Mishima, ma mort est mon chef-d’oeuvre : un roman graphique époustouflant !
Journal du Japon vous propose un roman graphique qui retrace brillamment la vie d’un des plus grands écrivains japonais, Yukio MISHIMA. Que vous connaissiez ou pas cet artiste, ce livre vous captivera. Et aujourd’hui, presque 50 ans après sa mort, on vous dit pourquoi !
Un personnage fascinant
Le prologue, les dix-neuf chapitres et l’épilogue de ce très beau roman graphique aux éditions Glénat permettent de découvrir la vie de Yukio MISHIMA, de sa naissance en 1925 à sa mort le 25 novembre 1970 (minutieusement préparée, par seppuku, et qui eut un retentissement mondial).
L’auteur, Patrick Weber, écrit un récit de vie qu’il précise être subjectif et dans lequel il ne prend pas partie – Mishima étant sujet à controverses en raison de son nationalisme exacerbé. Le but de ce récit est, comme il l’écrit dans son « avertissement« , de donner envie de se plonger dans l’œuvre riche, forte et dérangeante de ce grand écrivain.
Le livre dresse un tableau de famille : un grand-père berné dans ses affaires, une grand-mère descendant de samouraï qui méprise son époux, une mère douce, un père fier et méprisant. Le petit Kimitake est arraché des bras de sa mère à quarante-neuf jours, pour être élevé dans la chambre de sa grand-mère. Il n’a pas le droit de jouer dehors avec les autres garçons, juste avec ses cousines et dans la pénombre (la lumière serait nocive selon sa grand-mère).
Il grandit méprisé par les enfants riches de l’école, surprotégé, cherchant sa place… qu’il trouvera au club de littérature. Jeune auteur brillant, il publie son premier texte en 1944. Il est déclaré inapte par l’armée à cause d’une mauvaise toux. Après la guerre, il rencontre celui qui sera son ami jusqu’à sa mort, l’écrivain Yasunari KAWABATA qui voit tout de suite le génie de ce jeune homme : « Il faut laisser au monde le temps de s’habituer à votre univers cruel et implacable, noir et lucide jusqu’à l’abîme« . Il le pousse à continuer à écrire malgré les échecs de ses livres. Après avoir travaillé comme haut fonctionnaire, il abandonne pour se consacrer à l’écriture et rencontre le succès à vingt-quatre ans avec Confession d’un masque, un livre dans lequel il évoque sexualité, désir, beauté … impudique, voyeur, choquant pour les lecteurs peu habitués à ce type de « confession ».
Il achète une maison, s’installe confortablement et continue à écrire et à voyager aux États-Unis et en Europe. Mais l’idée de la mort le hante toujours. Cet être torturé décide à trente ans de sculpter son corps plutôt que de se suicider. La beauté le fascine et il écrit son Pavillon d’or, probablement son roman le plus célèbre. Il en vend 155 000 exemplaires en quinze jours. Il se marie et a deux enfants. Mais le poison de l’insatisfaction coule dans ses veines. Il se lance alors dans le cinéma, mettant son masque d’acteur. La mort y est mise en scène. Son envie d’action prend forme au sein des forces d’auto-défense, puis au sein de la Tatenokai, la société du bouclier qu’il crée avec de jeunes hommes qui l’accompagneront jusqu’à sa mort par seppuku.
La vie de Mishima est présentée comme une succession de masques que celui-ci porte pour cacher ou sublimer ses fêlures : « moi dans un bar gay, moi avec ma femme et mes enfants, moi devant la feuille blanche, moi devant la caméra, moi avec mes amis nationalistes ». Autant de facettes d’un homme solaire et sombre, d’un génie torturé qui passait d’un masque à l’autre pour vivre mille vies en une.
Une histoire du Japon
Le livre est également une réussite dans la façon de mêler la vie de Mishima et l’histoire du Japon moderne.
Il retrace page après page les grands événements du pays : 1868, fin du shogunat, 1912, ère Meiji et empire conquérant, puis ère Showa (paix rayonnante, le contraire de ce qu’elle fut !), empire militariste et guerre. Arrive l’après-guerre et ses réformes, la présence américaine, la nouvelle constitution, les forces d’auto-défense, le nationalisme.
Des planches entières illustrent ce siècle d’histoire du Japon et servent de support à la vie de Mishima. Ce mélange très subtil et très bien scénarisé permet dans une même lecture de comprendre un écrivain et son pays, une œuvre et une histoire.
Des dessins minimalistes qui donnent de la puissance au texte
Le dessin en noir et blanc et les traits minimalistes sont au service du texte, auquel il donne une force impressionnante. Les visages épurés sont très expressifs, les décors en ombre chinoise servent de décor aux dialogues : une bibliothèque, une maison, une rue, un jardin. Ils se font plus présents lorsqu’il s’agit de mettre en scène des faits historiques (guerres, mouvements de foules). L’évolution du Japon se vit au fil des pages et des dessins : un pays belliqueux, puis un pays qui se reconstruit, se modernise.
Et présent planche après planche, le regard noir de Mishima …
Un livre qui se dévore comme un roman, qui réussit à tracer le portrait fascinant d’un homme hors norme, que le lecteur accompagnera pour le meilleur et pour le pire, et qui suscitera l’énorme envie de découvrir ou redécouvrir son œuvre !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
1 réponse
[…] Alice Monard, “Mishima, ma mort est mon chef-d’œuvre : un roman graphique époustouflant !”, Journal du Japon, 20/11/2019. URL : https://www.journaldujapon.com/2019/11/20/mishima-ma-mort-est-mon-chef-doeuvre-un-roman-graphique-ep… […]