Kyôgen : l’art du rire selon le maître Tadashi OGASAWARA
Partager le rire et la joyeuseté. Voici comment l’on pourrait définir le kyōgen selon le maître Tadashi OGASAWARA, lui-même reconnu comme « bien culturel immatériel » par l’UNESCO depuis 2001. À l’occasion des deux ans de l’association Ogasawara, Journal du Japon vous propose de découvrir la comédie japonaise par excellence : le kyōgen.
Pour comprendre les tenants et aboutissants du kyōgen, un bref historique s’impose. Ce théâtre trouve ses racines il y 650 ans et compte à ce jour environ 300 pièces répertoriées. Originellement, il s’agissait d’un intermède comique entre deux actes du nō, un art scénique nippon proche du drame. Mais, au gré des époques, le kyōgen s’est dissocié du nō et s’apprécie aujourd’hui seul. Le nō raconte des histoires graves mettant en scène les nobles et les esprits. Ils sont interprétés par des acteurs masqués et hiératiques, avec des paroles accessoires. À l’inverse, le kyōgen propose des gestuelles florissantes et exagérées, au service des dialogues de gens de basses conditions. La grande particularité de ce théâtre est aussi la scène vide qui permet à l’acteur appelé kyōgenshi de jouer à la fois avec l’espace et le temps. Par ce biais, le jeu suscite aussi l’imagination et l’attention du public. Au Japon, ce sont aujourd’hui deux écoles qui jouent le kyōgen : Izumi à Kyoto et Okura à Nara.
«Les deux écoles sont totalement différentes»
Izumi de Kyoto et Okura de Nara se partagent donc la scène du kyōgen. Mais pour le maître Tadashi OGASAWARA issu du courant Izumi, «les deux écoles sont totalement différentes. Okura produit un répertoire de 200 pièces, tandis que nous en interprétons 300. Les manières de faire les gestes aussi changent beaucoup ! Par exemple, un acteur assis de chez Okura place ses mains sur ses cuisses. Nous plaçons les nôtres sur les hanches. Pour certains, ces différences sont invisibles. Mais il suffit d’être un rien connaisseur pour savoir tout de suite quelle école joue».
Le kyōgen est presque martial : il nécessite un entraînement rigoureux et une connaissance aiguë de chaque position et chacune de leurs significations. Plus jeune d’une cinquantaine d’années, l’école Izumi a toujours tiré parti de cet écart avec Okura et avec les traditions pour innover et créer. L’important c’est le rire et la joyeuseté, que la famille Ogasawara s’évertue à transmettre au public.
Le rire est la colonne vertébrale du kyôgen
La vocation de monsieur Ogasawara est de susciter un rire sain et spontané, au-delà même du Japon. Il s’agit de faire adhérer la salle par le rire, véritable colonne vertébrale du son art. «Les dialogues étaient très différents à l’époque. Ils existaient déjà mais étaient beaucoup plus simples. C’est à partir de ces fondamentaux que l’on a écrit et étoffé nos propres dialogues, en fonction de nos idées», rappelle-t-il. Il s’adapte au public qu’il aime. «J’aime la France. Les Français comprennent et respectent la culture japonaise. Vous connaissez la valeur des mots. C’est pour ça que je veux transmettre mon art dans ce pays». Le spectateur français ne devra donc pas s’étonner d’entendre du vocabulaire de la langue de Molière. «C’est un chien !», «chante !», ou encore «attention !» sont empruntés comme des onomatopées incongrues, au cœur de dialogues pourtant inscrits dans un japonais expressément désuet, au service de l’humour. Il y a déjà presque cinq ans, Tadashi Ogasawara a d’ailleurs envoyé son fils Hiroaki étudier dans l’Hexagone.
A-t-il néanmoins son mot à dire dans la conception des œuvres ? «Pas question, je suis encore son maître. Lorsqu’il sera indépendant, il fera comme il veut», répond son père amusé. Aujourd’hui, ils se produisent ensemble en France et à Paris, afin d’exporter le kyōgen vers un public le plus large et varié possible.
«C’est très important de faire découvrir le kyôgen en France»
Monsieur Ogasawara ne veut pas que la tradition disparaisse. «Au Japon, le kyōgen paraît fermé et vieux. Alors les gens n’y portent plus trop d’intérêt, surtout les jeunes». Dans un pays où des symboles nationaux comme les geishas ou le sumo se voient menacées d’extinction, l’anxiété du kyōgenshi semble légitime. «C’est une question compliquée, à laquelle même au Japon nous ne savons répondre. Vivre de nos passions est difficile, mais nous faisons de notre mieux. Il est donc très important de faire découvrir le kyōgen en France». Par ses valeurs d’échange entre les cultures, l’art du kyōgen tel qu’il le conçoit est l’archétype de la culture artistique japonaise dans son ensemble. «Je pense aussi de cette manière. Mais les Japonais ne le voient pas forcément comme ça».
«Le kyōgen est un art du rire». À l’heure de circonstances globales inquiétantes, quoi de plus important que le rire et son partage ? En symbiose avec la scène, le public s’abandonne au waraku, le rire pur et spontané qui vient du fond du cœur. Définitivement, le kyōgen de Tadashi Ogasawara et sa famille est un cadeau qui ne se refuse pas. Si vous avez loupé les représentations des deux premières pièces, pas d’inquiétude ! Ils vont attendront… «avec les 298 autres !»
Compléments d’information : L’Atelier OGA Paris de l’association Ogasawara propose des ateliers d’initiation au kyōgen. Ils se composent d’une partie théorique suivie d’un temps de pratique. Vous découvrirez les décors, instruments, costumes et toutes les facettes émotionnelles du kyōgen. Rendez-vous dans le seizième arrondissement de Paris au 46 avenue du Président Wilson. Davantage de renseignements sur atelier-oga.paris.team@gmail.com
Toutes les photos appartiennent au Journal du Japon ou à l’Association Ogasawara.