De Gojira à Godzilla – le roi du cinéma
Si l’on pourrait croire que le monstre mythique de la Toho, Godzilla, est une icône typiquement japonaise, l’affiliation de la créature à un pays particulier est loin d’être aussi unilatérale qu’il n’y paraît. En effet, entre les multiples influences qui ont fait du roi des monstres ce qu’il est aujourd’hui, et les nombreux remakes et adaptations états-uniennes souvent faites avec la bénédiction des ayants droit japonais, les origines du monstre sont complexes. Avec la sortie du dernier volet américain en mai dernier, l’occasion est toute trouvée pour faire un bilan des adaptations US, de leur trouver une place au sein de la riche saga que constituent les films nippons et de faire le point sur la direction actuelle prise par cette dernière adaptation Made in USA.
Des origines croisées
L’histoire est désormais connue, et il est souvent rappelé que Gojira — la prononciation japonaise de Godzilla — est la contraction de gorira (gorille) et kujira (baleine). Il est donc naturel qu’une des origines du monstre soit le yokai Bake-kujira sorte de baleine géante fantomatique.
Seulement à cette origine japonaise s’en ajoutent deux autres bien plus occidentales. En effet, si Kujira ramène au Yokai, gorira ramène à une autre créature mythique probablement plus connue encore, King Kong. Si ce lien peut sembler arbitraire, il trouve sa justification dans l’intérêt très grand que portait le responsable des effets spéciaux de la Toho — Eiji TSUBURAYA — au film de King Kong de 1933. Cet intérêt fut tellement grand qu’il aurait fait naître chez Eiji TSUBURAYA, le désir de réaliser des effets spéciaux. L’autre influence américaine est, elle aussi, à lier au monde du trucage, puisqu’il s’agit du film de Eugène LOURIÉ, Le monstre des temps perdus réalisé en 1953. Dans ce film il est question d’un ancien reptile préhistorique réveillé d’un long sommeil par des essais nucléaires et qui s’en ira briser de nombreux bateaux avant de se déchaîner sur la ville de New York.
En réalité, pointer ces influences ne veut pas dire attribuer l’origine de Godzilla aux USA. Tout comme ignorer les liens qui réunissent la production de Science-Fiction nippone et états-unienne dans les années 1950 serait une erreur. Si le traumatisme nucléaire et la défaite de 1945 ont été de fortes inspirations lors de la création de Godzilla, la crainte du nucléaire a aussi fortement motivé la création de nombreux monstres. Attribuer la paternité de Godzilla à une seule culture revient à rejeter une valeur capitale de la série, le partage et la proximité entre les peuples, en plus de nier le fait que le Japon est un pays fortement influencé par la culture américaine dans les années 1950. Il est ainsi naturel qu’il y ait des échanges d’idées, d’inspirations, sans que cela n’enlève rien à l’authenticité et à la force de la créature. Au contraire même, l’universalité de ses origines va dans le sens de son message humaniste. Ainsi, c’est avec un esprit ouvert qu’il convient d’aborder les différentes itérations occidentales de la série. Après tout, Godzilla est un monstre ayant subi de très nombreux changements esthétiques et narratifs au fils des époques. Mais c’est par le biais d’un message universel commun que les films semblent pourtant se rassembler. Il ne suffit cependant pas de rester fidèle à l’esprit d’une franchise pour en faire de bons films, et il s’agit d’un point plus que capital ici.
Retour donc film par film sur les 3 tentatives états-uniennes de reproduction de la créature. Il ne s’agit pas ici des versions américanisées des films japonais, même si ces versions ont un statut très similaire à ces films puisque les adaptations américaines ou les américanisations japonaises ont toutes été produites dans une même optique mercantile — vendre plus à l’international — et avec la bénédiction des ayants droit japonais ou du moins en principe.
Un premier film respectueusement raté
Le premier film à proprement parler américain de la franchise, est le Godzilla de 1998 réalisé par Roland Emmerich.
Il s’agit là d’un des opus les plus critiqués de la saga. On lui reproche d’être un mauvais film, mais surtout de trahir l’œuvre originale adaptée. Ces reproches quant à la qualité du film sont justifiés et l’ennui profond qu’il semble dégager ou la pauvreté d’une mise en scène « attractionnelle » font de ce film un échec flagrant. En revanche, il semble intéressant de questionner la validité des plaintes au sujet de la fidélité au Godzilla original.
