Japan, en 2019, la proportion de victimes s’élèveraient à 50% des postulants… dont une majorité de femmes. Dans l’idée d’une carrière longue, le « Shukatsu » constitue une place centrale car il correspond à la base de cette dernière et influence les évolutions de carrières possibles.
Dans la thématique de l’emploi, au Japon, il existe deux types de statuts de travailleurs : les travailleurs à temps plein et ceux qui travaillent en tant qu’intérimaires. Les travailleurs à temps plein peuvent gagner plus grâce à leur ancienneté dans l’entreprise à la différence des intérimaires. En 2018, en se basant sur le nombre de personnes embauchées dans l’année, trois quarts des femmes travaillaient en tant qu’intérimaires. De manière générale, les femmes travaillent principalement comme intérimaires alors que 80% des hommes qui travaillent, sont des employés à temps plein.
L’évolution des violences conjugales :
Partout dans le monde, les violences conjugales représentent un véritable enjeu de société. D’après le site Nippon.com, en 2017 au Japon, le nombre de consultations auprès de la police pour violences conjugales atteint 72 455 cas. Parmi les 8 342 arrestations, l’une l’était pour meurtre et tout de même 90 l’étaient pour tentatives de meurtres.
L’Etat a tenté de pallier à cette situation, en promulguant la loi sur la prévention contre la violence conjugale et la protection des victimes de 2001 qui qualifie la violence conjugale comme un crime. Actuellement, le gouvernement a mis en place une assistance téléphonique. A plus basse échelle, les commissariats de police ont mis à disposition des guichets de consultations et des brochures.
La « Femme Japonaise » se diversifie :
Parmi les 100 femmes les plus influentes d’après le Times, deux Japonaises apparaissent dans la liste. En comparaison, aucune Française n’est présente.
Tout d’abord, la première, Yumi ISHIKAWA (ci-contre) s’illustre par la fondation du mouvement #Kutoo. Mais elle est avant tout une personne de notoriété publique : c’est tout d’abord une actrice. Cependant, sa carrière n’est pas très développée, elle a joué dans seulement trois films, un en 2014 et deux en 2016, qui n’ont pas connus un réel succès.
Nous retrouvons également dans le classement, Hiyori KON, une pratiquante japonaise de sumo de l’université Ritsumeikan de Kyoto. Elle est connue pour être arrivée seconde aux Championnats du Monde en 2018. Elle se fait mondialement connaître grâce au court-métrage « Little Miss Sumo » diffusé sur la plateforme de streaming Netflix. Elle affirme notamment sa volonté de « donner l’opportunité à tous les enfants du monde d’être intéressés par le sumo, et de faire du sumo un sport Olympique. »
Bien qu’elle n’apparaisse pas dans le classement du Times, une autre femme a joué un rôle particulièrement au Japon : c’est Shiori ITO, initiatrice du mouvement #Metoo au Japon (nous vous en parlions il y a un pour l’anniversaire du mouvement, ici). Le mercredi 18 décembre 2019, elle a officiellement gagné son procès débuté en 2017 ; où elle avait porté plainte contre Noriyuki YAMAGUCHI, un responsable d’une chaîne de télévision privée nippone, pour un viol commis en 2015. Ainsi, le tribunal de Tokyo a délibéré en ordonnant à Yamaguchi de payer 3,3 millions de yens, environ 27 000 euros, un tiers des dommages-intérêts réclamés.
En définitive, depuis #Metoo, les progrès ne se sont pas fait ressentir aux niveaux des chiffres. Cependant, les mentalités tendent à évoluer, les femmes prennent conscience de leur condition et se servent des réseaux sociaux pour exprimer leurs revendications. Mais, selon le rapport du Forum économique mondial, qui définit un classement mondial en termes d’égalité entre les hommes et les femmes, le Japon est passé de 110e place en 2018 à la 121e place en 2019, avec un indice de 0,652, sur 153 pays. En comparaison, selon le classement publié le 17 décembre 2019, la France est 15e, avec un score de 0,781, la Chine est 106e, avec un score de 0,676. Les politiques du gouvernement cherchent à augmenter cet indice, mais il reste encore beaucoup de progrès à faire.
Article très pertinent sur le sujet qui permet d’en apprendre beaucoup. Une immersion dans une problématique nippone d’actualité . Je recommande la lecture de cet article aux amoureux du Japon.