Enfant-otages, le combat des parents étrangers au Japon
Chaque année au Japon, plusieurs dizaines de milliers d’enfants sont enlevés par l’un de leurs parents. Une situation connue dans le pays et partiellement acceptée par les locaux, mais qui ne convient pas aux parents étrangers. Ils sont nombreux à se battre pour récupérer leur enfant ou au moins obtenir un droit de visite, en vertus des conventions internationales (convention de La Haye) qui ne sont hélas pas respectées par le Japon. Face à des mœurs bien différentes et une justice unilatérale, le combat est particulièrement difficile.
Pour mieux comprendre le phénomène, intéressons-nous aux causes de ces enlèvements d’enfants binationaux, à l’ampleur de ces rapts et aux aides mises en place pour soutenir les parents qui se voient éloignés de leur progéniture.
Combien de cas d’enlèvements recensés sur l’archipel nippon ?
Au Japon, on compte environ 20 000 unions par an entre une personne japonaise et un gaijin, avec une ouverture sur le monde qui facilite les rencontres et un changement, encore partiel, des mœurs traditionalistes. C’est un chiffre en stagnation depuis 2006, époque à laquelle un sommet avait été atteint avec un pic à plus de 44 000 mariages mixtes.
Célébrées au Japon ou dans le pays d’origine de l’autre parent, ces unions mènent parfois à l’arrivée d’un enfant qui peut obtenir la double nationalité. Ces mariages interculturels sont attrayants, entre deux individus intéressés par la culture de l’autre, mais ils peuvent réserver de bien mauvaises surprises quand on ne connaît pas assez bien la conception locale du mariage, les nuances de l’amour et les lois qui régissent les séparations. Dans le cas de famille avec enfant, un divorce litigieux (environ 10 % des cas au Japon) peut aboutir à ces enlèvements d’enfants.
Chaque année, plus de 160 000 parents sont ainsi privés de leur enfant. Cela concerne principalement des pères de famille (la garde est dans plus de 80 % des cas donnée à la mère) japonais pour la grande majorité. Le conjoint quitte le domicile subitement, emmenant avec lui le fruit de leur union.
Conscients de cette situation propre à leur pays, certains se résignent, lucides face à la difficulté qu’ils auront à obtenir gain de cause auprès d’une justice à sens unique. Ils versent alors une rente mensuelle à la mère et se contentent des quelques heures de visites qui peuvent leur être accordées exceptionnellement (de 2 h à 4 h par mois au maximum, et qui peuvent être annulées au bon vouloir du parent responsable de l’enfant). Et sinon, un père devra se résoudre à ne plus voir son enfant.
Une décision acceptée par des pères japonais habitués à ce système… Mais une situation impensable pour un parent étranger, éduqué avec une vision de la famille différente. Pour un occidental, le bien-être de l’enfant passe par la présence de ses deux parents. Mais au Japon, les choses ne suivent pas cette logique.
Une vision différente du bien-être de l’enfant
Dans la plupart des pays occidentaux, un enfant doit être éduqué, dans la mesure du possible, par ses deux parents. C’est une conception de la famille traditionnelle dont tient compte la justice pour rendre ses décisions, notamment dans les cas de séparation.
Au Japon, on considère que le bien-être d’un enfant n’est possible que s’il peut bénéficier d’un foyer stable. Cela signifie un toit, sous lequel une autorité parentale est présente et qui ne requiert pas de déplacement fréquent. C’est une conception de la famille et de l’éducation héritée de l’ère Meiji, lorsque la séparation n’était pas envisageable.
C’est la raison pour laquelle un parent, généralement la mère, décidera d’emmener l’enfant avec lui lorsqu’elle se réfugiera dans sa famille ou dans un nouveau foyer après une rupture. Une situation qui devient particulièrement problématique lorsqu’il s’agit d’un enlèvement international, car les décisions de justice ne seront pas forcément applicables entre la France, par exemple, et le Japon.
Pourtant, la convention de la Haye, qui est censée protéger les enfants des effets nuisibles des enlèvements internationaux et qui mentionne que l’enfant doit pouvoir communiquer avec ses deux parents a bien été ratifiée (très tardivement) par le Japon le 1er avril 2014. Elle n’est cependant pas respectée, et le pays tend à s’appuyer sur le principe de continuité qui lui est cher.
