[Interview] Bruno Pham d’Akata : vérités et contre-vérités du shôjo manga
Le shôjo manga, tout le monde pense savoir ce que c’est, de quoi ça parle et surtout à qui ça parle. A tort, ou à raison. Mais la différence de point de vue entre France et Japon sur ce qu’est un shôjo chez les éditeurs comme chez les journalistes a toujours complexifié la compréhension de ce secteur du manga, que ce soit du point de vue du contenu que du potentiel vis à vis du grand public. C’est pourquoi Journal du Japon est allé à la rencontre d’un éditeur qui travaille sur ce secteur depuis des années, Bruno Pham, responsable éditorial des éditions Akata, et qui plébiscite et travaille depuis toujours pour une meilleur compréhension du shôjo manga (et du manga en général, d’ailleurs).
Nous sommes donc allés à sa rencontre pour parler de toutes les thématiques touchant le shôjo manga, quitte à parfois nous mettre dans la peau du néophyte ou du lecteur naïf, afin de confronter les vérités et contre-vérités associées au shôjo manga, à ceux qui les lisent ou les publient, en France et au Japon. Une interview garantie sans langue de bois !
Le shôjo manga, c’est quoi déjà ?
Préambule biographique : Après des études scientifiques dans les années 90-2000 mais tout en baignant dans le monde du fanzine, Bruno Pham rentre en 2003 aux éditions Akata, en tant que responsable technique de leur site web avant d’en devenir progressivement un éditeur avec Dominique Véret, avec puis sans les éditions Delcourt en 2013 et en tant qu’unique directeur de collection désormais. Plus d’informations sur son parcours personnel sur cette amusante vidéo de chez Rosalys.
Bonjour Bruno et merci pour ton temps…
Pour commencer : c’est quoi un shôjo manga et quels en sont les codes ? (Oui, je sais, c’est la base de la base)
Il y a quelques temps, j’aurais répondu très simplement quelque chose comme : « le shôjo manga, c’est une oeuvre, quel que soit son genre, qui a été prépubliée dans un magazine étiqueté « de shôjo manga » par son éditeur japonais d’origine ». Et puis, c’est tout.
Mais ces dernières années, avec le développement des plateformes de prépublication numérique, c’est devenu un poil plus compliqué. Cette définition stricte reste en grande majorité valable mais, du coup, il faut noter des exceptions, car de plus en plus souvent, certaines plateformes de prépublication n’utilisent volontairement plus les termes habituels. Dans ces cas-là, il faut attendre de voir dans quelle(s) collection(s) les titres vont être intégrés s’ils sortent au format papier, pour pouvoir se prononcer. Et/ou aussi se référer aux œuvres précédentes des mangakas pour éventuellement trancher. Il y a eu aussi, ces derniers temps, deux-trois cas de figure assez nouveaux, comme une série de Keiko NISHI en cours de publication dans le Big Comic Original, mais qui sort en volume relié ensuite dans la collection Flower Comics de l’éditeur…
C’est vraiment stimulant de voir comment les choses évoluent, et certaines barrières sont en train de tomber. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’une « romance » n’est pas automatiquement un shôjo (et vice-versa).
Et pour parler « des codes »… c’est si compliqué. Car c’est très vite enfermant et l’on risque de faire des généralités dangereuses. Pour autant, on ne peut pas nier qu’il y a un vrai héritage du « shôjo manga », que cette catégorie éditoriale connaît une histoire et un développement qui lui est propre, et dont il faut parler. Avec une vraie appropriation par des autrices d’un format narratif, et une volonté de s’exprimer sur de nombreux sujets.
Si je simplifie à l’extrême, je dirais que les shôjo mangas sont souvent centrés sur l’évolution des personnages (de l’intériorité des personnages), plutôt que sur les événements extérieurs. Que même si, forcément, des évènements extérieurs se produisent, le focus est plus généralement sur ce qu’ils produisent sur les personnages et leur intimité. Via, entre autres, l’indispensable technique du monologue intérieur. On retrouve ça désormais dans de nombreux shônen et seinen manga aussi. C’est à mon sens un des grands apports du shôjo manga sur tout le reste de l’éditorial.
En parlant d’éditorial, quels sont les bons éditeurs, voire les bons magazines de prépublication en terme de shôjo ?
Je ne ferai pas de généralités là-dessus. Il y a des bons shôjo mangas chez absolument tous les éditeurs japonais et dans la majorité des magazines. Et puis, les mangas/magazines sont créés par des responsables éditoriaux, qui sont des êtres humains, qui changent, qui évoluent, qui bougent, qui vivent, tout simplement, qui meurent, aussi… Et du coup, ça se ressent énormément dans les lignes éditoriales des revues.
