L’Atelier des Sorciers : La magie du dessin

Véritable succès au Japon et à l’international LAtelier des sorciers renouvelle le monde de la magie depuis 2018 chez Pika Edition. De par son style graphique, ses personnages attachants, et les secrets de son univers, Kamome SHIRAHAMA nous offre un seinen éblouissant, qui lui vaut le Daruma d’or 2019 et une exposition à Amiens au printemps dernier, entre autres.

A l’occasion de la sortie du 5e tome en ce mois d’octobre, plongeons dans l’univers magique de son héroïne, Coco, pour comprendre cette ferveur…

L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

 

Jeux d’encre…

Sommes-nous doués dès la naissance, ou bien devient-on doué en s’exerçant ? Et ceux que l’on nomme les sorciers, le sont-ils dès la naissance ?

Coco, fille d’artisane, se pose ces questions depuis que, petite, elle a acheté un livre dit « magique », à un sorcier encapuchonné. Aujourd’hui elle aide sa mère dans son atelier de tissu, mais sa passion pour la magie va refaire surface lorsqu’un accident de carrosse ailé a lieu devant la boutique. Un client se présente alors comme un sorcier du nom de Kieffrey. Ce dernier propose de réparer l’engin endommagé, mais il ne peut pas pratiquer sa magie à l’extérieur. Coco lui propose alors de s’enfermer dans la remise de la boutique. La jeune fille est émerveillée par ce sorcier en chair et en os sur le point de réaliser un sort au beau milieu de sa propre maison, et son plaisir est d’autant décuplé lorsqu’il lui demande un coup de main… Malheureusement, il est des plus frustrants : elle doit surveiller la porte de la remise pour que personne ne puisse le regarder pendant qu’il utilise la magie !

Aussi, lorsque les enfants de son village décident d’espionner Kieffrey par la fenêtre du toit, Coco finit par se laisser emporter par sa curiosité et se faufile à l’intérieur. Elle découvre que le sorcier manipule la magie avec une plume. En effet, un sort ne se lance pas… il se dessine.

 

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

Fort de cette révélation et après le départ de Kieffrey, Coco s’enferme dans sa chambre pour reproduire les « motifs » que contient le livre qu’elle avait acheté voilà maintenant quelque temps. Malgré l’appréhension qui envahit l’enfant au début, sa soif de magie prend le dessus, et elle réalise la quasi-totalité des sorts que le livre contient. Mais si la magie n’est pas pratiquée par tous, ce n’est pas sans raison : en voulant calquer l’un des derniers dessins du livre notre apprentie commet l’irréparable et déclenche un sort qu’elle ne peut contrôler.
Sauvée in extremis par Kieffrey (revenu lui poser des questions sur le fameux livre qui l’avait interloqué lors de son passage) elle observe le sort qu’elle a dessiné se propager autour de sa maison et toucher sa mère qu’elle ne peut pas sauver… Et qui finit pétrifiée. Alors que la jeune fille est effondrée de voir ce qu’elle a provoqué, le sorcier lui explique que ce genre de drame est l’une des raisons du secret qui entoure la magie.

Maintenant que Coco a découvert la vérité, le sorcier ne peut fermer les yeux et lui annonce qu’il doit lui effacer la mémoire. En entendant cette nouvelle la jeune fille est terrifiée : sans sa mémoire, impossible d’essayer de sauver sa mère de ce maléfice ! Extrêmement intrigué par le fameux livre qu’elle a reçu, et qui ne peut pas être arrivé dans ses mains par hasard, Kieffrey sait qu’il tient là la trace de la Confrérie du Capuchons, un groupe de mystérieux magiciens qu’il traque depuis longtemps. Néanmoins, sans les souvenirs de Coco, la piste ne mènera nulle part. Il ne la forcera pas à oublier à condition qu’elle devienne à partir d’aujourd’hui une sorcière, et qu’elle apprenne la magie au sein de son atelier.

En acceptant cette condition la jeune fille entre dans un monde inconnu, codifié par les règles strictes des Sorciers, et elle rencontre des camarades uniques qui ont chacune leur propre vision de la magie. Mais en entrant dans cet univers, Coco se retrouve sans le savoir dans un conflit plus grand qu’elle, en lien avec le livre qui a pétrifié sa mère, et où elle est considérée comme la pièce maîtresse du plan d’un des deux partis.

