Roberto Badin : des « morceaux de la réalité » japonaise
Roberto Badin, photographe professionnel, expose son travail Inside Japan à Lille jusqu’au 15 octobre. Journal du Japon vous propose de s’intéresser plus particulièrement au travail de l’artiste et de son rapport au pays du Soleil Levant, entre traditions et modernité.
Roberto Badin, Brésilien d’origine, vit et travaille à Paris depuis de nombreuses années. Il a signé de nombreuses campagnes de pub et a collaboré avec de nombreux magazines internationaux (The New York Times, Details, Madame Figaro, …) et des entreprises comme Yves Saint Laurent, Dior ou encore Toyota et bien d’autres. Photographe de mode au début de sa carrière il s’est trouvé dans la photographie de nature-morte, puis de paysage mais avec un œil singulier. Il présente Inside Japan pour la première fois à Paris en novembre 2018, puis à Arles lors du Festival international de la photographie. Aujourd’hui, ses clichés sont accrochés jusqu’au 15 octobre, place de Strasbourg à Lille. Les sujets, pourtant tous issus du Japon, attirent l’attention à plusieurs égards, puisque ni sites archéologiques ni foule monstre ne figurent. Simplement, des « morceaux de réalités » hors des lieux communs.
Journal du Japon : Vous êtes né au Brésil où réside une forte diaspora japonaise. En avez-vous quelque lien ? Pourquoi avoir choisi le Japon ?
Roberto Badin : Tout à fait, le Brésil accueille la plus forte communauté japonaise du monde mais je n’ai aucun lien avec elle, c’est une coïncidence ! J’entretiens une fascination depuis tout petit pour ce pays. Dans les années 1970, alors que la télévision était encore en noir et blanc, les dessins animés japonais étaient mon régime quotidien. Aujourd’hui, le Japon est bien sûr toujours une destination à part mais il y a cinquante ans, vous n’aviez pas internet ni les réseaux sociaux : penser au Japon pour moi, c’était m’imaginer sur Mars ou Jupiter ! J’ai également suivi les cours de karaté d’un maître japonais qui nous enseignait la philosophie du pays. Je me suis ensuite rendu au Japon en dehors de tout projet d’album. C’est deux ans plus tard, après avoir rencontré mon éditeur Benjamin Blanck qui se montrait intéressé, que nous avons décidé ensemble de monter ce projet, et je suis retourné au Japon pour Inside Japan.
Vous avez commencé votre carrière comme photographe de mode. Êtes-vous un « chasseur de scènes » ou attendez-vous votre modèle à des endroits précis ?
Non, je n’aime pas du tout ce terme de « chasseur » ! (rires) À partir de 1998, j’ai arrêté la mode pour ne me consacrer qu’à la nature-morte qui nécessite une construction beaucoup plus intemporelle. Je la mélange avec un style assez cinématographique. Je ne suis pas un chasseur, on peut me comparer à un ornithologue : je patiente pour le bon moment afin d’observer un moment de la vie, un morceau de la réalité. Mon propre regard évolue avec la scène. Parfois, j’attends trop longtemps et je me dis : « tant pis, celle-là ne sera pas pour moi. La prochaine fois« . C’est aussi une question d’humeur. Je pose mon cadre, j’attends que la vie vienne. Une fois, lorsque j’étais assis dans le métro, j’ai aperçu une femme habillée très singulièrement, j’ai pensé : « ça, c’est pour moi !« , et j’ai sorti mon appareil. C’est devenu « The woman with the white hat« .
Clichés avec ou sans couleurs, cela vous est égal. Pourtant, elles sont toujours présentes dans Inside Japan. Défiez-vous la « noblesse » que l’on tend à attribuer aux clichés noir et blanc ?
C’est vrai qu’il n’y en a pas. Mais non, au contraire, j’ai moi-même été influencé par des photographes dont le travail portait sur le noir et blanc. Les Américains Harry Callahan et Ray Metzker pour ne citer qu’eux. Je me souviendrai toujours de ce que j’avais lu à ce sujet : avec le noir et blanc, on inspire, on donne de la magie ; avec les couleurs, on dit tout ce que l’on a à dire.