Le registre familial d’état-civil (le Koseki) est exclusif aux japonais et le nom du conjoint ayant l’autorité parentale y figure. Suivant le principe de continuité, c’est donc au parent japonais que la garde sera attribuée en cas de contentieux. C’est ainsi que les juges japonais justifient leurs décisions unilatérales et ne se privent pas d’annuler les décisions de justices étrangères.
Avec la convention de la Haye, un parent dispose d’un an pour établir une plainte auprès du pays concerné, suite à un enlèvement. C’est un facteur important car les décisions sont parfois repoussées, afin que ce délai s’écoule.
On recense près de 150 affaires d’enlèvements déclarés au consulat, dont une quarantaine aux États-Unis, une trentaine au Royaume uni, et une quinzaine en France, qui forcent des parents seuls à se dresser contre la justice japonaise.
Le parent seul face au Japon souverain
Pour un père ou une mère, être privé de son enfant est une situation impensable, du moins dans la conception occidentale de l’éducation. Le simple fait de savoir que son enfant pourrait être élevé dans la haine du parent concerné ou qu’on lui affirme qu’il a été abandonné poussent certains parents à se battre contre un système qu’ils jugent injustes.
Récemment remis au goût du jour par certains débats politiques, notamment une table ronde présidée par le représentant des Français établis hors de France, Richard YUNG, qui a eu lieu au Sénat le 8 mars 2019, le sujet semble toujours aussi difficile à traiter.
Certains pères étrangers racontent leur détresse, notamment face à l’indifférence totale des autorités japonaises qui refusent de traiter les plaintes, face aux annulations des décrets obtenus en France mais qui ne valent plus rien arrivés au Japon, et expliquent que la situation se retourne même souvent contre eux. Les placements en garde à vue sont possibles pour ceux qui approchent leurs enfants sans être le responsable de l’autorité parentale et un simple appel de l’ex-conjoint peut entraîner un placement en détention.
Une situation compliquée, avec une garde à vue qui peut durer jusqu’à 21 jours mais qui peut être prolongée en cas d’accusations supplémentaires. Le parent accusé doit ainsi signer une décharge, qu’il ne comprend pas forcément, pour sortir. Un refus peut entraîner une expulsion du territoire avec interdiction de séjour par la suite.
C’est ce qui pousse certains avocats au Japon à inciter leurs clientes à accuser le parent étranger de violence domestique, de harcèlement ou de tentative de rapt. Il existerait même des forums sur internet où les discussions tournent autour de conseils pour réussir à emporter son enfant avec soi quand on est une femme japonaise mariée à un étranger.
D’un point de vue français ou occidental, ces kidnappings d’enfants semblent insensés. Mais il est important de se mettre à la place de celui qui souhaite rentrer avec son enfant, pour avoir une vision globale du problème.
Père étranger, mère japonaise, à qui la faute ?
Avoir un enfant n’est en soi pas une décision à prendre à la légère, mais faire un enfant avec une personne étrangère mérite une réflexion encore plus profonde et surtout une bonne connaissance des traditions et de la culture locale.
Pour une mère japonaise, surtout si elle est éloignée de son pays d’origine suite à son union avec un étranger, il peut sembler tout à fait évident de rentrer au pays avec l’enfant suite à une séparation. Suivant ce fameux principe de continuité, et le fait que la garde lui sera de toute façon attribuée, elle ne pensera pas forcément qu’elle commet un délit. On utilise d’ailleurs plus volontiers le terme d’éloignement et non celui d’enlèvement dans ces cas au Japon. D’autres agiront ainsi en pensant ne pas avoir d’autres choix. Dans leur pays d’accueil, elles peuvent être démunies face à la langue, aux lois et ne pas avoir les connaissances nécessaires pour comprendre que des recours légaux (et allant dans l’intérêt des deux parents) sont possibles.
La méconnaissance des coutumes locales est valable dans les deux sens.
Bien sûr, certaines sont parfaitement conscientes de la situation et emmèneront l’enfant au Japon, pour en avoir la garde exclusive, en se reposant sur les décisions qu’elles leur savent favorables. Mais n’est-ce pas ce que fait un parent étranger lorsqu’il s’oppose aux décisions japonaises ?
