naBan : à la découverte d’un nouvel éditeur manga !
Au sein de l’édition de manga en France, il ne vous a pas échappé que ce secteur connait un grand dynamisme depuis plusieurs années. La dernière preuve en date est l’arrivée d’un nouvel acteur, naBan, dont le premier ouvrage, Demande à Modigliani débarque dans les libraires le 8 novembre prochain, dans un mois jour pour jour ! L’occasion de partir à la rencontre de l’éditeur lui-même, Christophe Geldron, qui travaille dans les univers du manga et de l’anime depuis presque 20 ans et qui se lance dans cette folle aventure !
Christophe Geldron : parcours de passionné
Bonjour Christophe Geldron, et merci pour ton temps…
Merci de m’accorder cette interview.
Pour commencer, nous aimerions en savoir un peu plus sur toi : quel est ton parcours, est-ce que tu as toujours voulu être éditeur ?
Tout a commencé il y a presque 20 ans, en 2001, quand j’ai intégré Manga Distribution/Déclic Images au service Internet. Je communiquais avec les clients sur les forums, je répondais aux questions, je créais des dossiers sur les titres à venir pour le catalogue de VPC.
L’année suivante, quand le responsable des achats de licences est parti, on a commencé à me confier la traduction des correspondances en anglais avec divers ayant-droits, et cela m’a permis en binôme de faire mon premier MIP (Marché des programmes à Cannes).
Je suis donc devenu négociateur pour la société, en plus de m’occuper des doublages des titres Déclic Images (Love Hina, Fruits Basket, last Exile, Shaman King et une quinzaine d’autres) et des ventes TV.
Tout cela a été énormément formateur car j’avais plusieurs casquettes ce qui me permettait d’avoir une vue d’ensemble du processus d’importation d’une série japonaise, de l’achat à la vente. J’aime ce côté touche-à-tout.
Par la suite j’ai passé une année chez RCP à m’occuper de la création de leur label vidéo KERO Vidéo et d’une partie des doublages et ventes TV. Suite à la faillite de la société, le choix s’offrait à plusieurs d’entre nous soit de proposer nos services ailleurs, soit de se lancer ensemble dans une nouvelle aventure. Nous avons donc créé RG Square avec 3 amis, et le label Black Bones s’est créé, surtout dédié aux titres classiques (Bubblegum Crisis, Tough, Arslan…) et à plusieurs nouveautés comme Slayers Revolution ou Special A.
La crise de 2008 ne nous a pas permis d’établir l’équilibre et la société est arrêtée.
Entre-temps, avec un des associés de RG Square, nous créons tous les deux Black Box qui édite des animés en vidéo et des mangas et que j’ai quitté début 2019.
Ton lien avec le Japon remonte à quand et comment s’est-il construit ?
Le lien l’a été évidemment grâce aux animés que je regarde depuis tout petit, et surtout grâce aux comédies sentimentales ou de sport. Des séries comme Maison Ikkoku, Attacker You, Touch ou Esper Mami nous parlaient du Japon quotidien, la façon dont les habitants vivent, mangent, travaillent. On y apprenait l’existence des ramen, soba, des okonomiyaki, la discipline à l’école, les codes relationnels complexes et l’architecture des villes. Cela me fascinait énormément à l’époque puisqu’il n’y avait aucune contextualisation. On s’imprégnait de cette culture au fur et à mesure des séries diffusées.
J’en conserve donc parfois une certaine nostalgie quand je me rends au Japon et que je me perds dans les petites rues où je n’ai jamais habité !
Quels sont les mangas et les mangakas qui t’ont marqué ?
Il y en a trop, beaucoup trop ! Chronologiquement je dirais d’abord Masakazu KATSURA avec Video Girl Ai. C’était réellement mon premier manga, avant même Dragon Ball et cela parlait de tout ce que j’aimais à l’époque : le Japon quotidien bien sûr, mais aussi les relations entre personnes, l’amour, l’absence des parents.
