Kawagoe : la petite Edo est-elle si décevante ?
Le mois dernier, Journal du Japon vous a présenté Asakusa, dernier bastion des décors traditionnels du centre de Tokyo. Aujourd’hui, nous vous emmenons à une petite heure en train dans la préfecture de Saitama à Kawagoe (川越). Aussi connue sous le nom de Koedo (小江戸, « petite Edo »), la ville ne compte plus que de rares maisons traditionnelles à cause du séisme du Kanto de 1923 qui avait alors ravagé Tokyo et ses alentours. Malgré cela, nombreuses sont les critiques négatives à l’égard de ce lieu décrit comme attrape-touriste voire ennuyeux. Muni d’une carte et de son appareil photo, Journal du Japon a enquêté et vous donne son avis sur ce qu’il en retourne vraiment à Kawagoe.
Dès la sortie de la gare, quelques échoppes et restaurants traditionnels sont prêts à accueillir les visiteurs. Vous pouvez y déguster des tempura et autres mets communs, mais aussi – et surtout – d’authentiques soba (nouilles japonaises à la farine de sarrasin). Elles se mangent froides, trempées avec des algues, du gingembre et du wasabi dans une sauce soja. Les rares lieux qui en servent se situent principalement dans les rues adjacentes. Lorsque le visiteur écarte les pans du noren (petit rideau à l’entrée) et tire le shoji (porte coulissante), il ressent la même fraîcheur de raffinement que dans le quartier de Gion à Kyoto.
Entre les grandes artères et les rues plus discrètes
Après un bon déjeuner, vous voilà parés pour arpenter les rues de Kawagoe, entre les grandes artères et les rues plus discrètes. Si le passage est obligé dans les premières, les secondes paraissent plus attirantes. Les grands axes sont en effet sujet à la circulation des voitures ; ça n’est pas Shibuya, mais il y a de quoi être embêté et souvent attendre aux passages piétons. Cependant, de très jolies bâtisses de l’époque Edo (1603 – 1868) jalonnent ces voies où vous trouverez des boutiques qui semblent tout-à-fait véritables. On achète par exemple des daifuku (大福) et wagashi (和菓子), pâtisseries japonaises très raffinées, dans la jolie fabrique Kameya (亀屋), enseigne fondée en 1783 ! Le personnel est très accueillant et un atelier offre également la possibilité de confectionner soi-même ses pâtisseries. Non loin, Totoro veille sur l’entrée d’un Donguri, boutique officielle du studio Ghibli.
Sinon, les petites rues piétonnes permettent aussi de profiter de repas chauds en hiver, du son typique des furin (carillon japonais) en été et de produits locaux en toute saison. Notamment, Saitama est à la quatrième place des préfectures qui vendent le plus de seishu (清酒 alcool raffiné). Après avoir dégusté un des très nombreux échantillons, il est possible de repartir avec une bouteille de saké japonais encaissée selon la tradition. Il est aussi fortement recommandé d’essayer la spécialité locale, la pomme de terre Satsuma Imo (サツマイモ). Cette espèce de patate douce (donc sucrée) se retrouve à travers une multitude de imogashi (イモ菓子, friandises à base de Satsuma imo) : chips, yokan, daifuku, frites, chakkari (typique de Kawagoe), senbei (biscuit traditionnel), etc. « Tokimo », c’est justement le nom de la mascotte de Kawagoe. Imo faisant référence à la pomme de terre Satsuma, et Toki à Toki no Kane (時の鐘, le clocher du temps).
Toki no Kane est le monument emblématique de Kawagoe
Le clocher du temps surplombe les toits des autres maisons du haut de ses 16 mètres. Vestige du domaine du château de Kawagoe, elle mesurait à l’origine 17,5 mètres mais a brûlé plusieurs fois au cours de son histoire. La cloche fait la fierté des habitants : le timbre de celle-ci figure depuis 1996 parmi les 100 paysages sonores du Japon, établis par le ministère de l’Environnement. Avec beaucoup de chance, il est possible de l’écouter sonner l’heure 4 fois par jour, à 6h, 12h, 15h et 18h. Aux pieds de la majestueuse tour se trouve l’entrée du sanctuaire Yakushi où l’on prie pour des récoltes abondantes, le bien-être de sa famille ou la guérison d’une maladie. Même à la belle période, le monde n’y est pas aussi abondant qu’à Kyoto ou Kamakura.
