Comprendre les jardins japonais : technique et esthétique
Journal du Japon a déjà consacré plusieurs articles aux jardins japonais. C’est à travers deux ouvrages que nous abordons ici cette thématique passionnante. Avec en bonus un livre sur l’esthétique japonaise dont les jardins sont l’une des représentations les plus emblématiques.
Du bon usage du jardin zen d’Erik Borja : quarante ans de création d’un jardin
Les éditions Ulmer proposent un très beau livre qui retrace la création d’un jardin japonais (mais pas que) par Erik Borja dans le sud de la France. Les superbes photographies de Paul Maurer permettent de se plonger totalement dans le jardin et ses différentes parties (d’accueil, de méditation, de thé, promenade, du dragon, méditerranéen).
Les photographies prises au fil des saisons, avec des angles de vue variés donnent presque l’impression au lecteur de s’y promener et de poser son regard sur différentes facettes des paysages créés avec passion par cet artiste plasticien qui façonne les jardins dans la Drôme depuis plus de quarante ans !
L’impact émotionnel ressenti lors de son voyage au Japon en 1977, et plus particulièrement sa découverte des jardins japonais le dirigea naturellement vers la création d’un tel jardin dans la Drôme, région adoptée par sa famille en 1962 après avoir vécu en Algérie. Jusqu’alors, il ne rentrait que l’été depuis Paris où il vivait une vie d’artiste très dense ; la grange servait d’atelier, et déjà, l’idée d’un jardin germait dans sa tête. De retour du Japon, il étudia avec passion l’art japonais du jardin, pas que la forme, mais également le fond, la pensée, la philosophie. Les premiers coups de pioche sont donnés. Et c’est un parcours initiatique de plus de quarante ans qu’il détaille au lecteur sous forme de promenade dans ce livre passionnant !
Pénétrer dans un jardin zen, c’est ressentir. Il n’est pas besoin d’avoir des connaissances spécifiques, il suffit de capter par tous les sens. Lentement, en silence, ressentir la force du vivant, le FUSAI (essence du lieu).
Le jardin d’accueil sert de sas de décompression. Pavements, monolithes, lanterne et fontaine créent une ambiance propice à la décontraction.
Le promeneur est ensuite prêt pour le jardin de méditation. Celui-ci a beaucoup évolué en quarante ans. Le choix des roches a été fait avec beaucoup de soin et la nappe d’eau en graviers ratissés peut ainsi être parsemée d’îles : île tortue avec un pin blanc du Japon, île grue. Les falaises du Vercors sont aussi évoquées, accompagnées d’un genévrier taillé en nuage. Un petit étang jouxte le jardin de graviers, entouré d’une végétation qui évolue au fil du temps et des saisons : les photos montrant l’évolution du jardin au fil du temps sont d’ailleurs très intéressantes et les changements impressionnants. Le lecteur féru de botanique appréciera les petits dessins sous les photos, dans lesquels chaque massif est numéroté et la plante indiquée.
Le jardin de thé marque le visiteur-lecteur avec sa glycine portée par un pin parasol. On peut presque sentir son parfum ! Les pas japonais invitent à marcher lentement et à profiter de la succession de points de vue, d’ambiances. Le photographe réussit la prouesse de montrer au lecteur chaque vue, comme s’il marchait lui même dans ce jardin. Les plantes semblent se parler et couleurs et formes s’harmonisent. Et les colonnes de basalte venues des volcans du Massif Central deviennent gris-bleu sous la pluie bienfaitrice. Un tumulus de galets envahi dé sédums et de thym évoque le mont Fuji. Les cendres de deux amis de l’auteur s’y trouvent. Et c’est là qu’il veut que les siennes soient déposées après sa mort.
Le jardin promenade se veut ludique, entre collines et vallons, avec un étang au centre qui capte les nuances du ciel. Les reflets des plantes colorées se mêlent aux courbes des carpes koï qui y nagent. Une cascade relie deux étangs. Les iris jaunes et bleus les entourent. Et l’automne enflamme gingko et érable.
Le jardin du dragon est le territoire de la rivière Herbasse (qui causa à plusieurs reprises des dégâts par ses crues dévastatrices). Nénuphars, lotus et iris des marais s’y laissent admirer. Plusieurs érables japonais, un superbe merisier qui fleurit avec superbe, une bambouseraie, une cascade de colonnes de basalte et même un torii forment un paysage asiatique original. Un pavillon a été construit pour observer un jardin sec octogonal dans lequel une composition minérale en forme de dragon surprend le visiteur.
