Jésus : voir le monde comme un enfant
Cette fin d’année 2019 a permis une nouvelle fois aux amateurs de cinéma japonais de se réjouir avec un nouveau KUROSAWA en octobre, un TOMITA exclusif en novembre, et, pour finir décembre en beauté, le dernier KORE-EDA comme cadeau de Noël, suivi juste après, en janvier, par le prochain SHINKAI. Autant de sorties que l’on aurait tort de bouder mais qui ne doivent néanmoins pas éclipser l’autre événement nippon de cette fin d’année à savoir la sortie, le 25 décembre également, de Jésus, premier film du jeune Hiroshi OKUYAMA.
Naissance d’un regard
Dans ce défilé de maîtres du cinéma, la présence d’un petit nouveau d’à peine 22 ans et plus jeune lauréat du prix des nouveaux réalisateurs du festival de San Sebastian, est une chance que l’on se doit d’apprécier. Car si les autres longs-métrages sont l’occasion de retrouver des styles bien établis, un nouveau film est, et c’est sa plus grande force, une première rencontre entre le public et une vision neuve et inédite. Un premier regard précieux sur un monde et une œuvre en pleine élaboration. Et, de fait, Jésus est, à ce titre un premier film parfait, jouant lui-même sur ces notions de nouveauté, du monde et du regard en pleine formation, sur ce qui est vu, ou plutôt entrevu, et ne demande qu’à se développer avec le temps.
L’histoire est celle de Yura, un petit écolier quittant Tokyo pour s’installer avec ses parents chez sa grand-mère au fin-fond de la campagne japonaise. Là-bas, alors que l’hiver bat son plein et que la neige recouvre les paysages, il intègre une école catholique, religion qu’il n’a jamais pratiquée et qu’il a du mal à cerner, jusqu’à ce que Jésus, au cours d’une messe, lui apparaisse et commence à exaucer ses vœux. Un scénario aussi candide qu’ingénieux et qui permet la mise en scène d’une double, si ce n’est triple, découverte. Un lieu, cette région et cette école inconnue. Une religion, tout aussi obscure, et un ami, en la personne du jeune Kazuma. Alors même que les spectateurs découvrent le cinéma d’OKUYAMA, avec ses longs plans fixes, ses intérieurs sombres et ses couleurs passées, son personnage, lui, voit pour la première fois les paysages enneigés de la campagne depuis l’arrière d’une voiture sur laquelle il efface la buée, hésite dans un couloir inconnu ou observe la cour de sa nouvelle école depuis la fenêtre, leur regard semblant se fondre dans un même geste d’appropriation de la nouveauté.
A hauteur d’enfant
Jésus, apparaît alors comme un film innocent, car il embrasse le regard d’un enfant, et sa façon de percevoir le monde. Ainsi, sa nouvelle maison, lieu inconnu et inquiétant avec ses masques de No et trous dans les shôji, est filmée presque sans lumière, comme si le jour n’y pénétrait jamais, la table où la famille prend ses repas étant toujours plongée dans l’obscurité. A l’inverse, lorsqu’avec Kazuma, Yura s’amuse dans la neige sur une tyrolienne, l’image se défige, la caméra s’anime et prend vie, pour répondre à la joie des enfants. C’est d’ailleurs cette innocence qui permet au concept du film de fonctionner. Confronté à une foi qu’il ne comprend pas, Yura est d’abord laissé pour compte, aussi bien physiquement que spirituellement, se contentant d’imiter des gestes abscons et étranges. Puis, Jésus apparaît devant lui. Compagnon imaginaire ou véritable miracle, difficile à dire. Toujours est-il, cependant, qu’à hauteur d’enfant, sa présence semble naturelle. Il divertit le jeune garçon, exauce ses vœux aussi, et, à travers sa présence et la façon dont il habite l’’écran, semble se dessiner une vision du catholicisme propre à Yura. Par son regard d’enfant, qui accepte la présence de ce Dieu miniature qui court sur un vinyle ou joue au sumo, Yura s’approprie son nouveau monde, trouve une prise pour aborder la religion et la rendre ludique. Et les vœux qu’il réalise ne sont au fond que la conséquence logique de cette appropriation. Plus à l’aise dans son environnement, Yura rencontre son nouvel ami, Kazuma, « grâce à Dieu ». Une intervention divine dont le jeune garçon pourrait tout à fait être l’initiateur.
La traversée du désert enneigé
Voilà donc la première facette du film d’OKUYAMA, un récit léger, sur l’enfance et le plaisir de la découverte, les premières amitiés et la curiosité. Mais, et c’est là l’intérêt et la force du film, Jésus est construit autour d’un renversement tout aussi concret que métaphorique. Un drame arrive, et, subitement, tout est remis en cause. Les cadres jusque là parfaitement maîtrisés d’OKUYAMA se dérèglent, les perspectives s’inversent, les lignes droites s’inclinent, la caméra devient écrasante, comme si c’était le monde tout entier qui changeait de forme et se tordait sous l’effet du drame. Le twist, sur lequel nous ne dirons rien de plus, est littéral, la torsion s’applique à toutes les strates du récit, remettant en cause tout ce que la première partie avait établi, et, après le temps la découverte et l’appropriation vient celui de la remise en question de tout ce qui vient d’être acquis. Sur le sujet, le titre japonais Je n’aime pas Jésus, est peut-être plus évocateur, disant bien le rapport ambigu du jeune enfant à la religion. Jésus, et tout ce qu’il incarne et représente, est autant son compagnon de jeu que celui qu’il déteste, un ami intime, capable du meilleur comme du pire.
C’est au fond cette division intrinsèque au film, ce renversement de valeur central qui lui donne sa richesse. Une richesse d’autant plus précieuse que tout se fait subtilement. La tristesse et le bouleversent passent par l’image et les changements de cadre que nous évoquions précédemment, et, avant eux, la joie et l’innocence se manifestaient de la même façon. Court, à peine une heure et quart, Jésus est un film qui va à l’essentiel, faisant se répondre les images et les situations. Un film qui ne prétend pas interroger le rôle de la religion mais plutôt simplement donner à voir la forme qu’elle peut prendre dans la vie d’un petit enfant. Surtout, il est un film inspiré des souvenirs de son réalisateur, dédié à « un ami parti trop tôt », un film qui, plus que des questions, cherche des réponses dans la toile épaisse faîte des petites choses concrètes et de rêveries enfantines qui forment les souvenirs et les images survivant au temps. Un film, enfin, dont la plus belle idée réside certainement dans la façon dont sa dernière scène fait écho à sa première, affirmant de nouveau le pouvoir du regard espiègle et enfantin à voir à travers les murs, le temps et le visible, et ré-insufflant un peu d’espoir et de mysticité au monde.
Comme toute première œuvre Jésus est imparfait, peut-être un peu froid malgré la sincérité de son propos, manquant un peu d’entrain. Mais ça n’est finalement pas si important car, peu importe ses défauts, il donne à voir, avant tout, une naissance. Non pas d’une foi exacerbé ou du divin enfant, mais, chose plus belle encore, d’un réalisateur.
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[…] par Alexis Molina, extrait de notre critique du film : L’histoire est celle de Yura, un petit écolier quittant Tokyo pour s’installer avec ses […]