A un instant donné, il peut y avoir une espèce d’âge d’or, pour un magazine, dont la ligne éditoriale va évoluer ensuite (parce qu’une série est finie, ou parce que le rédacteur en chef aura changé etc). Je n’aime pas figer les choses dans le marbre, c’est justement ça, qui provoque des caricatures. Et puis de toute façon, ça dépend aussi de ce qu’on recherche comme type d’histoire. En tant que lecteur, je remarque que les périodes où je suis en phase à fond avec un magazine sont en général d’une durée de 3-4 ans. J’ai tendance du coup à rester curieux, et même à me pencher sur des revues dont je n’appréciais pas le travail à une époque. Après, si on doit par exemple parler d’importance historique, il y a tout un travail de chronologie à faire sur les dates de création des revues, les changements de rythme de publication etc etc… Clairement, des revues ont plus d’histoire et de longévité que d’autres. Mais d’une certaine manière, c’est un travail journalistique et/ou universitaire. Si moi, en tant qu’éditeur, je commence à faire ça, ça soulève des questions… Est-ce mon rôle ? Enfin bon, de la même manière que je n’aime pas les cases enfermantes, pourquoi réduire le rôle de chacun à quelque chose de très strict. Peut-être qu’un jour je me pencherai dessus publiquement. D’une certaine manière, c’est un peu ce qu’on essaie de faire avec notre rubrique « L’instant Shôjo » de Youtube
Néanmoins en France il est parfois réduit à de la romance lycéenne : pourquoi selon toi ? Juste parce que cela marche ? Et quelles sont les conséquences – s’il y en a – de s’enfermer dans ce stéréotype ?
Juste pour préciser… « Il est réduit », tu entends par qui ? Les lecteurs ? Les éditeurs ? Les journalistes ? Les libraires ? Je pense que ma réponse ne serait pas tout à fait la même, en fonction du point de vue où on se place… Mais du coup, clairement, il y a un cercle très vicieux là-dedans. Et tout le monde, absolument tout le monde, est responsable.
Ce qui est certain, c’est qu’avant l’arrivée des shôjo mangas en français, l’univers de la bande-dessinée, à tous les niveaux, était très masculin. Dans notre société, avec l’éducation que l’on a, une histoire créée par une femme est trop souvent synonyme dans l’inconscient collectif d’une romance. Cela n’a pas dû aider… Je suppose que de manière presque automatique, le shôjo, parce qu’il est en général créé par des femmes, a été assimilé à « romance ». Lycéenne, parce que de toute façon, le manga c’est pour les gamins. En fait, le shôjo manga a tout simplement souffert du sexisme ordinaire de notre société (doublé d’un potentiel relent de supériorité culturelle).
Mais si on regarde la réalité de ce qu’il s’est passé, c’est que si on met de côté Candy, les premiers shôjo à avoir été publiés en France n’étaient pas des romances lycéennes pures et dures. D’un côté, les titres de CLAMP qui proposaient des œuvres à tendance méta-physiques/sociétales, ou même des titres comme Sailor Moon et Fushigi Yugi avaient une bonne dose d’éléments fantastiques.
Pour moi, un glissement progressif a commencé à se faire à partir de 2002, qui a été une année dorée pour le shôjo. Avec les lancements consécutifs de Fruits Basket, Peach Girl et Nana. Parce qu’il y a eu un succès commercial énorme, les éditeurs ont commencé à publier en masse des shôjo mangas romantiques, et surtout lycéens. Mais pas que… A côté, tu avais quand même des titres comme Banana Fish, Kaguya Hime ou même Basara qui continuaient à être proposés, mais ils ont été rejeté par les lecteurices. Du coup, petit à petit, les éditeurs ont laissé tomber les shôjo qui n’étaient pas des romances lycéennes. Ça a été un cercle vicieux : moins de propositions, et quand des éditeurs prenaient des risques, non seulement ils n’étaient pas soutenus par les lecteur(ices)… et pas par les journalistes non plus. Pour prendre un exemple très concret, les magazines féminins (faits par des femmes, pour des femmes), à l’époque de l’arrivée massive en français d’œuvres adultes comme celles de Mari OKAZAKI, Kiriko NANANAN, Kyoko OKAZAKI, Minami Q-TA… ont complètement passé le mouvement sous silence ! Certaines journalistes nous disaient « C’est quoi cette histoire de mangas fait par des femmes pour des femmes. C’est pas de la création ça, c’est du marketing ! On vaut mieux que ça ». C’est dire le niveau d’hypocrisie…
A propos de Complément affectif, d’ailleurs, je me souviens de quelqu’un qui m’avait dit qu’elle ne se reconnaissait pas dans l’héroïne, qui hésitait sur le sac à main à acheter pour aller avec ses chaussures, parce qu’elle, si elle hésitait, elle s’en foutait, elle achetait les deux… D’accord, pourquoi pas… Mais résumer Complément affectif à « l’héroïne hésite entre deux sacs à main », c’est tellement triste… Les exemples aussi révélateurs, je pourrais en raconter pendant des heures. Et quand tu rentres dans une spirale négative comme ça, ça devient très compliqué d’en sortir. Il faut des efforts surhumains pour changer la donne, d’autant plus quand les plus gros acteurs du « marché » semblent vouloir continuer à enfermer le shôjo dans cette étiquette restrictive. Je vais bientôt faire une vidéo là-dessus...
Qu’est-ce que tu apprécies dans les shôjos à titre personnel, que cela soit propre au shôjo manga par rapport à une œuvre occidentale (de BD par exemple) ou par rapport aux autres segments du manga comme le shônen ?