Admettons les reproches faits au design de la créature, jugée laide, et surtout peu ressemblante à Godzilla mais davantage à un dinosaure standard. Cela est plutôt juste, néanmoins la laideur d’un effet spécial, en l’occurrence la modélisation 3D de Godzilla, et le respect d’une franchise sont deux choses différentes. De même que la ressemblance avec l’original n’est pas nécessairement une question de fidélité. Rappelons que le Godzilla de 1954 est censé être, précisément, un dinosaure, que son apparence iconique dépend grandement de l’image que l’on pouvait se faire d’un tyrannosaure à l’époque. Lorsque Roland Emmerich modifie le design, il ne s’agit en réalité que d’actualisation et non de trahison. Aussi, si l’usage de modélisations 3D est inhabituel pour représenter le monstre, il est loin d’être absent des productions japonaises qui intègrent des éléments numériques dans l’ère Heisei et dans l’ère Millenium. Sans parler de Shin Godzilla de Hideaki ANNO qui revient sur la tradition consistant à représenter le monstre par un acteur dans un costume pour proposer une version numérique de la bête. Dans tous les cas, il ne s’agit pas tant de trahison que de différences techniques; ces techniques sont des éléments appréciés des fans de la franchise, mais elles ne constituent pas le centre du récit ni même du film et s’arrêter à ces seuls éléments pour décréter une irrévérence semble dommage.
Le film de Roland Emmerich propose outre ses divergences techniques, quelques éléments en accord avec l’esprit de la franchise comme, par exemple, le message humaniste universel évoqué plus haut qui semble ici bien présent. Lorsqu’en 1954 sort au Japon le premier Godzilla par Ishiro HONDA, celui-ci fait écho au traumatisme de la défaite et à la crainte du nucléaire militaire. Par la suite, la franchise traitera davantage de la crainte du nucléaire, civil plus précisément. À mesure que l’époque change, la franchise Godzilla semble s’adapter à certaines craintes diffuses dans la société japonaise, la série devient ainsi un réceptacle des craintes populaires et une mise en garde concernant certaines tendances, tout en restant profondément commerciale, bien entendu.
C’est bien ce que semble ici reproduire Roland Emmerich en teintant le film d’un message écologiste qu’il supporte par une partie de ses changements. Si la nature de la créature change — de dinosaure dans le film de 1954 elle se change en lézard mutant dans celui de 1998 — c’est pour appuyer le propos du film qui cherche à rendre visible l’impact de l’Homme sur son environnement. Si Godzilla devient une créature en images de synthèse, cela correspond à un changement symbolique : lorsque Godzilla représente la guerre ou le nucléaire, la nature humaine de ces choses est rappelée par la présence d’un acteur costumé, à l’inverse si le monstre représente la réponse de la nature à une agression humaine, il semble naturel de dénuer le monstre d’un aspect humanoïde.
Le film de Roland EMMERICH reste indéfendable sur de nombreux points, mais il est très loin d’être le plus mauvais film de la franchise. Devançant largement certaines productions japonaises de l’ère Heisei ou Millennium qui semblent réduire la franchise à une succession bête et méchante d’affrontements. Ici, l’ambition est plus haute, et Roland EMMERICH semble comprendre l’intérêt de la créature dans ce qu’elle a de symbolique.
Une réponse tardive
Le film de 1998, malgré une forte popularité auprès du grand public, a fermé pendant longtemps les portes d’Hollywood au roi des monstres. Ce n’est que 16 ans plus tard que le second film états-unien verra le jour, réalisé par Gareth EDWARDS.
Contrairement au précédent cet opus jouit d’une réputation plutôt correcte, alors même qu’il cumule certains éléments critiqués au sein de la production de 1998, notamment la nature numérique de Godzilla. C’est qu’ici le film est bon, cela change tout. Ainsi plutôt que de s’arrêter sur des détails fidélité/infidélité, le film est critiqué pour lui-même et non pas en le comparant à un héritage qui serait immuable. C’est le gigantisme très bien géré des monstres et l’impression de petitesse ressentie via les personnages humains, c’est le sentiment de crise permanente et la beauté de certaines séquences qui font la qualité de ce film. En s’attardant sur des questions d’adaptations on se rend compte que tout en prenant des libertés sur l’apparence et les techniques utilisées pour représenter le monstre, le film s’évertue à inclure des considérations écologiques et à lier la créature à un contexte plus grand. Sur ce point, le film de 1998 et celui de 2014 sont au final assez semblables, à la différence unique que l’une des productions est appréciée et l’autre non.
Un troisième volet respectueusement raté
Ce qui nous amène au dernier film sorti récemment, Godzilla, King of the monsters par Michael Dougherty. Le film rencontre un vif succès et semble ainsi s’aligner sur le précédent film de 2014. Pourtant, il en est très éloigné, sur tous les niveaux.