La Professeure de sociologie à l’Université féminine de Kyoto, Itsuko KAMOTO, s’étonne de la méconnaissance des pères victimes de ce problème qu’elle a rencontré, vis-à-vis du Japon et de sa culture : « certains parlaient quelques mots de japonais, d’autres n’avaient jamais séjourné au Japon ». Pourtant, tous estimaient parfaitement logique que les lois de leur propre pays soient souveraines.
En somme, chacun sera la « victime » de l’autre, et on devrait surtout s’inquiéter du bien-être de l’enfant dans une telle situation. C’est ce à quoi s’activent certaines associations visant à aider les parents d’enfants binationaux.
Des associations qui soutiennent les parents étrangers
Alors que le Japon semble fermer les yeux sur ce problème, les parents étrangers se trouvent
parfois bien démunis face à une justice à sens unique. Certains n’hésitent pas à accuser l’État (français ou de leur pays) de complicité puisque rien ne semble fait pour faire évoluer les choses et pour que le droit international soit appliqué.
Le Japon est le seul pays du G7 à ne pas respecter les accords pourtant signés sur les droits des enfants binationaux, qui comprennent notamment le droit de visite et le partage de l’autorité parentale. Les raisons de cette quasi-absence d’implication politique sont certainement d’ordre économique et certains acteurs trop présents de la lutte contre ces enlèvements se voient même reprocher de nuire aux relations franco-japonaises.
Il existe heureusement plusieurs associations qui accompagnent les parents en difficulté :
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SOS-Parents-Japan, un blog qui s’investit depuis 2007 pour fournir le maximum d’informations aux parents éloignés de leurs enfants.
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Sauvons Nos Enfants – Japon (SNEJ), une association qui accompagne les parents aux niveaux pratique et juridique pour les aider à renouer le contact avec leur enfant.
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Kizuna Child-Parent Reunion, une association internationale qui met en place des actions pour faire connaître l’ampleur du phénomène
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Japanchildabduction, une association qui fournit une aide à l’internationale en collaborant avec des groupes d’aides de chaque pays et des entités gouvernementales japonaises.
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The Japan Childrens Rights Network, un site anglophone regroupant toutes les informations nécessaires concernant les droits des enfants au Japon, avec des témoignages, des solutions et divers documents qui peuvent être utiles dans cette situation.
Pour le moment, aucun enfant emmené au Japon par son parent japonais n’a été rapatrié dans le pays de l’autre parent, ce qui prouve que tout reste à faire.
Mais pour faire changer les choses au Japon, il existe une solution qui consiste à faire du bruit, en plaçant le pays dans une position qu’il n’apprécie guère et dans laquelle il fait mauvaise figure. C’est une méthode qui a fait ses preuves avec les suicides, quand le pays a été pointé du doigt à l’international pour son taux anormalement élevé de suicides et qu’il a déclenché un plan de lutte. Il est donc important de sensibiliser l’opinion à ce problème, afin que les autorités prennent les décisions nécessaires.
Les unions mixtes sont aussi attirantes que compliquées à gérer en cas de soucis et il est bon de savoir à quoi on s’expose quand on fait un enfant avec une personne de nationalité japonaise. Ces cas d’enlèvements d’enfants binationaux nous rappellent combien le Japon peut être un pays aussi moderne et avancé sur certains points qu’archaïque sur d’autres.
Dans une situation où le bien-être de l’enfant ne semble pas importer et où les potentielles conséquences néfastes sur son développement ne sont pas prises en compte, il serait temps que la société japonaise prenne la mesure d’un problème très actuel qui pourrait s’accentuer si le pays continue de s’ouvrir au monde.
Sources :
https://jp.ambafrance.org/Naissance-d-un-enfant-francais-au-Japon
Divorce and Child Custody Issues in the Japanese Legal System, Colin P.A. Jones, 2012
Black Hole in the Rising Sun: Japan and the Hague Convention on Child Abduction, Paul Hanley, 2016
1 réponse
[…] tentent d’approcher leur enfant retourné au Japon. Nous vous en avions déjà parlé dans cet article. Et la situation ne semble pas s’améliorer, malgré une activité intense de ces parents […]