Les personnages, et l’humanité qu’il se dégage des shôjo mangas. Ce n’est pas pour rien que le monologue intérieur est si important. Et ce n’est pas pour rien que ces mêmes monologues ont fini par être assimilés aussi dans des shônen et des seinen. Mais dans le shôjo manga, en général (ou disons dans un « bon » shôjo manga), ces monologues sont intimement liés à l’évolution même d’un chapitre. Le monologue qui ouvre un chapitre peut faire écho à celui de la fin de celui-ci, ou du tome. On te pose une question au début du chapitre, de manière anodine, et la réponse va arriver au fil des évènements et des réflexions du personnage… Il y a dedans un vrai génie narratif qui, en général, suppose que le lecteur n’est pas un idiot… Comment dire ? Disons que traditionnellement, un shôjo manga demande au lecteur un effort d’analyse et/ou de compréhension. Certains monologues sont volontairement ambigus, et laissent une marge d’interprétation, et donc de ressenti, très large au lecteur. J’aime cette implication qui va avec, il y a comme une non-passivité dans le fait de lire un shôjo manga. Ça stimule l’affect, mais pas seulement, d’une certaine manière, l’intelligence aussi. Même si ça peut le faire de manière inconsciente. En fait, c’est lié à ce que je disais avant, sur le fait que l’histoire évolue au fil de l’intériorité du personnage, et non pas des actes. Et du coup, ça demande aux mangaka un autre niveau de réflexion sur la mise en scène : comment exprimer le sentiment et l’intériorité, en images. Et le non-dit aussi, le sous-entendu. En terme de narration, il ne fait aucun doute que le shôjo manga dépasse en général le shônen.
D’une manière globale, je crois aussi que l’univers du shôjo est peut-être aussi moins monolithique que celui du shônen. Bien sûr, il y a toujours des exceptions, mais ces derniers temps, je me questionne beaucoup sur certaines valeurs véhiculées dans le shônen manga. Il y a plein de choses très positives, c’est une certitude (l’amitié, la défense des opprimés…). Mais cette espèce de sacralisation du dépassement de soi, de ce besoin de ne jamais baisser le bras, de presque ne pas avoir le droit d’abandonner ou à l’échec, je me demande si ça n’inculque pas une sorte de servitude capitaliste… C’est une sensation, rien de précis, mais dedans, je trouve qu’il y a quelque chose d’assez inhumain, comme si les héros devaient être des machines qui jamais ne doivent s’arrêter. Enfin, bien sûr, il y a plein de contre-exemples, et aussi des shônen romantiques… Mais si je regarde le shôjo manga, je trouve que les personnages expriment finalement plus de diversité, plus d’humanité. Avec des fêlures, avec des histoires plus chorales et moins centrées sur un seul personnage. Et aussi, il faut bien l’avouer : les autrices de shôjo réussissent globalement mieux à décrire des personnages masculins, que l’inverse…
Pour ce qui concerne la bande-dessinée franco-belge, elle a tellement évolué ces dernières années qu’il ne faudrait pas faire de généralité. Mais sans aucun doute, quand j’étais enfant, la bande-dessinée avait complètement oublié l’intériorité des personnages mis en scène. Tout était très extériorisé, et du coup souvent très froid, et verbeux aussi. Heureusement, l’art en général est toujours en mouvement, et avec l’internationalisation, il y a eu des échanges d’influences très bénéfiques entre différents artistes.
Ton histoire de lecteur est d’ailleurs celle d’un lecteur shôjo si je me souviens bien tes interviews ou nos échanges, quels sont les œuvres qui ont marqué ta vie de lecteur et pourquoi ? Allez on se limite à un top 5, et sans forcément les classer sinon on n’en finira pas !
Attention, je n’ai jamais lu exclusivement que du shôjo manga, loin de là ! Ça serait quand même effrayant de ne lire que ça (tout comme c’est effrayant que certaines personnes ne lisent QUE du shônen manga, ah ah !!). Et de toute façon, je n’ai jamais lu que du manga non plus. Si je me restreins au manga, des œuvres comme Asatte Dance ou Frères du Japon ont été complètement constitutives de ma construction en tant que lecteur. Mais revenons donc au shôjo manga… Raaaah un top 5, c’est si peu pour parler d’une catégorie éditoriale qui a plus de 40 ans d’histoires et qui mérite une telle mise en lumière, c’est de la torture psychologique de me demander ça… Un titre peu avoir été important à un moment de ta vie, et en grandissant, tu évolues, tu changes, et même si tu gardes une certaine nostalgie dessus, tu sais que ce n’est plus « le meilleur titre ». Donc, plutôt que de faire mon « top 5 » personnel (qui n’aurait pas trop de sens et serait complètement artificiel et biaisé), je préfère donner un titre par décennie de création, et qui en plus va donner une représentativité de la diversité du shôjo.
