Des polars pour l’automne !
L’automne est la saison idéale pour se lover dans un fauteuil avec un bon livre. Journal du Japon vous propose donc une petite sélection de polars, romans ou nouvelles, pour frissonner et se faire peur !
Des biscuits sans saveur de Ruriko KISHIDA: un poison délicieux !
Les éditions d’Est en Ouest permettent aux lecteurs francophones de découvrir d’excellents romans policiers (Creepy, Le meurtre d’Alice et Requiem à huis clos dont nous avons déjà parlé, suivez les liens).
Cette fois-ci ce sont six nouvelles policières par l’écrivaine de Requiem à huis clos que le lecteur lira avec fascination, sidération, interrogation et stupéfaction. Ce format court permet de construire des histoires et de mener le lecteur par le bout du nez jusqu’à une fin sombre mais dont Ruriko KUSHIDA écrit dans la postface que « ce serait un honneur en tant qu’auteure qu’une fois le livre refermé, mes lecteurs soient submergés d’un plaisir comme on le serait d’un doux poison ».
Et c’est bien le cas, Journal du Japon vous le garantit : un poison délicieux, troublant et redoutablement efficace !
La première nouvelle, Le mur de Paris, se déroule donc à Paris. Un ancien professeur de Tokyo est venu y vivre avec ses deux filles après avoir divorcé et été accusé par une de ses étudiantes de dealer. Il semble mener une vie sans problème lorsqu’une femme débarque du Japon et le menace de divulguer son secret. Petit à petit, le passé des protagonistes est dévoilé, les masques tombent … Comment chacun sortira son épingle du jeu ?
Une soirée inoubliable met en scène une femme qui cuisine pour un homme qui l’a pourtant quittée depuis un mois. Mais elle s’accroche et vient régulièrement dans la maison de son ex-compagnon faire le ménage. Et ce soir, elle a envie de lui cuisiner un bon plat, elle a travaillé dur pour cela. Elle promet qu’ensuite elle le quittera. Sous le regard agacé de l’homme qui préfère caresser sa chatte Kuromi que vivre avec cette femme envahissante, elle mijote un plat qu’il n’est pas prêt d’oublier !
Dans Un réflexe idiot, le lecteur croise un homme étranglé, une femme agressée, un chercheur au travail. Quel lien entre tous ces personnages ? Un meurtre et des personnages qui jouent chacun un rôle dans cette nouvelle très bien ficelée. Tout semble souvent bien huilé, mais il suffit parfois d’un petit grain de sable pour bloquer les rouages !
Qui est le père ? est une question qui est restée en suspens pendant des années : une lycéenne se serait suicidée en sautant du toit de son lycée, elle était enceinte, mais de qui ? Des années plus tard donc, une de ses anciennes camarades, elle-même enceinte, a une vision de la jeune lycéenne, celle-ci lui dit qu’elle a été assassinée. Commence alors une enquête qui bouleversera la vie de cette femme.
Le téléphone de la vie commence par un appel : une femme appelle ce qu’elle croit être « le téléphone de la vie », un centre dans lequel on répond aux appels de personnes en détresse. Mais ce numéro a été attribué à l’entreprise de Monsieur Maekawa. Et celui-ci prend un certain plaisir à répondre à ces personnes, à écouter leurs souffrances. La femme dit qu’elle va tuer son fils puis se suicider. Et lorsque le lendemain dans les journaux, le corps d’un jeune homme et celui de sa mère sont retrouvés par la police, l’ambiance se glace dans l’entreprise. Pourquoi, comment ?
Des biscuits sans saveur démarre par un meurtre : une femme tuée par son mari. Lorsqu’il est interrogé par la police, il raconte l’histoire de son couple du début … jusqu’à la fin. Il aime sa femme, elle ne l’aime pas, c’est un mariage arrangé. Sans enfant, elle tourne en rond dans la maison qu’elle tient parfaitement. Lorsqu’il lui donne enfin l’autorisation d’aller travailler quelques jours par semaine dans un restaurant, elle semble revivre, du moins à l’extérieur. Mais ensuite, tout semble aller de travers dans l’esprit de sa femme. Démence précoce ? Une histoire d’amour impossible, des vies brisées, une profonde tristesse …
Des nouvelles policières aux sujets très variés, mettant en scène des personnes blessées, brisées, une multitude de non-dits, de secrets, de mensonges, de trahisons. Tous les ingrédients pour passer de bons moments de lecture, avec un format nouvelle idéal pour en lire une entière lors du trajet domicile-travail !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Jiazoku de Maëlle Lefèvre : chez les yakuza, un premier roman glaçant…
C’est à une jeune femme de dix-neuf ans que l’on doit ce premier roman qui plonge le lecteur dans le monde de l’argent et des trafics des différents clans de yakuza de Tokyo.