Enfin, le jardin méditerranéen en terrasses, murets et escaliers rappellent le site antique de Tipaza en Algérie, si cher à l’auteur. C’est le domaine des cyprès, cèdres, sauge, sarriette, thym, romarin et lavandes, le domaine des parfums ! Les galets « dents de chat » recouvrent les terrasses. Des fontaines apportent de la fraîcheur et une pergola en bambou permet de se poser sur un banc, sous des rosiers grimpants. Le verger et le potager complètent ce tableau.
Après cette belle promenade, l’auteur présente au lecteur d’autres jardins : des jardins privés en Corse (avec la mer comme élément du paysage créé), à Neuilly-sur-Seine, Paris (des jardins urbains beaux comme des bijoux, où chaque petit élément est pensé, positionné pour s’intégrer dans l’espace et dans le temps) et Lausanne (avec un ruisseau et le Mont Blanc dans les nuages). Il y a aussi une sculpture zen, condensé de minéralité.
En fin d’ouvrage, un hommage est rendu aux jardiniers, sans qui rien de tout cela ne serait possible, et au photographe Paul Maurer qui saisit chaque instant de jardin pour l’offrir au lecteur émerveillé !
Un livre pour rêver, pour s’inspirer, pour méditer …
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le jardin japonais expliqué par ses éléments constitutifs : un guide précieux
Pour aborder le jardin japonais sous un angle plus technique, les éditions Sully proposent un ouvrage tout en dessins qui présente les éléments de base de ce jardin.
La traductrice de cet ouvrage initialement publié au Japon, Marie Maurin, le présente ainsi dans sa préface :
« Le présent ouvrage est un guide pratique destiné aux amoureux du Japon qui veulent se lancer dans la création d’un jardin de style « montagne et eau » (sansui en japonais). Il contient de nombreuses illustrations, croquis et autres plans d’une grande précision, à même de répondre aux multiples questions qui se posent. Les éléments constituant la structure de base des jardins de l’Archipel y sont présentés sous de multiples facettes de façon à permettre à chacun de faire son choix et de « construire » un jardin japonais bien à lui, fondé sur un authentique dialogue entre l’homme et la nature. Car pour reprendre les mots de l’auteur du Sakuteiki (Notes sur la construction des jardins de Tachibana no Toshitsuma 1028-1094) au début de son traité, « [Dans la construction des jardins], il faut aussi tenir compte de ses propres idées ».
Sont présentés successivement ces éléments de base :
- lanternes en pierre
- pierres, bassins et vasques aux ablutions
- un espace clos : haies, écrans, portillons, portes suspendues et portes
- le cheminement dans le jardin : pas de pierre, dalles rectangulaires composites, pavage, fosse à déchets, pierre-témoin, pierre signifiant « ne pas aller plus loin », pierres à proximité du « jardin intérieur », pierres de seuil, pierres de l’avant-toit
- styles de jardin (conçus comme un paysage naturel, étang avec pont, jardin intérieur, jardin avec cours d’eau sinueux, jardins à deux niveaux etc.)
- groupes de pierres : très utile lors de vos visites des jardins au Japon (île des immortels, île grue, île tortue, récifs, rivages rocheux, grotte, cascades, grève, rivière sèche, roche sacrée, montagne lointaine, etc.)
- jardins secs, motifs sur sable : monticules de sable (comme au Pavillon d’Argent de Kyoto), motifs sur sable (vagues dont il existe de multiples motifs, eau qui coule, spirale, quadrillage)
- pierres remarquables : zoom sur les différentes pierres imposantes que l’on peut trouver dans différents jardins au Japon (avec le nom des jardins concernés) dont les pierres-bateaux, les pierres des cinq éléments, mais aussi des exemples d’assemblage de plusieurs pierres avec vue de face et vue de dessus (intégrés ensuite dans des plans de jardins tirés d’écrits traditionnels)
- éléments d’architecture : portails, portillons, murs d’enceinte, gloriette, pavillon de jardin, pavillon de thé, banc d’attente, entrée pavillon de thé, porte du milieu, protections contre le gel et la neige (avec des schémas légendés d’une grande précision)
Tous les éléments dessinés et légendés sont nommés en français mais également en japonais (avec leur prononciation). Les dessins très fins pourront être reproduits puis assemblés sur une feuille pour agencer son propre jardin. De la matière pour réfléchir à son propre aménagement pendant les mois d’hiver, et à lui donner vie au printemps prochain.