Pour les années 70 : impossible de ne pas parler de La Rose de Versailles . En réalité, quand j’étais enfant le dessin anime me mettait très mal à l’aise… J’étais trop jeune, tout simplement. Et quand j’ai redécouvert la série au lycée, quelle claque ! C’est un parfait ambassadeur à tant de niveaux (Mots clés : Historique / Drame / Romance )
Pour les années 80 : je vais retenir Please save my earth. Avec une trame narrative sur deux époques, et une diversité de personnages, ce titre a tout d’un excellent shôjo manga. C’est un vrai incontournable qui mériterait d’être redécouvert par les jeunes générations, pour comprendre l’histoire du shôjo manga. (Mots clés : Science-fiction / Poésie / Ecologie)
Pour les années 90 : dans RG Veda, il y a un certain maniérisme propre au shôjo manga. Avec une vraie dramaturgie propre à cette catégorie. Et puis c’était l’époque où les CLAMP ne s’étaient pas perverties à la machine capitaliste, et où elles avaient encore des choses à dire. (Mots clés : Mythologie / Fantasy / Drame)
Pour les années 2000 : L’infirmerie après les cours… Justement, quand je parlais de « monologue qui ouvre un chapitre », et qui prend sens à la fin de ce dernier, ou du tome. Là, ça va encore plus loin : tous les éléments de la série prennent sens grâce à sa conclusion. Avec en plus cette ambiguïté, qui fait que tu ne sais jamais dans quel genre se situe vraiment le récit. Bluffant ! (Mots clés : Identité / Quotidien / Romance)
Pour les années 2010 : Ugly Princess. Parce qu’au-delà de l’oeuvre, il y a une rencontre entre une artiste et ses lecteurs, de l’autre côté de la terre. Natsumi AIDA est venue en France grâce au succès de Switch Girl !!, et c’est la prise de conscience qu’elle a eu lors de cette venue qu’elle a mis tout son cœur, tout son être, dans Ugly Princess. Pour le coup, l’oeuvre est à 300% dans ce qui ressemble à un shôjo « classique ». Mais on peut parler du quotidien, et le faire bien. Il y a tout ce que j’aime dans un shôjo, des personnages humains, et aussi un vrai regard sur notre monde, doublé d’une réflexion sur le genre lui-même dans la seconde partie de l’histoire. Je ne suis pas objectif du tout sur Ugly Princess, parce que Natsumi AIDA est devenue une amie, et je sais tout ce qu’elle a mis dedans. Mais rarement un tome m’aura autant chamboulé que le tome 4 d’Ugly Princess. La force, le courage, la résilience de l’héroïne… Enfin, je pourrais en parler des heures. Ça va donner l’impression que je « survends ». On me le reproche parfois… Mais en réalité, je ne fais que livrer la manière dont j’ai vécu et ressenti une série. J’en parle plus longtemps que les autres, parce que c’est une lecture plus récente, donc forcément, le souvenir est plus « vivant ». (Mots clés : Romance / Quotidien / Comédie)
Le lectorat du shôjo manga
Puisque l’on parle de lecteurs de shôjo… On dit souvent que les filles lisent aussi bien du shôjo que du shônen, mais que seul – ou du moins en majorité – les filles lisent du shôjo. On discute régulièrement entre mecs sur les réseaux sociaux de nos lectures classés shôjos pourtant, je finis par me demander si c’est vrai cette histoire, et à quoi ça tient… Ton opinion ?
D’abord, les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs de l’intégralité des lecteurs, et il semble qu’ils déforment notre vision de la réalité, puisqu’on s’entoure tous de gens dont on partage les valeurs. De fait, sur les réseaux sociaux, on a tous tendance à suivre des gens qui « valident » notre manière de penser. Paradoxalement, on est donc en « cercle fermé », alors qu’Internet est censé nous ouvrir… Au final, les réseaux sociaux nous confortent dans nos certitudes. On est tous comme ça, moi le premier. Donc, je vais supposer que ta question vient du fait que… tu fonctionnes de la même manière que tout le monde, c’est à dire en cercle fermé. Parce qu’honnêtement, la réponse est évidente, tellement évidente… Il suffit d’observer juste un peu pour voir des commentaires très négatifs sur le shôjo. Sur Youtube, sur Twitter, partout… Même dans des articles/critiques, qui véhiculent tant de clichés… Sur notre stand à Japan Expo, il y a des adolescents qui nous regardent de loin et qui disent « oh mais ils font que des shôjo là » et ils partent sans même prendre le temps de s’attarder. Et ce n’est pas un cas isolé. Combien de journalistes encore ne daignent pas essayer de lire un shôjo sous prétexte que « c’est pas leur genre ».
Pour l’anecdote, mais elle est très lourde de sens… La venue de Rie ARUGA à Japan Expo était édifiante, à bien des niveaux. Soyons clairs, on parle de l’autrice d’un shôjo qui se vend beaucoup mieux que de nombreux seinen et shônen bas-de-gamme (bientôt 100 000 exemplaires vendus en français), et dont le sujet s’inscrit dans l’actualité. Presque personne n’a pris la mesure de l’opportunité de cette venue. On a pas mal ramé pour obtenir certains types de médias, qui préféraient parler toujours des mêmes sujets : les vieux mangas nostalgiques des années 80 (encore ?!), le « manga » français (encore ?!!!)… Toujours les mêmes sujets, d’année en année. Et comme les grands médias n’accordent « qu’un seul sujet manga à l’occasion de Japan Expo »… Au final, il y a eu de très belles interviews dans la presse. Mais sans surprise : parmi tous les journalistes, les trois-quarts étaient des femmes. Ce n’est pas complètement anodin quand on sait à quel point c’est un milieu masculin.