Daisuke dirige le réseau de mères porteuses du clan Kobayashi. De riches couples chinois font porter leur bébé par d’anciennes prostituées exploitées par la mafia. C’est le cas de Guan Yin, une Chinoise de Kabukicho. Elle élève seule sa petite fille An, et elle met au monde en 2017 Kei, dédié initialement à un couple de riches Chinois de Shanghai, déjà parents d’une petite Fen de trois ans. Mais ils sont victimes d’un accident de voiture alors qu’ils se rendent à l’aéroport pour partir récupérer l’enfant au Japon.
Après une petite enfance dans un centre où il apprend le chinois (avant d’être normalement emmené par ses parents en Chine), Kei va donc grandir chez Daisuke, entouré de Guan Yin et An. Fen quant à elle grandit dans le luxe et la très stricte éducation de sa tante. Deux mondes parallèles, deux destins aux antipodes l’un de l’autre.
Daisuke, élément indispensable de son clan, toujours fidèle et droit, sent que quelque chose change en lui. Il a pris sous son toit le petit Kei, qu’il éduque dans la froideur et l’absence de la moindre manifestation d’amour paternel (car selon lui il faut « protéger les êtres aimés en leur apprenant à vous détester »).
Alors que les trafics en tout genre continuent, qu’on négocie une nouvelle salle de poker sur le terrain d’un clan en échange des filles d’une des maisons d’un autre clan, qu’il a atteint la soixantaine, il tente de comprendre ce qui le perturbe …
« Pourquoi il s’était senti si différent de tous ces mafieux alors qu’il était comme eux, voire pire. Il n’avait jamais pris plaisir à tout ce qu’il faisait. Tuer, s’enrichir, manipuler, menacer … C’était simplement la routine. Une routine sur laquelle il ne s’était jamais posé de questions, du moins pas depuis une dizaine d’années. Une routine qui le laissait impassible et le lassait parfois, sans pour autant le dégoûter. Une routine qu’il avait acceptée dès sa quinzième année, certain que la vie n’aurait jamais pu être différente.
Mais au tournant de la cinquantaine, il avait réalisé quelque chose de très important. Il avait compris qu’il avait toujours eu le choix. Toujours. Une révélation agréable puisqu’il s’était senti soudainement libre. Libre de gérer comme il l’entendait le réseau de son ami et oyabun Kobayashi. Libre de prendre entre ses filets ou de laisser en paix des prostituées ou autres proies désirant s’acquitter de leurs dettes. Libre de tuer ou d’épargner. Libre de garder ou d’abandonner le fameux et misérable Watanabe Kei.
Mais, aujourd’hui, il avait ressenti autre chose. Quelque chose de nouveau : les prémices d’un remords. »
Ce roman mêle avec une grande maîtrise profonde noirceur et éclats lumineux.
La noirceur, ce sont ces femmes qui sont maltraitées, humiliées, frappées, traînées dans les caniveaux des ruelles de Kabukicho. Elles ne sont que des objets jetables que des hommes prennent puis jettent, soulageant leur conscience en leur jetant quelques billets. Mais elles sont infiniment puissantes dans l’amour absolu qu’elles donnent à leurs enfants. La noirceur n’est jamais loin des enfants qui grandissent comme ils peuvent, entre violence, drogue, sexe et adultes qui ne savent pas comment aimer, ayant eux-même été jetés dans un monde cruel dès leur adolescence.
Les éclats lumineux, ce sont tous ces petits moments volés à la nuit, ces sourires, ces petites attentions, ces gestes presque affectueux, et ces mots qui arrivent enfin à passer, puis à s’écouler en flots incontrôlables, ces sentiments qui peuvent enfin exister … parfois trop tard, parfois juste à temps.
Entre le Japon glauque des clans, des prostituées survivant dans des logements minuscules et la Chine des appartements de luxe, des intérieurs et des personnes trop lisses, deux enfants deviennent adultes : un frère et une sœur que tout sépare … Que se passera-t-il quand ils apprendront l’existence l’un de l’autre ?
Un livre brillant, des ambiances décrites avec beaucoup de soin, de sens du détail, des portraits touchants d’enfants et d’adultes qui ont finalement tous le même besoin d’amour pour faire face aux affres de la vie.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Dans l’œil du démon de Jun’ichirô TANIKAZI : meurtre et voyeurisme
C’est un excellent TANIZAKI que publient ce mois-ci les éditions Picquier : des personnages fascinants par leur machiavélisme, leur esprit perturbé mais vif, une intrigue mêlant énigmes, observations et spectacle terrifiant, le tout avec la qualité des descriptions du brillant Tanizaki, traduit avec beaucoup de finesse par le remarquable duo Ryoko Sekiguchi / Patrick Honnoré.