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd   L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd 

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

 

Une magie nouvelle, un maître mystérieux, des camarades atypiques !

En changeant la manière d’utiliser la magie, Kamome SHIRAHAMA permet déjà à L’atelier des sorciers de se démarquer : elle rompt radicalement avec la tradition de produire de la magie en lançant un sort. En introduisant le recours au dessin, la magie ne devient plus uniquement réservée à une élite dotée d’une certaine alchimie avec ce pouvoir : elle devient universelle ! De plus, en usant du dessin, le sorcier est beaucoup plus libre et se laisse guider par sa plume et son imaginaire. Chacun peut avoir sa propre magie en dessinant lui-même ses pentacles ou développer des variations des pentacles existants. Ces derniers peuvent être reproduit sur n’importe quel support, y compris sur un corps humain, ce qui permet de repousser les limites des sortilèges tels que nous les connaissons, et d’en faire sortir des personnages des plus passionnants.

De plus, en plaçant Coco comme héroïne, la mangaka recouvre son manga d’une légère membrane enfantine. Coco est une enfant pleine de vie, Toujours émerveillée par le monde magique qui l’entoure, et son ignorance de la magie la pousse à vouloir tout connaître, quitte à parfois s’écrouler de fatigue. Son envie de maîtriser tous les pentacles rapidement, l’entraîne à commettre des bourdes qui provoque l’amusement de son maître et de certaines de ses camarades. Son côté joyeux et maladroit lui permet de se rapprocher facilement de son entourage et de se faire apprécier de ce dernier.

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L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

 

Puis, avec Kieffrey, Kamome SHIRAHAMA nous offre le maître sorcier tel qu’on en rêverait, du moins au premier abord. Un professeur qui est prêt à tout pour ses élèves, quitte à ne pas révéler à ses confrères la vérité sur Coco et se mettre à dos toutes les grandes instances magiques. Sa confiance et son estime pour ses élèves contribue à l’énorme respect que ces dernières ont envers lui. Contrairement à d’autres maîtres qui voient à travers leur élèves un moyen de se faire une renommée et qui n’ont aucune considération pour ces derniers, Kieffrey considère ses élèves comme des sorciers à part entière, qui ont leur propre vision de la magie. Mais derrière ce côté bienveillant, l’auteure a dissimulé une autre toile, trouble et intrigante, qui amène de nombreuses questions : pourquoi est-il obnubilé par le livre de Coco de la Confrérie du Capuchon, au point de prendre comme élève une simple enfant qui n’a aucune connaissance en magie ? Pourquoi user du sort d’oubli sur son entourage comme avec M. Nornois le fabricant d’encre magique chez qui il va se ravitailler ? Plus on avance dans l’histoire, plus le mystère qui l’entoure s’épaissit, et le nombre de questions ne fait qu’augmenter. On se demande ce que cette confrérie lui a pris ?

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd  L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd 

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

En plus de nous présenter une héroïne attachante et un maître bienveillant et mystérieux à la fois, Kamome SHIRAHAMA introduit ensuite des élèves atypiques avec un passé propre à chacune d’elle qui permet au lecteur de mieux les cerner, de comprendre la personnalité qu’elles sont en train de construire et de se retrouver ou pas, en elle.

En premier Tetia, celle qui s’autoproclame l’aîné de Coco, et qui remercie tous ceux qui la remercient. Elle aide Coco à s’intégrer à la vie dans l’atelier. Pour Tetia la magie existe pour rendre heureux les gens et son rêve est de réaliser une magie utile pour tout le monde.
Si Tetia perçoit la magie comme un art à partager avec tout le monde, ce n’est pas forcément le cas de Trice, qui ne veut pas se voir obligée de dessiner des sorts dont elle n’a pas envie. Pour elle, si être adulte se résume à faire des choses que l’on ne désire pas, alors autant rester une enfant pour toujours… quitte à limiter sa magie et ne pas connaître d’autres pentacles. De toute façon, pour Trice, utiliser la magie d’autrui équivaut à souiller sa propre magie.