Vous dites tout ce que vous avez à dire, et pourtant vous faites prévaloir l’interprétation et l’imagination de chacun à la vue de votre œuvre.
Tout à fait, je désire produire du début à la fin une image qui laisse tout interpréter derrière. Les gens souvent me disent : « mais comment avez-vous fait pour qu’un tel pose ?« . Rien n’est de mon fait, personne n’a posé pour moi. Sur une photo du Musée du 21e siècle à Kanazawa par exemple, ce sont des écolières japonaises qui se sont décalées. Les scènes ne sont que le fruit de regards, j’attends juste le moment opportun pour, comme je le disais, attraper un morceau de la réalité. Certaines interprétations m’ont beaucoup touché. Notamment une fois à Sao Paulo, lorsque je montrais mes productions à des Japonais, ils m’en ont révélé des pans dont j’ignorais moi-même l’existence. Je pense notamment au « Ma » et j’étais alors incroyablement surpris. Chaque interprétation apporte un regard différent et nourrit le projet.
Votre travail de nature-morte devient-il plus particulier au Japon ? Y a-t-il un lien avec le Mono no Aware (物の哀れ), cette philosophie japonaise qui suppose la beauté dans l’impermanence des choses ?
Je ne suis pas trop en admiration avec cette philosophie-là. Je me sens… plus chaleureux ! (Rires). J’aime davantage ce que j’appelle le « morceau de la vie ». Je la privilégie comme un mini morceau de réalité, pas trop figée, mais calme et sereine dans sa relation avec le temps. Mon travail a toujours été comme ça : ça n’est pas propre à ce que j’ai réalisé au Japon. Mais pour Inside Japan, cette atmosphère se ressent davantage. Même dans des villes comme Osaka ou Kyoto, vous savez comme moi que l’on peut tomber, au détour d’une rue, sur un lieu totalement différent, déjà éloigné du son des foules, en prise avec une sérénité que nos villes occidentales ont assez perdu. Ces cas de figure propres au Japon suscitent une fascination particulière, comme si vous étiez sur une autre planète ou dans un autre temps. J’ai aussi rajouté des éléments humains, pour enrichir la narration, donner à la fois une échelle et une émotion, déjà servies par le cadre. Il n’y a donc pas de portrait, l’humain n’est là que pour comprendre la scène.
Inside Japan est-il un pas vers d’autres projets tournés vers le Japon, ou est-ce une conclusion ?
Je ne sais pas si je ferai une suite, mais il y aurait de quoi faire. Par contre, je ne cache pas vouloir exposer au Japon, avec des textes totalement traduits en japonais. Sinon, j’ai l’impression de voler quelque chose. Les retours touchants du regard de son peuple me donne envie d’amener mes photographies au Japon d’une manière ou d’une autre, dans un lieu qui correspond. On m’a déjà proposé, mais sans prétention, je ne suis pas sûr qu’un quartier comme Shinjuku, ses cris, ses sons, ses publicités et chaussures multicolores soient adéquats pour le cadre, le calme et l’épurement de mes sujets. Ça n’est pas là où j’ai envie d’être, je préférerais un lieu comme Kyoto. En tout cas, mon prochain projet ne sera pas forcément lié au Japon.
En France depuis le début des années 1990, Roberto Badin a appris la photographie sur le tas depuis son enfance. Et aujourd’hui, son travail Inside Japan suscite l’intérêt du monde entier. Ses images ne sont pas manipulées et aucune lumière artificielle ne les agrémente. Seule la simple volonté de rendre la réalité comme elle a été ressentie appelle une post-production. L’exposition actuellement à Lille, dans un décor épuré, blanc et calme, clos ses portes le 15 octobre. Une prochaine tenue sera organisée ailleurs en France d’ici le printemps 2020.
www.robertobadin.com, site officiel – #insidejapan_project
Exposition à Lille jusqu’au 15 octobre, 8 place de Strasbourg, à la librairie « Place Ronde » : lundi 13h-19h, du mardi au samedi 11h-19h, fermé le dimanche.
L’ensemble des photographies appartiennent à Roberto Badin que nous remercions. #insidejapan_project
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