Donc bien sûr que c’est vrai, « cette histoire ». Je me suis déjà exprimé dessus lors d’une conférence à Angoulême (encore une fois, disponible sur notre chaîne Youtube), mais je pense que c’est sans aucun doute lié à la misogynie ordinaire de la société et qu’on nous inculque depuis qu’on est petits. Qu’elle soit consciente ou pas. Le modèle de réussite, c’est un modèle masculin. On parle sans arrêt d’inégalités, c’est pas pour rien… Du coup, une femme qui lit des œuvres pour « hommes », c’est acceptable. L’inverse, c’est « dégradant », car il y a une baisse dans « l’échelle sociale ».
Cela dit cette histoire de classification dans le manga, ça fait des années que des éditeurs et “”spécialistes”” en tous genre débattent dès qu’il y a une différence entre celle au Japon et celle en France mais en dehors de simplifier la vie au libraire pour ranger dans ses étagères, est-ce que, fondamentalement, elle est importante pour le lecteur ? Est-ce que ce dernier devrait – et pourrait- d’après toi s’en affranchir ?
C’est comme toujours… C’est quoi « le lecteur » ? Il y a autant de lecteurices que d’individus. Il y a des gens qui y apportent de l’importance, d’autres non. Ce que je crois profondément, ce que tout le monde devrait cultiver une saine curiosité, et se sentir libre d’aller vers n’importe quelle lecture. Mais on ne vit pas dans un monde idéal, loin de là. En fait, je ne suis même pas sûr que ces étiquettes shôjo/shônen/seinen aident les libraires. C’est pareil, ça dépend des libraires. Il y en a qui respectent les catégories des éditeurs français. D’autres pas… Chaque libraire est bien libre de faire ce qu’il veut, dans le fond, car c’est lui qui connaît sa clientèle. Mais bon, quand tu vois que par exemple, récemment, on a su qu’un libraire avait placé Aime ton prochain dans le rayon shôjo… Que dire ? Sérieusement ?! Parce qu’il y a une fille en couverture ? Le label WTF?! est pourtant très marqué et identifié (enfin, c’est ce que je croyais…). Mais voilà, il y avait une fille en couverture… J’ai vu des titres comme Reine d’Egypte aussi classé dans des rayons shôjo. Donc est-ce qu’on aide les libraires ou pas, avec toutes ces sous-collections de collections et sous-catégorie de catégorie de marque et autres nouvelles catégorisations. Pas sûr… Ce n’est pas pour rien que chez Akata, on utilise des mots-clés, derrière nos mangas. Je crois qu’il n’y a rien de plus explicite au final. Et il faut que chacun se responsabilise : éditeurs, libraires, lecteurs, et aussi journalistes. A chacun de faire sa part du « travail ».
Cela étant dit, qu’on change les catégories japonaises, ça me pose un vrai problème. Qu’on décrète qu’un titre ne correspond pas à sa catégorie d’origine, qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Est-ce vraiment notre rôle de dire « ça, c’est pas un shôjo » et de le mettre en seinen ? (ou l’inverse…) On fait passer un aspect purement pécuniaire/commercial devant un aspect culturel, et c’est réellement problématique. Cela pose la question si essentielle de la réappropriation culturelle, du respect de l’autre culture, de l’altérité, de la différence. Et notre monde, au moins notre pays, souffre tellement de ça ces derniers temps. Si on s’intéresse à la culture japonaise, on doit s’intéresser à ce qu’elle est réellement. Pas en façade. Et « le shôjo manga », c’est profondément japonais. Car dans tous les pays qui ont une culture d’art séquentiel, aucun n’a développé comme le Japon la bande-dessinée féminine. En ce sens, avec plus de 40 ans histoire et de développement, le shôjo manga est réellement un élément spécifique à cette culture japonaise. Toucher aux étiquettes shôjo, c’est probablement nier un aspect très concret du Japon. Ce n’est pas respectueux. D’une certaine manière, c’est une attitude néo-colonialiste. Toujours cette supériorité de « notre » culture caucasienne qui a été se mêler de ce qui ne la regardait pas, littéralement partout sur terre. Bien sûr, le Japon n’a pas été un pays « opprimé » (enfin, il faut quand même se questionner sur l’ouverture de force par le général Perry), mais il fait partie des « perdants de la seconde guerre mondiale ». De toute façon, vu le contexte global du monde, et le malaise profond qui s’installe entre « la culture blanche » et tout le reste du monde, je pense qu’il faut être très prudent. Si on utilise des mots japonais, on se doit de les utiliser bien. Sinon, on ne les utilise pas.
Sinon la question du genre et de cette frontière garçon/fille ou homme/femme est une question que tu n’hésites pas à mettre en lumière via le choix de certains titres… C’est un choix qui a des allures de combat, de la façon dont tu en parles parfois ou dans la façon dont d’autres, visiblement moins ouverts d’esprit, le reproche à Akata (ou se contente de dire que t’es fou de faire ce choix, si je me souviens une de tes anecdotes). Est-ce que c’est parce que le manga en parle mieux que d’autres formats, est-ce que c’est un combat personnel des mangakas que tu sélectionnes ou qui te concerne toi, est-ce que c’est tout bêtement parce que le manga, comme d’autres médias, n’a pas de raison de ne pas aborder le sujet… Bref ma question est un pavé, j’arrête là et je te laisse évoquer avec nous cette problématique…
Je ne peux pas parler pour tous les médias, je ne les maîtrise pas tous, et je suis avant tout éditeur de mangas. Ce qui est certain, pourtant, c’est que dans la culture japonaise, la déesse du Soleil est une femme, pas un homme. A l’inverse, la divinité de la Lune… est un homme. Ce n’est « peut-être » pas complètement anodin. En même temps, dans par exemple le théâtre no, les hommes incarnent aussi les rôles de femmes, et le concept japonais de « bi » (la beauté) transcende les genres. Il y a dans tout ça des vérités absolues qu’on a perdues, au moins en France.
