Hāfu2Hāfu, l’exposition photos de Tetsuro MIYAZAKI sur les métisses japonais
Hāfu2Hāfu est un projet de photographie à l’échelle mondiale qui vise à explorer ce que signifie être « hāfu », une personne avec un parent japonais. Photographe indépendant d’origine belge et japonaise basé à Maastricht, Tetsuro Miyazaki (1978) a interviewé et présenté plus de 150 compatriotes hāfu japonais avec un parent provenant de près de 100 pays différents.
A l’occasion de la tenue de cette exposition au Point Culture de Liège, Journal du Japon est parti à la rencontre de cet artiste pour en savoir plus sur lui, ses photos, les hāfu et ce projet.
Le photographe Tetsuro MIYAZAKI
Journal du Japon : Bonjour, Tetsuro et merci de votre temps. Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter ?
Tetsuro MIYAZAKI : Je m’appelle Tetsuro Miyazaki. Je suis belgo-japonais et je vis aux Pays-Bas où je suis photographe professionnel. Pardon pour mon français, je ne le parle pas très bien car je parle davantage le néerlandais.
Vous êtes donc photographe, pourquoi avoir choisi de vous diriger vers la photo ?
Eh bien, j’ai toujours eu envie de m’exprimer et je me suis rendu compte que je ne savais pas dessiner ni écrire vraiment alors je me suis tourné vers la photo. Cela m’a permis d’avoir ce côté artistique et de transmettre des émotions et des idées.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Pour ce projet j’ai fortement été influencé par les photos de Richard Avedon et son projet In the American West où il capture le portrait de personnes « normales » (entendre par là du quotidien, qui ne posent pas et qui ne sont pas des mannequins) avec une exposition à la lumière naturelle et avec un matériel simple.
Le projet Hâfu2Hâfu
Pouvez-vous nous expliquer l’origine du projet Hāfu2Hāfu ?
C’est un peu long à expliquer. Du fait que je sois moi-même hāfu, on m’a toujours posé des questions sur mes origines… Par exemple, on me demandait quelle équipe je supportais pour les matchs de football. Et je me suis rendu compte que peu importait ma réponse (la Belgique ou le Japon), mon interlocuteur n’était pas satisfait. Parfois, on m’attribuait une caractéristique de ma personnalité en fonction de stéréotype. Par exemple, on me disait que j’étais polis car je suis japonais mais pas une « grande gueule » parce que je vis aux Pays-Bas…
Les questions que les personnes me posaient m’interpellaient et m’obligeaient à réfléchir sur qui je suis en répondant à leurs questions… Et ces questions, ce sont les mêmes qui vont être posées à mes filles qui grandissent. J’ai donc souhaité rencontrer d’autres hāfu pour comprendre comment ils le vivaient et s’ils avaient les mêmes questions d’identité que moi. Quoi qu’il en soit, en général, j’ai l’impression qu’il faut chaque fois se justifier d’être l’un ou l’autre ou les deux… Et que cela engendre parfois même un sentiment de culpabilité. Les questions que l’on me posait étaient là parce qu’on voulait que je doute sur moi, ma personnalité…
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Vidéo de présentation du projet Hāfu2Hāfu (langue anglaise avec sous-titres anglais activables)
Comment avez-vous procédé pour mettre en place votre projet ?
Je suis parti dans l’idée de faire des entretiens ouverts de hāfu avec leurs portraits et faire un blog pour résumer à côté de la photo l’entretien qui en ressortait… mais je me suis rendu compte que je n’aimais pas lire…enfin si je lis, j’aime ça, mais je ne lis pas de blog. Alors, j’ai décidé de ne prendre que des portraits. A chaque entretien, je demandais à la personne qu’elle serait la question qu’elle souhaiterait poser au suivant et à la fin, avec quelle question résumer l’entretien, question finale que l’on retrouve sur le portrait. Cette dernière résume en quelque sorte la direction qu’avait pris l’entretien. Je souhaiterais pouvoir photographier tous les mélanges japonais-autre pays soit 192 mélanges. Je pense que cela sera difficile pour certains pays mais je veux en faire le plus possible.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc pour les portraits ?