Takahashi, le narrateur, est un écrivain. Il est en pleine rédaction d’un article lorsque son ami Sonomura, un riche oisif qui passe son temps à lire des romans policiers et à aller au cinéma, l’appelle pour lui proposer d’assister à un meurtre le soir-même ! Ce n’est pas la première fois qu’il écoute les délires de cet homme orphelin, sans femme ni enfant et qui a une santé mentale un peu fragile. Takahashi n’est pas emballé par l’idée, mais il se rend chez son ami pour en savoir plus et voir s’il arrivera à le faire changer d’idée.
Commence alors le récit. Comment il a appris qu’il y aurait un meurtre, quels en sont les protagonistes, le lieu où il doit être commis … Tout est décortiqué et expliqué avec beaucoup de finesse d’esprit par Sonomura.
Un homme et une femme ont échangé des messages au cinéma, dans le dos d’un autre homme (en dessinant des katakana dans les paumes de leurs mains). Grâce à la perspicacité de Sonomura, les deux compères se retrouvent finalement près de la scène du crime qu’ils observent à travers le nœud évidé d’un volet. La femme est belle, sensuelle, il y a un appareil photo, une bassine pouvant contenir un corps, des fioles colorées … une mise en scène parfaite, qui captive les deux amis.
L’art de la description de Tanizaki :
« En dépit de la taille somme toute réduite de la pièce, celle-ci était éclairée par une ampoule d’une puissance considérable, au moins cinquante watts. Il n ‘y avait rien d’étonnant à ce que la nuque de la femme m’ait paru au prime abord comme une colonne blanche, car assise légèrement penchée en avant, le col de son kimono profondément ouvert sur sa nuque, elle laissait voir une couche de blanc plâtreux sur sa peau qui réfléchissait la lumière d’un blanc incandescent. Pour vous donner une idée de ma proximité, le parfum suave et sucré qui émanait de ses vêtements enchantait mes narines. Je me fis même la réflexion que j’aurais pu compter ses cheveux un par un. Son chignon à la shimada était si lustré, les ailes de ses tempes nettes et gonflées comme la poitrine d’un oiseau, qu’on aurait pu croire qu’elle venait de se coiffer. »
Après ce spectacle macabre, le narrateur tente de reprendre une vie normale, mais son ami est totalement subjugué par cette femme. Il fait tout pour la revoir et réussit au-delà de ses espérances. Après quelques semaines,elle s’installe chez lui, avec son acolyte. Jusqu’où le mènera cette folie amoureuse, jusqu’où ira la perversion de cette femme mystérieuse ?
Sonomura envoûté :
« Ce que nous avons vu la nuit dernière à travers un œilleton de bois évidé, c’était un meurtre, certes, mais cela ne s’est pas inscrit dans mon esprit comme une vision terrifiante ou malsaine. Quelqu’un était en train de se faire assassiner, mais sans que fût versée la moindre goutte de sang, sans violence, nous n’avons pas entendu le moindre gémissement. Tout s’est déroulé avec charme et modestie, dans la douceur d’un murmure amoureux. Loin de croire m’être réveillé d’un mauvais rêve, j’ai l’impression d’avoir admiré une image chatoyante et colorée, éblouissante de lumière. « Tout ce qui est dangereux est beau, le diable possède l’auguste beauté d’un dieu », cette parole ne se rapportait pas seulement aux couleurs de pierres précieuses des liquides, elle qualifie à la perfection cette femme elle-même. Elle est l’héroïne cardinale du roman criminel, elle est l’avatar du démon. Voilà mon ressenti. Elle est la démone qui avait pris depuis longtemps demeure dans mon crâne et se nourrissait de mon imagination. Elle est l’illusion que mon cœur a toujours aimée, et je ne peux m’empêcher de croire qu’elle a daigné se manifester dans ce monde pour soulager ma solitude. »
Le lecteur est totalement happé par cette histoire dans laquelle les personnages sont tour à tour voyeur, acteur, criminel, manipulateur. Sont-ils fous, cruels, à la limite de l’animal ? Une plongée dans l’esprit humain, dans ses travers, ses désirs les plus inavouables.
Du grand art jusqu’à la dernière ligne !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Voilà, vous êtes prêts : un plaid, une bonne tasse de thé … et vous voilà parti pour des heures de lecture !
Je retiens les nouvelles et le Tanizaki – les yakuzas, très peu pour moi.