Alors que l’une considère la magie de manière très personnelle et que l’autre la voit comme un amusement qui permet aux gens de retrouver le sourire, la troisième élève, Agathe Achrome, incarne la persévérance, la rigueur et la recherche de l’excellence… A tout prix. Comme Coco, elle veut tout connaître de la magie, mais avec un esprit plus rationnel et jamais de manière ludique. Un caractère qui va de pair avec la pression qu’elle se met et l’objectif qu’elle veut atteindre :  devenir bibliothécaire à la Tour Bibliothèque, le lieu qui renferme toutes les connaissances du monde, ce qui lui permettrait de prouver qu’elle est digne de l’importante famille Achrome et de leur réputation.

Les disciples de Kieffrey (en bleu) dans L'atelier des soricers

Les disciples de Kieffrey (en bleu) – L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd

Mais le sérieux et les efforts de longue date d’Agathe la pousse à voir Coco et sa curiosité enfantine d’un mauvais œil : comment une « ignorante » peut espérer devenir une sorcière en étant si insouciante, alors qu’elle, pour devenir la plus avancée parmi les apprenties, étudie d’arrache-pied et doit sans cesse prouver sa valeur ? Toute cette frustration pousse Agathe à obliger Coco, sans en informer Kieffrey, à passer le premier examen pour devenir officiellement une apprentie : « La permission du Roi ». En lui faisant passer ce test Agathe espère montrer à Coco que la magie n’est pas un jeu, et que cette discipline demande du travail. Mais elle le fait aussi dans l’espoir de la voir échouer, et ainsi la faire exclure de l’atelier.

En remodelant l’utilisation de la magie, l’auteure utilise son univers inédit pour réinventer des figures du manga et les rendre atypique à travers leur sort, leur façon de les lancer, de les penser même. « Montre moi ta magie et je te dirai qui tu es » : les protagonistes en deviennent alors singuliers et viennent nourrir en retour l’histoire et le monde de l’Atelier des sorciers.

L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

     

 

Une histoire douce teintée de mystère :

Via le parcours de Coco en tant qu’apprentie sorcière, Kamome SHIRAHAMA nous montre que tout s’obtient par un bon travail. Même si, à première vue, faire de la magie semble facile, il n’en est rien. Il faut apprendre de nombreux pentacles, la manière de les dessiner, l’ordre de l’agencement des éléments qui le constituent, les flèches propres à chaque élément. En plus de devoir s’exercer chaque jour, tout apprenti doit passer les épreuves du Pentagramme. Au total,ce sont cinq épreuves à passer pour devenir un sorcier accompli. Chacune ayant un but précis, de l’accréditation à apprenti jusqu’à devenir soi-même un maître en passant par la pratique de la magie en public. Les origines des épreuves du Pentagramme découlent de l’histoire tragique de la magie. Encore une trace de la richesse de cet univers, pensé avec beaucoup de soin et de détail.

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd  L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd 

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

A différent moments, Kamome SHIRAHAMA laisse d’ailleurs des indices sur les côtés sombres de son manga. Petit à petit l’auteure nous fait découvrir l’univers de son histoire, où deux sociétés coexistent : d’un côté la majeure partie de la population qui ne peut utiliser la magie, et de l’autre celle des sorciers. Cette dernière possède son propre système de maintien de l’ordre avec la Milice Magique qui assure le respect des lois sur l’utilisation de la magie et lutte contre les actes terroristes de la Confrérie du Capuchon. A travers ces deux entités, la Milice et la Confrérie, la mangaka nous dévoile un monde magique coupé en deux. La Confrérie est composée de sorciers qui n’hésitent pas à avoir recours aux sorts interdis, contrairement aux sorciers normaux, et ne s’imposent pas de restriction. De plus ils ne dessinent pas leurs pentacles uniquement sur des objets inanimés, mais aussi sur des êtres vivants, tel que leur propre corps ou celui de leurs victimes, ce qui a pour conséquence de modifier entièrement la structure du corps ; ainsi ils peuvent devenir ce qu’ils veulent, comme le sort de pétrification utilisé sur la mère de Coco. Ils n’hésitent pas aussi à utiliser des sorts capables de modifier complètement un paysage.
En nous présentant la Confrérie du Capuchons, ainsi que des sorts capables de modifier dans son ensemble un paysage ou des humains, Kamome SHIRAHAMA nous prouve sa capacité de mélanger plusieurs thèmes.