Je souhaitais prendre les personnes en photo à l’endroit où je les rencontrais. Il me fallait donc un matériel facile à transporter et qui ne demandait pas une mise en place particulière comme un fond blanc ou un spot de lumière. En mettant les personnes en place dans un studio, j’aurais perdu un peu de l’authenticité et des ressentis qu’ils exprimaient via leur visage après l’entretien. J’ai choisi le noir et blanc pour deux raisons. La première pour ne pas que les personnes qui regardent les portraits soient perturbées par l’arrière-plan (étant donné que je n’avais pas de fond neutre). Et la seconde raison, c’est que j’avais envie que les personnes puissent imaginer la couleur des yeux, des cheveux ou de la peau…
Sur les portraits se retrouvent également les questions que les personnes se posaient et qui résumaient l’entretien. Je trouve ça intéressant car comme il n’y a pas de réponse, les personnes peuvent les imaginer. Ces questions qui interpellent les visiteurs de l’exposition instaurent une sorte de dialogue, comme une interaction avec le public. En même temps, les questions posées n’ont pas toujours la même réponse selon le temps, le vécu que va avoir une personne ou l’humeur de la journée…
Hâfu ou « double », une communauté de métisses
Pour vous le terme hāfu est-il péjoratif ?
Pas pour moi. Hāfu vient de l’anglais half [NDLR : moitié] et c’est ainsi que l’on appelle les métisses japonais. Certains n’acceptent pas ce terme car ils refusent l’idée d’être vus comme la moitié de quelque chose, de quelqu’un. Ils préfèrent le mot «double» mais là, je suis moi-même moins d’accord avec ce terme. «Double» peut aussi être compris comme «je suis deux fois plus que quelqu’un».
En réalité, ce n’est pas le terme hāfu qui est problématique mais le contexte dans lequel on le place. Par exemple, quand quelqu’un dit : « non tu ne peux pas faire ça car tu n’es que hāfu« … C’est la même chose si on remplace le mot hāfu dans la phrase par « femme ». Le mot femme n’est pas péjoratif mais le contexte… Tu ne peux pas faire ça car tu n’es qu’une femme.
Qu’avez-vous constaté lors de vos rencontres avec les personnes que vous avez photographiées ? Y a-t-il des points communs ?
Je me suis rendu compte que moi-même j’avais des stéréotypes concernant les hāfu. Par exemple, je pensais que les hāfu n’étaient que des mélanges japonais-occidentaux de type européen ou nord-américain de base. Mais j’ai rencontré beaucoup de mélanges que je n’avais jamais imaginé. C’est ce qui est génial dans ce projet, la rencontre avec les personnes de tout horizon.
«Les questions sur l’identité reviennent souvent. Est-ce que mon identité japonaise est plus forte que l’autre ? En quoi cette identité japonaise est importante pour moi ?»
Je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie communauté de hāfu avec des groupes Facebook, des forums. J’organise moi-même des meetings pour hāfu au Japon ou ailleurs. Ce qui me paraît drôle, c’est qu’il y a autant de groupes de hāfu ou «doubles» japonais-autre nationalité et que ce phénomène n’existe pas pour les autres mélanges par exemple africain-européen ou belgo-autre… ou du moins à ma connaissance.
Que souhaitez-vous que les personnes retiennent de la visite de l’exposition ?
Qu’ils se posent des questions sur les stéréotypes, sur leur propre identité et ce qui fait qu’une personne n’accepte pas l’autre pour une raison de différence de culture.
Merci à Tetsuro Miyazaki pour le temps qu’il nous a consacré pour répondre à nos questions. Vous pouvez suivre ses travaux de photographie sur le site internet dédié au projet Hāfu2Hāfu et même acheter le book-photo. De nombreuses photos sont aussi publiées sur le compte Instragram @hafu2hafu.