Les possibilités sont infinies comme l’écrit Fujii Keisuke, le conseiller éditorial du livre, architecte, professeur au département d’architecture de l’Université de Tokyo, dans la préface de l’édition japonaise :
« Cet ouvrage est rempli d’idées destinées à faciliter la création non seulement de jardins japonais, de jardins de thé et de bonsai, mais aussi de motifs décoratifs – y compris de papier peint – et d’aménagements intérieurs. »
À vos crayons !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Fukami : une plongée dans l’esthétique japonaise
Pour bien comprendre l’esthétique japonaise et ses racines puisées dans la nature de ce pays aux environnements contrastés (des terres enneigées d’Hokkaido aux forêts subtropicales du sud de l’archipel), ce livre (qui fait suite à une exposition qui a eu lieu à l’été 2018 dans le cadre de Japonismes) est un outil indispensable. Brillant dans son propos et richement illustré, il aborde les différentes facettes de cette esthétique qui fascine tant les occidentaux. Il fait également se répondre artistes japonais et artistes occidentaux, dans un dialogue surprenant et enrichissant.
Hiroyasu Ando, président de la Fondation du Japon, explique dans la préface du livre :
« Quand on réfléchit aux particularités de la culture japonaise, on observe fréquemment qu’elle est imprégnée d’un perception unique de la nature à son arrière-plan. Le dramaturge et poète Paul Claudel, qui était ambassadeur de France au Japon pendant les années 1920, écrit dans son discours aux étudiants de Nikkô « Un regard sur l’âme japonaise » que les Japonais sont capables de ressentir les supériorités de la Nature qui transcendent les être humains. Plutôt que d’insister sur l’ego, les Japonais font preuve de respect et de révérence envers ces supériorités, ce qui est une caractéristique remarquable de ce peuple. On remarque également cette particularité qu’il appelle « humidité de l’âme » dans la littérature et l’art japonais. »
C’est ce lien entre homme et nature que ce livre tente d’étudier à travers les créations d’artistes de toutes époques.
Animisme, esthétique de la disparition (zen, simplicité, minimalisme), transformation (changements permanents, renaissance), géopolitique de la nature sont les idées fortes qui parcourent ce livre.
Le lecteur croisera une création faite de pigments à même le sol représentant fleurs et oiseaux, sur laquelle les visiteurs marchent : l’œuvre évolue puis disparaît. Les céramiques Jômon marquent l’origine de l’art japonais. Les sculptures bouddhiques en bois côtoient celles de Picasso. Les laques ornées d’insectes et de plantes inspirent l’artiste française Anne-Laure Sacriste. Les poules peintes par Jakuchû fascinent.
Puis l’esthétique de la disparition, du minimalisme s’installe avec Lee Ufan et ses roches brisées, avec Hiroshi Sugimoto et ses paysages marins en dégradés de gris et noirs, avec une fleur sculptée émergeant d’un mur blanc par Yoshiro Suda.
Le voyage se poursuit vers le Sud avec Isson Tanaka, peintre d’après nature qui capte l’essence de l’écosystème japonais : végétation exubérante aux énormes feuilles et aux fleurs colorées des îles du Sud du Japon (Amami) … et Paul Gauguin.
L’écologie est celle de la nature, mais elle est aussi celle de l’esprit, de l’information, des espaces numériques avec des créations déroutantes.
L’esthétique japonaise est également basée sur la renaissance répétée, le renouveau de la pureté de l’esprit shintô, ou la renaissance du langage poétique des Aïnous.
Un grand volet est consacré à l’art d’Hokusai, au paysage subjectif : la nature personnifiée regarde l’homme.
La philosophie de la légèreté est également importante, en particulier avec les peintres moines bouddhistes zen tels que Sengai Gibon et Hakuin Ekaku.
Et que penser de l’hybridation, de la coexistence homme robot ?
La visite se termine avec un paysage de bulles qu’il est possible de toucher, dans lequel le visiteur peut plonger … l’art de la métamorphose.
En complément de la présentation des œuvres et des artistes, le livre propose de nombreux essais sur les thématiques abordées au fil des pages : l’art Jômon, le Japonisme, l’âme (Mabui) ombre dans l’art du Japon, l’animisme et la peinture japonaise et bien d’autres thèmes passionnants.
Une lecture qui invite à la découverte, à la réflexion … Un voyage dans le Japon des arts, d’une richesse vertigineuse !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Plongez-vous dans ces ouvrages esthétiques pour vous offrir un merveilleux voyage dans les jardins japonais !
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