 

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd  L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd. 

 

 L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd  

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd

 

Kamome Shirahama au summum de son art :

Contrairement au chemin classique du mangaka, qui les fait passer par des concours organisés par les magazines de publication tel que le Jump, puis acquérir de l’expérience en devenant assistant de mangaka jusqu’à obtenir une publication, Kamome SHIRAHAMA a un parcours assez atypique. Diplômée de l’école des Beaux-Arts de Tokyo, elle commence sa carrière de dessinatrice dans le milieu des jeux vidéo mais aussi des romans en tant qu’illustratrice. Elle est attirée depuis son enfance par les Comics, tout en ayant grandi avec les œuvres d’Osamu TEZUKA et Moto HAGIO avec notamment Le Cœur de Thomas. Se sentant plus attirée par la bande dessinée, elle décide d’acquérir de l’expérience en travaillant à l’international, et tente sa chance du côté des Etats-Unis en illustrant des Comics pour les éditions Marvel, en réalisent notamment les couvertures des Stars Wars, le dernier en date étant Le dernier Jedi.

Kamome Shirohama ©

Elle se lance dès 2011 dans le manga avec un one-shot Watashi no Kuro-san qui raconte l’histoire d’une fille Minette qui cherche son chat tout en découvrant les dangers de la ville, puis en 2012 elle publie sa première série Divines chez Enterbrain (Overlord de Kugane MARUYAMA et Youjo Senki de Carlo ZEN). Publiée en France depuis juin 2019 chez Pika Editions, cette série relate les bourdes commises par l’ange Eniale et la démone Dewiela sur Terre lorsqu’elles ne sont pas occupées à se livrer bataille. Elle clôture cette première série en 3 tomes.

 Divine © Kamome Shirahama / Enterbrain LTD Star wars le dernier jedi© / Marvel LTD

Divine © Kamome Shirahama / Enterbrain LTD et Star wars le dernier jedi© / Marvel LTD

Forte de toutes ses expériences, autant sur le plan scénaristique qu’artistique, la jeune autrice parvient à donner à L’atelier des Sorciers une histoire d’une grande richesse, avec un univers vaste et bien construit, et une esthétique qui émerveille à chaque page tournée. En plus de tout donner dans le design de ses personnages, Kamome SHIRAHAMA parvient à insuffler beaucoup de réalisme à chaque paysage qu’elle dessine, qu’il s’agisse de milieux montagneux ou urbains. Chaque détail est magnifiquement réalisé, notamment à l’aide des jeux d’ombre et de lumière qui apporte de la profondeur et un relief qui donne vie à ses dessins. Un style qui évoque par moment le clair-obscur dans la peinture, ou parfois l’Art Nouveau de par son amour des lignes courbes dans les vêtements de ses personnages. Enfin on retrouve aussi des touches et références médiévales à plusieurs niveaux : le système de caste qu’elle instaure entre les magiciens et le reste de la population, la magie, certains points du chara-design, et enfin l’architecture des lieux avec l’utilisation d’éléments naturels récurrents comme la pierre, le bois, l’encre notamment pour la magie… Tout l’aspect esthétique de L’atelier des Sorciers reste cependant harmonieux et créé sa propre ambiance.

L'atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd.

On peut l’affirmer, L’atelier des Sorciers fait partie des meilleurs seinen de ces dernières années. Kamome SHIRAHAMA avec sa maîtrise graphique, l’ingéniosité dont elle fait preuve, nous donne à chaque tome une raison d’attendre avec impatience le prochain, en insufflant à chaque fois une part de discrétion et de tendresse dans le monde de Coco. En définitive, l’Atelier des Sorciers… a quelque chose de magique !

 

Visuels : L’atelier des sorciers © Kamome Shirahama / Kodansha Ltd

1 réponse

  1. 12 mars 2020

    […] 4 tomes ou la comédie aussi angélique que démoniaque Divines en 3 tomes, par Kamome SHIRAHAMA (L’Atelier des Sorciers) et le thriller en pleine Allemagne nazi Neun d’un autre mangaka connu en France,Tsutomu […]

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