Et puis Ryoichi IKEGAMI avec Crying Freeman. Il y a toujours eu chez lui une sorte de perfection du dessin qui me fascine. Tout est dans la recherche du beau dans son travail.
J’ajouterai aussi Masamune SHIROW dont j’ai toujours adoré les œuvres même si je ne suis pas très SF à la base. La minutie avec laquelle il décrit les sociétés, les politiques, ses longues descriptions en bas de page font que je me fais toujours une relecture de ses mangas de façon régulière.
Et puis Osamu TEZUKA dont la somme de travail me sidère encore aujourd’hui.
Dernièrement, c’est Aki IRIE que j’ai adoré, au point d’éditer le Monde de Ran. Je suis très content d’ailleurs que son dernier titre sorte en France prochainement.
J’aime aussi beaucoup les shôjo des années 70/80 avec Riyoko IKEDA, Moto HAGIO ou Keiko TAKEMIYA. Ce sont des œuvres extrêmement fortes et dérangeantes parfois. Mais la liste est encore trop restrictive.
Tu as travaillé en tant que directeur de collection chez Black Box : qu’est-ce que tu y faisais et qu’est-ce que cela t’a appris sur le métier ?
Quand j’ai lancé l’idée qui me tenait à cœur de monter un label manga, je me suis occupé d’à peu près tout. J’ai pris contact avec les éditeurs (grâce à un agent) pour l’achat des droits, choisi traducteurs et graphistes et travaillé en duo pour la fabrication et le suivi quotidien. Les titres étaient choisis entre associés suivant le potentiel commercial ou juste l’envie personnelle.
L’édition papier ressemble beaucoup au processus de l’édition vidéo mais a quelque chose de plus charnel à cause du support papier. J’y ai pas mal appris sur le choix des matières premières, la sensation de lecture, les différentes envies des lecteurs. La relation avec l’œuvre est beaucoup plus proche qu’avec un animé qui ne vit que par un support « froid ».
naBan, l’art barbare ?
Quel a été le déclic, l’envie pour se lancer dans cette aventure un peu folle qu’est une maison d’édition de manga en solo ?
Après mon départ de Black Box, j’avais ce sentiment de ne pas en avoir fini avec le manga. J’avais plusieurs projets en tête compte tenu de mon parcours et, de manière surprenante, celui-ci a été rapide à concrétiser. J’ai gardé une bonne réputation auprès des éditeurs donc le contact a été facile malgré le fait de ne pas avoir de groupe derrière moi. Et puis pendant plusieurs années j’avais assumé tous les postes, donc cela ne m’a aucunement fait peur. Je considère tout cela plutôt comme une suite logique.
Je cherchais un mot si possible japonais mais sans connotation trop prononcée et si possible avec une signification proche de l’art.
naBan est en fait un vieux mot japonais signifiant « barbares du sud« , nom donné aux Asiatiques du sud-est et ensuite aux Portugais arrivés au XVIe siècle. De leur apport culturel (images pieuses, peintures) est né au Japon l’art nanban, caractérisé par la description sur des panneaux de hauts lieux de commerce, notamment les ports, et la représentation parfois amusante des étrangers vus comme rustres.
Ces œuvres ont connu un très grand succès en Europe et permis aux Européens de découvrir un pays lointain dépeint par leurs habitants eux-mêmes et non par des marchands qui racontaient ce qu’ils voulaient.
J’ai trouvé ce parallèle avec le manga amusant, sachant que si le terme a d’abord été considéré comme un peu péjoratif, il a conquis le monde et ses lettres de noblesse.
Et pour l’anecdote, naBan est un palindrome, donc lisible à l’occidentale ou à la japonaise (de droite à gauche).
Quel est la ligne éditoriale ? Comment se démarquer de l’offre déjà très riche en matière de manga en France ?