Donc, est-ce que les œuvres d’origines japonaises ont la capacité d’aborder les questions de genre mieux que des œuvres d’autres pays ? Ou en tout cas, à un niveau différent et/ou complémentaire ? Probablement… Mais c’est comme tout, il y a à boire et à manger. Et sur les questions de genre, il y a un vrai tri à faire. Surtout à notre époque, où tout va très vite, où les réflexions vont très vites, et où chacun a toujours tendance à voir les choses par le spectre déformant de sa propre culture. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas du tout anodin que les mangas que l’on publie questionnent sur ce que c’est d’être un homme ou une femme. Ils se répondent, ils se complètent, ils s’adressent à des publics différents.
C’était très assumé sur 2019, et ce n’est pas pour rien qu’on a changé notre concept de collection en supprimant les étiquettes par « sexe ». Globalement, tout ce qui est « enfermant », « stigmatisant », ça m’effraie. Ça créé des comportements de peur de l’autre, et donc de haine, envers ce qui est différent de « soi ». Les normes genrées telles qu’on les connaît aujourd’hui sont des constructions sociales bien plus récentes qu’on ne pourrait le croire, et elles nous enferment dans notre corps, dans notre rôle imposé par l’extérieur, par la « société », dans un soi-artificiel qui nous déconnecte de notre authenticité. Elles stigmatisent. Et, quoi qu’on en dise, le Japon a encore beaucoup de choses à nous (ré)apprendre à ce niveau.
De facto, le Japon contemporain est bourré de problématiques, y compris sexistes. Mais les artistes s’expriment depuis très longtemps là-dessus. Notamment dans le manga, où peu de sujets sont réellement tabous (et au pire, les mangaka savent les contourner). Le développement du manga féminin depuis plus de 40 ans a permis à de nombreuses personnes d’aborder frontalement ces sujets-là. La prochaine étape de cette réflexion/processus, ça sera une année 2020 très féministe, dans un sens large du terme, je suppose ? Que ce soit avec des shôjo, ou des seinen. On entame en mettant les pieds dans le plats avec En proie au silence, ce n’est pas un hasard. D’ailleurs, Akane TORIKAI a commencé sa carrière dans le shôjo. D’une certaine manière, je pense qu’on peut dire qu’un ouvrage comme Running Girl, ma course vers les paralympiques est un ouvrage féministe. Parce qu’il met en scène une héroïne dans un rôle non-romantisé, mais aussi parce que cette femme n’est pas dans les standards d’un corps pseudo-parfait. Avec sa jambe en moins, Rin se réapproprie sa propre féminité. Donc, le catalogue 2020 va être très transversal de cette manière. Avec des œuvres violentes psychologiquement et revendicatrices, avec d’autres sur des thématiques connexes, sur le corps, avec des parcours de vie de femmes etc. On construit les choses étape par étape, avec prudence. Affaire à suivre…
Le shôjo manga, « loin des feux de la scène » ?
Pour la dernière partie de l’interview j’aimerai que l’on parle du potentiel du shôjo et de son “”futur””. Akata et Delcourt ont connu une période faste du shôjo au début des années 2000. Toi-même chez Akata en tant qu’indépendant tu en as proposé de nombreux titres aux succès très variable malgré leur potentiel, si on compare l’accueil d’un Orange et d’un Ugly Princess par exemple (encore que je dis ça avec les pincettes, je ne connais pas les vrais chiffres de vente de Ugly Princess) Est-ce que tu penses que le shôjo peut revenir au devant de la scène comme l’a fait Nana ou Fruits Basket ?
Mais qu’est-ce qu’on appelle « être au devant de la scène » ? Encore une fois, parler de chiffres de vente, et se baser sur ça pour parler de « potentiel », de « visibilité » ou de « succès », ça me paraît très limitant. Et souvent très biaisé, car – je radote – il faut en réalité regarder l’équilibre de chaque projet pour savoir si un secteur est « sain ». Un manga qui se vend à 3000 exemplaires, acheté à prix raisonnable et juste, ne peut-il pas être plus rentable qu’un qui s’est vendu à 10 000 exemplaires, mais qui aura été acheté bien trop cher et soutenu par une campagne promo démesurée ? En fait, ce qui est dingue – et à mon avis révélateur – c’est qu’on évoque ici Orange et Ugly Princess… Pourtant, Perfect World ou GAME, Entre nos corps sont passés par là. C’est à mon avis complètement symptomatique du manque d’attention général sur le shôjo manga. C’est la même chose pour plein de prix officiels qui peinent à mettre des shôjo mangas dans leurs sélections… Alors leur faire gagner un prix, n’en parlons même pas ! Il n’est pas « sur le devant de la scène » car les gens le prennent de haut, entre ceux qui ne s’y intéressent pas tout court, ou ceux qui s’y intéressent à retardement ou de manière biaisée. Même dans certains pseudo-défenseurs du shôjo, il y a des discours dangereux, qui tendent par exemple à automatiquement dénigrer des « shôjo romances » et/ou les « shôjo contemporains », en idéalisant tout le shôjo vintage. Il y a aussi des œuvres sans intérêt, dans le vintage… Bref, le shôjo manga a déjà trouvé sa place, loin des projecteurs et des feux de la scène. Parce que des lectrices (et de trop rares lecteurs) le soutiennent, très concrètement. Et du coup, il y a de vrais succès. Mais qui ne font pas nécessairement parler dans la presse.