Alors que le film de Gareth Edwards intégrait le monstre à la fois au sein du monde des Hommes pris comme humanité, via son message, et au sein du monde des personnages via ses effets de gigantisme, la production de 2019 s’égare dans un désordre mal maîtrisé. Pour preuve, le traitement du grand nombre des affrontements. En effet, le réalisateur paraît vouloir traiter les monstres comme des personnages et il les filme en conséquence. Pourtant, il semble aussi décidé à conserver l’aspect gigantesque des titans en multipliant les points de vues humains ou celui en contre plongée. Les scènes de combat, très nombreuses, se résument donc à une alternance de ces deux types de plans, annihilant ainsi l’impression que les monstres sont des combattants comparables à des boxers mais également leur gigantisme.
À ce problème capital s’ajoute celui de l’adaptation. Non pas que ce film ne soit pas fidèle à l’œuvre, cela n’importe guère, mais il semble davantage emprunter aux aspects détestables de la saga. Pas d’intérêt pour une quelconque écologie, au contraire, celle-ci est dénoncée puisque les antagonistes s’en réclament. Pas d’intérêt non plus pour le nucléaire. Le seul attrait de l’œuvre est de paraître « cool », et le seul élément réminiscent des films antérieurs est le mercantilisme de la franchise, ici dénué de toute autre ambition. Ce qui est paradoxal puisqu’à bien des égards, ce dernier film invoque bien plus que les précédents des éléments caractéristiques de la saga. Il s’agit d’un remake d’un thème classique des précédents films à savoir la confrontation Godzilla contre Ghidorah durant laquelle de nombreux monstres bien connus apparaissent, accompagnés de clins d’œils répétés comme la présence des shobijins et de la chanson de Mothra, la naissance de Rodan au sein d’un volcan, le thème classique de la série, etc. Pourtant cette fidélité paraît vaine. Là où Roland Emmerich ratait son film de 1998 en s’emparant du monstre comme d’un symbole délaissant certains éléments typiques de la franchise, Michael Dougherty ne fait qu’emprunter des éléments de surface sans jamais s’emparer ni de son film ni de sa créature.
Il parait donc absurde de ne juger ces films uniquement sur la base de leur fidélité à leur franchise originelle. Certains des plus mauvais films de la franchise se trouvent être les plus fidèles (Godzilla’s Revenge par Ishiro Honda) et certaines des plus belles réussites de la saga ont été vivement critiquées à leur sortie en raison des libertés qu’elles prenaient (Godzilla contre Hedorah de Yoshimitsu Banno). De même, la notion de fidélité reste très relative. Lorsque le Godzilla de Rolland Emmerich fut critiqué pour ses divergences avec l’œuvre originale, il aurait été parfaitement possible de saluer le film pour sa grande fidélité, et ce en utilisant en partie les même éléments cités par les critiques. Enfin, attribuer aux Japonais l’exclusivité sur le roi du monstre semble tout aussi invraisemblable. Les créatures atomiques n’ont jamais été une spécificité nippone, et la création de Godzilla est le produit de nombreuses influences cosmopolites.
De fait, les films américains de Godzilla ont souvent été classés à part au sein de la série, pourtant, au vue de la qualité de certains, ou des propositions des autres,ratées parfois, il semblerait dommage de passer à côté d’un pan complet d’une franchise aussi riche.
1 réponse
[…] Aux 4e et 5e places, on retrouve deux franchises cultes japonaises. Et c’est Godzilla (668 000 entrées) qui a battu le guerrier légendaire de Dragon Ball et ses 100 000 entrées de moins. Ce second film intitulé Roi des Monstres réalisé par Michael Dougherty n’est pas le plus réussi de la franchise mais les nombreuses scènes avec notre kaijū préféré ont semble-t-il convaincu les fans du lézard géant. Beaucoup plus présent à l’écran que dans le premier opus réalisé par Gareth Edwards en 2014, le spectateur assiste à un choc des titans ! Des monstres en veux-tu en voilà avec Godzilla (bien sûr !), le papillon géant Mothra, le dragon à trois têtes King Ghidorah ainsi que le ptérosaure Rodan ! Le MonsterVerse de Legendary et de la Tōhō, avec ce 3e opus, s’installe progressivement et le point culminant devrait être atteint avec la confrontation des deux monstres les plus emblématiques du cinéma dans le prochain film Godzilla vs Kong prévu pour cette année. Nous avions abordé les différents reboots et remakes américains de la franchise dans notre article « De Gojira à Godzilla – le roi du cinéma ». […]