Il n’y a pas de ligne éditoriale précise, la seule chose c’est que je veux proposer aussi bien des nouveautés que des titres anciens. Le travail se fera sur un ensemble de sujets qui me tiennent à cœur : la vie au Japon, le dépaysement, la découverte, le coup de poing ou le retour de classiques.
Après je trouve ce questionnement sur l’offre riche un peu dépassé. Un petit éditeur peut, sur le même titre, vendre bien plus qu’un gros éditeur, car ce dernier est concentré sur ses best sellers. Les nouveaux arrivants le prouvent, certains titres inconnus se vendent bien mieux que des titres secondaires issus de catalogues de gros éditeurs. L’important c’est la pertinence des titres proposés, pas la quantité disponible. Je pense d’ailleurs que certains titres qui ont fait un bide auraient mieux marché chez un petit éditeur qu’un gros. Mais c’est un autre débat…
On dit souvent qu’au départ on prend les titres que l’on veut bien nous donner. Si tu pouvais démarrer avec des titres déjà publiés en France et qui seraient quand même de l’ADN de naBan, tu prendrais quoi ?
J’ai eu la chance de pouvoir choisir ce que je voulais. Les Japonais ont pas mal évolué à ce sujet. Ils ne vont évidemment pas confier un titre de 30 volumes à un nouveau venu mais ils sont plus ouverts quand il s’agit d’un titre court ou d’un jeune auteur.
Je n’ai pas de titre précis en tête sauf un que j’aurais adoré faire pour commencer, c’est Beastars, qui cochait toutes les cases. Mais il est entre de très bonnes mains, donc aucun regret !
Est-ce qu’il y a des thématiques que tu as envie de mettre en avant dans ce que tu publies (pour peu que les opportunités se présentent, évidemment) ?
J’ai très envie d’emmener les lecteurs ailleurs, même si le sujet peut sembler très terre-à-terre au premier abord. Donc j’aimerais axer parfois sur la « tranche de vie », l’évasion au coin de la rue, l’aventure ou même le borderline pourvu que ce soit pertinent.
Tout comme dans le cinéma, j’aime quand le manga m’amène loin de mon quotidien, parfois en véhiculant un message fort mais caché. C’est le cas par exemple de Demande à Modigliani qui est un manga en apparence bon enfant mais qui cache des thèmes très sérieux comme l’avenir d’un artiste ou les conséquences du tsunami de 2011 sur la vie des Japonais au quotidien.
Quelle est la cible de lecteur que tu vises au départ, s’il y en a une ?
Je n’ai pas de cible particulière, à part le fait que les titres seront plutôt axés sur un lectorat adulte, du fait du sujet ou de l’ancienneté du titre en question. Cela n’empêchera pas de viser par la suite des lecteurs plus jeunes, mais ce sera au cas par cas.
Comment se sont passés les rencontres avec les éditeurs japonais, comment as-tu fait pour les convaincre alors qu’il y a déjà un marché et des éditeurs bien établis ?
Elles se sont toutes bien passées, même si certains restent un peu sur leurs gardes tant qu’on n’a pas édité quelques titres. C’est traditionnel chez eux, que ce soit en manga ou en animé donc j’ai l’habitude de répondre à ces inquiétudes.
Les éditeurs japonais suivent ce qui se passe en France. Comme je l’ai dit précédemment, des petits éditeurs se débrouillent très bien sur certains titres en faisant mieux que les éditeurs historiques dans la même catégorie, voire le même auteur. Cela crée de belles surprises et les Japonais pourront se dire que l’éditeur choisi aura été le bon, même si plus petit.
Si on prend l’exemple du Lézard noir, sa sortie de Je suis Shingo a beaucoup fait parler et fait (re)découvrir son auteur Kazuo UMEZU à des nombreux lecteurs, alors que Glénat a sorti deux de ses œuvres il y a 15 ans !
Niveau impression, édition/dimension et rapport qualité prix : quel genre de livre aurons-nous dans les mains quand nous lirons du Naban ?