Néanmoins, il en est peut-être autrement pour la fameuse Kashiya Yokocho (菓子屋横丁, la rue commerçante de friandises), susceptible d’attirer un monde plus large en période estivale. Il est pourtant possible d’y savourer de délicieuses choses, qu’il s’agisse vraiment de friandises ou de plats comme les unagi. Un atelier attire davantage l’attention que les autres : le visiteur peut y cuire soi-même son senbei, biscuit japonais croustillant. Crevette, soja, edamame, il y en a pour tous les goûts. La technique ? Retourner la pâte toutes les quatre secondes. Puis lorsque des bulles apparaissent, l’on retourne le senbei et l’on patiente à nouveau quelques secondes moins proche du feu. La concentration et la dextérité sont de mise. « Vétéran » ou « Expert », vous recevrez ensuite votre titre selon votre performance. Enfin, il faut croquer… mais attention à ne pas se brûler ! Ces activités sont certes touristiques mais n’en sont pas moins agréables et intéressantes. Lorsque les commerces ferment (relativement tôt comparé à Tokyo), pourquoi ne pas visiter les temples et sanctuaires à proximité ?
Le sanctuaire Hikawa est un véritable coup de cœur
Un peu plus au nord de Toki no Kane, Hikawa Jinja est un véritable coup de cœur. Le portail torii est orné de dizaines de petits moulins à vent. Au-delà, le sanctuaire dévoile sa magie, surtout à la tombée de la nuit. Les lanternes avec la silhouette de chrysanthème, un couloir d’ema (plaque en bois sur lequel l’on écrit un vœu ou l’on remercie les kami, attention à ne pas lire celui des autres !), ainsi que deux arbres vieux de 600 ans reliés par un shimenawa (corde tressée). Cela signifie qu’ils revêtent un caractère sacré. Le petit point d’eau, les feuillages et les lumières transportent les visiteurs dans un film de Miyazaki ou dans le royaume d’Hyrule.
En définitive, Kawagoe est en demi-teinte. La ville n’offre pas un décor aussi traditionnel qu’à Gion ou Kamakura, les maisons d’antan çà et là, sans réelle rue emblématique non plus. La circulation y est également davantage présente. Néanmoins, seule la Kashiya Yokocho semble véritablement se destiner aux touristes. Même s’ils sont plus rares, les autres endroits tels que les restaurants traditionnels et les lieux de cultes sont plus authentiques. Si l’on s’intéresse réellement à la ville et à son histoire et que l’on a l’esprit baroudeur, Kawagoe reste toute de même une alternative à Kamakura ou à Kyoto. Paris, Venise, Kyoto ou Kamakura : rares sont les villes touristiques qui savent conserver toute leur authenticité à cause du tourisme de masse, source de nuisance pour les locaux. Il faut qu’elles se protègent des hordes de touristes pas toujours au fait du respect et des règles de politesse. Les sanctuaires et les temples sont des lieux de culte et de prière qu’il faut veiller à respecter sans crier ou gêner autrui, sans porter atteinte aux édifices et à la nature qu’ils côtoient, afin d’en préserver au maximum le caractère sacré.
Sources :
« With Japan’s increasing tourism numbers, tensions will inevitably follow », The Japan Times, 12/07/2019
Site officiel Kameya – 亀屋・天明三年創業・川越の伝統を今に伝える
Classement 2017 Seishu shukka ryo – 清酒出荷量2017年ランキング
Se rendre à Kawagoe depuis Tokyo :
- Prendre la Tokyo Metro Marunouchi Line depuis Tokyo Station, à destination de Ikebukuro (17 minutes, 600 yens)
- Puis prendre la Tobu Tojo Line Rapid depuis Ikebukuro, à destination de Ogawamachi (30 minutes, 470 yens)
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