En ce qui concerne la suite, on verra bien donc, si certains shôjo arrivent à passer le « plafond de verre » comme on su le faire Orange ou Perfect World. L’année 2020 sera une année cruciale, c’est certain, entre l’arrivée évidente d’un certain titre qui a fait beaucoup parler au Japon (mais dont les droits ont été achetés déraisonnablement chers), ou le retour de certains titres « adultes de niche »… Akata a rouvert des portes, quand on s’est relancés en indépendant. Si les médias ne s’y sont pas trop intéressés, nos « collègues » éditeurs ne s’y sont pas trompés.
Si on regarde cette question de la portée grand public d’un point de vue plus sociétal : la femme et même la fille japonaise ne vit pas tout à fait dans la même société que son homologue française, entre misogynie, vision du mariage, sexualité, le rapport à l’enfant, etc. Est-ce que tout cela peut faire que selon toi il y a des codes, des personnages et des problématiques qui échappent au lecteur français ou au contraire, est-ce que le fait que certains personnages de shôjos et certains mangas remportent l’adhésion du public montrerait que finalement, toutes les différences sociétales que j’ai évoquées ne soient différentes qu’en façade ?
Cela va rejoindre ce que j’ai évoqué plus haut, mais c’est typiquement le genre de question où on marche sur des œufs. Car en tant qu’Européens, on est toujours borderline quand on évoque des sujets comme ça, avec le risque de juger l’autre culture. Typiquement, si on parle misogynie, je crois qu’il serait bon de balayer devant notre porte. Encore une fois, je vais prendre un exemple très concret… La publication de GAME, Entre nos corps en France a été absolument fascinante dans les réactions qu’elle a suscitées. On n’a pas eu peur de revendiquer l’ouvrage comme une série féministe. De fait, le tome 1 montre une femme qui n’arrive pas à trouver son équilibre, car la société est machiste et n’accepte pas une femme brillante en entreprise. Et du coup, elle décide en pleine conscience de céder aux avances d’un mec toxique. Mais elle sait parfaitement ce qu’il est, et il n’est pas idéalisé. Résultat : les critiques négatives que j’ai lues venaient en grande majorité d’hommes. Il y a eu comme une sorte de mansplaining généralisé sur ce manga. C’était fascinant… et terrorisant à la fois.
Je dois quand même préciser qu’au moment de la publication de GAME, à part moi, l’équipe d’Akata, c’était deux autres personnes… qui sont deux femmes, et qui parlent très bien de l’intérêt de cette série (si je peux me permettre une parenthèse, maintenant, tout va dépendre de l’évolution de l’histoire… je crois les doigts…). Comme on l’a dit dans notre campagne de pub : « ce sont les femmes qui en parlent le mieux ». En réalité, ce n’est donc pas à moi de répondre à ce genre de question. D’ailleurs, c’est problématique, en soi, que ce soit toi, qui poses, à moi, une question de cette nature-là. N’est-on pas les plus mal placés pour débattre là-dessus ? Du coup, je crois que la réponse la plus acceptable La seule réponse honnête que je peux faire, c’est que le succès des livres (dont GAME) est la meilleure réponse.
Au vu de quelques bonnes années commerciales pour le manga depuis 2014-2015, comment se porte le secteur shôjo ces dernières années, d’une part, et quel bilan tires-tu de vos nouveautés shôjo 2019 pour le moment, d’autre part ?
Je me méfie beaucoup de ce qu’on appelle « bonnes années commerciales », car encore une fois, l’écart type entre ce qui se vend très (très très) bien, et ce qui ne se vend pas, est assez énorme. La plupart des bilans qu’on voit sont complètement tronqués, et s’appuient sur des pourcentages de parts de marché, mais sans remettre en perspective les prix de vente des ouvrages, ou même la quantité de titres publiés. En tout cas, clairement, avec le succès de titres comme orange ou Perfect World, il y a un regain d’intérêt « commercial » de la part des grands groupes éditoriaux. Quelques éditeurs et analystes se sont ventés que l’année 2018 avait vu le marché du shôjo repartir à la hausse, mais j’avais tout de suite tiré la sonnette d’alarme auprès des éditeurs japonais : si on regarde les chiffres sans le contenu, les analyses sont complètement faussées. De fait, l’arrivée d’éditions deluxes d’énormes best-sellers (Fruits Basket et Card Captor Sakura), ainsi que les suites qui vont avec, de manière complètement logique, le marché a été à la hausse. Mais c’est un succès très relatif, puisqu’il s’appuie sur des vieux best-sellers. On ne peut pas dans ce cas-là parler de renouvellement véritable. Sans oublier l’effet de « masse », je dirais même de « terre brûlée » de Pika, qui a littéralement inondé les rayonnages avec son « concept » Shôjo Addict. En augmentant la production, mathématiquement, ça augmente le marché. Soyons clairs : l’objectif pour des grands groupes de cet acabit, c’est d’étouffer la concurrence en prenant de la visibilité, quitte à ne pas être rentable. Mais dans aucune analyse, je n’ai vu parler de ventes moyennes, ou même de rentabilité des projets. Par rapport à ça, il est évident qu’au final, l’année 2019 risque de revoir « le marché du shôjo » en repli.