Il n’y aura pas de format-type. Pour Demande à Modigliani, j’ai choisi un format plus grand que l’original, en 14x21cm, avec jaquette, pour 10,90€. L’autrice ne fait qu’un volume par an et pour moi son œuvre mérite un format permettant à celle-ci de sortir du lot.
Pour les titres suivants, le format original sera le plus souvent respecté, cela dépendra du nombre de volumes, du nombre de pages. Les prix resteront dans la norme du marché.
Demande à Modigliani de Ikue AIZAWA : le début de l’aventure !
Résumé : Chiba, Motoyoshi et Fujimoto sont trois étudiants d’une modeste école d’art située dans les montagnes du nord-est du Japon où tout le monde peut s’y inscrire, même lesimbéciles ! Ces inséparables joyeux drilles vont devoir faire face aux difficultés liées à la création artistique, à l’incertitude quant à leur avenir professionnel, au froid insoutenable de l’hiver mais goûteront aussi aux joies de la vie étudiante dans un établissement essentiellement fréquenté par des filles.
Parlons maintenant de ton premier titre, Demande à Modigliani : dis-nous de quoi ça parle et qui est Ikue AIZAWA !
C’est tout simplement l’histoire de trois jeunes étudiants en art dans une petite université du Tohoku, au nord du Japon. Ce manga a ceci de particulier qu’il mélange beaucoup de thèmes : la recherche de la réussite quand on est artiste, le questionnement sur son devenir, quelle trace on laissera ? Et l’autrice a eu cette magnifique idée de faire situer l’action dans une région très durement touchée par le tsunami de 2011 et dont les conséquences se font encore sentir de nos jours. Certains dessins font d’ailleurs écho à ce sujet de manière très graphique et subtile.
Il y a donc plusieurs niveaux de lecture, allant du rire franc à la tendresse mais sans jamais tomber dans le pathos et le misérabilisme. Il est difficile de distinguer ce que Ikue AIZAWA a pu vivre elle-même de ce que qui relève de la fiction pure tant tout ce qu’elle décrit est juste.
Quant à Ikue AIZAWA, elle a été étudiante en arts mais reste très discrète, elle n’affiche jamais son visage sur les réseaux sociaux, qu’elle affectionne pourtant beaucoup, notamment Twitter.
Elle a été repérée par Shôgakukan en 2016 et a commencé son manga cette année-là. Elle n’a produit que ce manga pour l’instant mais vient d’en commencer un autre pour Futabasha, tournant autour des chats. Je pense qu’elle a un grand avenir comme mangaka car son dessin ne cesse de s’améliorer, reste très personnel et sa narration est d’une certaine manière, « pure », en ce sens qu’elle ne force pas le lecteur à comprendre les événements. Ils sont là, les personnages vivent en conséquence, et finalement le lecteur comprend de lui-même. C’est la force d’un non-dit maîtrisé.
As-tu déjà quelques informations sur tes prochains titres ? Les thématiques, des dates de sorties même approximatives ?
Je viens de signer pour la réédition d’un seinen oublié depuis des années et quand j’en parle les gens se demandent encore comment personne n’y a pensé ! J’espère commencer à le sortir en février, en double volumes et je l’annoncerai courant octobre.
Sinon j’ai quelques pistes pour des titres courts et récents en restant dans les thématiques dont j’ai parlé.
Et le mot de la fin : ta première sortie est dans un mois quand nous publierons cette interview : quel est ton état d’esprit ?
Je crois que je passe par à peu près toutes les émotions possibles depuis l’annonce du titre, mais l’état d’esprit qui prédomine est la joie de faire découvrir Ikue AIZAWA aux Français !
Un grand merci et un peu de chance à Christophe Geldron et Naban pour ses futurs débuts. En attendant l’arrivée de Demande à Modigliani le 8 novembre, vous pouvez retrouver l’éditeur sur Facebook, Twitter ou Instagram !