Du reste, si je dois parler de nous, c’est un peu tôt pour tirer les conclusions de l’année 2019, qui n’est pas encore achevée. Je constate quand même que SOS Love et Aromantic (Love) Story ont merveilleusement transformé l’essai, et que ces deux séries lancées en 2018 ont su fidéliser leur lectorat, tout en convainquant de plus en plus de lecteurices. Celle que je suis a été un succès quasi-immédiat, et on va prochainement lancer le troisième tirage du premier tome (en moins d’un an donc). Je suis un poil déçu pour le moment des résultats de Bless You, qui est à mon avis l’un de nos meilleurs shôjo de l’année, mais le bouche à oreille pourrait faire des merveilles, vu les twists que réservent l’histoire sur les deux derniers tomes. Je remarque aussi qu’on semble commencer à fidéliser sur notre collection One Shot Shôjo, donc en calculant bien nos coûts, on pourra sûrement trouver l’équilibre sur ce concept. Et enfin, les premiers résultats semblent très très encourageants sur nos lancements de la rentrée, à savoir My Fair Honey Boy et Tant que nous serons ensemble. On pourrait aussi avoir besoin de réimprimer prochainement le premier tome d’Entre Deux, dont le premier tirage était plus faible que les deux évoqués juste avant. A voir si on arrive à confirmer ça sur les suites de série, mais vu les qualités des ouvrages, je suis plutôt confiant.
Le bon shôjo, « c’est celui qu’on aime »
Dernière question : c’est quoi pour toi un bon shôjo et qu’est-ce qu’il fait qu’il peut finir dans le catalogue Akata ?
Pour moi, la base, c’est de savoir si je l’ai aimé ou pas. Tout simplement. Si je suis capable de le présenter en réunion édito, avec l’envie de le défendre et de le partager. Est-ce qu’il me stimule intellectuellement ? Artistiquement ? Ou même émotionnellement ? Qu’est-ce que j’y trouve, en tant que lecteur ? Si je suis capable de répondre à ces questions, de manière sensée et argumentée, alors je suppose qu’il a sa place dans notre catalogue. En réalité, le processus est le même pour un shôjo que pour n’importe quel titre. Quand on aime quelque chose, n’est-il pas naturel d’avoir envie de le partager ? De le faire découvrir aux autres ? Je pars du principe que si une œuvre, quelle qu’elle soit, me touche, me parle, m’émeut, me révulse, me questionne, c’est qu’il n’y aucune raison que ça ne soit pas pareil pour les autres. Alors évidemment, en tant qu’individu, on a tous des parcours de vie différents. Par conséquent, chacun aura sa propre lecture d’une œuvre, surtout pour un shôjo, puisque comme je le disais, il y a souvent une marge d’interprétation dans les monologues.
Après, évidemment, en tant qu’éditeur indépendant et de petite taille, la question financière est cruciale. Chaque choix d’ouvrage doit être réfléchi et pensé. Soyons clair : chaque choix est une véritable prise de risque (même ceux qui peuvent avoir l’air complètement anodins). Et j’ai envie de conclure en disant que chaque choix est aussi une histoire à part, un cas à part. Parce qu’après tout, on parle de culture, et chaque œuvre qu’on propose est une série à part entière, une « rencontre » différente. Dans le fond, c’est mon envie de partager les lectures que j’aime qui justement m’a poussé à faire des vidéos explicatives pour chaque œuvre qu’on publie.
Aller regarder « L’instant Shôjo », ça sera la meilleure réponse possible à cette question trop générale (Rires).
(Rires) C’est parfait comme mot de la fin ! Encore merci pour ton temps !
Vous pouvez suivre Akata et Bruno Pham via le site internet des éditions Akata et leur espace blog où il écrit régulièrement, ainsi que sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter et Instagram. Enfin vous pouvez retrouver une interview plus globale sur les éditions Akata chez notre partenaire Paoru.fr.
Remerciements à Bruno Pham et Guillaume Kapp pour leur disponibilité et la mise en place de cette interview.
Les mecs qui refusent de condamner le sexisme de la société japonaise (« je veux pas juger les autres cultures gnagnagna ») alors qu’ils ne peuvent ignorer l’immense souffrance qu’elle cause à tant de filles et de femmes, ce sont des ordures, il n’y a pas d’autre mot.
Bonjour Bachstelze,
Paul OZOUF, redacteur en chef, et auteur de l’interview (des questions s’entend). Merci de nous avoir lu.
Vous accusez qui exactement, je ne suis pas sûr de bien comprendre ?
Cordialement
Je suppose que c’est adressé à moi, ce commentaire ?
Je vais juste re-citer une partir de ma réponse : « De facto, le Japon contemporain est bourré de problématiques, y compris sexistes. »
Donc, je comprends pas très bien… (dans le cas où ça s’adresse à moi…)